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Date : 20030716

Dossier : T-335-02

Référence : 2003 CF 887

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                      JEAN RICHER

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                                   

LEO PINEL, PRÉSIDENT INDÉPENDANT,

LE PÉNITENCIER DE LA SASKATCHEWAN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE RUSSELL

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 février 2002 par Leo Pinel, président indépendant (le PI) exerçant ses fonctions en application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, (la LSCMLC), L.C. 1992, ch. 20 et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620.


[2]                 Le demandeur purge actuellement une peine d'emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle avant 25 ans. Le 28 janvier 2002, il a refusé de fournir un échantillon d'urine (l'échantillon) à la demande de l'agent Patrick Northey (agent Northey), qui était l'échantillonneur du programme d'analyse d'urine au pénitencier de la Saskatchewan. Le 30 janvier 2002, il a été décidé qu'il y avait lieu de porter une accusation contre le demandeur sous le régime de l'alinéa 40l) de la LSCMLC. Le demandeur a comparu devant le PI le 6 février 2002 et a été reconnu coupable. Une amende de 45 $ a été imposée.

[3]                 L'agent Northey a été le seul témoin appelé au cours de l'audience qui a eu lieu devant le PI.

[4]                 Les défendeurs ont fait remarquer avec raison, à titre de question préliminaire, que le procureur général du Canada n'avait pas été désigné partie à la présente demande. Le demandeur s'est engagé à présenter une demande visant à modifier l'intitulé de la cause conformément au paragraphe 303(2) des Règles de la Cour fédérale (1998). Les défendeurs ont accepté cet engagement et l'audience s'est poursuivie en fonction de ce consentement.

Questions en litige

[5]                 1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?


2.         Le PI a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait omis ou refusé illégalement de fournir l'échantillon d'urine qui avait été exigé de lui conformément à l'alinéa 54b) de la LSCMLC?

3.         Le demandeur pourrait-il invoquer des droits découlant de la Charte canadienne des droits et libertés?

4.          Le demandeur a-t-il bénéficié d'une audience équitable?

5.         Le PI a-t-il commis une erreur de droit en omettant d'envisager un règlement informel en vertu de l'article 41 de la LSCMLC?

6.         Le demandeur soulève-t-il des questions et des arguments juridiques dont le PI n'était pas saisi?

Dispositions législatives pertinentes

[6]                 Les dispositions législatives pertinentes sont l'alinéa 40l), le paragraphe 41(1) et les articles 54, 56 et 57 de la LSCMLC :

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

[...]

40. An inmate commits a disciplinary offence who

[...]

l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

[...]

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;

[...]

41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants :

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

a) il a obtenu l'autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration;

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior authorization of the institutional head;

b) il le fait dans le cadre d'un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas, conformément aux directives réglementaires du commissaire;

(b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner's Directives that the regulations may provide for; or

c) l'analyse d'urine est une condition - imposée par règlement - de participation à un programme ou une activité réglementaire de désintoxication ou impliquant des contacts avec la collectivité.

[...]

(c) where urinalysis is a prescribed requirement for participation in

(i) a prescribed program or activity involving contact with the community, or

(ii) a prescribed substance abuse treatment program.

[...]

56. La prise d'échantillon d'urine fait obligatoirement l'objet d'un avis à l'intéressé la justifiant et exposant les conséquences éventuelles d'un refus.

56. Where a demand is made of an offender to submit to urinalysis pursuant to section 54 or 55, the person making the demand shall forthwith inform the offender of the basis of the demand and the consequences of non-compliance.

57. (1) Lorsque la prise est faite au titre de l'alinéa 54a), l'intéressé doit, auparavant, avoir la possibilité de présenter ses observations au directeur.

57. (1) An inmate who is required to submit to urinalysis pursuant to paragraph 54(a) shall be given an opportunity to make representations to the institutional head before submitting the urine sample.

(2) De même, dans les cas où il est tenu de fournir régulièrement un échantillon d'urine en application de l'article 55, il doit avoir la possibilité de présenter à la personne désignée par règlement des observations au sujet de l'espacement des prises.

(2) An offender who is required to submit to urinalysis at regular intervals pursuant to section 55 shall be given reasonable opportunities to make representations to the prescribed official in relation to the length of the intervals.

[7]                 Plusieurs dispositions énoncées dans la Partie 1 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement) sont également pertinentes en l'espèce :

25. (1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

b) les date, heure et lieu de l'audition.

(b) state the time, date and place of the hearing.

(2) L'agent doit établir l'avis d'accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be issued and delivered to the inmate who is the subject of the charge, by a staff member as soon as practicable.

61. (1) Le coordonnateur du programme de prises d'échantillons d'urine peut exercer le pouvoir conféré au directeur du pénitencier, aux termes de l'article 54 de la Loi, d'accorder l'autorisation préalable à une prise d'échantillon d'urine.

61. (1) The power of the institutional head, pursuant to section 54 of the Act, to grant prior authorization for urinalysis may be exercised by the urinalysis program co-ordinator.

(2) Le coordonnateur du programme de prises d'échantillons d'urine peut exercer la fonction attribuée au directeur du pénitencier, aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi, lui permettant de recevoir les observations du détenu avant la prise d'un échantillon d'urine.

(2) The function of the institutional head under subsection 57(1) of the Act to hear an inmate's representations before submitting a sample, may be carried out by the urinalysis program co-ordinator.

63. (1) Pour l'application de l'alinéa 54b) de la Loi, le Service peut instaurer un programme de contrôle au hasard visant à garantir la sécurité du pénitencier et de quiconque et à prévenir l'usage et le trafic de substances intoxicantes à l'intérieur du pénitencier.

63. (1) For the purposes of paragraph 54(b) of the Act, the Service may establish a random selection urinalysis program for the purpose of ensuring the security of the penitentiary and the safety of persons by deterring the use of and trafficking in intoxicants in the penitentiary.

(2) Le programme de contrôle au hasard doit prévoir que chaque détenu doit fournir un échantillon d'urine lorsque son nom a été choisi au hasard parmi les noms de tous les détenus du pénitencier.

(2) A random selection urinalysis program shall provide for samples to be provided by inmates whose names have been chosen by random selection from among the names of the entire inmate population of the penitentiary.

[8]                 La Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), prévoit ce qui suit :

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

10. Everyone has the right on arrest or detention

a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

(a) to be informed promptly of the reasons therefor;

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

(b) to retain and instruct counsel without delay and to be informed of that right; and

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.

(c) to have the validity of the detention determined by way of habeas corpus and to be released if the detention is not lawful.


Analyse

La norme de contrôle

[9]                 Les défendeurs citent avec raison la décision Barnaby c. Canada, [1995] A.C.F. n ° 1541, pour soutenir que le rôle de la Cour dans les demandes de contrôle judiciaire n'est pas celui d'une cour d'appel, comme elle en a elle-même décidé. La norme de retenue applicable à un tribunal administratif dans le contexte d'une mesure disciplinaire prise au sein du système correctionnel est très élevée. Dans Forrest c. Canada (procureur général), [2002] A.C.F. n ° 713 (C.F. 1re inst.), le juge Kelen résume l'état actuel du droit concernant la norme de contrôle applicable dans les procédures de discipline pénitentiaire :

16             Dans la décision Canada (Service correctionnel) c. Plante, [1995] A.C.F. no 1509 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a énoncé la nature de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le tribunal disciplinaire d'un pénitencier :

Quant à la nature et aux fonctions du tribunal disciplinaire en cause elles ont bien été résumées par mon collègue le juge Denault dans Hendrickson c. Tribunal disciplinaire de la Kent Institution (Président indépendant), (1990) 32 F.T.R. 296, aux pages 298 et 299 :

Les principes régissant la discipline pénitentiaire se trouvent dans les arrêts Martineau no 1 (précité) et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (no 2) (1979), 30 N.R. 119; 50 C.C.C. (2d) 353 (C.S.C.); Blanchard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Millhaven (1982), 69 C.C.C. (2d) 171 (C.F. 1re inst.); Howard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain (1985), 57 N.R. 280; 19 C.C.C. (3d) 195 (C.A.F.), et peuvent être résumés comme suit :

1. Une audience dirigée par le président indépendant du tribunal disciplinaire d'une institution est une procédure administrative qui n'a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire.

2. Sauf dans la mesure où il existe des dispositions légales ou des règlements ayant force de loi et indiquant le contraire, il n'y a aucune obligation de se conformer à une procédure particulière ou de respecter les règles régissant la réception des dépositions généralement applicables aux tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires ou à une procédure accusatoire.

3. Il existe un devoir général d'agir avec équité en assurant que l'enquête est menée équitablement et en respectant la justice naturelle. À une audience devant un tribunal disciplinaire, le devoir d'agir avec équité consiste à permettre à la personne de connaître les allégations, le témoignage et la nature du témoignage contre elle, de pouvoir répondre au témoignage et donner sa version des faits.


4. L'audience ne doit pas être menée contre une mesure accusatoire mais comme une procédure d'enquête et la personne dirigeant l'audience n'a pas le droit d'étudier chaque défense concevable, bien qu'elle ait le devoir de mener une enquête complète et équitable ou, en d'autres termes, d'étudier les deux côtés de la question.

5. Cette Cour n'a pas à réviser le témoignage comme le ferait la cour dans une affaire jugée par un tribunal judiciaire ou lors de la révision d'une décision d'un tribunal quasi judiciaire. Elle doit simplement considérer s'il y a vraiment eu manquement au devoir général d'agir avec équité.

6. La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé [traduction] « qu'en cas de sérieuse injustice » (Martineau no 2, p. 360).

17             Dans des cas comme la présente espèce, la norme de contrôle appropriée est, selon le juge Dubé dans Boudreau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2016 (C.F. 1re inst.), celle de la décision manifestement déraisonnable :

La norme de contrôle dans le cadre de décisions rendues par les agents du Service correctionnel du Canada est de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, la décision était manifestement déraisonnable [Voir : Fitzgerald c. Tron, [1994] B.C.J. no 1534, no CC931084 du greffe de Vancouver, 7 juillet 1994 (C.S.C.-B.); McLarty c. Canada (1997), 133 F.T.R. 11 (C.F. 1re inst.).] [Non souligné dans l'original.]

18             Il est établi que notre Cour fait preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires en milieu correctionnel parce que le tribunal disciplinaire du pénitencier se pose comme un processus d'enquête interne. Dans Beaudoin c. Établissement William Head, [1997] A.C.F. no 1663 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a approuvé la décision du juge Joyal dans Barnaby c. Canada, [1995] A.C.F. no 1541 (C.F. 1re inst.) :

[...] La retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires rendues par un tribunal administratif dans le milieu correctionnel est aussi grande que pour tout autre tribunal.

19             Par conséquent, notre Cour n'interviendra sur une question de fait ou sur une question mixte de droit et de fait que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(i) le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion de fait d'une manière manifestement déraisonnable;

(ii) le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion mixte de droit et de fait d'une manière manifestement déraisonnable, à savoir dénuée de fondement raisonnable.

Par ailleurs, le rôle de notre Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire est de déterminer si la décision du tribunal disciplinaire reposait sur la preuve et si elle était raisonnablement fondée, et de s'assurer que le tribunal disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit ou qu'il n'a pas omis d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en rendant sa décision.


Une erreur susceptible de révision a-t-elle été commise en l'espèce?

[10]            Invoquant la décision Savard c. Canada, [1997] A.C.F. n ° 105 (C.F. 1re inst.), où le juge Pinard cite à son tour la décision Picard c. Établissement à Drummond, [1995] A.C.F. n ° 1628 (C.F. 1re inst.), le demandeur soutient [TRADUCTION] « qu'il n'a pas reçu un résumé suffisamment détaillé de la preuve comme l'exige l'article 25 du Règlement, pour présenter une réponse et une défense entières et que cette omission constitue une contravention flagrante audit article 25... » . Les décisions Picard et Savard susmentionnées portaient toutes deux sur l'alinéa 54a) de la LSCMLC, sur des infractions disciplinaires individuelles et sur la nécessité d'obtenir des échantillons d'urine comme preuve de ces infractions. Pour sa part, l'alinéa 54b) décrit un programme de contrôle au hasard visant à corriger le problème institutionnel de la consommation de drogue par les détenus. Il est donc difficile de voir en quoi l'article 25 du Règlement est pertinent en l'espèce.

[11]            Dans ses documents et au cours de l'audience relative à la demande de contrôle judiciaire en l'espèce, le demandeur a soulevé différentes questions afin de démontrer qu'une erreur susceptible de révision avait été commise.

Absence d'avis concernant le droit à l'assistance d'un avocat


[12]            Le demandeur soutient qu'il a été « détenu » lorsqu'il s'est fait demander de fournir l'échantillon d'urine et qu'il avait donc le droit de communiquer avec un avocat. Étant donné qu'il n'a pas été avisé en ce sens, ses droits reconnus par la Charte ont été violés. L'omission de la part du PI de reconnaître cette atteinte flagrante aux droits du demandeur dans sa décision constituait une erreur susceptible de révision.

[13]            Les défendeurs invoquent les arrêts Fieldhouse c. Canada (1995), 40 C.R. (4th) 263 (C.A. C.-B.), et Weatherall c. Canada (procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872, pour affirmer que l'alinéa 54b) de la LSCMLC ne donne lieu ni à une diminution déraisonnable de la liberté du détenu ni à une atteinte abusive à la vie privée ou à l'intégrité de celui-ci. Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weatherall, précité, à la page 877 :

L'emprisonnement implique nécessairement de la surveillance, des fouilles et des vérifications. On s'attend à ce que l'intérieur d'une cellule de prison soit visible et requière une surveillance. Dans un pénitencier, la fouille par palpation, le dénombrement et la ronde éclair sont tous des pratiques nécessaires pour assurer la sécurité de l'établissement, du public et, en fait, des détenus eux-mêmes. L'intimité dont jouit le détenu dans ce contexte est considérablement réduite et il ne peut donc s'attendre raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée dans le cadre de ces pratiques. Cela ne change rien que ce soient des gardiens du sexe féminin qui se livrent parfois à ces pratiques. Comme il n'y a aucune attente raisonnable à ce que la vie privée soit respectée, l'art. 8 de la Charte n'est pas mis en jeu, ni d'ailleurs l'art. 7.

[14]            En ce qui concerne le droit du détenu à l'assistance d'un avocat en vertu de l'article 10 de la Charte, cette question a été examinée dans Bryan Rolston Latham (requérant) c. Solliciteur général du Canada et ses préposés, Commission nationale des libérations conditionnelles et Service correctionnel du Canada, dont une partie s'appelait autrefois Service des libérations conditionnelles du Canada (intimés), [1984] 2 C.F. 734 (C.F. 1re inst.), ainsi que dans les jugements dans lesquels cette décision a été appliquée par la suite. Dans la décision Latham, précitée, où un détenu a vu sa liberté sensiblement diminuée par suite de la révocation de sa liberté conditionnelle, le juge Strayer a conclu à l'absence de droit à l'assistance d'un avocat :


Ma conclusion est que cette garantie ne s'applique pas aux faits en l'espèce. Bien que les avocats n'aient cité aucune jurisprudence sur ce point, il m'apparaît que cet alinéa vise le cas d'une première arrestation ou détention. L'expression « en cas d'arrestation ou de détention » confirmerait cette idée. Autrement, dans le contexte de l'emprisonnement, les autorités seraient continuellement et quotidiennement tenues d'informer les détenus de leur droit à un avocat.

[15]            Ce raisonnement a été suivi dans Everingham c. Ontario, [1993] O.J. n ° 55, et la Cour fédérale l'a appliqué à son tour dans Olson c. Canada, 39 F.T.R. 77, et Henry c. Canada, 29 C.R.R. 149 où, à la page 155, le juge Strayer a commenté à nouveau la portée de l'alinéa 10b) de la Charte :

L'alinéa 10b), qui concerne le droit « d'avoir recours à l'assistance d'un avocat » n'est pas pertinent, car il ne s'applique qu'en « cas d'arrestation ou de détention » . Il est manifestement destiné à protéger une personne lorsqu'elle est arrêtée ou détenue pour la première fois et il ne s'applique pas au cas d'une personne emprisonnée de façon continue par suite d'une condamnation comme c'est le cas du demandeur en l'espèce qui prétend qu'on a inspecté à tort la correspondance échangée avec ses avocats relativement aux diverses procédures qu'il souhaite engager pour faire réexaminer ses condamnations (dont il a déjà interjeté appel sans succès) et obtenir réparation en raison des conditions de son incarcération.

[16]            Dans la présente affaire, la demande que le demandeur a reçue en vue de fournir un échantillon d'urine dans le cadre d'un contrôle au hasard en application de l'alinéa 54b) de la LSCMLC n'a pas donné lieu à une détention distincte qui déclencherait le droit à l'assistance d'un avocat conformément à l'article 10 de la Charte. Cette procédure fait simplement partie des mesures normales que prend l'administration de l'établissement afin d'assurer le respect des objectifs bien reconnus en matière de sécurité. Aucune erreur susceptible de révision n'a été commise sur ce point.


Déni du droit à une audience équitable

[17]            Le demandeur allègue également que le PI a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'il lui a dit qu'il ne rendrait pas de décision au sujet des arguments relatifs à la Charte qu'il a invoqués, parce que la Charte ne s'appliquait pas en l'espèce et qu'il n'avait pas la compétence voulue pour statuer sur cette question. Une fois de plus, il semblerait que le demandeur invoque le droit à l'assistance d'un avocat qui est prévu à l'article 10 de la Charte.

[18]            Il appert de la transcription de l'audience que le PI a permis au demandeur de présenter des arguments complets au sujet de l'article 10 et de la question générale de l'omission de fournir un échantillon d'urine. La procédure relative à la discipline pénitentiaire qui a été décrite dans Hendrickson c. Tribunal disciplinaire de l'établissement de Kent (président indépendant), [1990] A.C.F. n ° 19 (C.F. 1re inst.), a été pleinement respectée à cet égard. Le fait que le PI n'était pas d'accord avec le demandeur au sujet du droit de celui-ci à l'assistance d'un avocat ainsi que de l'applicabilité de la Charte ne signifie pas que le demandeur n'a pas bénéficié d'une audience complète et équitable sur les points qu'il désirait soulever. Aucune erreur susceptible de révision n'a été commise à cet égard.

Absence d'avis concernant l'objet de l'échantillon


[19]            Le demandeur ajoute qu'avant de fournir un échantillon d'urine, il avait le droit d'être informé de l'objet de l'analyse et de l'usage auquel l'échantillon était destiné. Cet avis n'a pas été donné en l'espèce et l'omission du PI d'en tenir compte donne lieu à une erreur susceptible de révision. Une lecture de la transcription de l'audience tenue devant le PI indique que l'agent Northey, la personne qui a demandé au demandeur de fournir un échantillon d'urine, lui a dit ce qui suit : [TRADUCTION] « il s'agit d'un échantillon d'urine demandé dans le cadre d'un contrôle au hasard » . Le demandeur allègue que ces renseignements ne sont pas suffisants pour lui permettre de savoir à quoi servirait l'échantillon.

[20]            Les défendeurs soulignent que l'alinéa 54b) n'exige pas qu'une explication soit donnée au sujet de la raison du contrôle; l'objet est énoncé dans le texte législatif et est une question notoire. La procédure constitue simplement l'une des nombreuses fouilles auxquelles les détenus sont assujettis dans le cadre de l'administration légitime des pénitenciers. En tout état de cause, le demandeur a signé l'engagement suivant :

[TRADUCTION] JE SOUSSIGNÉ déclare par les présentes que j'ai été avisé des raisons pour lesquelles le présent échantillon est demandé et que je comprends les conséquences découlant de l'inobservation de cette exigence. Je comprends qu'un détenu qui omet ou refuse de fournir un échantillon d'urine est coupable d'une infraction disciplinaire prévue à l'alinéa 40l) ou 40a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

[21]            L'alinéa 54b) énonce clairement les pouvoirs et obligations d'un membre du personnel qui demande à un détenu de fournir un échantillon d'urine. Un programme de contrôle au hasard fait partie de l'administration générale de l'établissement où le demandeur est détenu. À mon avis, aucune erreur susceptible de révision n'a été commise à cet égard.


Omission d'envisager un règlement informel

[22]            Selon l'article 41 de la LSCMLC, le membre du personnel qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

[23]            Le demandeur fait valoir que [TRADUCTION] « M. Northey n'a nullement tenté de régler la question de façon informelle avant que l'accusation soit portée; le demandeur a été avisé que l'omission de sa part de fournir l'échantillon constituerait une infraction disciplinaire et qu'une accusation d'infraction disciplinaire serait portée par suite de ce refus. Le demandeur n'a à aucun moment été obligé de fournir un échantillon comme le libellé de l'accusation elle-même le prévoit » .

[24]            Les défendeurs répondent comme suit à cet argument :

[TRADUCTION] Il est évident à la lumière de la transcription et de l'affidavit de Patrick Northey que le demandeur a refusé de fournir un échantillon d'urine demandé dans le cadre du programme de contrôle au hasard. Il a eu la possibilité de le faire et a été avisé des conséquences pouvant découler de son refus. Il a continué à refuser de fournir l'échantillon. Il s'agit tout à fait de la situation dans laquelle le directeur de l'établissement peut, en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute. Dans les décisions mentionnées dans le présent mémoire, la Cour fédérale a reconnu d'office à maintes reprises les problèmes de sécurité que la consommation de drogues illégales dans l'établissement peut créer et les motifs légitimes qui sous-tendent l'application d'un programme réglementaire de contrôle au hasard dans les pénitenciers fédéraux.


[25]            Toutefois, le juge Campbell s'est exprimé comme suit dans Schimmens c. Canada (procureur général), [1998] A.C.F. n ° 1486 (C.F. 1re inst.) :

3.              Je suis d'accord avec l'argument du demandeur selon lequel le paragr. 41(1) établit une condition préalable à laquelle il doit être satisfait pour que le tribunal disciplinaire puisse procéder à l'audition d'une accusation. Ainsi, j'estime que le paragr. 41(1) impose au président du tribunal disciplinaire avant l'audition d'une accusation l'obligation d'enquêter afin de s'assurer que « toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle » ont été prises.

4.              Quant à l'obligation créée en vertu du paragr. 41(1), le président du tribunal disciplinaire qui entendait l'accusation dans cette affaire a dit :

[traduction] Je tiens compte du fait que la procédure qu'on a tenté de suivre, qui est selon moi de nature plutôt administrative, ne va pas au fond de l'accusation, mais je pense que certains efforts ont été faits pour régler la question de façon informelle, toutefois sans résultat. Cependant, cela n'a pas d'incidence sur la validité de l'accusation, mais je pense que c'est l'une des choses que je puis examiner pour savoir si je traite cette question comme une affaire mineure ou grave.

5.              En toute déférence, j'estime que le président du tribunal n'a pas bien compris le sens du paragr. 41(1), et par conséquent, l'obligation créée par ses dispositions n'a pas été remplie.

[26]            Les défendeurs ont invoqué la décision Verrault c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1441, pour soutenir que le paragraphe 41(2) a été respecté en l'espèce.

[27]            Dans la décision Verrault, précitée, M. Verrault a été reconnu coupable d'avoir contrevenu à la LSCMLC lorsqu'un sachet d'urine a été découvert dans son pantalon; il a été reconnu coupable d'avoir eu en sa possession un objet interdit et condamné à verser une amende de 40 $. La LSCMLC exige que les membres du personnel prennent des mesures pour régler une question de façon informelle lorsqu'ils croient qu'un détenu commet une infraction disciplinaire. À ce sujet, le juge Beaudry a statué comme suit :


23 J'ai demandé au procureur du demandeur quelles auraient été les mesures utiles que l'agent aurait pu prendre afin de régler la question de façon informelle. Les réponses que j'ai obtenues sont à l'effet qu'on aurait pu sensibiliser le détenu ou lui poser des questions sur son comportement. Il m'est impossible de suivre ce raisonnement.

24 Je suis satisfait que les circonstances de cette cause ne permettaient pas à l'agent saisissant de prendre des mesures utiles pour régler la question de façon informelle. En effet, comme l'a souligné le président du tribunal disciplinaire, le sachet en question et l'urine avaient pour but de contourner le système quant à la prise d'urine. L'agent saisissant n'avait pas à sensibiliser ou poser des questions au détenu sur son comportement car je considère que les faits et gestes du détenu n'avaient qu'un seul but, soit celui de déjouer l'échantillonnage d'urine.

[28]            Dans la même veine, je ne puis voir en l'espèce quelles sont les mesures raisonnables que l'agent Northey aurait pu prendre pour régler la question de façon informelle, si ce n'est d'informer le demandeur des conséquences du refus de celui-ci de fournir un échantillon d'urine conformément à l'alinéa 54b), ce qu'il a fait. Selon le paragraphe 41(1), le membre du personnel doit, si les circonstances le permettent, « prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle » . L'agent Northey s'est conformé à cette exigence en l'espèce. Aucune erreur susceptible de révision n'a été commise sur ce point.

Arguments juridiques et questions dont le président indépendant n'a pas été saisi

[29]            Les défendeurs soulignent à juste titre que le demandeur soulève les questions et les arguments juridiques dont le PI n'a pas été saisi :

1.         la question de savoir s'il est nécessaire, compte tenu de la définition du mot « laboratoire » énoncée à l'article 60 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qu'un laboratoire autorisé soit désigné dans une directive du commissaire;


2.         la question de savoir si, compte tenu de la définition de l'expression « méthode approuvée » , il est nécessaire que la méthode utilisée pour l'analyse d'un échantillon d'urine soit énoncée dans une directive du commissaire;

3.         la question de savoir si le paragraphe 16 de la directive du commissaire 566-10 prévoit un autre mode de règlement informel étant donné que le nom du demandeur aurait pu avoir été inscrit au bas de la liste de détenus sélectionnés au hasard;

4.         la question de savoir si le demandeur s'est vu refuser le droit à une audience équitable du fait que M. Wayne Despins [TRADUCTION] « a agi à titre de membre du comité de discipline en qualité de membre du Service correctionnel » .

[30]            Le demandeur admet que le PI n'a pas été saisi de ces questions. Par conséquent, il ne convient pas de les soulever dans la présente demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

             « James Russell »             

Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE GREFFE :                                              T-335-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Jean Richer c. Leo Pinel, président indépendant, le pénitencier de la Saskatchewan et le procureur général du Canada

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 22 mai 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Saskatoon (Saskatchewan)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge James Russell

DATE DES MOTIFS :                                     le 16 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Jean Richer                                                                         POUR LE DEMANDEUR LUI-MÊME

Bruce Gibson                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean Richer                                                                         POUR LE DEMANDEUR LUI-MÊME

C.P. 160,

Prince Albert (Sask.) S6V 5R6

Bruce Gibson                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Bureau régional de la Saskatchewan

123 - 2nd Avenue South, 10th floor,

Saskatoon (Sask.) S7K 7E6


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20030716

Dossier : T-335-02

ENTRE :

JEAN RICHER

demandeur

et

LEO PINEL, PRÉSIDENT INDÉPENDANT, LE PÉNITENCIER DE LA SASKATCHEWAN et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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