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Date : 20030417

Dossier : IMM-1918-02

Référence : 2003 CFPI 453

Montréal (Québec), le 17 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER                             

ENTRE :

                                                             GURJIT SINGH MALIK

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                              DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 3 avril 2002 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Inde âgé de 31 ans. Il est marié et a deux enfants. Il prétend avoir une crainte fondée de persécution en raison des opinions politiques qu'on lui attribue.

[3]                 La Commission a rejeté sa demande parce qu'il n'était pas crédible et parce qu'il n'a pas pu démontrer que l'État ne lui offrait pas sa protection.

[4]                 D'abord, le demandeur allègue que la conclusion défavorable à sa crédibilité qu'a tirée la Commission n'est pas fondée sur des contradictions, un manque de cohérence ou des faux-fuyants, mais plutôt sur le manque de crédibilité de son récit. La Commission a conclu qu'il n'y avait aucune preuve selon laquelle les Sikhs étaient persécutés dans l'État de Hariana. Toutefois, la demande du demandeur n'était pas fondée sur le fait qu'il avait été persécuté en tant que Sikh, mais plutôt sur le fait qu'il avait été persécuté en raison de l'activité politique qu'on lui impute, c'est-à-dire, l'aide qu'il offre aux militants originaires du Cachemire.

[5]                 Le défendeur prétend que la Commission était en droit de tirer une conclusion défavorable à la crédibilité en raison du manque de preuve documentaire au soutien de la demande du demandeur, et de conclure que les Sikhs ne sont pas ciblés en Hariana.


[6]                 Je ne suis pas d'accord. Une étude de la preuve documentaire récente révèle que les autorités indiennes soupçonnent l'existence d'un lien entre les militants Sikhs et des insurgés d'origine cachemire en Hariana et que la police a arrêté des jeunes Sikhs et devient plus stricte envers eux.

[7]                 Bien qu'il soit vrai que la Commission a le droit de se baser sur la preuve de son choix, ce faisant, elle ne peut ignorer une preuve documentaire importante qui est compatible avec la prétention du demandeur et qui peut avoir des répercussions directes sur la crédibilité du récit.

[8]                 Me fondant sur ce qui précède, je ne suis pas convaincue que la Commission a tenu compte de l'ensemble de la preuve.

[9]                 En ce qui a trait à la décision défavorable à la crédibilité, c'est une règle de droit bien connue que la Cour hésite à intervenir dans une décision de la Commission basée sur la crédibilité d'un témoin, vu la capacité qu'a la Commission d'évaluer le témoin au moment où elle reçoit son témoignage (Ankrah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (QL)). Si, à partir de la preuve dont elle dispose, la Commission se fonde sur l'absence de plausibilité du récit pour conclure au manque de crédibilité du demandeur, la Cour n'interviendra pas en l'absence d'une erreur manifeste de la Commission (Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 106).


[10]            Toutefois, la Commission ne peut garder le silence en ce qui a trait à une preuve documentaire pertinente qui corrobore la prétention du demandeur et qui pourrait avoir des répercussions sur des faits contestés qui sont au coeur de la demande du demandeur. Comme l'a mentionné le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, l'obligation de fournir une explication augmente avec la pertinence de la preuve en question. Au paragraphe 17, il dit ceci :

[...] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » [...] Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. [...]

[11]            Dans la présente affaire, la Commission a dit qu'elle ne croyait pas que le demandeur avait été torturé comme il l'alléguait, parce qu'il n'avait pas de cicatrices sur le corps. Toutefois, en tirant cette conclusion, la Commission a ignoré un élément de preuve qui contredisait cette conclusion et qui confirmait l'allégation de torture du demandeur.

[12]            Le rapport médical du docteur Yee décrit les cicatrices repérées sur le corps du demandeur comme suit :

[traduction] Pour conclure, les cicatrices mentionnées précédemment et les blessures sur les troisième, quatrième et cinquième lits d'ongle de sa main gauche pourraient vraisemblablement être reliées à ses allégations de coups, de torture et de brûlures subis en Inde en mars 2000. Le résultat de son examen physique ne serait donc pas incompatible avec ses prétentions.

Dossier du tribunal à la page 084.

[13]            Vu l'importance de ce certificat médical pour la revendication du demandeur, je suis d'avis que la Commission devait l'analyser. Si la Commission a décidé d'ignorer cet élément de preuve, elle aurait dû en donner les raisons dans sa décision.

[14]            Dans Bains c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 63 F.T.R. 312, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire du demandeur, qui comprenait un certificat médical. Au paragraphe 9, le juge Cullen a dit ceci :

[...] Je reconnais que c'est aux membres du tribunal qu'il appartient de prendre connaissance des documents et d'admettre ou de rejeter les informations qu'ils contiennent, mais il n'est pas loisible à la Section du statut de simplement ne pas tenir compte des informations fournies [...] J'estime que la Section du statut est, à tout le moins, tenue de faire état des renseignements qui lui sont fournis. Que la documentation déposée soit admise ou rejetée, le requérant doit s'en voir exposer les raisons, surtout lorsqu'il s'agit de documents qui confirment ce qu'il a avancé.

[15]            Dans Kouassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1199 (QL), j'ai repris les commentaires du juge Gibson dans Atwal c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 82 F.T.R. 73, qui dit ce qui suit au paragraphe 10 :

Il va sans dire qu'un tribunal n'est pas tenu de parler, dans ses motifs de décision, de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le fait qu'un tribunal omette de le faire ne permet pas, dans des circonstances normales, de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toute la preuve produite. J'arrive toutefois à la conclusion que ce principe ne s'applique pas au défaut de faire mention d'un document pertinent qui constitue une preuve directement applicable à la question fondamentale traitée dans la décision du Tribunal.

[16]            Dans la présente affaire, la Commission n'a fait aucune mention du certificat médical dans sa décision. À mon avis, la Commission a commis une erreur susceptible de révision en n'examinant pas cet élément de preuve dans sa décision.


[17]            En ce qui a trait à la question de la protection efficace de l'État, la Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger un demandeur. En l'absence d'un aveu par l'État de son incapacité d'assurer sa protection, un demandeur doit fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de lui assurer sa protection.

[18]            Dans l'arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, la Cour d'appel fédérale a avancé ce qui suit à la page 534:

Lorsque l'État en cause est un État démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État sont démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.

[19]            Cependant, dans la présente affaire, étant donné que la police était l'agresseur et l'auteur des actes de violence, je suis d'avis qu'il aurait été déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de la police.


[20]            Dans sa décision, la Commission mentionne que le demandeur aurait pu chercher à obtenir réparation auprès d'organismes judiciaires dans son pays avant de chercher refuge dans un pays tiers. À mon avis, la Commission a commis une erreur en imposant au demandeur l'obligation de chercher à obtenir réparation auprès d'agences autres que la police.

[21]            La Cour a déjà dit qu'un individu n'est pas obligé de demander des conseils, un avis juridique ou de l'aide d'une organisation de défense des droits de l'homme si la police est incapable de l'aider. Comme l'a dit le juge Lemieux, « [...] il est de jurisprudence constante au Canada qu'un revendicateur n'est pas tenu de rechercher l'aide d'organisations de défense des droits de l'homme » . (Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 22 Imm. L.R. (3d) 93, au paragraphe 44).

[22]            Pour tous ces motifs, je suis d'avis que la Commission a également commis une erreur en tirant la conclusion que le demandeur n'a pas réussi à démontrer qu'il ne pouvait se prévaloir de la protection de l'État.

[23]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est rejetée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est rejetée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

                                                                                                                   


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1918-02

INTITULÉ :                                                        GURJIT SINGH MALIK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 15 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      le juge Tremblay-Lamer

                                                                                                                   

DATE DES MOTIFS :                                     le 17 avril 2003

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand              POUR LE DEMANDEUR

Christine Bernard                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030417

Dossier : IMM-1918-02

ENTRE :

                             GURJIT SINGH MALIK

                                                                                    demandeur

                                                  et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                                                      


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