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Date : 20041008

Dossier : IMM-7806-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1389

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :        

                                                     AGHA JUNAID KHAN

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                M. Khan, un musulman chiite citoyen du Pakistan, est entré au Canada en septembre 2002 et a présenté une demande d'asile fondée sur sa religion. En raison de ses présumées activités au sein de sa communauté chiite, et notamment de son poste de secrétaire général d'une organisation de bien-être chiite, il prétend avoir été pris pour cible par des organisations anti-chiites comme le Sipah-e-Sahaba Pakistan (le SSP) et le Lashkar-e-Jhangvi (le LJ). Dans une décision datée du 5 août 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[2]         Dans la présente affaire, il faut déterminer si la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable ou n'a pas tenu compte de la preuve dont elle était saisie lorsqu'elle a conclu que l'allégation du demandeur suivant laquelle il était le secrétaire général d'une société de bien-être chiite n'était pas suffisamment crédible.

[3]         Cette question a une importance cruciale quant à la décision de la Commission. La Commission a conclu que « [t]out au plus, le demandeur d'asile était un travailleur de bas niveau au sein de sa communauté chiite » et qu'en conséquence, le « [profil] du demandeur [...] n[e] correspond[ait] pas [à celui des chiites qui, selon la preuve documentaire, risquaient le plus d'être ciblés] » . La Commission s'est ensuite demandée si l'État offrait une protection aux « travailleur[s] de bas niveau » . Si la Commission a donné une description erronée du profil du demandeur, elle n'a pas examiné la question de savoir si l'État offrait une protection aux personnes présentant le profil du demandeur.


Analyse

[4]         La norme de contrôle applicable dans les affaires mettant en cause des conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. La Cour ne devrait intervenir que si les conclusions de la Commission ne s'appuient pas du tout sur la preuve dont elle était saisie.

[5]         La conclusion de manque de crédibilité tirée par la Commission reposait sur le fait que le demandeur n'avait pas mentionné dans ses déclarations au point d'entrée (PDE) et dans son premier Formulaire de renseignements personnels (FRP) (a) qu'il était le secrétaire général d'une société de bien-être chiite, et (b) qu'il apportait une aide charitable aux non-chiites. Après l'avoir interrogé sur ces omissions, la Commission n'était à l'évidence pas satisfaite de ses réponses. La Commission est autorisée à tirer des conclusions défavorables de l'omission du demandeur de mentionner des éléments importants ou cruciaux de sa demande. Cependant, il reste à déterminer si, en tirant sa conclusion, la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve corroborants cruciaux et, dans l'affirmative, si, au vu des faits de l'espèce, une telle omission constitue un vice fatal.


[6]         Dans la présente affaire, relativement au rôle joué par le demandeur au sein de la communauté, le demandeur a produit une lettre du secrétaire général de l'organisation en 2003, laquelle indique que le demandeur avait été nommé au poste de secrétaire général en 1995 et que lorsqu'ils avaient appris cette nomination, les membres du SSP et du LJ avaient battu le demandeur. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en omettant de faire référence à cet élément de preuve corroborant dans sa décision, parce que celui-ci contredit directement la conclusion de la Commission.

[7]         Il aurait été préférable que la Commission renvoie à cette lettre, mais je ne crois pas qu'elle ait commis une erreur en omettant de le faire dans les circonstances particulières de l'espèce. Comme l'a dit le juge Evans dans l'arrêt Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 282 N.R. 394 : « Un décideur n'est pas tenu d'expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n'a pas accepté telle ou telle d'entre elles. Il faut considérer l'importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision. » [Non souligné dans l'original.] À mon avis, je dois examiner le dossier dans son ensemble pour déterminer si, en l'espèce, la Commission a commis une erreur en omettant de faire référence à la lettre.


[8]         Le défendeur me demande d'examiner les observations finales que le conseil du demandeur a faites devant la Commission. Dans les observations finales qu'il a soumises à la Commission, le conseil du demandeur a traité du fait que les notes au PDE et le FRP ne faisaient aucune mention du poste de secrétaire général qu'avait occupé son client. Le conseil a reconnu qu'il était important d'inclure ce renseignement dans le FRP ou dans les déclarations au PDE lorsqu'il a dit :

[traduction]

Si c'est le genre de renseignement que vous vous attendez nécessairement à trouver dans un FRP ou dans les notes au PDE, le fait que vous ne le trouviez pas met en doute la crédibilité de tous les autres aspects de la demande, de tous les aspects importants de celle-ci.

[...]

Il dit également [...] qu'on le prenait pour cible parce qu'il occupait le poste de secrétaire général de cette organisation, ce qui, de toute évidence, devrait vous amener à conclure que l'absence de toute mention de cette organisation et du poste qu'il y occupait porte un coup fatal à la demande.

[...]

Je vous demanderais d'accorder une grande importance au fait que le demandeur prétend avoir été pris pour cible en raison de ces activités, et non pas nécessairement du titre du poste qu'il occupait.


[9]         À la lecture de ces déclarations et du reste de l'argumentation du conseil du demandeur, il me semble que celui-ci a insisté non pas sur le poste du demandeur au sein de l'organisation, mais bien sur les activités du demandeur. Je n'irais pas jusqu'à conclure, comme m'a pressé de le faire le défendeur, que le conseil du demandeur a [traduction] « concédé » que la non-acceptation par la Commission de l'explication fournie par son client relativement aux omissions dans son FRP portait un coup fatal à la demande. Toutefois, par ces affirmations, le conseil a attiré l'attention de la Commission sur les parties les plus importantes du témoignage. Le conseil du demandeur n'a pas fait expressément référence à la lettre sur laquelle le demandeur fonde maintenant l'allégation d'erreur. Si la lettre était aussi importante que le prétend maintenant le demandeur, on peut se demander pourquoi il n'a pas attiré l'attention de la Commission sur celle-ci.

[10]       En conséquence, lorsque j'évalue l'importance de cette lettre à la lumière des autres documents sur lesquels repose la décision, y compris les observations du conseil du demandeur à l'audience, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en omettant d'en faire mention. Sur le vu de la preuve dont elle était saisie, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le profil du demandeur ne correspondait pas à celui d'une personne prise pour cible.

[11]       Une fois qu'elle eut conclu que le demandeur était tout au plus un travailleur de bas niveau au sein de sa communauté chiite, la Commission s'est demandée s'il était possible de se réclamer de la protection de l'État. Elle a conclu que le gouvernement actuel fournirait au demandeur une protection adéquate si celui-ci retournait au Pakistan. Bien qu'il ait exprimé des réserves quant à l'analyse de la Commission et à son application du critère énoncé dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), le demandeur ne m'a pas convaincue que la décision relative à la possibilité de se réclamer de la protection de l'État était manifestement déraisonnable.


[12]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question grave à certifier. Aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée; et

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7806-03

INTITULÉ :                                                    AGHA JUNAID KHAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 6 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

John Savaglio                                                    POUR LE DEMANDEUR

Kevin Lunney                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio                                                    POUR LE DEMANDEUR

Pickering (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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