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Date : 20030529

Dossier : IMM-1431-02

Référence : 2003 CFPI 704

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                                 GEZIM MATLIJA

                                                               MIRANDA MATLIJA

                                                                 LULZIM MATLIJA

                                                                 SUADA MATLIJA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 La famille Matlija est composée de M. Gezim Matlija, de sa conjointe Miranda et de leurs deux enfants - Suada, leur fille âgée de 17 ans, et Lulzim, leur fils âgé de 13 ans. Ils sont arrivés au Canada depuis l'Albanie, en l'an 2000.

[2]                 En Albanie, la famille était associée au Parti républicain. Selon la description des événements survenus avant le départ qui a été donnée, la famille était gravement maltraitée par des membres du Parti socialiste. M. Matlija a allégué qu'il avait été menacé et battu et que des coups de feu avaient été tirés sur lui. Mme Matlija a déclaré que son frère et son père, qui étaient également Républicains, avaient été attaqués à maintes reprises et qu'ils s'étaient enfuis au Canada, où ils avaient revendiqué avec succès le statut de réfugié. Suada a témoigné que deux membres du Parti socialiste avaient tenté de l'enlever. M. Matlija a affirmé avoir essayé d'obtenir l'aide de la police pour protéger sa famille, mais on lui avait opposé un refus. La famille a quitté la maison le lendemain de la présumée tentative d'enlèvement.

[3]                 Lorsqu'ils sont arrivés au Canada, les Matlija ont revendiqué le statut de réfugié. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande en invoquant l'absence de preuve crédible ou digne de foi. La famille soutient que la Commission a commis des erreurs sérieuses en arrivant à sa conclusion. Elle demande une nouvelle audience.

I. Les points litigieux

[4]                 Deux questions se posent en l'espèce :

1. La Commission a-t-elle omis de tenir adéquatement compte du témoignage de Mme Matlija ainsi que celui de Suada Matlija?


2. La Commission aurait-elle dû tenir compte de la preuve documentaire relative à la persécution du frère et du père de Mme Matlija?

A. La Commission a-t-elle omis de tenir adéquatement compte du témoignage de Mme Matlija ainsi que de celui de Suada Matlija?

[5]                 La Commission a conclu qu'il existait un certain nombre d'incohérences et d'omissions dans la version des événements donnée par M. Matlija. Elle a également conclu que, sur le plan politique, M. Matlija n'avait pas un rôle suffisamment important pour attirer l'attention défavorable dont il affirme avoir fait l'objet de la part du Parti socialiste. En fait, la Commission a conclu qu'aucun membre du Parti républicain n'avait été maltraité par le Parti socialiste. Elle ne croyait pas non plus le témoignage que M. Matlija avait présenté au sujet des agressions et fusillades et de la tentative d'enlèvement de Suada.

[6]                 Sur ce point, la décision de la Commission est détaillée et bien motivée. L'avocat des demandeurs ne conteste pas sérieusement cet aspect de la décision.

[7]                 Toutefois, les Matlija soutiennent que la Commission n'a pas bien saisi la question. Ils affirment que la Commission n'a pas examiné adéquatement le témoignage de deux autres membres de la famille - Mme Matlija et Suada Matlija.

[8]                 Quant à Mme Matlija, la Commission a mentionné la description que celle-ci avait faite au sujet de la persécution de son frère et de son père et elle a noté que, contrairement à eux, Mme Matlija n'était pas expressément ciblée. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que Mme Matlija ou sa famille immédiate soient persécutées simplement à cause des activités du frère de Mme Matlija.

[9]                 Quant à Suada Matlija, la Commission n'a pas du tout mentionné son témoignage. Suada a témoigné au sujet de la présumée tentative d'enlèvement dont elle avait fait l'objet. Elle a dit que, pendant la tentative, les assaillants avait proféré des menaces contre la famille à cause de la participation de son père aux activités du Parti républicain. Deux voisins sont intervenus et ont chassé les assaillants. La preuve par affidavit des voisins a également été mise à la disposition de la Commission, qui n'a pas non plus mentionné cet élément de preuve.

[10]            La façon dont la Commission a considéré le témoignage de Mme Matlija pose des problèmes. Premièrement, la Commission a accordé à ce témoignage une importante restreinte. La preuve que Mme Matlija a fournie au sujet des difficultés auxquelles son frère et son père avaient fait face étayait l'allégation principale de la famille, à savoir que les membres du Parti républicain étaient de fait victimes de mauvais traitements de la part du Parti socialiste. Pourtant, la Commission a conclu qu'il n'arrivait rien de semblable en Albanie. La Commission n'a pas mentionné le témoignage de Mme Matlija lorsqu'elle est arrivée à cette conclusion et elle n'a pas dit qu'elle ne croyait pas Mme Matlija. Elle a simplement conclu que Mme Matlija n'était pas personnellement ciblée et que les activités du frère de Mme Matlija ne mettaient pas la famille en danger.


[11]            Deuxièmement, on ne sait pas exactement pourquoi la Commission exigeait une preuve montrant que Mme Matlija était personnellement ciblée afin de conclure que sa revendication était fondée. Une crainte justifiée de persécution peut clairement découler du traitement d'autres personnes dans des circonstances similaires : Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 454 (QL) (C.A.); Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 67 (QL) (C.A.).

[12]            Troisièmement, en examinant le témoignage de Mme Matlija, la Commission n'a pas mentionné la preuve que cette dernière avait présentée au sujet de la présumée tentative d'enlèvement. Mme Matlija était chez elle à ce moment-là et, contrairement à son conjoint, elle a elle-même entendu la version de Suada immédiatement après l'événement. En se fondant sur la conclusion qu'elle avait tirée au sujet de la crédibilité du conjoint, la Commission a conclu que l'événement ne s'était pas produit. Toutefois, afin de tirer cette conclusion, la Commission aurait également dû conclure qu'il ne fallait pas croire Mme Matlija. Or, elle ne l'a pas fait - du moins, pas dans ses motifs.

[13]            De toute évidence, il se pose un autre problème; la Commission n'a pas du tout fait mention du témoignage présenté par Suada. Encore une fois, pour conclure que la tentative d'enlèvement n'avait pas eu lieu, la Commission aurait eu à rejeter ce témoignage, ce qu'elle n'a pas fait.

[14]            Bien sûr, il est possible que la Commission n'ait pas cru la preuve présentée par Mme Matlija et par Suada. L'avocat du ministre a soutenu devant moi que la Commission [TRADUCTION] « avait tourné autour du pot » au sujet de la question de la crédibilité de ces deux témoins, de façon à ne pas avoir à conclure expressément qu'elles mentaient.

[15]            Toutefois, le droit prévoit clairement que les conclusions qui sont tirées au sujet de la crédibilité doivent être explicites et que des explications doivent être données en termes clairs : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A).

[16]            À mon avis, la Commission n'a pas bien tenu compte des témoignages de Mme Matlija et de Suada Matlija, ou encore ses motifs comportent des lacunes. Si elle n'a pas cru les témoins, elle aurait dû le dire et expliquer pourquoi elle ne les croyait pas. Naturellement, la Commission peut hésiter à qualifier les témoins de menteurs, mais elle ne leur fait aucune faveur en omettant de tenir compte de leur témoignage.

[17]            Ces erreurs sont suffisantes pour qu'il soit possible de trancher la présente demande en faveur de la famille Matlija. Toutefois, je dois dire quelque chose au sujet de la deuxième question parce qu'elle peut avoir de l'importance lorsqu'une nouvelle audience sera tenue.

B. La Commission aurait-elle dû tenir compte de la preuve documentaire relative à la persécution du frère et du père de Mme Matlija?

[18]            En général, un tribunal n'est pas tenu de mentionner ou de suivre les décisions rendues par d'autres tribunaux, même lorsqu'il examine le cas de membres de la même famille : Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (QL) (1re inst.).

[19]            Toutefois, dans ce cas-ci, la Commission a expressément demandé à la famille de donner des renseignements écrits au sujet des revendications du frère et du père de Mme Matlija. La Commission a demandé des copies des formulaires de renseignements personnels qu'ils avaient soumis à l'appui de leurs revendications.

[20]            Dans le contexte de la présente affaire, la Commission aurait dû au moins faire mention de cette preuve. Somme toute, elle a expressément conclu que les membres du Parti républicain n'étaient pas persécutés en Albanie. Pourtant, à sa propre demande, elle disposait d'une preuve documentaire concernant deux personnes qui avaient avec succès revendiqué le statut de réfugié au Canada en se fondant sur les mêmes motifs.

II. Dispositif

[21]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La famille Matlija a droit à une nouvelle audience devant un tribunal différent de la Commission. On n'a demandé la certification d'aucune question de portée générale et aucune question n'est énoncée.


                                                                        JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La famille Matlija a droit à une nouvelle audience devant un tribunal différent.

3.          Aucune question d'importance générale n'est énoncée.

                                                                                                                                   « James W. O'Reilly »                          

                                                                                                                                                    Juge                                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay


                                                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-1431-02

INTITULÉ :                                                                     GEZIM MATLIJA, MIRANDA MATLIJA, LULZIM MATLIJA, SUADA MATLIJA

                                                                                                                                                     demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE JEUDI 1er MAI 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                         MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 29 MAI 2003

COMPARUTIONS :

M. Norris Ormston                                                            POUR LES DEMANDEURS

M. Jamie Todd                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Norris Ormston                                                            POUR LES DEMANDEURS

Avocat

900-1000, avenue Finch ouest

Toronto (Ontario) M3J 2V5

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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