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Date : 20210525


Dossier : T-675-19

Référence : 2021 CF 486

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

THERESE A. ONISCHUK

WORLD PARK FOTO

demanderesses

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA, EXELBY & PARTNERS LTD.,

BUREAU DU SURINTENDANT DES FAILLITES,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

GARY HOWITT, R. DONALD WILSON, LAURA LEE,

AMY FORCE, PAT CHMILAR, JENNIFER YOUNG,

DAMEN GREWAL, JULISA CHENG, AL MIYAI, MEGAN KOWALCHUK, EVA GOLDSTEIN, CHARMAINE MARTIN, JONATHAN LEE,

WILLIAM JAMES, GEORGE BODY, M. UNTEL 1, MME UNETELLE 1,

M. UNTEL 2, MME UNETELLE 2, M. UNTEL 3, MME UNETELLE 3

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Mme Onischuk a intenté une action contre plusieurs défendeurs. Elle interjette maintenant appel de deux décisions rendues par une protonotaire. La première était une ordonnance de gestion de l’instance précisant les étapes à suivre jusqu’à l’audition d’une requête en radiation et interdisant toute autre démarche avant qu’il soit statué sur la requête en question. Dans la seconde décision, la protonotaire a radié la déclaration et rejeté l’action au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable et constituait un abus de procédure.

[2] Je rejette les appels. Accorder la priorité à la requête en radiation entrait tout à fait dans le cadre des pouvoirs de gestion de l’instance de la protonotaire. Je ne relève aucune erreur dans les conclusions de la protonotaire selon lesquelles la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable et constituait un abus de procédure. En fait, la protonotaire a procédé de façon appropriée pour assurer un règlement expéditif de l’affaire qui soit équitable pour toutes les parties.

I. Contexte

[3] La demanderesse, Mme Therese Onischuk, ou son époux, M. Daniel Onischuk, étaient, à des époques différentes, les propriétaires d’une entreprise individuelle appelée World Park Foto. En 2012 ou 2013, un litige les a opposés à l’Agence du revenu du Canada [ARC] concernant la dette fiscale liée à leur entreprise. Mme Onischuk allègue qu’en raison des démarches de recouvrement de l’ARC, son époux et elle ont été forcés de déclarer faillite.

[4] En 2017, M. et Mme Onischuk ont été déclarés plaideurs quérulents devant les tribunaux albertains : Onischuk c Edmonton (City), 2017 ABQB 647; Onischuk (Re), 2017 ABQB 659.

[5] En 2019, Mme Onischuk et World Park Foto ont intenté la présente action en dommages‑intérêts contre Sa Majesté la Reine, divers organismes et employés du gouvernement fédéral [les défendeurs fédéraux], ainsi que contre leur ancien syndic de faillite, une firme portant le nom d’Exelby & Partners Ltd., et deux de ses employés [les défendeurs Exelby]. La demanderesse réclame différents types de dommages‑intérêts totalisant plus de 6 millions de dollars.

[6] Ma collègue la protonotaire Kathleen Ring a été désignée comme juge responsable de la gestion de l’instance. Il n’est pas nécessaire de présenter un historique procédural détaillé de l’action. Les faits suivants sont suffisants pour que l’on comprenne le contexte des deux décisions visées par l’appel.

[7] Le 7 juillet 2020, la protonotaire Ring a tenu une conférence de gestion de l’instance. Plusieurs points ont été abordés, notamment la question de savoir si l’action avait été désignée à juste titre comme une action simplifiée, quelle version de la déclaration était la bonne, la possibilité de modifier la déclaration, notamment en vue d’ajouter de nouvelles parties à l’instance, et la séquence du traitement de diverses requêtes. Le 13 juillet 2020, la protonotaire Ring a rendu une ordonnance de gestion de l’instance, qui fait l’objet du premier appel de la demanderesse. Cet appel porte essentiellement sur la décision de la protonotaire de s’occuper en priorité des requêtes en radiation introduites par les défendeurs, de fixer un calendrier aux fins de l’instruction de ces requêtes et d’interdire aux parties de prendre toute autre mesure dans l’action jusqu’à ce que ces requêtes aient été tranchées.

[8] Deux requêtes en radiation des actions ont alors été déposées, l’une par les défendeurs fédéraux et l’autre par les défendeurs Exelby. Dans un jugement rendu le 4 janvier 2021, la protonotaire Ring a radié la déclaration dans son intégralité sans accorder l’autorisation de la modifier. Elle a tout d’abord fait remarquer que l’action intentée contre les défendeurs Exelby et le Bureau du surintendant des faillites était invalide, car Mme Onischuk n’avait pas obtenu de permission, comme elle y était tenue en vertu de l’article 215 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑ 3. La protonotaire a ensuite conclu que la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable étant donné qu’elle ne présentait pas une série cohérente de faits permettant de dégager une cause d’action reconnaissable. Elle a aussi analysé certains concepts juridiques mentionnés par Mme Onischuk dans sa déclaration et conclu que les faits alléguésn’étayaient pas ces prétentions. Pour les mêmes motifs, elle a conclu que la déclaration était vexatoire. Enfin, la protonotaire a conclu que cette déclaration constituait un abus de procédure étant donné qu’elle attaquait indirectement des cotisations fiscales qui ne pouvaient être contestées que devant la Cour canadienne de l’impôt, et qu’elle tentait aussi de débattre à nouveau de questions visées par une action introduite par Mme Onischuk devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui l’avait radiée. Comme elle a jugé que la déclaration était [traduction] « irrécupérable », la protonotaire l’a radiée sans autorisation de la modifier.

II. Portée de l’appel et norme de contrôle

[9] Un appel interjeté en vertu de la règle 51 vise une ordonnance précise rendue par un protonotaire. Lorsqu’un protonotaire rend plusieurs ordonnances dans le cadre de la gestion de l’instance, chacune d’elles peut faire l’objet d’un appel distinct. Ainsi, si aucun appel n’est interjeté contre une ordonnance, celle‑ci subsiste et ne peut être ultérieurement remise en question dans le cadre de l’appel visant une ordonnance subséquente. De plus, « [l]a règle générale est que l’appel d’une ordonnance d’un protonotaire doit être jugé à partir des documents qui étaient présentés devant lui » : Shaw c Canada, 2010 CF 577 au paragraphe 8; voir également Papequash c Brass, 2018 CF 325 au paragraphe 10.

[10] Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331 [Hospira], la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, s’appliquait aux appels des décisions des protonotaires. La Cour d’appel a résumé en ces termes cette norme au paragraphe 66 :

[…] la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un juge de première instance est celle de l’erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c’est celle de la décision correcte.

[11] Mme Onischuk n’est pas d’accord. Elle soutient que les arrêts Hospira et Housen sont erronés et que la norme de contrôle qu’ils établissent ouvre la porte à l’injustice. Cependant, les arrêts Housen et Hospira ont été rendus respectivement par la Cour suprême du Canada et une formation de cinq juges de la Cour d’appel fédérale. Je dois leur reconnaître l’autorité du précédent. Je ne suis pas libre de m’en écarter. Je ne peux donner suite aux arguments de Mme Onischuk à cet égard.

III. Analyse

[12] Comme je l’ai déjà mentionné, les deux présents appels concernent uniquement les ordonnances rendues par la protonotaire Ring le 13 juillet 2020 et le 4 janvier 2021. Cependant, Mme Onischuk tente de contester indirectement d’autres ordonnances de la protonotaire, en particulier le refus d’autoriser M. Onischuk, qui n’est pas avocat, à la représenter. Elle réclame également d’autres mesures de réparation qui n’ont rien à voir avec les ordonnances de la protonotaire dont elle a interjeté appel, notamment une injonction interlocutoire et des ordonnances enjoignant à l’Agence du revenu du Canada de réévaluer son dossier fiscal. Je ne peux examiner ces arguments, qui n’entrent pas dans le cadre des présents appels.

[13] De plus, Mme Onischuk a tenté de présenter des éléments de preuve dont ne disposait pas la protonotaire. Ces éléments sont inadmissibles et je n’en tiendrai pas compte.

A. Quelle requête doit être instruite en premier?

[14] Le premier appel de Mme Onischuk vise essentiellement la décision de la protonotaire de s’occuper en priorité des requêtes en radiation des défendeurs et de lui interdire de prendre d’autres mesures dans l’instance jusqu’à ce que ces requêtes soient tranchées.

[15] La protonotaire a rendu cette ordonnance en donnant le motif suivant :

[traduction]
ET COMPTE TENU des observations des parties concernant l’ordre des requêtes interlocutoires mentionné ci‑dessus, la Cour conclut qu’il sera plus rapide de trancher en premier lieu les requêtes des défendeurs, car si ces derniers ont gain de cause, ces requêtes permettront de statuer sur la demande de manière définitive;

[16] En examinant cette question en appel, il faut d’abord considérer les très larges pouvoirs conférés par la règle 385(1) au protonotaire agissant à titre de juge chargé de la gestion de l’instance. Aux termes de cette disposition, le protonotaire peut :

a) donner toute directive ou rendre toute ordonnance nécessaires pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

(a) give any directions or make any orders that are necessary for the just, most expeditious and least expensive determination of the proceeding on its merits;

b) sans égard aux délais prévus par les présentes règles, fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre subséquemment dans l’instance;

(b) notwithstanding any period provided for in these Rules, fix the period for completion of subsequent steps in the proceeding;

[…]

[…]

[17] Ces pouvoirs permettent aux protonotaires de décider de l’ordre dans lequel les requêtes seront instruites et de fixer un calendrier aux fins du dépôt des dossiers de requête par les parties. Ils leur permettent aussi d’interdire aux parties de prendre d’autres mesures en attendant qu’une requête particulière soit tranchée.

[18] Les requêtes en radiation constituent un outil qui favorise l’économie judiciaire en « évitant d’accabler les parties et le système judiciaire avec des demandes qui sont vouées à l’échec dès le départ » : Fitzpatrick c District 12 du service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040 au paragraphe 14. De par leur nature, ces requêtes doivent être introduites et tranchées le plus tôt possible dans l’instance. De plus, pour qu’elles remplissent leur l’objet d’assurer l’usage efficient des ressources judiciaires, les protonotaires doivent avoir la latitude d’interdire aux parties de prendre d’autres mesures jusqu’à ce que l’action ait franchi ce premier filtre. Dans des circonstances semblables, la Cour d’appel fédérale a d’ailleurs rejeté l’appel interjeté contre la décision d’une juge d’instruire en priorité une requête en radiation et déclaré qu’« [i]l relevait du pouvoir discrétionnaire de la juge de déterminer dans quel ordre les requêtes devaient être entendues » : Badawy c 1038482 Alberta Ltd, 2019 CAF 150 au paragraphe 17.

[19] En l’espèce, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable. Bien que succincts, ses motifs sont suffisants pour que l’on comprenne pourquoi elle a rendu l’ordonnance et ils sont compatibles avec les principes exposés précédemment.

[20] Pour les mêmes motifs, la protonotaire n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable lorsqu’elle a refusé à Mme Onischuk la possibilité de modifier la déclaration. Comme je le signale plus loin dans les présents motifs, les vices de la déclaration ne peuvent être corrigés par une modification. Lorsqu’une déclaration semble présenter des vices de cette nature, il est tout à fait raisonnable de la part du juge chargé de la gestion de l’instance d’ordonner qu’une requête en radiation soit examinée en premier lieu. La demanderesse n’a pas le droit de faire de la déclaration une cible mouvante en y apportant des modifications successives dans l’espoir de faire échec à la requête en radiation.

B. La requête en radiation

[21] Le second appel de Mme Onischuk vise le jugement par lequel la protonotaire Ring a radié la déclaration.

[22] Au lieu de relever des erreurs commises par la protonotaire, les observations écrites de Mme Onischuk se bornent à réitérer les allégations contenues dans la déclaration. Ainsi, de nombreux aspects de la décision de la protonotaire ne sont pas sérieusement contestés.

[23] Après avoir examiné la déclaration, les motifs de la protonotaire et les observations présentées par Mme Onischuk en appel, je conclus que la protonotaire a correctement énoncé le droit et qu’elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son application du droit à la demande de Mme Onischuk. J’expliquerai ma conclusion en analysant tout d’abord les parties du jugement où la protonotaire a rejeté l’action au motif que Mme Onischuk n’a pas obtenu de permission visée à l’article 215 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et que la déclaration ne contient aucune cause d’action valable. Je me tournerai ensuite vers la partie du jugement où il a été statué que la déclaration constitue un abus de procédure. Enfin, j’examinerai la question de savoir si la protonotaire a commis une erreur lorsqu’elle a décidé de ne pas accorder à Mme Onischuk l’autorisation de modifier sa déclaration.

(1) Le défaut d’obtenir une permission

[24] L’article 215 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité est libellé comme suit :

215 Sauf avec la permission du tribunal, aucune action n’est recevable contre le surintendant, un séquestre officiel, un séquestre intérimaire ou un syndic relativement à tout rapport fait ou toute mesure prise conformément à la présente loi.

215 Except by leave of the court, no action lies against the Superintendent, an official receiver, an interim receiver or a trustee with respect to any report made under, or any action taken pursuant to, this Act.

[25] La protonotaire a radié l’action intentée contre les défendeurs Exelby – qui forment un « syndic » – et le Bureau du surintendant des faillites, car Mme Onischuk n’allègue pas qu’elle a obtenu la permission requise et aucune preuve n’a été présentée à cet effet. Cette conclusion est incontestablement bien fondée, et Mme Onischuk ne prétend pas le contraire.

(2) L’absence de cause d’action valable

[26] La protonotaire a entamé cette partie des motifs en énonçant correctement le critère à remplir pour radier une action, en s’appuyant sur des arrêts de principe de la Cour suprême du Canada : Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959; R c Imperial Tobacco Ltd, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45. Elle a également examiné la jurisprudence pertinente quant à la manière de procéder. En particulier, s’appuyant sur les arrêts Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227, et Canada c Harris, 2020 CAF 124, elle a fait remarquer qu’une déclaration peut être radiée en l’absence d’une description suffisante des faits qui étayent la cause d’action.

[27] La protonotaire a ensuite appliqué ces principes à la déclaration de Mme Onischuk et a conclu qu’elle était lacunaire, car elle ne consistait qu’en [traduction] « un récit factuel décousu et fragmenté renvoyant à des éléments aléatoires de concepts juridiques divers et à de simples conclusions, le tout assemblé de manière désordonnée ». Elle a également conclu que la déclaration ne révélait pas les éléments essentiels des délits de faute dans l’exercice d’une charge publique, de complot et de négligence ni les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à une demande fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés.

[28] Je ne vois dans la décision de la protonotaire aucun énoncé incorrect du droit ni d’erreur manifeste et dominante dans l’application du droit à la déclaration de Mme Onischuk. J’ai examiné cette déclaration et, malheureusement pour Mme Onischuk, je suis d’avis que la protonotaire en a donné une bonne description et l’a radiée à juste titre.

[29] Les observations soumises par Mme Onischuk dans le cadre de l’appel semblent reprendre les faits et les questions soulevées dans sa déclaration, émaillés de références à des dispositions législatives et à la jurisprudence. Dans sa réponse, Mme Onischuk a également fourni un résumé de trois pages de la déclaration. J’ai examiné ces observations attentivement, mais je n’ai rien relevé qui démontre que la protonotaire a commis une erreur dans son analyse.

[30] Dans ses observations, Mme Onischuk affirme à plusieurs reprises que le rejet sommaire de son action est contraire à la règle 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, qui est rédigée comme suit :

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceedings on its merits.

[31] Rien dans la règle 3 n’est incompatible avec le rejet sommaire d’une action dans le cadre d’une requête en radiation. Cette disposition prévoit implicitement un principe de proportionnalité. Dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87, la Cour suprême du Canada a jugé que la proportionnalité ne s’oppose pas à des processus plus expéditifs de règlement des litiges et qu’elle les rend même nécessaires, ajoutant qu’un procès complet n’est pas justifié dans tous les cas. Même si l’affaire concernait une requête en jugement sommaire, les principes énoncés par la Cour s’appliquent également aux requêtes en radiation. Dans la mesure où Mme Onischuk s’appuie sur la partie de la règle 3, qui mentionne dans sa version anglaise « [a] determination […] on its merits », je ferais remarquer qu’une requête en radiation permet de statuer sur le fond d’une affaire, quoiqu’à l’issue d’un processus abrégé. De plus, rien dans la version française de la règle 3, qui mentionne « une solution au litige », ne laisse entendre qu’un procès complet est justifié dans tous les cas.

[32] Mme Onischuk soutient également que la protonotaire aurait dû l’autoriser à soumettre une preuve à l’appui de ses arguments au sujet des requêtes en radiation. Cela est inexact. Le paragraphe 221(2) prévoit qu’aucune preuve n’est admissible lorsqu’une requête en radiation repose sur le fait que l’action ne révèle aucune cause d’action valable.

(3) L’abus de procédure

[33] Bien que les considérations qui précèdent sont suffisantes pour trancher l’affaire, la protonotaire a également radié la déclaration de Mme Onischuk au motif qu’elle constituait un abus de procédure. En effet, Mme Onischuk tentait de débattre à nouveau de questions qui ont fait l’objet d’une action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ou qui auraient dû faire l’objet d’une instance devant la Cour canadienne de l’impôt.

[34] À cet égard, Mme Onischuk soutient que le rejet pour abus de procédure est une réparation discrétionnaire et que la poursuite de l’instance devrait être autorisée dans les cas où l’instance précédente était [traduction] « entachée », comme l’a été celle qui s’est déroulée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

[35] Même en présumant que Mme Onischuk a raison de dire que la protonotaire jouissait d’un pouvoir discrétionnaire, j’estime que celle-ci n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans l’exercice de ce pouvoir. En particulier, Mme Onischuk n’a avancé aucun fait à l’appui de son affirmation selon laquelle l’instance en Alberta était entachée, en dehors du fait que son issue ne lui convenait pas. Au vu de la déclaration dans la présente instance et des jugements rendus par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, je suis d’avis que Mme Onischuk se plaint des mêmes faits et soulève les mêmes questions devant les deux cours. De plus, comme l’a fait remarquer la protonotaire, la déclaration fait plusieurs fois référence à l’instance introduite en Alberta.

[36] La décision de la protonotaire concernant les questions qui auraient dû être examinées au regard de la Loi de l’impôt du revenu, RSC 1985, c 1 (5e supp), et éventuellement faire l’objet d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt, concordait avec l’arrêt Canada c Roitman, 2006 CAF 266 [Roitman], de la Cour d’appel fédérale. Mme Onischuk soutient que l’arrêt Roitman a été écarté par un arrêt subséquent de la Cour suprême du Canada, Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585 [TeleZone]. Comme je l’ai expliqué dans la décision M.S. c Canada, 2020 CF 982 au paragraphe 69, cela n’est tout simplement pas le cas. L’arrêt TeleZone ne concernait pas une loi, comme la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoit un processus exclusif de règlement d’une certaine catégorie de litiges. Cet arrêt établit simplement qu’il n’est pas nécessaire d’introduire une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision avant d’intenter une action en dommages‑intérêts visant les conséquences de cette décision.

(4) L’autorisation de modification

[37] Ayant radié la déclaration, la protonotaire a ensuite examiné la question de savoir si elle devait accueillir la demande d’autorisation de modification de Mme Onischuk. Elle a examiné la jurisprudence pertinente, en particulier l’arrêt Simon c Canada, 2011 CAF 6, et déclaré à juste titre que le critère à remplir consiste à déterminer si [traduction] « les vices d’une demande pourraient éventuellement être corrigés par une modification ». Sur cette base, elle a conclu que la déclaration était fondamentalement viciée et [traduction] « irrécupérable ».

[38] À mon avis, la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans l’application de la règle qu’elle a correctement énoncée. Il vaut la peine de répéter qu’elle a qualifié la déclaration de [TRADUCTION] « récit factuel décousu et fragmenté renvoyant à des éléments aléatoires de concepts juridiques divers et à de simples conclusions, le tout assemblé de manière désordonnée ». Il est difficile d’imaginer que des vices de cette ampleur puissent être corrigés par des modifications.

C. Les allégations d’iniquité procédurale

[39] Dans les deux appels, Mme Onischuk allègue que les différentes directives de la protonotaire Ring ont entraîné une iniquité procédurale. En particulier, elle se plaint du refus de la protonotaire d’augmenter le nombre limite de pages de son mémoire des faits et du droit, de proroger le délai aux fins de la présentation de son dossier de requête et du fait que la protonotaire a fixé une date d’audition de la requête en radiation qui ne lui convenait pas.

[40] À mon avis, aucune de ces allégations n’a engendré une iniquité procédurale. Le dossier n’était pas complexe au point de justifier un mémoire des faits et du droit plus long. La demande de prorogation de délai semble être liée au désir de Mme Onischuk de soumettre une quantité importante d’éléments de preuve dans son dossier de requête. Or, comme je l’ai déjà mentionné, le principal motif avancé par les défendeurs était l’absence d’une cause d’action valable, et aucune preuve n’est admissible dans ce cas. Je ne vois rien de déraisonnable dans le calendrier fixé par la protonotaire quant aux étapes précédant l’audition de la requête en radiation. En fait, ce calendrier donnait à Mme Onischuk trois mois pour déposer ses observations écrites concernant la requête en radiation, ce qui est beaucoup plus long que le délai habituel prévu par les Règles des Cours fédérales. En ce qui concerne la fixation de la date de l’audience, les plaideurs doivent être raisonnablement disponibles et ne peuvent demander un report simplement parce qu’ils travaillent pendant la journée.

[41] Comme je l’ai déjà indiqué, la requête en radiation est un outil qui permet de mettre fin rapidement aux instances qui n’ont aucune chance de succès, afin d’allouer les ressources judiciaires limitées à des dossiers plus prometteurs. À cette fin, les requêtes en radiation doivent être tranchées rapidement. Je comprends que les plaideurs qui font face à une requête en radiation préféreraient de loin « maintenir leur litige en vie », mais il n’y a rien d’inéquitable à radier une action par le processus simplifié d’une requête.

D. Les allégations de partialité

[42] Enfin, Mme Onischuk remet en question l’impartialité de la protonotaire Ring. Il va sans dire que les juges de notre Cour, y compris les protonotaires, se doivent d’être impartiaux. Les juges sont présumés agir avec impartialité : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25 au paragraphe 25, [2015] 2 RCS 282. Pour ce motif, il convient de souligner « la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente » : R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au paragraphe 113.

[43] Il n’y a pas partialité, réelle ou apparente, du seul fait qu’un juge a rendu une décision défavorable à une partie : Bruzzese c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1119 aux paragraphes 27 à 37, [2017] 3 RCF 272. Même lorsqu’un juge commet une erreur, [traduction] « cette erreur pourrait justifier de faire droit à l’appel, mais elle n’est pas à elle seule indicative de partialité » : Ahamed c Canada, 2020 CAF 213 au paragraphe 7.

[44] Ces principes sont particulièrement importants dans le contexte de la gestion de l’instance. Les juges chargés de la gestion de l’instance sont appelés à prendre de nombreuses décisions quant au déroulement d’une action, de façon encore plus importante en présence de « plaideurs incontrôlables : ceux qui font fi des règles de procédure, qui font abstraction des ordonnances et des directives de la Cour et qui remettent en litige des questions ou des requêtes ayant déjà été tranchées » : Canada c Olumide, 2017 CAF 42 au paragraphe 22, [2018] 2 RCF 328. Les juges chargés de la gestion de l’instance ne font pas preuve de partialité simplement parce qu’ils s’acquittent de leur tâche de gérer l’instance de manière équitable et efficiente ou qu’ils exigent le respect des Règles des Cours fédérales.

[45] Les allégations de partialité avancées par Mme Onischuk reposent essentiellement sur son désaccord avec les décisions prises par la protonotaire Ring à l’égard de la gestion de l’instance, en particulier celles qui font l’objet des présents appels. Ces allégations sont entièrement dénuées de fondement. Les décisions en question procédaient de l’absence de fondement des arguments de Mme Onischuk et non de la partialité ou d’une prédisposition de la part de la protonotaire.

[46] Dans ses observations, Mme Onischuk insinue que la protonotaire Ring est employée par le ministère de la Justice. C’est inexact. Les juges de notre Cour, y compris les protonotaires, ne sont pas employés par le ministère de la Justice ni par aucun ministère. Une fois nommés, ils ne rendent pas de comptes au gouvernement. Ils sont indépendants. Dans la mesure où les allégations de Mme Onischuk reposent sur ce malentendu, elles sont tout simplement erronées.

IV. Dispositif et dépens

[47] Pour les motifs qui précèdent, les appels de Mme Onischuk seront rejetés.

[48] Les défendeurs représentés par le procureur général sollicitent des dépens de 250 $ pour chaque appel. Je conviens qu’il s’agit d’un montant raisonnable.


ORDONNANCE dans le dossier T-675-19

LA COUR ORDONNE que :

1. L’appel de l’ordonnance de gestion de l’instance rendue par la protonotaire le 13 juillet 2020 est rejeté.

2. L’appel du jugement par lequel la protonotaire a radié la déclaration est rejeté.

3. Les demanderesses sont condamnées à verser des dépens de 500 $, comprenant les taxes et débours, aux défendeurs représentés par le procureur général.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-675-19

 

INTITULÉ :

THERESE ONISCHUK, WORLD PARK FOTO c AGENCE DU REVENU DU CANADA, EXELBY & PARTNERS LTD., BUREAU DU SURINTENDANT DES FAILLITES CANADA, SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, GARY HOWITT, R. DONALD WILSON, LAURA LEE, AMY FORCE, PAT CHMILAR, JENNIFER YOUNG, DAMEN GREWAL, JULISA CHENG, AL MIYAI, MEGAN KOWALCHUK, EVA GOLDSTEIN, CHARMAINE MARTIN, JONATHAN LEE, WILLIAM JAMES, GEORGE BODY, M. UNTEL 1, MME UNETELLE 1, M. UNTEL 2, MME UNETELLE 2, M. UNTEL 3, MME UNETELLE 3

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Le juge GRAMMOND

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 25 mai 2021

COMPARUTIONS :

Therese Onischuk

pour les demanderesses

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Andrew Lawrence

POUR les défendeurs fédéraux

Russell Rimer

pour les défendeurs EXELBY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR les défendeurs fédéraux

Duncan Craig LLP

pour les défendeurs EXELBY

Avocats médiateurs

Edmonton (Alberta)

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