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Date : 20041116

Dossier : IMM-1167-04

Référence : 2004 CF 1605

Ottawa (Ontario) le 16 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                               NASSEM NAQVI

                                                               MOHSIN NAQVI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 14 janvier 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et de la protection des réfugiés (la SPR) a estimé que la décision du 7 août 2000 ayant accueilli la demande d'asile de Nassem Naqvi (la demanderesse) et Mohsin Naqvi (collectivement appelé les demandeurs) résultait de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait et que, par conséquent, la décision portant annulation de la décision ayant accueilli la demande d'asile devait être assimilée au rejet de la demande d'asile, la décision initiale étant dès lors nulle, le tout conformément au paragraphe 109(3) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (Loi).

FAITS PERTINENTS

[2]                Les demandeurs, une femme âgée de 66 ans et son fils de 34 ans, sont des musulmans chiites originaires du Pakistan. Ils sont respectivement arrivés au Canada en janvier 2000 et en décembre 1999. Ils ont présenté une demande d'asile, qui a été accueillie le 7 août 2000.

[3]                En mai 2003, le ministre a demandé l'annulation de la décision du 7 août 2000 ayant conféré l'asile aux demandeurs au motif que cette décision faisait suite à des présentations erronées sur un fait important faites au tribunal administratif. Le demandeur avait vécu aux États Unis de 1989 à 1999, mais il avait inventé une foule d'allégations dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) qui se rapportaient à des faits survenus au Pakistan au cours de la même période.

[4]                Dans sa décision du 14 janvier 2004, la SPR a conclu que les demandeurs s'étaient rendus coupables de présentations erronées sur un fait important et elle a annulé la décision du 7 août 2000 par laquelle l'asile leur avait été conféré.


ANALYSE

[5]                Le principal point de désaccord entre les parties concerne le critère à appliquer pour décider si une demande d'annulation doit être accueillie en vertu de l'article 109 de la Loi.

[6]                Le paragraphe 109(1) de la Loi n'est pas en litige, compte tenu du fait que les demandeurs ont admis avoir inventé et déformé des faits tant dans leur FRP qu'au cours de la première audience. Le débat tourne autour de l'interprétation qu'il convient de donner au paragraphe 109(2) de la Loi.

[7]                Le critère est bien établi dans la jurisprudence relative à une disposition semblable de l'ancienne loi, le paragraphe 69.3(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C 1985, ch I-12, et les deux parties s'entendent sur la formulation de ce critère. En fait, elles citent toutes les deux le même passage du jugement Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 849 :

Bien qu'il ne reste aucun élément de preuve crédible permettant à une formation de conclure qu'une personne est un réfugié au sens de la Convention, on peut certainement déduire qu'un demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[8]                Les demandeurs soutiennent que la SPR devrait rejeter la demande du ministre si, abstraction faite des éléments de preuve frauduleux, il reste suffisamment d'élément de preuve pour justifier la conclusion tirée par la première formation et ce, sans apprécier de nouveau la preuve initiale.

[9]                Appliquer un critère aussi rigoureux que celui que proposent les demandeurs conduirait à accorder davantage de droits à celui qui s'est placé dans une pareille situation en dénaturant les faits.

[10]            Pourquoi celui qui use de faux-fuyants devrait-il avoir l'avantage de conserver la valeur accordée à ses dires alors que le tribunal avait encore l'impression qu'il était un demandeur d'asile de bonne foi? Il ne devrait tout simplement pas avoir ce droit et c'est la raison pour laquelle l'intérêt de la justice commande de permettre au deuxième tribunal de réévaluer la preuve soumise au premier tribunal.

[11]            En fait, dans le jugement Ray, précité, la juge Tremblay-Lamer a estimé qu'il en allait de même pour le prédécesseur de l'article actuel, en l'occurrence le paragraphe 69.3(5) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Elle déclare ce qui suit, aux paragraphes 12, 13 et 14 :

En l'espèce, la formation a conclu qu'aucun élément de preuve crédible ne permettait de conclure que, malgré les fausses observations, il y avait suffisamment de preuve pour accorder aux demandeurs le statut de réfugiés.

Bien qu'il ne reste aucun élément de preuve crédible permettant à une formation de conclure qu'une personne est un réfugié au sens de la Convention, on peut certainement déduire qu'un demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

La prétention des demandeurs selon laquelle ils ont droit à une nouvelle audition n'est pas incompatible avec le régime que la Loi établit. Le revendicateur débouté qui a dit la vérité n'a pas droit à une nouvelle audition. Il est clair que la Loi ne vise pas à accorder plus de droits à une partie qui a fait de fausses déclarations sur des faits importants. [Non souligné dans l'original.]


[12]            Même si cette affaire s'inscrivait dans le contexte d'une demande de nouvelle audience, le principe demeure le même : le législateur ne souhaitait pas accorder plus de droits à la partie qui fait de fausses déclarations sur des faits importants. En ce qui concerne la nouvelle Loi, dans le jugement Selvakumaran c. Canada, [2003] A.C.F. no 1849, au paragraphe 15, le juge O'Reilly s'est lui aussi dit consterné à l'idée qu'un demandeur d'asile qui recourt à la duperie ou à la fraude puisse obtenir plus de droits. Bien que sa décision concerne l'admission de nouveaux éléments de preuve, le raisonnement demeure le même :

Cependant, si je concluais que la Commission aurait dû recevoir de nouveaux éléments de preuve dans ces domaines, Mme Selvakumaran aurait acquis un avantage sur d'autres personnes dont les audiences avaient eu lieu avant l'entrée en vigueur de la LIPR, un avantage qu'elle aurait obtenu par mensonge et fausses représentations. Naturellement, je suis réticent à interpréter la loi d'une manière qui récompenserait une telle conduite. [Non souligné dans l'original.]

[13]            En l'espèce, la SPR a conclu que les demandeurs :

[TRADUCTION] [...] se sont rendus coupables directement ou indirectement de présentations erronées sur un fait important se rapportant à leur demande du statut de réfugiés ou de réticences sur ce fait. Abstraction faite des fausses indications et réticences des demandeurs, le tribunal estime qu'il ne reste pas suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision rendue le 7 août 2000 par la première formation. (Motifs de la décision rendue le 14 janvier 2004 par la SPR, à la page 5.)

[14]            Il ressort à l'évidence de cet extrait que la SPR a appliqué le bon critère. Aucun nouvel élément de preuve n'ayant été porté à sa connaissance, la formation s'est tout simplement fondée sur la preuve présentée à la première audience et elle en est arrivée à la conclusion qu'après avoir fait abstraction des éléments de preuve irréguliers, il ne restait pas suffisamment d'éléments de preuve pour rejeter la demande d'annulation.


[15]            Dans l'arrêt Annalingam c. Canada (M.C.I.), [2003] 1 C.F. 586 (CAF), aux paragraphes 27 et 28, la Cour d'appel fédérale a approuvé le critère posé dans le jugement Ray, précité :

[27] C'est pour cette raison que le juge Tremblay-Lamer a conclu, comme elle l'a fait dans la décision Ray, précitée, qu'on pourrait déduire de l'annulation du statut de réfugié que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention [au paragraphe 13] :

Bien qu'il ne reste aucun élément de preuve crédible permettant à une formation de conclure qu'une personne est un réfugié au sens de la Convention, on peut certainement déduire qu'un demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[28] Eu égard au critère que le tribunal d'examen doit appliquer pour savoir s'il lui faut accueillir la demande du ministre, la conclusion du juge Tremblay-Lamer est bien fondée.

[16]            Dans l'affaire Annalingam, précitée, même s'il s'agissait du paragraphe 69.3(5) de l'ancienne Loi sur l'immigration, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel. Dans cette affaire, les revendicateurs soutenaient que la décision initiale devait être annulée parce qu'il y avait des éléments de preuve documentaires qui appuyaient leur revendication.

[17]            Ainsi que le défendeur l'a affirmé, la preuve documentaire ne saurait à elle seule justifier le rejet par la SPR de la demande d'annulation du ministre.


[18]            Je conviens par ailleurs avec le défendeur que l'argument des demandeurs suivant lequel le critère applicable au paragraphe 46.01(6) de l'ancienne Loi sur l'immigration, en l'occurrence le « critère du minimum de fondement » , ne s'applique pas. Le « critère du minimum de fondement » prévu par le paragraphe 46.01(6) de l'ancienne Loi jouait un rôle différent de celui que remplit le critère qu'applique maintenant la SPR en vertu de l'article 109 de la Loi actuelle.

[19]            Par ailleurs, je conclus sans hésiter que la SPR n'a pas excédé sa compétence en inférant de la preuve documentaire produite en 1999, preuve dont disposait la SPR lors de la première audience, que les demandeurs ne courent aucun risque sérieux d'être persécutés au Pakistan et ce, même si, suivant la preuve, des violences sont commises au Pakistan.

[20]            J'estime donc que les conclusions et la procédure suivie par la SPR ne sont entachées d'aucune erreur et je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[21]            L'avocat des demandeurs a proposé la certification des questions suivantes :

Lors de l'instruction de la demande d'annulation visée au paragraphe 109(2) de la LIPR, la Commission doit, après avoir fait abstraction des éléments de preuve entachés d'irrégularités par suite de fausses déclarations, déterminer s'il « reste suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile » .

QUESTION :    La Commission peut-elle satisfaire à ce critère si elle procède à une nouvelle appréciation des éléments de preuve qui restent au lieu de déterminer spécifiquement si ces éléments de preuve pouvaient justifier la décision favorable initiale?

QUESTION :    Peut-on satisfaire à ce critère au moyen de l'affirmation laconique suivante : « Malgré les violences commises au sein de la société pakistanaise, les demandeurs ne courent aucun risque sérieux d'être persécutés s'ils devaient retourner au Pakistan _?


[22]            Je ne suis pas d'accord avec l'avocat des demandeurs pour dire que la Cour n'a pas encore abordé ces questions. En fait, comme le signale l'avocat du défendeur, le libellé du paragraphe 109(2) de la Loi est clair.

[23]            J'abonde par ailleurs dans le sens de l'avocat du défendeur et j'ai aussi cité ces décisions dans mes motifs. Il est de jurisprudence constante qu'il est loisible à la Commission de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve lors de l'audience portant sur la demande d'annulation. Les affaires Cooramaswamy c. M.C.I., [2002] 4 C.F. 501 (C.A.F.), Annalingam, précitée, et Selvakumaran, précitée, sont semblables à la présente espèce et la Cour y a déjà tranché cette question. J'estime donc que ces questions ne sont pas des questions graves de portée générale et je refuse donc de les certifier.

[24]            L'avocat du défendeur a proposé une autre formulation en vue de faire certifier une question. Cette formulation est la suivante :

Pour décider de rejeter ou non la demande d'annulation du ministre, la Section de la protection des réfugiés a-t-elle compétence, en vertu du paragraphe 109(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, pour apprécier de nouveau ce qu'il reste des éléments de preuve crédibles, y compris des éléments de preuve documentaire, dont disposait la Section de la protection des réfugiés à l'audience initiale, et ce dans le but de déterminer si ces éléments de preuve sont suffisants pour justifier d'accorder l'asile?

[25]            À mon avis, il n'y a rien de nouveau dans cette reformulation de la question et je conclus que cette question n'est pas une question grave de portée générale. Cette question ne sera donc pas certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                     _ Pierre Blais _                        

                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                            ANNEXE A

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés


Demande d'annulation

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu'il reste suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d'asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

Applications to Vacate

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.


Ancienne Loi sur l'immigration


69.3 (5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l'un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut.

69.3 (5) The Refugee Division may reject an application under subsection 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based.



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1167-04

INTITULÉ :                                        NASSEM NAQVI et autre

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       LE 16 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

WILLIAM SLOAN                                                                  POUR LES DEMANDEURS

MICHÈLE JOUBERT                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

WILLIAM SLOAN                                                                  POUR LES DEMANDEURS

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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