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Date : 20031010

Dossier : IMM-1828-99

Référence : 2003 CF 1182

ENTRE :

                                                  MAHMOUD ES-SAYY JABALLAH,

                                           HUSNAH MOHAMMAD AL-MASHTOULI,

                                                  AHMAD MAHMOUD JABALLAH,

                                                        ASH-SHAYMAA ES-SAYYID,

                                                          AL-MUNZIR ES-SAYYID et

                                                    AFNAN MAHMOUD ES-SAYYID

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                           TERRY MacKAY (représentant du ministre),

                              CRISTINA COUTTS (agente préposée aux cas de la CISR),

                                                        JAMES WATERS, S. GOSH et

                                                 JOEL BAUSFIELD, SAM BERMAN,

                                  CATHERINE FREEDMAN (MEMBRES DE LA SSR)

                                                                                                                                                     défendeurs

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE D'ADJUDICATION DE DÉPENS

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Par requête déposée le 16 octobre 2002, les demandeurs ont sollicité une ordonnance adressée au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) et à six autres personnes que le ministre, qui n'étaient pas désignées comme défendeurs à l'origine dans la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire sous-jacente, - les mesures de réparation accordées devant viser chacun d'eux - et prescrivant ce qui suit. Premièrement, l'obligation pour les défendeurs de se présenter pour exposer les raisons pour lesquelles on ne devrait pas les reconnaître coupables d'outrage au tribunal. Deuxièmement, une déclaration, en vertu de l'article 2 de la Loi sur l'immigration, des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que de l'article 7 et du paragraphe 24(1) de la Charte, découlant des conclusions de fait du juge Cullen (DES-06-99) relativement aux demandeurs et de la propre décision du ministre par suite d'un examen des risques avant renvoi et portant que les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la Section du statut de réfugié, devenue la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de statuer que les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention. Troisièmement, et subsidiairement semble-t-il à la deuxième mesure de réparation sollicitée, la disjonction immédiate des demandes d'Al-Mashtouli et des enfants mineurs, de celle de M. Jaballah. Quatrièmement, l'octroi des dépens avocat-client afférents à la requête. Finalement, les autres mesures de réparation que l'avocat pourra proposer et que la Cour estimera appropriées.

[2]                 J'ai instruit la requête des demandeurs le 16 décembre 2002. J'ai ajourné la requête sine die par ordonnance du 17 décembre 2002, et donné alors les instructions suivantes :


[traduction]

Si, d'ici au 15 avril 2003, il n'y a pas eu nouvelle instruction de la revendication du statut de réfugié des demandeurs conformément à l'ordonnance du 28 septembre 2000 de notre Cour et que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas statué à cet égard, la Cour ordonne qu'une preuve par affidavit, quant aux efforts consentis pour la mise au rôle en un lieu approprié et aux difficultés rencontrées, soit présentée à la Cour, à l'attention du présent juge, par ou pour le compte d'un ou plusieurs défendeurs aux présentes, d'ici au 30 avril 2003.

Si, en date du 30 avril 2003, la Cour est saisie d'une demande d'autorisation et de réparation, de la nature d'un mandamus, visant à contraindre l'instruction de la revendication du statut de réfugié des demandeurs, j'ordonne que la demande me soit renvoyée pour que je statue sur l'autorisation et, si celle-ci est accordée, pour que je donne des directives en vue d'une instruction accélérée.

[3]                 Par lettre datée du 11 avril 2003, le greffier de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a informé la Cour de ce qui suit :

[traduction]

[...] La Section de la protection des réfugiés de la CISR a statué sur les revendications du statut de réfugié des demandeurs par décision datée du 9 avril 2003. Les motifs de la décision ont été transmis à l'avocat des demandeurs et au ministre le 10 avril 2002, de même que les avis de décision.

[4]                 Par suite, la Cour a informé les avocats, en date du 29 avril 2003, que le présent juge était d'avis que la requête du 8 octobre 2002 des demandeurs devenait sans objet à tous égards, sauf quant aux dépens. Aucun des avocats n'a mis en cause cet avis. L'avocat des demandeurs a alors déclaré qu'il entendait donner suite à la question des dépens au nom de ses clients.


[5]                 L'avocat des demandeurs a donc déposé le 27 août 2003 une requête et un dossier de requête, où il sollicitait l'octroi des dépens avocat-client afférents à la requête présentée le 16 octobre 2002, ainsi que « [traduction] [...] les autres ordonnances ou directives jugées appropriées par la Cour » . Seul le ministre était désigné comme défendeur dans la requête relative aux dépens. L'avocate du ministre a déposé un dossier de réponse le 8 septembre 2003. Aucun autre des défendeurs désignés dans l'avis de requête déposé le 16 octobre 2002 n'a produit de document. On demandait dans la requête des demandeurs, conformément à l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), que la décision à l'égard de la requête soit prise uniquement sur la base des prétentions écrites.

[6]                 Les présents motifs donnent suite à la requête relative aux dépens présentée en vertu de l'article 369.

CONTEXTE

[7]                 L'historique de la revendication au Canada du statut de réfugié des demandeurs est long et controversé, en raison en partie de la procédure en matière de sécurité introduite contre Mahmoud Jaballah. Qu'il suffise de dire pour nos fins que, le 14 mars 1999, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Par ordonnance datée du 28 septembre 2000, un juge de notre Cour a infirmé la décision de la Section du statut de réfugié et renvoyé la demande des demandeurs à un tribunal différemment constitué pour nouvelle audition. La Section de la protection des réfugiés, qui remplace la Section du statut de réfugié, ne s'est conformée que le 9 avril 2003 à l'ordonnance du 28 septembre 2000 de la Cour.


LA POSITION DES PARTIES

[8]                 L'avocat des demandeurs soutient que le retard de la part du ministre, je le répète le seul défendeur désigné dans la requête relative aux dépens, est inexcusable et qu'on peut conclure qu'il n'y a eu nouvelle instruction de la revendication du statut de réfugié des demandeurs qu'après plus de deux années et demie, par suite de requêtes présentées au nom des demandeurs et de l'ordonnance datée du 17 décembre 2002 de la Cour. Il soutient que les demandeurs, particulièrement l'épouse et les quatre enfants mineurs de M. Jaballah, en ont subi préjudice, qu'on a porté atteinte à leurs droits et qu'on les a obligés à engager des dépenses inutiles. L'avocat soutient que l'historique de la présente instance satisfait amplement à l'exigence de « raisons spéciales » prévue à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés[1] pour que soit justifiée l'attribution de dépens aux demandeurs. Voici le libellé de l'article 22 :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d'autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l'appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.


[9]                 Par contraste, l'avocate des défendeurs prétend que la requête déposée le 16 octobre 2002 par les demandeurs était sans fondement, que les mesures de réparation sollicitées n'avaient aucune chance d'être accordées et qu'on avait affaire à un abus de procédure. L'avocate soutient que la requête relative aux dépens devrait être rejetée et que le ministre défendeur devrait se faire attribuer ses dépens de toute instance afférents à la requête déposée le 16 octobre 2002, la nature de cette requête constituant en soi une « raison spéciale » pour que les dépens lui soient attribués.

ANALYSE

[10]            Je suis convaincu que le long retard de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à se conformer à l'ordonnance du 28 septembre 2000 de notre Cour constitue une « raison spéciale » pour que la requête des demandeurs déposée le 16 octobre 2002 donne lieu à des dépens. Ce retard ne peut être imputé directement au ministre mais celui-ci a néanmoins tenté de l'excuser dans le cadre de deux requêtes présentées à la Cour. Le ministre a eu gain de cause à la première occasion et, selon moi, il était justifié de s'opposer à la seconde requête, soit celle déposée le 16 octobre 2002, étant donné la nature de la réparation alors demandée. Cela étant dit, il aurait été loisible au ministre de négocier une entente de même nature, ou raisonnablement semblable, que les directives données par notre Cour dans son ordonnance du 17 décembre 2002. Si le ministre avait engagé de telles négociations, il aurait été reconnu que le retard était injustifiable et démontré, en même temps, que les mesures de réparation sollicitées par les demandeurs étaient inappropriées et inacceptables. En bout de ligne, les directives données et le respect de l'ordonnance de la Cour ont permis de mettre fin au long retard, ou du moins sembleraient y avoir contribué.

[11]            Cela étant dit, je ne suis pas convaincu que toutes les circonstances de l'affaire justifient l'octroi de dépens avocat-client.

[12]            Dans Young c. Young[2], la juge McLachlin, plus tard juge en chef, a écrit ce qui suit (au paragraphe 134) avec l'appui à cet égard des juges de la majorité :

Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties. Le peu de fondement d'une demande ne constitue donc pas une raison d'accorder les dépens sur cette base; pas plus que le fait qu'une partie des frais soit payée par des tiers.

[13]            Dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[3], le juge Malone a écrit ce qui suit au nom de la Cour, aux paragraphes 7 et 8 :

[...] À mon avis, le nouveau paragraphe 400(1) ne confère pas une discrétion absolue. La jurisprudence existante vaut toujours, y compris la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker, où le principe traditionnel est appliqué :

Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties.

De même, en 1986, la Cour d'appel fédérale a adopté une règle apparentée dans la décision Amway Corporation c. La Reine, où le juge Mahoney a dit ce qui suit :

Les frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent généralement être accordés qu'en raison d'une faute reliée au litige.

                                                                                                                            [Citations omises]

[14]            Dans Roberts c. R.[4], le juge McDonald (le juge Linden concourant à ses motifs) a cité en partie et paraphrasé Young, précité, et déclaré ce qui suit, à la page 193 :

L'adjudication des dépens sur la base procureur-client est exceptionnelle. De tels dépens « ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties » . Par ailleurs, le fondement très ténu ou la « grande faiblesse » de la revendication d'une partie ne peuvent justifier l'adjudication des dépens sur la base procureur-client.


[15]            Dans Leung c. Leung[5], finalement, le juge en chef Esson s'est penché sur le sens du mot « répréhensible » , en regard de la conduite « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » pouvant justifier l'octroi de dépens avocat-client. Il a écrit ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 5 :

[traduction]

Il n'y a rien dans la conduite de M. Leung en l'espèce que je qualifierais de « scandaleux » ou d' « outrageant » . Le qualificatif « répréhensible » a par contre une large portée. Il peut viser une conduite qui est scandaleuse, outrageante ou mauvaise, mais aussi des inconduites de moindre gravité. Il signifie simplement « qui appelle le blâme ou une réprimande » .

[16]            Ainsi, lorsque comme en l'espèce une partie demande l'octroi des dépens avocat-client, la Cour doit garder présent à l'esprit que de tels dépens ne sont attribués qu'en de rares occasions et lorsque la partie contre laquelle ils sont demandés a fait preuve dans l'instance d'une conduite « scandaleuse » ou « outrageante » , ou d'une inconduite « qui appelle le blâme ou une réprimande » .


[17]            Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu qu'on a affaire en l'espèce à une des « rares occasions » où il serait justifié de condamner le ministre à payer les dépens avocat-client. Je ne suis pas convaincu qu'on puisse dire de quelque manière que ce soit que le ministre a fait preuve dans la présente affaire, depuis le 28 septembre 2000, d'une conduite « scandaleuse » ou « outrageante » , ni même d'une inconduite « qui appelle le blâme ou une réprimande » . Les autres défendeurs désignés dans l'avis de requête déposé le 16 octobre 2002 et dans les présents motifs ne sont plus désignés, comme on l'a déjà mentionné, dans l'intitulé de la requête relative aux dépens. Je suis convaincu qu'ils n'ont pas été valablement désignés dans la requête du 16 octobre. Par suite, je n'examinerai pas s'il y a lieu de condamner ces défendeurs ou certains d'entre eux aux dépens.

CONCLUSION

[18]            Comme on a conclu en l'existence de raisons spéciales justifiant d'attribuer des dépens en l'espèce, une ordonnance enjoindra au ministre défendeur de payer aux demandeurs les dépens afférents à la requête qu'ils ont déposée le 16 octobre 2002. Ces dépens seront calculés de la façon ordinaire.

[19]            À tous autres égards, la requête des demandeurs déposée le 16 octobre 2002 sera rejetée parce que sans objet.

[20]            L'ordonnance mentionnée aux présentes ne désignera que le ministre comme défendeur.

                                                                          _ Frederick E. Gibson _             

                                                                                                             Juge                              

Ottawa (Ontario)

Le 10 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1828-99

INTITULÉ :                                                     MAHMOUD ES-SAYY JABALLAH, ET AL. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET AL.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE LUNDI 3 MARS 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

D'ADJUDICATION DE DÉPENS :             LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Joel Sandaluk                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

M. Joel Sandaluk                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Mamman & Associates

74, rue Victoria, bureau 303

Toronto (Ontario) M5C 2A5    

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]              DORS/93-22.

[2]              [1993] 4 R.C.S. 3.

[3]              (2000), 9 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.).

[4]              (1999), 27 R.P.R. (3d) 157 (C.A.F.).

[5]              (1993), 77 B.C.L.R. (2d) 314 (C.S. C.-B.).


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