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Date : 20020628

Dossier : IMM-3173-01

Référence neutre : 2002 CFPI 715

ENTRE :

                                                              OTTO FENYAK

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Le 21 juin 2001, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu qu'Otto Fenyak (le demandeur), un citoyen roumain âgé de 20 ans habitant à Satu Mare, n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur a allégué craindre avec raison d'être persécuté par le Service de renseignement interne roumain (le SRI) parce qu'il est de nationalité hongroise et de religion catholique et à cause de ses opinions politiques.


[3]                 Le tribunal a reconnu que le demandeur était de nationalité hongroise et qu'il était catholique. Il a également reconnu que le demandeur était membre actif de MADISZ, une organisation cherchant à promouvoir la culture et l'éducation hongroise. Cette organisation est la faction des jeunes de l'Union démocratique hongroise de la Roumanie (l'UDMR), un parti politique dont le père et le frère du demandeur sont membres.

[4]                 Le tribunal a rejeté la revendication pour deux raisons. En premier lieu, le tribunal a conclu que, considérée cumulativement, [TRADUCTION] « la nature incomplète, vague et parfois embrouillée du témoignage de l'intéressé étay[ait] une conclusion de manque de crédibilité en ce qui concerne le harcèlement et la persécution de la part du SRI » [non souligné dans l'original]. En second lieu, le tribunal a préféré retenir la preuve documentaire relative à l'ethnie minoritaire hongroise en Roumanie, à la situation des catholiques dans ce pays et aux membres de MADISZ et de l'UDMR plutôt que la preuve présentée par le demandeur.

[5]                 À mon avis, afin d'avoir gain de cause, le demandeur doit convaincre la Cour que le tribunal a commis une erreur en ce qui concerne ce qui constitue essentiellement des conclusions de fait, celles-ci pouvant uniquement être annulées en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire pour le motif que le tribunal a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'il a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Cette disposition donne lieu à l'application de la norme de contrôle relative à la décision manifestement déraisonnable.

[6]                 Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Conseil de l'éducation de Toronto c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, page 509, la cour chargée du contrôle ne peut intervenir que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent pas étayer les conclusions du tribunal.


[7]                 L'examen du dossier me convainc que la décision du tribunal doit être annulée. Le demandeur peut avoir gain de cause pour deux raisons, qui se rapportent principalement à l'aspect de sa revendication établissant un lien avec son origine ethnique hongroise et son appartenance au mouvement des jeunes de l'UDMR.

[8]                 Premièrement, le tribunal a conclu qu'en fait, il ne disposait d'aucun élément de preuve indiquant que des membres actifs de MADISZ ou de l'UDMR sont, à l'heure actuelle, persécutés par les agents de l'État roumain.

[9]                 Cette conclusion ne tient pas compte de la preuve que l'avocat du demandeur a soumise au moyen d'une longue argumentation écrite se rapportant au fondement objectif de la revendication. Dans cette argumentation, il est directement fait mention de la preuve documentaire relative aux activités du SRI, en ce qui concerne les minorités ethniques et l'UDMR. En l'espèce, le tribunal a omis d'apprécier cette preuve documentaire par rapport aux autres éléments de preuve documentaire dont il disposait. Cette erreur est cruciale pour ce qui est de la revendication du demandeur, qui craignait d'être persécuté par le SRI.

[10]            En second lieu, comme il en a été mention, le tribunal a tiré, au sujet de la crédibilité, une conclusion fondée sur son appréciation du témoignage du demandeur, qu'il jugeait dans certains cas incomplet et vague, parfois embrouillé et, dans un cas, embelli. Le tribunal a donné des exemples à l'appui.


[11]            Selon l'interprétation que je donne à la décision en question, le tribunal n'a pas fondé la conclusion de crédibilité sur le comportement du demandeur ou sur des contradictions ou des incohérences figurant dans le témoignage du demandeur. En outre, le tribunal n'a pas conclu que le demandeur était un témoin peu digne de foi et il n'a pas rejeté carrément la preuve que le demandeur avait présentée. De fait, le tribunal semble avoir en bonne partie retenu la preuve du demandeur, mais il y a accordé peu d'importance parce qu'il préférait retenir la preuve documentaire qui, a-t-il dit, ne corroborait pas les prétentions de l'intéressé, en ce qui concerne les problèmes que lui posait le SRI.

[12]            Le premier exemple que le tribunal a donné se rapporte à la raison pour laquelle le demandeur croyait que le SRI avait interrompu les funérailles de son ami, Gabor Kis. Selon le témoignage du demandeur, M. Kis avait été tué par des agents du SRI après avoir été arrêté et détenu par le SRI avec deux autres personnes et le demandeur pendant une excursion de camping organisée par MADISZ.

[13]            Le tribunal a conclu que le demandeur avait omis d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que les hommes qui avaient interrompu les funérailles étaient des agents du SRI parce que, pour identifier ces hommes, le demandeur s'était fondé sur la façon dont ceux-ci étaient habillés, sur le fait que ces hommes ne lui avaient jamais dit qu'ils étaient des agents du SRI et sur le fait qu'il était invraisemblable que le SRI mette fin aux funérailles d'une personne qu'il avait arrêtée et qui, peu de temps après, avait été trouvée morte.


[14]            L'examen de la transcription n'étaye pas raisonnablement la conclusion du tribunal. Le témoignage que le demandeur a présenté sur ce point était tout à fait clair et il n'était pas ambigu. Cette conclusion omet plutôt de tenir compte de la totalité de la preuve que le demandeur a présentée au sujet de la raison pour laquelle il croyait avoir eu affaire à diverses reprises à des agents du SRI. Quant à la conclusion d'invraisemblance qui a été tirée, elle n'est pas fondée sur la preuve, mais sur une conjecture. En outre, ce qui est arrivé aux funérailles n'était pas crucial pour les fins de la revendication. Le point crucial se rapportait à l'arrestation du demandeur la veille au soir ainsi qu'à une série d'arrestations et de détentions dont le demandeur avait fait l'objet de la part du SRI, soit un élément de preuve que le tribunal n'a pas bien saisi. Ainsi, c'est à la suite de multiples arrestations et rencontres avec des agents du SRI que le demandeur a pu identifier les agents par leurs vêtements et par leur apparence.

[15]            L'embellissement dont le tribunal fait mention se rapporte aux renseignements que le demandeur lui avait donnés au sujet des circonstances dans lesquelles certains hommes qui, alléguait-il, étaient des agents du SRI, avaient mis le feu au chalet familial, incendie pendant lequel la mère du demandeur avait été gravement brûlée. L'embellissement, qui ne figurait pas dans le FRP et dans la déclaration faite au PE, selon le tribunal, était que le demandeur avait témoigné que des hommes avaient lancé des matières inflammables sur le toit et à la porte du chalet.

[16]            À mon avis, la façon dont le tribunal a qualifié la preuve ne pose pas de problèmes. Toutefois, le point crucial, en ce qui concerne la revendication, ne se rapportait pas aux circonstances dans lesquelles l'incendie s'était déclaré, mais se rapportait plutôt à l'allégation du demandeur selon laquelle le feu avait été mis par des agents du SRI, ce qui avait donné lieu au dépôt d'une plainte auprès de la police de la part du père du demandeur et à l'arrestation de son frère, ainsi qu'à des demandes de renseignements au sujet des allées et venues du demandeur, ce qui a amené celui-ci à fuir la Roumanie. Encore une fois, le tribunal n'a pas bien saisi l'histoire du demandeur.


[17]            Le tribunal a donné un autre exemple du caractère vague et embrouillé de la preuve relative à la raison pour laquelle le demandeur craignait le SRI et à la raison pour laquelle la famille du demandeur et le demandeur étaient expressément pris pour cibles. En réalité, le tribunal masque une conclusion relative à la preuve sous le couvert d'une conclusion de crédibilité fondée sur le caractère vague et embrouillé du témoignage. L'examen de la transcription montre que cette conclusion ne peut pas être maintenue parce que le tribunal dénature la preuve.

[18]            À mon avis, le tribunal a dénaturé la preuve pour les raisons ci-après énoncées :

(i)         le demandeur n'a pas répondu : [TRADUCTION] « Je ne le sais pas » lorsqu'on lui a demandé pourquoi il craignait le SRI; de plus, dire que le demandeur a parlé de son origine ethnique hongroise et du fait qu'il était catholique uniquement après qu'on l'eut encouragé à le faire constitue une interprétation erronée de la preuve;

(ii)       dire que, lorsqu'on a demandé au demandeur pourquoi le SRI s'en prenait expressément à lui, le demandeur répondu que c'était parce que ses parents étaient membres de l'UDMR, constitue une interprétation de la preuve qui n'est pas correcte; la question qui a été posée se rapportait aux raisons pour lesquelles le SRI prenait la famille du demandeur pour cible;

(iii)       le demandeur n'a jamais dit que le SRI le cherchait également à cause de son frère; la question qui a été posée visait à savoir quels étaient les problèmes auxquels le frère faisait face.

[19]            La conclusion tirée par le tribunal sur ce point est un autre exemple montrant que le tribunal n'a jamais bien saisi la preuve présentée par le demandeur.

[20]            Le dernier exemple donné par le tribunal nous amène à tirer une conclusion similaire. Le tribunal a conclu qu'il n'était pas en mesure de dire clairement pourquoi les autorités le cherchaient. La lecture de la transcription indique le contraire.


[21]            En résumé, le tribunal était tenu sur ce point d'examiner la preuve mise à sa disposition, de déterminer si la preuve était crédible et, dans l'affirmative, d'apprécier et de soupeser cette preuve ainsi que la totalité de la preuve dont il disposait. Or, le tribunal a omis de le faire.

[22]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision par laquelle le tribunal a refusé de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention est annulée, la revendication devant être réexaminée par un tribunal constitué différemment. Aucune question certifiée n'est soulevée.

     

                                                                                                                        « François Lemieux »                  

                                                                                                                                                    Juge                              

  

OTTAWA (ONTARIO)

LE 28 JUIN 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                                               IMM-3173-01

INTITULÉ :                                                              Otto Fenyak

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   le 13 février 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                        le 28 juin 2002

   

COMPARUTIONS :

M. John Hardy                                                           POUR LE DEMANDEUR

Mme Glennys Bembridge                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hardy et Hardy                                                          POUR LE DEMANDEUR

Saskatoon (Saskatchewan)

M. Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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