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Date : 20030526

Dossier : T-66-86A

                                                                                                   Référence : 2003 CFPI 665

ENTRE :

BERTHA L'HIRONDELLE, en son nom et au nom

de tous les autres membres de la bande indienne de Sawridge

                                                                                                                              demandeurs

                                                                    - et -

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                            défenderesse

                                                                    - et -

                     CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

            CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

                        et NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

                   ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

                                                                                                                              intervenants

                                                                    - et -

                                                                                                                                T-66-86B

ENTRE :

BRUCE STARLIGHT, en son nom

et au nom de tous les autres membres

de la bande indienne de Sarcee

                                                                                                                              demandeurs

                                                                    - et -

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                            défenderesse

                                                                    - et -


                     CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

            CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

et NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

                   ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

                                                                                                                              intervenants

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                       

LE JUGE HUGESSEN

[1]                En 1986, les demandeurs ont introduit les présents recours collectifs contre Sa Majesté, sollicitant un jugement déclaratoire suivant lequel une loi (souvent appelée projet de loi C-31), qui a modifié la Loi sur les Indiens, est inconstitutionnelle. De nouvelles règles sur les recours collectifs sont entrées en vigueur le 21 novembre 2002. L'ancien article 114, qui autorisait et régissait de tels recours a été abrogé et aucun autre article équivalent autorisant des recours collectifs n'a été adopté en remplacement. Les demandeurs n'ont pas demandé une autorisation à la Cour, en application des règles sur les recours collectifs.

[2]                Sa Majesté a introduit les présentes requêtes écrites demandant à la Cour d'enjoindre aux bandes indiennes demanderesses de demander que les présentes actions soient autorisées comme recours collectifs en application des nouvelles règles. Les intervenantes Association des femmes autochtones du Canada et Non-Status Indian Association of Alberta appuient la requête de Sa Majesté.


[3]                Les demandeurs sollicitent une ordonnance qui rejetterait la requête de Sa Majesté et donnerait des directives afin que l'action continue sous sa forme actuelle ou, comme mesure de rechange, que la bande indienne de Sawridge et la Première nation de Tsuu T'ina soient nommément désignées comme demanderesses dans chaque action.

[4]                Dans leur argumentation écrite, les demandeurs paraissent avoir modifié leur position et demandent maintenant que les actions ne continuent pas sous leur forme actuelle comme recours collectifs mais plutôt qu'elles soient modifiées afin que les bandes indiennes respectives deviennent demanderesses dans chaque action. Comme c'est le cas, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si les actions peuvent continuer sous la forme de recours collectifs en exerçant le pouvoir général de dispense prévu par la règle 55. Considérant la longue durée et le stade avancé des présentes actions, je n'exclurais certainement pas la possibilité d'exercer ce pouvoir dans la présente affaire mais, comme je l'ai dit, je n'ai pas besoin de statuer sur la question.


[5]                La question n'est donc plus de savoir si la Cour devrait accorder une dispense d'observation des nouvelles règles de recours collectifs en exerçant son pouvoir discrétionnaire, mais plutôt si elle devrait autoriser les demandeurs à modifier l'intitulé pour refléter le fait que les présentes actions ont été introduites par les bandes indiennes elles-mêmes. Si un tel résultat est justifié, l'alinéa 385(1)a) des Règles me donne clairement le pouvoir de rendre une telle ordonnance. Le paragraphe 299.22 des Règles peut également être mentionné bien que, à strictement parler, les présentes requêtes ne sollicitent pas en réalité une autorisation mais plutôt que les demandeurs soient obligés de demander une autorisation.

[6]                Dans leurs déclarations, les demandeurs sollicitent une déclaration d'inconstitutionnalité. Dans Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, au paragraphe 20, le juge Gonthier a écrit ce qui suit :

[...] il n'est pas nécessaire d'exercer un recours collectif pour obtenir une déclaration d'inconstitutionnalité et [...] il est donc en général peu souhaitable de suivre cette voie.

[7]                Le juge Campbell de la Cour supérieure de justice de l'Ontario est d'accord dans le jugement Perron c. Canada (Attorney General), [2003] O.J. No. 1348, aux paragraphes 98-99 :

[TRADUCTION] J'accepte l'avertissement énoncé dans Guimond, précitée, que lorsque l'inconstitutionnalité est alléguée « il est en général [...] peu souhaitable » de suivre la voie du recours collectif. Cette affirmation, à mon avis, n'écarte pas la nécessité d'examiner les circonstances d'une affaire en particulier.

Dans la présente affaire, non seulement la première question peut être examinée avec plus d'effectivité sans le recours collectif mais elle peut aussi l'être avec plus d'efficacité par la voie d'une action individuelle. Il semblerait plus simple de traiter du jugement déclaratoire sollicité s'il n'est pas surchargé de questions individuelles dans une instruction. Le coût d'un jugement déclaratoire semblerait substantiellement moins élevé que celui d'un recours collectif.


[8]                Bien que cette jurisprudence laisse penser qu'une action visant un jugement déclaratoire peut, dans certains cas, être introduite par voie de recours collectif, une telle façon de procéder sera l'exception plutôt que la règle. Il n'y a, après tout, aucune raison qu'une action qui sollicite seulement une déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative se poursuive comme un recours collectif vu qu'une déclaration d'inconstitutionnalité peut, en principe, être demandée par toute personne qui y a un intérêt certain.

[9]                La seule question qui demeure est celle de savoir si une bande indienne peut ester en justice en son propre nom. À l'origine, cette question n'était pas vraiment attaquée par Sa Majesté qui a cité Bande indienne Wewayakum c. Canada et bande indienne Wewayakai, [1992] 2 C.N.L.R. 177. Dans cette affaire, la Cour a décidé qu'en réalité une bande indienne pouvait ester en justice en son propre nom :

__Il me semble qu'il n'existe aucune raison logique de ne pas reconnaître aux bandes indiennes comme telles les mêmes droits de poursuite que ceux que possèdent, par exemple, les personnes morales et, pareillement, de ne pas les assujettir aux diverses obligations qui en découlent. Bien qu'aucune disposition législative générale ne le prévoie, le bon sens semble imposer cette conclusion. Je conclus donc que les bandes indiennes possèdent effectivement un statut spécial qui leur permet d'intenter, de continuer et de contester une action en justice. Il s'ensuit que ceux qui prétendent poursuivre au nom d'une bande doivent être prêts à démontrer qu'ils ont ce pouvoir dès que celui-ci est contesté. Il n'est évidemment pas nécessaire qu'une telle autorisation fasse l'objet de règles, de lois ou de procédures spéciales autres que celles que prescrivent les traditions, les coutumes et le gouvernement de la bande concernée.


[10]            Dans sa réplique, Sa Majesté paraît contredire sa première concession en émettant des réserves sur la capacité d'une bande indienne d'ester en justice en son propre nom. Elle soutient que les droits n'appartiennent pas à la bande indienne uniquement parce que ces droits sont collectifs. Elle cite l'arrêt Oregon Jack Creek Indian Band c. Canadian National Railway Co. (1989), 56 D.L.R. (4e) 404, à la page 410, dans lequel la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, examinant la question de savoir si l'action était personnelle ou oblique, a paru émettre des réserves sur la question de savoir si une bande était une personne juridique :

[TRADUCTION] À mon avis, c'est une erreur de conclure que les droits des peuples autochtones appartiennent à une entité (qui manifestement n'existe pas aujourd'hui) et de ne pas tenir compte du fait historique que les droits sont collectifs et qu'ils appartiennent aujourd'hui aux descendants des personnes qui les avaient à l'origine. Ils ne sont pas des droits individuels au sens où ils existent indépendamment de la communauté, mais ils sont individuels dans le sens qu'une violation de droits collectifs affecte la jouissance de ces droits par le membre individuel. Les individus qui représentent toutes les autres personnes qui peuvent revendiquer ces droits doivent avoir qualité pour agir si une revendication doit être faite. Soutenir que seule la nation peut faire la revendication revient en réalité à soutenir qu'aucune revendication ne peut être faite.

[11]            Dans la même affaire (Bande indienne Oregon Jack Creek c. C.N. (no 2), [1990] 1 R.C.S. 117, aux pages 118-119), cependant, la Cour suprême du Canada a dit clairement que l'affirmation qui précède était une opinion incidente et a refusé de statuer sur la question dans le contexte de l'affaire qui lui était soumise :

En statuant sur ces questions, la Cour d'appel est allée au-delà de la question restreinte dont elle était saisie -- celle de savoir si les actes de procédure étaient nettement invalides.__À notre avis, il est prématuré de se prononcer sur ces questions en l'absence de preuve à cette étape initiale de l'action.__Comme les conclusions de la Cour d'appel sur ces questions se présentent sous forme d'opinions incidentes et comme nous concluons non pas que la Cour d'appel a eu tort de les tirer, mais simplement qu'il ne convient pas de statuer sur ces questions pour l'instant [...]


[12]            En refusant précisément de se prononcer sur cette question, la Cour suprême du Canada l'a laissée ouverte. Je n'interprète cependant pas non plus le jugement de la Cour d'appel de la C.-B. dans l'affaire Oregon Jack comme signifiant qu'une bande indienne ne peut jamais introduire une action en son propre nom. À la page 409 de la décision, la cour a dit :

[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire dans cette affaire de décider dans quelles situations la bande peut être considérée comme une personne juridique aux fins de l'introduction d'une action. Il suffit de remarquer qu'un recours collectif peut être introduit par les membres du conseil de bande [...] ou par un chef d'une bande pour lui-même, et la majorité de sa bande. [...]

La question dans la présente affaire n'est pas de savoir si une bande, représentée par les membres de son conseil, peut introduire une action pour violation du droit de propriété, mais si le chef d'une bande[...] peut introduire un recours collectif en son propre nom et au nom de tous les autres membres de la bande pour faire valoir leurs droits collectifs.

[13]            Dans le contexte de cette affaire, je crois que la Cour d'appel disait que, bien que les droits soient collectifs, des membres individuels de la bande peuvent quand même les faire valoir. Elle ne disait pas que la bande ne peut pas introduire sa propre action. À mon avis, la décision Wewayakum clarifie cette dernière question en énonçant clairement qu'une bande, en tant que personne juridique, peut ester en justice en son propre nom. Avec égards, cela me semble énoncer le bon droit et relever du bon sens. Sous réserve de ce qui est dit plus loin, cela correspond bien aux réalités des présentes affaires.


[14]            Sa Majesté soutient en outre qu'il ne serait pas approprié de désigner nommément les bandes comme demanderesses, vu que les présentes actions n'ont pas été introduites au nom des bandes en général; elles l'ont plutôt été au nom d'un sous-ensemble des bandes. Je crois que Sa Majesté affirme essentiellement que, vu que les individus qui ont des droits acquis sont membres de la bande en application de la Loi sur les Indiens, les présentes actions ont été introduites pour le compte de quelques membres seulement de la bande, puisqu'elles n'ont certainement pas été introduites pour le compte des membres qui n'ont acquis leur qualité de membre qu'en vertu du projet de loi C-31. Ainsi, soutient-on, vu que seulement un sous-ensemble de la bande a introduit l'action, il serait inapproprié de désigner nommément les bandes, dans leur totalité, comme demanderesses.

[15]            La question de savoir qui exactement est membre de la bande est la question précise du litige : les modifications apportées à la Loi sur les Indiens, qui visent à conférer à certains individus un droit acquis à la qualité de membre d'une bande, sont-elles inconstitutionnelles? La Cour a récemment rendu un jugement interlocutoire dans l'affaire Sawridge afin que les personnes ayant des droits acquis à être membres de la bande soient ajoutés à la liste en attendant le jugement définitif. En conséquence, si la bande était désignée comme demanderesse dans la présente affaire, ce ne serait manifestement pas en accord avec la volonté de chacun des membres de la bande. Toutefois, à mon avis, la question de savoir si la bande représente tous les membres de la bande n'est pas pertinente, vu que les bandes ne poursuivent pas en qualité de représentantes, mais qu'elles poursuivent en leur propre nom. La situation est analogue à celle où une bande poursuit un de ses membres directement. Vu qu'il est déjà établi qu'une bande peut introduire une action, le fait que tous les membres de la bande peuvent ne pas être d'accord n'est tout simplement pas pertinent. Peu de personnes morales agiront en tout temps d'une manière qui répond à l'approbation unanime de leurs membres.


[16]            Pour ces motifs, je conclus que les requêtes de Sa Majesté devraient être rejetées, mais que les actions devraient continuer avec des intitulés modifiés qui désignent dans chaque action la bande pertinente ou la première nation comme demanderesse.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                       AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

DOSSIERS :                           T-66-86A et T-66-86B

INTITULÉ :                            Bande indienne de Sawridge

c.

La Reine et al. et

Première nation Tsuu T'ina

c.

La Reine et al.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER EN APPLICATION DE L'ARTICLE 369

DES RÈGLES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 MAI 2003                                 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Philip Healey, Martin Henderson                        POUR LES DEMANDEURS

Kathleen Kohlman, Janell Koch                         POUR LA DÉFENDERESSE SA MAJESTÉ

Michael Donaldson                                            POUR L'INTERVENANTE NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

Mary Eberts                                                      POUR L'INTERVENANTE ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Aird & Berlis

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LA DÉFENDERESSE SA MAJESTÉ


Burnet Duckworth Palmer

Calgary (Alberta)                                               POUR L'INTERVENANTE NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

Eberts Syms Street & Corbett

Toronto (Ontario)                                              POUR L'INTERVENANTE ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

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