Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20210824


Dossier : T-1028-21

Référence : 2021 CF 867

Ottawa (Ontario), le 24 août 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

MARC-ANDRÉ ROUET

demandeur

et

Administrateur général (Ministère de la Justice)

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le défendeur cherche à obtenir une ordonnance pour transférer cette demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale. La demande porte sur une décision du 1er juin 2021 de Steven B. Katkin, membre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF), portant la référence neutre 2021 CRTESPF 59 [la Décision]. Puisque la CRTESPF est identifiée à l’alinéa 28(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7 [la LCF] en tant que tribunal sous le pouvoir de surveillance de la Cour d’appel, le défendeur soumet que cette dernière a compétence exclusive de traiter la demande.

[2] Le demandeur, pour sa part, prétend que la Décision n’est pas une décision de la CRTESPF, mais plutôt d’un membre de cet organisme n’agissant pas au nom de la CRTESPF. Il cite plusieurs décisions de cette Cour et de la Cour d’appel qui ont fait une distinction entre les décisions de la CRTESPF et les décisions des membres de la CRTESPF agissant comme arbitres de grief.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande du défendeur est accordée et la présente demande est transférée à la Cour d’appel. Des amendements apportés à la LCF en 2013 ont ajouté à l’article 28, et donc à la compétence exclusive de la Cour d’appel, la surveillance sur les arbitres de grief au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, ch 22, art 2 [la LRTSPF] : LCF, art 28(1)i.1). Par conséquent, la qualification de la Décision en tant que décision de la CRTESPF ou en tant que décision de M. Katkin agissant comme arbitre de grief n’a plus d’effet sur la compétence de cette Cour. D’une façon ou de l’autre, la Cour d’appel a la compétence exclusive de connaître cette demande de contrôle judiciaire.

[4] Puisque la Cour fédérale n’a pas compétence sur la demande, je n’accorde pas la deuxième demande du défendeur, soit une ordonnance modifiant l’intitulé en substituant le Procureur général du Canada comme défendeur, en vertu de l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Cette dernière question doit être déterminée par la Cour d’appel.

II. Analyse

A. Loi sur les Cours fédérales

[5] L’article 18 de la LCF octroi à cette Cour la compétence exclusive, en première instance, pour connaître de toute demande de réparation de la nature d’injonction, de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral, c’est à dire, pour connaître de toute demande de contrôle judiciaire visant un office fédéral. Cette compétence, par contre, est expressément « sous réserve de l’article 28 ». Ce dernier confère à la Cour d’appel fédérale la compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant un des 16 offices fédéraux identifiés à l’article 28(1). Pour les fins de cette demande, les alinéas suivants sont pertinents :

Contrôle judiciaire

Judicial review

28 (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

237 (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

[…]

[…]

i) la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral visée par le paragraphe 4(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral;

(i) the Federal Public Sector Labour Relations and Employment Board referred to in subsection 4(1) of the Federal Public Sector Labour Relations and Employment Board Act;

i.1) les arbitres de grief, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral;

(i.1) adjudicators as defined in subsection 2(1) of the Federal Public Sector Labour Relations Act;

[…]

[…]

[6] Lorsque la Cour d’appel a compétence en vertu de l’article 28, cette Cour n’en a pas : LCF, art 28(3).

B. La Décision faisant l’objet de cette demande

[7] La Décision a été rendue par un membre de la CRTESPF. L’en-tête du document indique que l’affaire était « [d]evant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral » et identifie le décideur comme « Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral » [je souligne]. Le défendeur prétend que la Décision est une décision d’une formation de la CRTESPF et que les décisions de la CRTESPF peuvent être contrôlées uniquement par la Cour d’appel, citant l’alinéa 28(1)i) de la LCF.

[8] Néanmoins, il y a des indications que la Décision de M. Katkin a été rendue dans sa capacité d’« arbitre de grief » et non pas dans le cadre d’une formation de la CRTESPF. Selon l’alinéa 2 de la LRTSPF, un arbitre de grief est « [l]a personne ou le conseil d’arbitrage de grief à qui est renvoyé un grief en application des alinéas 223(2)a), b) ou c) » de la LRTSPF.

[9] La Décision indique qu’elle porte sur une « [a]ffaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage ». Elle confirme que le demandeur a présenté un grief au sujet de son renvoi en cours de stage et qu’il a renvoyé son grief à l’arbitrage le 30 septembre 2011 : Décision aux para 2–4. La question devant M. Katkin concernait sa compétence pour entendre le grief, étant donné les dispositions de l’article 211 de la LRTSPF : Décision aux para 7, 13, 283. Une telle décision a été décrite par la Cour d’appel fédérale en tant qu’une décision prise par un arbitre de grief, même si l’arbitre de grief s’est désigné et a signé sa décision en tant que membre de la CRTESPF (ou son prédécesseur) : Sincère c Canada (Procureur général), 2005 CAF 103 aux para 3–6.

C. La compétence au sujet des décisions faites selon la LRTSPF

[10] Dans l’affaire Beirnes, le juge Rothstein, alors qu’il était de cette Cour, a examiné les dispositions similaires de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC (1985), ch P-35. Le juge Rothstein a expliqué que les membres de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), prédécesseur de l’actuelle CRTESPF, peuvent agir comme arbitres de grief : Beirnes c Canada (Conseil du Trésor), [1993] FCJ No 970 aux para 4–8. Il a conclu que les décisions des membres de la CRTFP dans leurs capacités d’arbitres relèvent de la compétence de cette Cour et non pas de la Cour d’appel : Beirnes aux para 10–11.

[11] En réponse à la requête du défendeur, le demandeur cite Beirnes et Sincère, ainsi que d’autres décisions de cette Cour et de la Cour d’appel au même effet : Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1027 au para 6; Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117 aux para 6–7, 9; Frève c Canada (Procureur général), 2000 CanLII 15060 (CF). Il soumet donc que la Décision n’a pas été rendue par la CRTESPF et que l’alinéa 28(1)(i) ne s’applique pas.

[12] La difficulté principale avec les soumissions du demandeur est que les arrêts cités ont été décidés avant que la LCF soit modifiée en 2013 ajoutant l’alinéa 28(1)i.1) : Loi n° 2 sur le plan d’action économique de 2013, LC 2013, ch 40, art 439. Cet alinéa confère aussi à la Cour d’appel fédérale la compétence de contrôler les décisions des arbitres de grief au sens de l’alinéa 2 de la LRTSPF. Le résultat est que la Cour d’appel a compétence exclusive de contrôler la Décision si le décideur agit à titre d’arbitre de grief de la CRTESPF ou d’une formation de la CRTESPF, et même si le défendeur ne cite pas l’alinéa 28(1)i.1). Il est à noter que dans les arrêts cités par le demandeur, la Cour a conclu que la décision en cause a été rendue par un membre du tribunal agissant comme arbitre de grief (Beirnes au para 11; Sincère aux para 1, 5; Chamberlain au para 6; Rahman au para 6) ou comme le tribunal (Frève au para 3). Ils n’envisagent pas une troisième catégorie de décision.

[13] À cet égard, le demandeur soumet que l’expression « arbitre de grief » à l’article 2 de la LRTSPF ne s’applique pas en l’espèce. Tel qu’indiqué, un arbitre de grief est défini à cet article comme « [l]a personne ou le conseil d’arbitrage de grief à qui est renvoyé un grief en application des alinéas 223(2)a), b) ou c) ». Le demandeur argumente que les alinéas 223(2)a), b) et c) s’appliquent seulement aux « griefs de principe » aux termes des articles 220 à 222 de la LRTSPF et non aux « griefs individuels » aux termes des articles 208 à 214 de la LRTSPF. Le grief du demandeur est un grief individuel.

[14] Je ne peux pas accepter cet argument. Selon ma lecture, les articles 223 à 235 de la LRTSPF, qui portent sur la conduite de l’arbitrage des griefs, s’appliquent à tout grief, soit grief individuel, grief collectif ou grief de principe. Quand la loi veut spécifier un grief de principe, elle utilise le terme « grief de principe »: LRTSPF, arts 220–222.1. Par contre, l’article 223 utilise seulement l’expression « grief », tout comme les articles 224 à 235. Je note aussi que l’article 223 requiert que la partie qui a renvoyé un grief à l’arbitrage doit en aviser la CRTESPF en conformité avec les règlements. L’article 89 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 comprend les spécifications d’un tel avis pour les trois types de griefs, y compris les griefs individuels.

[15] Je conclus alors qu’un arbitre de grief à qui est renvoyé un grief individuel en application des alinéas 223(2)a), b) ou c) de la LRTSPF est un arbitre de grief, au sens du paragraphe 2(1) de la LRTSPF. Il est donc un arbitre de grief mentionné à l’alinéa 28(1)i.1) de la LCF. Je note à cet égard que dans l’arrêt Arsenault, la Cour d’appel a entendu et a accordé une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre de grief au sujet d’un grief individuel : Arsenault c Canada (Procureur général), 2016 CAF 179 aux para 1, 6, 16–18, 34.

[16] De toute façon, si l’article 223(2) ne s’applique pas, la CRTESPF est saisie du grief : LRTSPF, art 223(2.1). Dans les deux cas, l’article 28 de la LCF s’applique et cette Cour n’est pas compétente.

[17] La demande du défendeur est donc accueillie et cette demande de contrôle judiciaire est transférée à la Cour d’appel fédérale. Le défendeur n’a pas sollicité ses frais et aucuns ne sont accordés.

[18] Le défendeur demande aussi une ordonnance modifiant l’intitulé de cause en substituant le « Procureur général du Canada » comme défendeur au lieu de l’Administrateur général (Ministère de la Justice). Étant donné que cette Cour n’a pas compétence sur la demande, je renvoie cette demande à la Cour d’appel.


ORDONNANCE dans le dossier T-1028-21

LA COUR ORDONNE que

  1. Cette demande de contrôle judiciaire est transférée à la Cour d’appel fédérale.

  2. Aucuns frais ne sont accordés.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1028-21

 

INTITULÉ :

MARC-ANDRÉ ROUET c ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA JUSTICE)

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 août 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Marc-André Rouet

 

Pour LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Marc Séguin

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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