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Date : 20060126

Dossier : IMM-260-06

Référence : 2006 CF 80

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

BHUPINDER SINGH PANDHER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et

LE ministère de la Sécurité publique

et de la Protection civile du Canada

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Bhupinder Singh Pandher (le demandeur) demande à la Cour d'ordonner le sursis à son renvoi du Canada qui a été fixé au vendredi 27 janvier 2006.

[2]                Le demandeur est citoyen de l'Inde et de religion Sikh. Il a 45 ans. Il est arrivé au Canada le 27 juillet 2003, et il a fait une demande d'asile au début septembre de la même année, alléguant qu'il était persécuté par la police. Il prétend qu'il a été arrêté, détenu et torturé deux fois par la police, qui le suspecte d'être lié à des militants parce que l'un de ses chauffeurs de camion, Rangit Singh, a fui un poste de contrôle, abandonnant son camion dans lequel ont été trouvés des explosifs et des armes.

[3]                Dans la décision du 1er septembre 2004, la Section de protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile de M. Pandher et elle a aussi conclu qu'il n'était pas une personne à protéger. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible, en raison de contradictions, d'omissions et d'une documentation laissant à désirer, et elle était d'avis que le demandeur avait créé de toutes pièces son récit aux fins de sa demande d'asile.

[4]                M. Pandher a présenté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire à un juge de la Cour, qui l'a rejetée le 20 octobre 2004.

[5]                Le demandeur a ensuite présenté une demande d'examen des risques avant envoi (ERAR), qui a été rejetée le 14 décembre 2005. La demande de sursis est fondée sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR présentée par M. Pandher.

[6]                L'agente d'ERAR a suivi la procédure énoncée à l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiésselon lequel le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet. L'agente d'ERAR a aussi signalé qu'elle était disposée à évaluer un nouveau risque qu'a fait valoir le demandeur : le demandeur d'asile débouté qui rentre en Inde courrait le risque de subir des traitements cruels.

[7]                L'agente d'ERAR a examiné les éléments de preuve nouveaux suivants : les affidavits d'habitants de son village (Sarpanch) du 31 mars 2005, et certains articles de journaux. L'agente d'ERAR a déclaré que les auteurs de ces affidavits n'y exposaient pas de faits nouveaux, qu'ils se bornaient à y déclarer que la police recherchait toujours le demandeur parce qu'il n'y avait personne à son domicile. L'agente d'ERAR a dit qu'ils y déclaraient aussi que le demandeur était innocent et que la police établissait sans raison un lien entre le demandeur et les militants. L'agente d'ERAR a dit qu'elle n'accordait que peu de poids à ces documents puisqu'ils faisaient état de la situation du demandeur vis-à-vis de la police en termes très généraux et qu'il ne s'agissait que de l'opinion d'un conseiller munipal. Elle a conclu que les articles de journaux de 2005 portaient sur divers incidents concernant des Sikhs. L'agente d'ERAR était d'avis que ces articles n'étaient pas pertinents quant à la situation personnelle du demandeur.

[8]                L'agente d'ERAR s'est ensuite penchée sur des documents généraux émanant d'organismes publics : le Country Report on Human Rights Practices du Département d'État des États-Unis pour 2004, le World Fact Book publié en Inde en 2005, le Human Rights Watch World Report de 2005 concernant l'Inde, le rapport d'Amnesty International concernant les événements qui se sont produits en Inde de janvier à décembre 2004 et le India Country Report d'avril 2005 du Home Office du Royaume-Uni.

[9]                L'analyse de l'agente d'ERAR porte surtout sur le risque que la police perpètre des abus contre des militants ou des insurgés.

[10]            L'agente d'ERAR a conclu que des actes de violence se produisent toujours à l'occasion, pas exclusivement au Punjab, mais aussi dans toute l'Inde. Elle a conclu que, au Punjab, les disparitions qui avaient lieu systématiquement au début des années 1990 avaient pris fin et que la majorité des groupes d'opposition armés étaient inactifs à l'heure actuelle parce qu'il n'y a pas de terrorisme et parce que la situation s'était améliorée. Elle a convenu que la National Security Act permettait à la police de détenir les personnes dont elle considère qu'elles posent un risque à la sécurité publique n'importe où dans le pays, mais elle a conclu que la preuve ne montrait pas que le demandeur avait le profil d'une personne posant un risque pour la sécurité publique.

[11]            L'agente d'ERAR a mis en contraste la situation actuelle au Punjab avec celle qui prévalait au Jammu et au Cachemire, où des guérilleros séparatistes étaient en activité. Elle était d'avis que la situation s'améliorait dans cette région du pays. Elle a aussi conclu que si le demandeur se rendait dans des régions différentes dans le cadre de son entreprise de transports, il n'avait pas établi qu'il courait personnellement un risque dans la région du Jammu et du Cachemire.

[12]            L'agente d'ERAR a fait mention du Country Report on India du Royaume-Uni d'avril 2005, dans lequel était cité un rapport du UNHCR selon lequel les demandeurs d'asile indiens déboutés qui rentraient dans leur pays n'avaient pas de problèmes s'ils le faisaient avec des documents de voyage valides et s'ils avaient quitté l'Inde avec de tels documents; c'était le cas du demandeur, qui a quitté l'Inde avec un passeport valide jusqu'en 2012. Elle a aussi mentionné des documents publics indiquant que si les autorités indiennes apprenaient qu'une personne rentrant au pays était une demanderesse d'asile déboutée, il était probable qu'elles la mettraient en détention pour interrogatoire et qu'elles la remettraient ensuite en liberté, sauf si son comportement éveillait des soupçons ou si elle était recherchée par les services de sécurité indiens; ce n'était pas le cas du demandeur.

[13]            En ce qui concerne un autre point, la possibilité de refuge intérieur, l'agente d'ERAR était d'avis que les preuves émanant d'organismes neutres consultées disaient que, nulle part en Inde, les nouveaux venus provenant d'autres régions de ce pays faisaient l'objet de vérifications, mais que ces preuves reconnaissaient qu'une personne connue pouvait être retrouvée partout en Inde. Elle était d'avis que la preuve produite ne montrait pas que le demandeur était une personne connue. Le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur.

[14]            L'agente d'ERAR s'est prononcée ainsi sur la demande : [TRADUCTION] « vu la documentation d'organismes publics récente, le dossier d'immigration du demandeur, ses observations, la preuve documentaire produite et la situation actuelle en Inde, je conclus que le demandeur dispose de la protection de l'État, qu'il dispose d'une possibilité de refuge intérieur et qu'il n'y a pas suffisamment de preuves indiquant qu'il serait personnellement exposé à un risque s'il rentrait en Inde » .

[15]            Je suis d'avis que la présente demande de sursis doit être rejetée pour les motifs suivants.

[16]            Premièrement, l'avocat du demandeur (qui n'avait été saisi du dossier que depuis peu) a suivi une approche incorrecte dans la demande de sursis. À toutes fins pratiques, il a plaidé comme si je devais entendre la cause de novo, comme s'il n'y avait pas eu de décision de rejet de sa demande d'asile de la Commission ni de détermination de la part de l'agente d'ERAR. En effet, il a déposé plusieurs affidavits émanant de membres de sa famille, de ses voisins, d'habitants de Sarpanch et d'autres personnes. Tous ces affidavits ont été faits en janvier 2006 et ils n'avaient pas été produits devant la Commission ni l'agente d'ERAR lorsqu'elles ont rendu leur décision respective. En outre, il a produit deux nouveaux « country reports » , dont l'agente d'ERAR n'avait pas été saisie, afin de montrer que les preuves sur lesquelles l'agente d'ERAR s'était appuyée étaient périmées. Les nouveaux rapports sur la situation régnant dans le pays étaient les suivants : le numéro du printemps 2002 du Harvard Human Rights Journal et un rapport de l'ENSAAF publié en octobre de 2005, concernant la police au Punjab intitulé [TRADUCTION] « Comment créer de toutes pièces des terroristes par la détention et la torture » ).

[17]            Le droit est bien fixé : les preuves nouvelles dont le décideur n'avait pas été saisi ne sont pas admissibles devant la Cour dans le cadre d'une demande de sursis et de la demande de contrôle judiciaire de la détermination de l'agent d'ERAR.

[18]            Comme l'avocat du demandeur a soutenu avec vigueur que les documents figurant dans le dossier de requête établissaient clairement que le demandeur risquait la torture si le sursis ne lui était pas accordé, je les ai examinés soigneusement afin de voir s'ils démontraient que l'analyse, par l'agente d'ERAR, de la preuve documentaire dont elle avait été saisie, était incorrecte.

[19]            Je conclus que les documents produits par le demandeur ne remettent pas en cause la validité des conclusions de l'agente d'ERAR :

a)                                           L'étude de Harvard n'a que peu de pertinence parce qu'elle a trait à la situation en Inde au cours des années 1980 et 1990 et elle met l'accent sur l'impunité des auteurs de disparition à l'époque;

b)                                           Le rapport de l'ENSAAF est très récent et indique une augmentation des atteintes aux droits de la personne commises au nom de la sécurité nationale, c'est-à-dire de celles qui ont pour victimes des activistes à la suite des deux attentats à la bombe de 2005 à la Nouvelle Delhi. Les préoccupations énoncées dans ce rapport n'ont rien à voir avec le demandeur vu que la Commission a conclu que son récit relatif à son arrestation et aux tortures subies en raison de son chauffeur de camion n'étaient que des inventions;

c)                                           Je ne donne que peu d'importance aux affidavits émanant de membres de famille, d'amis et de voisins qui résident dans le village du demandeur. Ces affidavits suivent le même modèle et sont formulés de la même manière dans la plupart des cas.

[20]            Enfin, j'ai examiné les documents accompagnant la requête du demandeur dont avait été saisie l'agente d'ERAR et, plus précisément, le rapport de la mission d'enquête, afin de déterminer si ces documents contredisent les conclusions de l'agente d'ERAR. Je suis d'avis que tel n'est pas le cas.

[21]            Les documents du demandeur (voir son dossier aux pages 39 à 56) corroborent dans une grande mesure les conclusions de l'agente d'ERAR relatives à la situation actuelle au Punjab et au faible nombre d'arrestations de personnes pour leurs activités militantes. En outre, je suis d'avis qu'il n'y a rien à redire à l'appréciation par l'agente d'ERAR des articles de journaux dont elle avait été saisie et sa conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur. Sur ce dernier point, voir le paragraphe 8.7.1 du dossier du demandeur à la page 53.

[22]            Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n'a pas établi l'existence d'une question sérieuse à trancher, il n'a pas établi qu'il risquait de subir un préjudice irréparable et je suis d'avis que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre.

ORDONNANCE

            Pour ces motifs, la présente demande de sursis est rejetée.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-260-06

INTITULÉ :                                                                Bhupinder Singh Pandher

                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          PAR TÉLÉCONFÉRENCE

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 24 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                                LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                               LE 26 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Stewart Istvanffy                                                            POUR LE DEMANDEUR

1061 St-Alexandre, Pièce 300,

Montréal (Québec) H2Z 1P5

Lynne Lazaroff                                                              POUR LES DÉFENDEURS

200, boul. René-Lévesque ouest,

Montréal (Québec) H2Z 1X4

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stewart Istvanffy                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John Sims, c.r.                                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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