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Date : 20020508

Dossier : T-1388-98

Référence neutre : 2002 CFPI 528

ENTRE :

             QUADCO EQUIPMENT INC.

                                     demanderesse

                      - et -

                  TIMBERJACK INC.

                                      défenderesse

      MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]    Quadco Equipment Inc. (la demanderesse) est propriétaire du brevet d'invention canadien 2,084,013 (le brevet 013). Dans la présente action, elle accuse Timberjack Inc. (la défenderesse) de contrefaçon du brevet 013 en question. La demanderesse allègue plus précisément que trois modèles de dents de scie fabriqués et vendus par la défenderesse contrefont les revendications 1 et 5 de son brevet 013. Dans sa défense, la défenderesse nie toute contrefaçon et réclame, dans sa demande reconventionnelle, un jugement déclarant que chacune des revendications du brevet 013 est invalide et nulle.


[2]    Par la présente requête, la défenderesse sollicite le prononcé d'un jugement sommaire déboutant la demanderesse de sa demande et faisant droit à la demande reconventionnelle de la défenderesse.

LES FAITS

[3]    La demanderesse est une entreprise constituée en personne morale sous le régime des lois du Québec. Elle est titulaire du brevet 013, « Dent pour scie circulaire » , délivré le 1er novembre 1994 par le Bureau canadien des brevets. Le brevet porte sur une dent détachable de scie circulaire utilisée dans l'industrie du bois de sciage pour abattre les arbres.

[4]    La défenderesse est une société constituée en personne morale sous le régime des lois de l'Ontario. Elle fabrique et vend du matériel forestier. Elle nie avoir contrefait le brevet 013 et affirme que les revendications en litige ne sont pas valides.

[5]    Selon le brevet 013, M. Charles MacLennan est l'inventeur de la dent de scie en litige dans cette requête et il revendique l'utilisation de bords droits sur une dent de scie circulaire constituée de quatre surfaces de coupe en forme de V. La dent peut être façonnée en un seul matériau ou être munie de pièces insérées durcies fixées depuis les bords coupants.


[6]                 Le brevet 013 a été déposé au Canada le 27 novembre 1992. La demanderesse revendique une date de priorité qui coïncide avec celle du dépôt de la demande du brevet américain correspondant no 958,790, c'est-à-dire le 9 octobre 1992.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                 La présente requête en jugement sommaire soulève deux questions litigieuses :

            1)         La validité du brevet 013 soulève-t-elle une question sérieuse à juger?

            2)         Si le brevet 013 est valide, la question de savoir si l'une des dents de scie de la défenderesse contrefait le brevet 013 soulève-t-elle une question sérieuse à juger?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE LA DÉFENDERESSE

[8]                 La défenderesse soutient que, pour pouvoir décider s'il existe une question sérieuse à juger, le tribunal doit conclure qu'il existe par ailleurs une question de fait qui requiert que le tribunal procède également à une appréciation de la crédibilité dans le cadre d'un procès. S'il n'y a pas de questions de fait qui exigent une appréciation de la crédibilité, le tribunal doit accorder le jugement sommaire demandé. En l'espèce, la défenderesse invoque l'arrêt Guarantee Company of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423, (1999) 178 D.L.R. (4th) 1, à la page 10.


[9]                 La défenderesse soutient que les revendications du brevet 013 que la demanderesse l'accuse d'avoir contrefaites ne sont pas valides et que la demanderesse n'a par ailleurs aucun droit d'action à faire valoir contre elle. Plus particulièrement, la défenderesse affirme que M. Charles McLennan, président de la demanderesse et inventeur de la dent de scie, a admis lors de l'interrogatoire principal, qu'en avril 1992, il avait mis à la disposition du public des dents de scie qui tombaient sous le coup de la revendication du brevet 013. De plus, M. McLennan a déclaré que la défenderesse avait annoncé les dents en question en juin 1992 dans une revue professionnelle.

[10]            En conséquence, la défenderesse soutient qu'il y a eu divulgation précédente de la dent de scie et que les revendications de la demanderesse ne sont pas valides. Par ailleurs, la défenderesse soutient que sa dent de scie est différente de celle revendiquée par la demanderesse. La défenderesse a modifié le modèle de sa dent de scie en se basant sur le modèle d'origine mentionné ci-avant. La défenderesse soutient que sa dent de scie ne comporte pas de bords droits, un élément essentiel de chacune des revendications du brevet 013. La défenderesse soutient également que la demanderesse a reconnu lors de l'examen de la découverte qu'aucune des dents de scie produites par la défenderesse ne comportait de bords droits.


[11]            La défenderesse a dessiné l'objet du brevet 013 et l'a rendu public avant même que M. McLennan, le président de la demanderesse, n'ait conçu l'invention. La défenderesse a offert sa dent de scie en vente à une foire commerciale en avril 1992. Ce fait, ajouté à sa brochure commerciale, constitue une divulgation au public de la présumée invention, de sorte que l'objet en question a été mis à la disposition du public. L'article qui, selon ce qui est allégué, contrefait une des revendications du brevet a pour effet d'invalider cette revendication s'il est démontré que cet article est antérieur à l'invention revendiquée dans le brevet (voir le jugement Domtar Limited c. MacMillian Blodel Packing Limited, (1977), 33 C.P.R. (2d) 182, aux pages 188 et 189).

[12]            La défenderesse soutient que les bords droits constituent un élément essentiel de chacune des revendications du brevet 013. Aucune des dents qui contreferaient le brevet ne comporte de bords droits selon la défenderesse. Se fondant sur l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, la défenderesse soutient que, comme l'article qui contreferait le brevet ne possède pas la caractéristique essentielle que constituent les bords droits, il ne contrefait pas les revendications de la demanderesse.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE LA DEMANDERESSE


[13]            La demanderesse affirme que la défenderesse n'a pas fourni de preuve satisfaisante pour établir qu'il n'y a pas de question sérieuse à juger. Elle ajoute qu'il reste encore une foule de questions de preuve à résoudre, notamment en ce qui concerne l'argument que la revendication a été rendue publique avant la publication du brevet. Elle qualifie d' « imprécis » l'affidavit que M. Wildey a souscrit et sur lequel la défenderesse se fonde pour étayer son argument quant à la divulgation antérieure au public.

[14]            La demanderesse signale par ailleurs que, dans son affidavit, M. McLennan ne donne aucune date précise. Pour résumer, la demanderesse soutient qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve fiables pour étayer la thèse de la défenderesse et qu'en conséquence, le tribunal devrait passer en revue tous les éléments de preuve pour établir les dates précises.

[15]            En réponse à la question du bord « droit » , la demanderesse soutient que, à la comparaison des images, on voit un bord « coupant » sur les deux modèles de dent sans variation évidente dans la ligne. Dans le cas présent, l'idée d'un bord « droit » en comparaison à un bord « courbé » doit être interprétée non seulement en fonction du brevet mais également en fonction de l'antériorité. Autrement dit, la demanderesse soutient qu'il est nécessaire de regarder non seulement les modèles en les comparant l'un avec l'autre, mais aussi d'examiner si la dent de scie de la défenderesse est nouvelle par rapport à l'état antérieur de la technique.

[16]            En résumé, la demanderesse affirme que le tribunal doit entendre des témoignages d'experts pour déterminer si les dents de scie comportent un bord « droit » .


ANALYSE

[17]            Dans la présente requête en jugement sommaire, la question clé à trancher est celle de savoir s'il existe une question sérieuse à juger (voir l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. « Sarla » (Le), [1995] 3 C.F. 68, 184 N.R. 307 (C.A.) et le jugement Paige Innovations Inc. c. Noma Inc., (1997), 77 C.P.R. (3d) 194, 135 F.T.R. 277 (C.F. 1re inst.)).

[18]            Dans la présente requête, aucun affidavit n'a été produit par la demanderesse. La preuve présentée pour le compte de la défenderesse consiste en l'affidavit de M. Wildey et les pièces qui y sont jointes, de même que dans certains extraits de l'interrogatoire préalable de M. McLennan, avec pièces à l'appui. Parmi les pièces jointes extraites de l'interrogatoire préalable, il y a lieu de mentionner certaines des réponses fournies par la défenderesse à la demanderesse, dans le cadre du procès en contrefaçon de brevet qui a été entamé aux États-Unis d'Amérique.

[19]            Le premier moyen qu'invoque la défenderesse à l'appui de la présente requête est un moyen de procédure qui repose sur diverses dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée. La défenderesse affirme en particulier que sa présumée invention avait déjà été révélée au public, citant à l'appui l'alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, précité, et soutient que l'exception prévue à l'alinéa 28.2(1)a) ne s'applique pas en l'espèce.


[20]            La défenderesse affirme que la mise en vente au public de sa dent de scie à quatre surfaces de coupe en forme de V lors de la foire commerciale de Tifton en avril 1992, suivie par la publication de la brochure commerciale en juin 1992, constitue une divulgation au public de la présumée invention de la demanderesse avant que la demanderesse n'invente effectivement cet article.

[21]            Le problème que posent ces allégations tient à l'état de la preuve. La preuve soumise par la défenderesse n'est pas concluante en ce qui concerne la question de la publication antérieure. Cette preuve est principalement constituée des déclarations faites par M. McLennan lors de son interrogatoire principal et des interrogatoires écrits préparés par la défenderesse en réponse à la demanderesse dans le cadre du procès intenté aux États-Unis d'Amérique.

[22]            La preuve administrée lors de l'interrogatoire préalable et celle qui a été présentée lors des interrogatoires écrits sont similaires. Il s'agit de réponses données sous serment dans le cadre d'instances judiciaires, mais sans l'avantage d'un contre-interrogatoire. Elles ne montrent qu'un côté de la médaille. À mon avis, ce sont des questions qui portent sur la suffisance et la fiabilité de la preuve. Or, il vaudrait mieux que la question de la suffisance et de la fiabilité soit examinée lors d'un procès au cours duquel le juge du fond apprécierait la crédibilité des témoins.


[23]            Il ne suffit pas d'invoquer un moyen de procédure, en l'absence de preuves concluantes et catégoriques, pour mériter le prononcé d'un jugement sommaire. Je conclus que la défenderesse n'a pas produit d'éléments de preuve qui répondent à ces critères à l'appui de la présente requête.

[24]            En ce qui concerne le second moyen invoqué au soutien de la requête, en l'occurrence la non-contrefaçon de la défenderesse, la réponse à cette question dépend des caractéristiques de la dent de scie. Suivant la défenderesse, la revendication énoncée dans le brevet 013 parlait expressément et sans ambiguïté d'une dent de scie à bords « droits » . La défenderesse soutient qu'elle a présenté des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la demanderesse a déjà admis que les dents de scie n'ont pas de bords « droits » .

[25]            À mon avis, l'état des bords de la dent de scie est une question de fait qui doit être établie par des éléments de preuve. Je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve que la défenderesse a présentés jusqu'à maintenant satisfont au critère de l'existence d'une question sérieuse à juger. La défenderesse n'a par ailleurs présenté aucun témoignage d'opinion.

[26]            En conséquence, je ne suis pas convaincue que la défenderesse a démontré qu'en l'espèce, il n'y a pas de question sérieuse à juger.


[27]            À mon avis, les éléments de preuve présentés par la défenderesse ne sont pas concluants en ce qui concerne la question de la divulgation antérieure et de l'effet de l'article 28.2 de la Loi sur les brevets, précité, et au sujet des caractéristiques physiques de la dent pour démontrer qu'il n'y a pas de question sérieuse à juger.

[28]            La requête est rejetée. Le sort des dépens de la présente requête est réservé au juge du fond, qui tranchera définitivement la présente action.

  

                                           ORDONNANCE

La requête est rejetée. Le sort des dépens de la présente requête est réservé au juge du fond, qui tranchera définitivement la présente action.

   

                                                                                         « E. Heneghan »      

                                                                                                             Juge             

OTTAWA (Ontario)

Le 8 mai 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1388-98

INTITULÉ :                              Quadco Equipment Inc. c. Timberjack Inc.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 14 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :           Le 8 mai 2002

   

COMPARUTIONS :

Serge Fournier                                        POUR LA DEMANDERESSE

Brian Gray                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brouillette Charpentier Fortin                  POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Blake, Cassels & Graydon LLP                          POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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