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Date : 20050208

Dossier : IMM-4257-04

Référence : 2005 CF 200

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 8 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

MOHAMMAD SADFAR CHAUDHRY, ANOOD SADFAR CHOUDHRY,

OMERA SADFAR CHOUDHRY, OMER SADFAR CHOUDHRY,

GUL A RAANA, SALEM MOHAMMAD CHOUDHRY,

et AIYSHA SADFAR CHOUDHRY

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                L'épouse de Mohammad Sadfar Chaudhry, Gul A. Raana, et leurs cinq enfants sont des musulmans chiites et citoyens du Pakistan. M. Chaudhry était un musulman sunnite qui dit s'être converti au chiisme. Leur revendication du statut de réfugié se fondant sur la persécution religieuse a été refusée. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.


[2]                J'ai décidé d'accueillir la demande et de renvoyer l'affaire à une formation différemment constituée de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen. Un certain nombre de questions ont été soulevées. Je pense qu'il est important d'énoncer les motifs qui n'ont joué aucun rôle dans ma décision d'accueillir le contrôle judiciaire avant d'expliquer ceux sur lesquels elle se fonde.

[3]                Je n'accorde pas la demande pour des motifs de partialité, ni parce que la formation n'a pas établi de différence entre M. Chaudhry, d'une part, et le reste de la famille, d'autre part, non plus qu'en raison de la présumée omission de tenir compte des rapports psychologiques. J'accueille la demande parce que la formation a tiré des inférences manifestement déraisonnables au sujet de la crédibilité et qu'elle n'a aucunement tenu compte de la possibilité de refuge intérieur.

LE FONDEMENT DE LA REVENDICATION


[4]         M. Chaudhry est né dans une famille sunnite au Pakistan. Son épouse est chiite. Les cinq enfants ont été élevés dans la foi chiite. La famille a vécu pendant de nombreuses années en Arabie saoudite où le mari travaillait. En 1999, l'épouse de M. Chaudhry et ses enfants sont retournés à Lahore, au Pakistan, alors qu'il est demeuré en Arabie saoudite à cause de son emploi. Ils voulaient que leurs enfants fassent leurs études supérieures au Pakistan. La famille aurait été victime de harcèlement, d'humiliation et de discrimination et aurait reçu des menaces de la part des membres du Sipah-e-Sahaba (SSP), un groupe d'extrémistes sunnites.

[5]                En avril 2001, M. Chaudhry s'est converti à la foi chiite. Le 9 novembre 2001, pendant qu'il était en visite dans sa famille, son fils Omer et lui ont été battus par des hommes de main du molvi sunnite, qui les ont également menacés. Ils ont signalé l'incident à la police après avoir reçu les premiers soins, mais la police a refusé de faire quoi que ce soit. M. Chaudhry est retourné en Arabie saoudite et peu après son arrivée, il a appris que son fils avait été sauvagement battu et que ses filles étaient constamment importunées.

[6]                En février 2002, au cours d'une autre visite au Pakistan, M. Chaudhry et son fils Omer ont de nouveau été giflés, battus et menacés. Il est reparti pour l'Arabie saoudite avec son fils. Le 11 mars 2002, son épouse et les autres enfants ont été menacés par des fiers-à-bras du molvi et ils ont par la suite quitté leur maison. Le 23 mars 2002, tous les membres de la famille sont arrivés au Canada en passant par les États-Unis.

[7]                Après leur départ, M. Chaudhry a appris que les fiers-à-bras du molvi étaient retournés à sa résidence familiale et avaient déclaré qu'ils trouveraient tous les membres de la famille et les tueraient. Plus récemment, le molvi aurait prononcé une « fatwa » contre lui.


LA PARTIALITÉ

[8]         Ce n'est qu'à la septième audience prévue que la revendication a pu être entendue. Les retards sont dûs en grande partie au fait que les demandeurs ont changé d'avocats, à la nervosité de Mme Raana, et à l'évanouissement de l'une de ses filles. Le commissaire chargé de l'affaire s'est récusé. M. Chaudhry s'est plaint au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en soutenant que l'attitude dure du commissaire, les menaces non justifiées d'abandon des procédures et le harcèlement ont fait en sorte que sa femme a dû être traitée par un psychiatre pendant plus de six semaines. Le vice-président adjoint de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a examiné l'affaire, a écouté les bandes des audiences et a à juste titre rejeté la plainte en concluant que la conduite du commissaire était [traduction] « tout à fait appropriée, et il a exercé son obligation légale d'examiner la question de façon aussi informelle et aussi rapide que les circonstances et les principes de justice naturelle le permettaient » .

[9]                Le cas a été confié à un nouveau commissaire, M. Farid Osmane. Les demandeurs ont présenté une requête pour que le cas lui soit retiré parce qu'ils craignaient qu'il y ait apparence de partialité, même si M. Osmane n'avait pas lui-même de préjugé. Voici ce que M. Chaudhry avait à dire :

[TRADUCTION]

2.             Je suis chiite par conviction. Tous ceux qui m'ont persécuté au Pakistan sont des musulmans sunnites, y compris le mouvement Sipa-e-Sabaha du Pakistan, la police, etc...


3.             J'ai entendu dire que M. Farid OSMANE est algérien; au début, je me questionnais au sujet de sa religion, et j'ai appris qu'il est musulman sunnite. Dans mon esprit, cela change tout, je crains les musulmans sunnites et j'aurai à témoigner contre des extrémistes sunnites. Je crains de heurter les convictions religieuses du commissaire. Dans le contexte mondial actuel où la question des religions est extrêmement délicate, je ne peux me permettre de risquer d'irriter un musulman sunnite et de voir ma revendication refusée;

[10]            Les allégations de partialité sont très sérieuses étant donné qu'elles vont au coeur de notre système de justice, c'est-à-dire au droit à une audition équitable devant un décideur impartial. La Commission a catégoriquement rejeté la demande, sans fournir de motif. Les demandeurs prétendent que des motifs auraient dû être donnés et s'appuient sur la décision récente de ma collègue, la juge Mactavish, dans Bongwalanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 352, une affaire dans laquelle la juge a conclu que le commissaire aurait dû traiter du bien-fondé de l'allégation de partialité. Cette affaire ne s'applique pas en l'espèce. Dans l'affaire Bongwalanga, le commissaire avait fourni des documents préjudiciables au demandeur peu avant l'audience dans des circonstances qui remettaient son objectivité en question. En l'espèce, l'allégation de partialité ne porte pas sur ce que M. Osmane a fait, mais plutôt sur ce qu'il est, ou enfin sur ce que M. Chaudhry croit qu'il est.

[11]            La Commission, comme une société, agit par l'entremise de ses membres, des êtres humains. M. Osmane peut être un homme religieux, un agnostique ou un athée. Il peut être musulman sunnite, chiite, juif, catholique romain, chrétien orthodoxe, protestant, hindou, sikh, bouddhiste ou adhérer à n'importe quelle autre religion. La Cour ne le sait pas, ce n'est pas pertinent.

[12]            La norme au regard de laquelle on doit examiner une allégation de partialité a été énoncée par le juge de Grandpré, qui était dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

« [À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. [...]

[...] [L]es motifs de crainte doivent être sérieux.

On peut supposer que la Commission a jugé la prétention si excessive que son refus de retirer M. Osmane du cas n'exigeait aucune explication. Je suis d'accord avec elle. C'est ce que le juge Dubé dit dans Fogal c. Canada, (1999) F.T.R. 99 :

Les juges ne descendent pas du ciel. Ils proviennent de différentes sphères d'activité. Certains d'entre nous sont d'anciens professeurs, d'autres appartenaient à la fonction publique et d'autres ont exercé le droit dans de petites villes ou de grands cabinets d'avocats. Certains d'entre nous, encore, ont fait de la politique. La diversité des carrières personnelles de leurs membres constitue, pour les tribunaux, une source précieuse de connaissance et d'expérience. Quand nous avons prêté notre serment d'office, nous nous sommes coupés de notre passé et nous sommes consacrés à notre nouvelle vocation. Notre devoir est de rendre justice sans crainte et sans favoritisme.

Voir également José Pereira e Hijos S.A. c. Canada (Procureur général), 2004 C.F. 2738, le juge Gibson. Aucune personne sensée ne peut croire que la Commission refuserait le statut de réfugié parce que l'un de ses membres adhère à une religion qu'a délaissée le demandeur.


[13]            Les commissaires sont quelquefois critiqués pour leurs préjugés culturels canadiens et pour leur manque d'efforts à essayer de comprendre la situation des demandeurs. En l'espèce, M. Chaudhry s'appuie sur les préjugés religieux même auxquels il espère échapper. Son hypothèse n'est pas justifiée, et elle n'est pas appuyée par les faits. Il ne peut pas choisir la religion, si tant est qu'il en ait une, du commissaire qui se prononce sur son cas. Il a droit à l'égalité de traitement devant la Commission, ni plus ni moins. Bien que la situation qui suive ait été écrite à l'égard des juges, cette citation du Conseil canadien de la magistrature dans l'ouvrage Principes de déontologie judiciaire est tout à fait pertinente : si une personne « voit un préjugé là où aucune personne raisonnable, impartiale et bien informée ne voit aucun problème, elle n'a pas droit à un traitement différent ou particulier » .

UNE DÉCISION DISTINCTE POUR LES MEMBRES DE LA FAMILLE

[14]       Le commissaire n'a pas été persuadé que M. Chaudhry s'était réellement converti à la religion chiite. On avait fait valoir qu'une analyse distincte aurait dû être faite à l'égard de Mme Raana et de ses enfants, qui sont tous chiites, en s'appuyant sur le motif d'un mariage mixte. Toutefois, dans son formulaire de renseignements personnels, Mme Raana a simplement fait référence au FRP de son époux de sorte que le commissaire ne peut être critiqué pour ne pas avoir effectué une analyse distincte.

L'OMISSION D'EXAMINER LES RAPPORTS PSYCHIATRIQUES


[15]       Tous les membres de la famille ont été soigneusement examinés dans plusieurs rapports. Les médecins, et d'autres personnes, étaient tous d'avis que la famille craignait grandement de retourner au Pakistan. Toutefois, on a également noté qu'une bonne partie du stress découlait de l'incertitude du résultat des audiences au Canada et de ce qui était perçu comme une attitude sévère du premier commissaire, accusations qui ont à juste titre été rejetées par la Commission. Le commissaire a énuméré les évaluations dont il a tenu compte et qui ont été faites par des spécialistes de la santé au Canada et qui décrivent la façon dont les demandeurs présentaient différents symptômes d'angoisse, de dépression et de traumatisme émotionnel. Le commissaire dit ceci : « Malheureusement, les problèmes de santé des demandeurs ne constituent pas en eux-mêmes un motif de protection » . Il a tout à fait raison.

[16]            La crainte d'être persécuté doit être à la fois objective et subjective. Il n'appartient pas aux demandeurs de décider s'ils sont ou non des réfugiés au sens de la Convention. C'est la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui prend cette décision, et cette décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Je dois m'acquitter de mes fonctions d'une façon équitable et humaine, même si certains demandeurs montrent plus de prédisposition au stress que d'autres.

LES MOTIFS RETENUS POUR ACCUEILLIR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[17]       Cette demande doit être accueillie pour plusieurs motifs, et la question renvoyée à une formation différemment constituée pour nouvelle audition.


[18]            L'une de ces raisons porte sur le traitement d'un incident qui aurait eu lieu en mars 2002 quand M. Chaudhry et son fils Omer ont été battus et qu'ils ont été menacés par des fiers-à-bras du SSP. Comme le commissaire l'a noté à juste titre : « Cet événement est important puisqu'il expliquerait la fuite des demandeurs du Pakistan deux jours plus tard » . Le commissaire a jugé qu'Omer s'était montré vague et hésitant quand il a décrit les agressions dont il a soi-disant été victime, disant d'abord avoir été giflé sans plus, et adaptant ensuite visiblement son histoire en réponse à d'autres questions en affirmant qu'il avait reçu des coups de poing. Le récit n'était pas du tout vague. Il y a eu de la confusion, qui a été causée par des questions mal posées de la part du commissaire, qui interrompait constamment Omer, lui laissant à peine le temps de prononcer un mot. Finalement, il a dit : [traduction] « Maître, peut-être pourriez-vous poser la question. Peut-être que votre question sera mieux comprise » . La question de l'avocat était claire et la réponse a été claire. Dans ce contexte, il était manifestement déraisonnable pour le commissaire de dire que « le tribunal ne croit pas que le demandeur et son fils ont été battus par le SSP en mars 2002 » . Peut-être qu'ils l'ont été, et peut-être pas, mais les interruptions constantes de la part du commissaire n'ont pas permis à Omer de se faire entendre.

[19]            Le commissaire n'a pas cru que M. Chaudhry s'était converti à la foi chiite parce que la version initiale de son récit indiquait qu'il s'est converti le 18 avril 2001, qu'il a par la suite corrigé en disant que c'était le 8 avril 2001, au motif que la première date résultait d'une erreur typographique. Le commissaire a trouvé difficile d'imaginer qu'il aurait fallu des mois à ce demandeur vigilant pour la signaler. Pourtant, M. Chaudhry a donné une explication tout à fait plausible, et le commissaire prétendument vigilant a également fait des erreurs d'écriture.


[20]            La question de la possibilité de refuge intérieur a également été bâclée. Apparemment, il y a des quartiers chiites à Lahore et on a demandé à M. Chaudhry, qui est aisé, pourquoi il n'a pas fait emménager sa famille dans un de ces quartiers. Le commissaire n'a pas été convaincu de l'explication selon laquelle il ne pouvait pas faire déménager sa famille dans un quartier chiite quand ils avaient des difficultés en septembre 2001, et par conséquent « le tribunal doute que le demandeur et sa famille ont eu des problèmes avant septembre 2001 » .

[21]            C'est une conclusion tout à fait injustifiée. Le commissaire avait l'obligation d'examiner s'il était raisonnable pour les Chaudhry, dans leur situation particulière, de s'enfuir dans un endroit plus sécuritaire à l'intérieur du Pakistan. Aucun élément de preuve n'a été pondéré. (Sen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 2).

[22]            Le commissaire n'a pas cru non plus que M. Chaudhry avait appris qu'on l'avait déclaré délinquant religieux plusieurs mois après son départ, parce que son beau-frère s'occupait de sa maison et qu'il ne l'a informé d'aucune mesure prise par la justice pakistanaise. Le commissaire s'est dit d'avis que si une personne s'était enfuie, comme en l'espèce, la Cour publierait une proclamation devant être affichée sur la maison que cette personne habite ordinairement. Toutefois, la proclamation, que le commissaire a cité en entier, dit simplement que la Cour « peut lancer une proclamation » . Le fait que le beau-frère de M. Chaudhry n'ait pas été au courant des accusations ne justifie pas la conclusion du commissaire selon laquelle il n'y a pas eu d'accusation.

[23]            Il n'est pas nécessaire d'examiner les autres conclusions, ce qui ne veut pas dire qu'elles sont ou ne sont pas manifestement déraisonnables.


[24]            Les parties ont convenu qu'il n'y avait pas de question d'importance générale aux fins de la certification.

                                        ORDONNANCE

Le contrôle judiciaire de la décision de la formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 13 avril 2004, dans les dossiers numéros MA2-03767, MA2-03759, MA2-03760, MA2-03761, MA2-03768, MA2-03769 et MA2-03770, est accueilli. L'affaire est renvoyée à la Section pour qu'une nouvelle audition soit faite par une formation différemment constituée.

                                                                              « Sean Harrington »            

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4257-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         MOHAMMAD SADFAR CHAUDHRY, ANOOD SADFAR CHOUDHRY, OMERA SADFAR CHOUDHRY, OMER SADFAR CHOUDHRY, GUL A RAANA, SALEM MOHAMMAD CHOUDHRY

ET AIYSHA SADFAR CHOUDHRY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Dan M. Bohbot                                     POUR LES DEMANDEURS

Michel Pépin                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan M. Bohbot

Montréal (Québec)                                POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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