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Date : 20210923


Dossiers : IMM-5572-20

IMM-5575-20

IMM-5578-20

Référence : 2021 CF 991

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

Dossier : IMM-5572-20

ENTRE :

BALJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

Dossier : IMM-5575-20

ET ENTRE :

MANJIT KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

Dossier: IMM-5578-20

ET ENTRE:

GURLEEN ANGELA SINGH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le présent jugement porte sur trois demandes de contrôle judiciaire distinctes qui sont jugées ensemble : IMM-5572-20, IMM-5575-20, et IMM-5578-20.

[2] Les demandeurs, M. Baljit Singh, Mme Manjit Kaur, et leur fille, Gurleen Angela Singh sollicitent le contrôle judiciaire de décisions par lesquelles un agent des visas (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a refusé de leur accorder le statut de résident temporaire aux termes du paragraphe 22(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] Plus précisément, l’agent a refusé la demande de prolongation du permis de travail de M. Singh après avoir conclu que ce dernier ne se trouvait plus au Canada et qu’en conséquence, il ne répondait pas aux exigences du paragraphe 181(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le RIPR). Le refus de la demande de M. Singh a entraîné le refus des demandes présentées par Mme Kaur et par Gurleen.

[4] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que M. Singh ne vivait pas au Canada au moment de sa demande.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser la demande de M. Singh. En effet, l’agent a commis une erreur en fondant sa décision uniquement sur la demande d’autorisation de voyage électronique (la demande d’AVE) présentée par M. Singh et selon laquelle il vivait Italie, sans justifier sa décision au regard du formulaire IMM 5710 joint à la demande de prolongation du permis de travail de M. Singh, qui indiquait qu’il vivait au Canada. Je fais donc droit aux demandes de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. Les demandeurs

[6] Les demandeurs forment une famille. M. Singh est marié à Mme Kaur, et ils ont deux enfants, Gurleen, née le 30 août 2002, et Akashdeep (Akash), né le 11 octobre 1999, qui n’est pas partie aux présentes demandes. Les demandeurs sont tous citoyens italiens et résidents temporaires du Canada.

[7] En septembre 2014, les demandeurs et Akash sont venus en visite au Canada. En février 2015, M. Singh a obtenu un permis de travail l’autorisant à exercer le métier de travailleur agricole pour Daily Fresh Produce Ltd. à Abbotsford, en Colombie-Britannique. Mme Kaur s’est vu délivrer un permis de travail ouvert tandis qu’Akash et Gurleen ont reçu des fiches de visiteur à titre de personnes à charge accompagnant M. Singh.

[8] En mai 2017, M. Singh s’est vu délivrer un nouveau permis de travail, valide jusqu’au 20 mai 2019, l’autorisant à occuper le poste de superviseur agricole chez Mariposa Fruit Market Ltd. (Mariposa) à Keremeos, en Colombie-Britannique. Avant que le permis de travail de M. Singh n’arrive à expiration, Mariposa lui a offert de reconduire son contrat d’emploi.

[9] Le 14 mars 2019, M. Singh a présenté à IRCC une demande de prolongation de son permis de travail en s’appuyant sur l’offre de reconduction de son contrat d’emploi et sur l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable obtenue par Mariposa. Le formulaire IMM 5710 utilisé par M. Singh pour présenter sa demande désigne la Colombie-Britannique comme étant son lieu de résidence. La demande de M. Singh comprenait également les demandes de prolongation du permis de travail ouvert de Mme Kaur, de la fiche de visiteur d’Akash, et de celle de Gurleen, en tant qu’enfant à charge de M. Singh.

[10] Le 15 mars 2019, M. Singh s’est rendu en Inde avec Akash. Le 1er avril 2019, M. Singh a présenté une demande d’AVE afin d’obtenir l’autorisation de rentrer au Canada, dans laquelle il a inscrit la ville de Bergame, en Italie, comme lieu de résidence.

[11] Le 2 avril 2019, M. Singh est revenu au Canada avec Akash. À leur arrivée, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a interrogé M. Singh sur le but de sa visite et sur sa demande de permis de travail en cours de traitement. M. Singh et Akash ont été autorisés à entrer au Canada, et M. Singh y est resté depuis lors.

[12] Le 8 avril 2019 et le 5 juin 2019, IRCC a envoyé des lettres d’équité procédurale à M. Singh l’avisant de préoccupations relatives à sa demande d’AVE. M. Singh n’a pas répondu à ces lettres.

[13] M. Singh a demandé au bureau d’un député (le député) de lui servir d’intermédiaire auprès d’IRCC afin de savoir ce qu’il advenait de sa demande de permis de travail et des demandes présentées par les membres de sa famille. Le député a d’abord communiqué avec IRCC le 28 août 2019, puis à nouveau le 16 décembre 2019.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] Dans une décision datée du 15 octobre 2020, l’agent a refusé la demande de prolongation de permis de travail présentée par M. Singh depuis le Canada, au motif que ce dernier ne se trouvait plus au Canada et qu’en conséquence, il ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 181(2) du RIPR.

[15] Les conclusions de l’agent se retrouvent pour une bonne part dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas (SMGC), qui font partie des motifs de sa décision (Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 150 au para 19).

[16] L’agent a constaté que M. Singh avait présenté sa demande de permis de travail depuis le Canada le 14 mars 2019, qu’il avait ensuite quitté le Canada et déposé sa demande d’AVE, par l’entremise du bureau canadien des visas à Rome, afin de pouvoir rentrer au Canada le 1er avril 2019. L’agent a ajouté que M. Singh résidait en Italie au moment où il a présenté sa demande d’AVE, et que celle-ci avait été refusée le 24 juin 2019.

[17] Ayant refusé la demande de M. Singh, l’agent a également refusé celles des autres demandeurs. En effet, l’agent a débouté Mme Kaur de sa demande de prolongation de son permis de travail ouvert au motif qu’elle ne répondait plus aux critères applicables à la dispense d’EIMT énoncés à l’alinéa 205(c)(ii) du RIPR et qu’elle n’était plus titulaire d’une EIMT valide. L’agent a également refusé la demande de prolongation du permis de visiteur de Gurleen , car elle n’était plus la personne à charge d’un travailleur étranger temporaire.

III. Question en litige et norme de contrôle

[18] À mon avis, la question déterminante aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si l’agent a commis une erreur en concluant que M. Singh ne vivait pas au Canada au moment où il a présenté sa demande de prolongation de permis de travail.

[19] Pour l’essentiel, les parties conviennent que la décision de l’agent doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 672 (Patel) au para 8, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 16‑17).

[20] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement qui la sous-tend et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[21] Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135). Dans le contexte des décisions rendues par les agents de visa, il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable étant donné les pressions énormes qu’ils subissent pour produire un grand volume de décisions chaque jour (Patel, au para 10).

[22] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les cours de révision doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, et, à moins de circonstances exceptionnelles, elles ne doivent pas modifier les conclusions de fait (Vavilov, au para 125).

IV. Cadre législatif

[23] L’article 179 du RIPR énumère les exigences auxquelles doit satisfaire un étranger pour obtenir un visa de résident temporaire:

Délivrance

Issuance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

(d) meets the requirements applicable to that class;

e) il n’est pas interdit de territoire;

(e) is not inadmissible;

f) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

(f) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

g) il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

(g) is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

[24] Aux termes de l’article 181(2) du RIPR, l’autorisation de séjourner au Canada à titre de résident temporaire peut être prolongée si l’étranger remplit toujours les conditions requises pour obtenir un visa de résident temporaire:

Prolongation

Extension

181 (2) L’agent prolonge l’autorisation de séjourner à titre de résident temporaire de l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, celui-ci satisfait toujours aux exigences prévues à l’article 179.

181 (2) An officer shall extend the foreign national’s authorization to remain in Canada as a temporary resident if, following an examination, it is established that the foreign national continues to meet the requirements of section 179.

[25] Comme l’autorisation accordée en vertu du paragraphe 181(2) porte sur la possibilité de rester au Canada, l’étranger doit résider au Canada à titre de résident temporaire pour être admissible à une prolongation.

V. Analyse

[26] L’agent a conclu que M. Singh n’avait pas droit à une prolongation de son permis de travail aux termes du paragraphe 181(2) du RIPR car il ne se trouvait plus au Canada.

[27] En contre-interrogatoire, l’agent a reconnu que, selon la politique d’IRCC, les étrangers qui demandent une prolongation de leur permis de travail sont autorisés à quitter le Canada et à y revenir pendant le traitement de leur demande, et que M. Singh était autorisé à entrer au Canada sans visa parce qu’il est citoyen d’un pays dispensé de visa.

[28] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en refusant la demande de M. Singh, car ni le paragraphe 181(2) ni l’article 179 du RIPR n’exigeait que M. Singh demeure au Canada en tout temps pendant le traitement de sa demande.

[29] En particulier, les demandeurs affirment que la décision de l’agent n’est pas justifiée compte tenu du formulaire IMM 5710 présenté par M. Singh pour solliciter une prolongation de son permis de travail, qui indique que la Colombie-Britannique est son lieu de résidence. Les demandeurs soutiennent qu’au vu de cet élément de preuve, l’agent a commis une erreur en concluant que le lieu où résidait M. Singh se trouvait à l’extérieur du Canada sur la base de sa demande d’AVE dans laquelle l’Italie est inscrite comme lieu de résidence. De plus, selon les demandeurs, le simple fait que le bureau des visas de Rome se soit prononcé sur la demande de M. Singh ne signifie pas qu’il réside en Italie. Les demandeurs soulignent que la demande a été faite en ligne et pouvait être traitée n’importe où dans le réseau d’IRCC.

[30] Le défendeur fait valoir que la décision de l’agent est justifiée au regard de la preuve. Il souligne qu’il incombait à M. Singh de fournir tous les renseignements pertinents permettant d’établir qu’il résidait au Canada (Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 (Sulce) au para 10). Au moment où l’agent a rendu sa décision, les renseignements les plus récents dont disposait IRCC concernant le lieu de résidence de M. Singh étaient contenus dans la demande d’AVE, qui indiquait que son lieu de résidence était l’Italie.

[31] Selon le défendeur, comme M. Singh s’était vu refuser une AVE, il n’était plus autorisé à revenir au Canada, car, bien qu’il fût citoyen d’un pays dispensé de visa, il devait néanmoins présenter une AVE valide pour rentrer au Canada. Le défendeur avance également que le 1er avril 2019 ou vers cette date, IRCC a conseillé à M. Singh de ne pas entreprendre de voyage au Canada pendant que sa demande d’AVE était en cours d’examen, mais M. Singh n’a pas informé IRCC de sa rentrée au Canada. Ainsi IRCC, qui n’était pas au courant de son retour, a continué à traiter sa demande d’AVE, même après qu’il soit revenu au pays.

[32] À mon avis, compte tenu du formulaire IMM 5710, la décision de l’agent n’est pas justifiée, ce qui la rend déraisonnable (Vavilov, au para 85).

[33] Les décideurs administratifs ne sont pas obligés de faire référence à chaque élément de preuve dont ils disposent. Toutefois, plus l’élément de preuve qui n’a pas été mentionné dans les motifs du décideur est important, plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion déraisonnable en omettant d’en tenir compte (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 731 au para 33, citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53, 1998 CanLII 8667 aux paras 16 -17).

[34] En l’espèce, le formulaire IMM 5710 rempli par M. Singh revêtait une importance capitale dans la démonstration du fait que ce dernier résidait au Canada, car la Colombie‑Britannique y était inscrite comme lieu de résidence. Certes, la demande d’AVE indiquait que M. Singh résidait en Italie, mais il s’agissait d’une demande distincte de la demande de permis de travail. Or, c’est le formulaire IMM 5710 qui forme la base de la demande présentée par M. Singh en vue d’obtenir la prolongation de son permis de travail, mais l’agent omet de se pencher de façon raisonnable sur cet élément de preuve dans sa décision.

[35] Selon le raisonnement suivi par l’agent, les informations contenues dans le formulaire IMM 5710 n’étaient plus pertinentes étant donné la demande d’AVE. Cependant, la demande d’AVE ne constitue nullement une preuve concluante que M. Singh ne résidait plus au Canada. L’agent a reconnu que, selon la politique d’IRCC, M. Singh était autorisé à quitter le Canada et à y revenir pendant le traitement de sa demande, ce que M. Singh a précisément fait. Certes, la demande d’AVE était postérieure au formulaire IMM 5710, mais l’agent ne disposait d’aucune preuve que M. Singh ne résidait plus au Canada puisque la demande d’AVE n’était pas probante. Je conclus donc que la décision de l’agent est déraisonnable.

[36] Les autres arguments des demandeurs ne me convainquent pas.

[37] Les demandeurs font observer que M. Singh, par l’entremise du député, s’est enquis auprès d’IRCC de l’évolution du traitement de sa demande. Les notes versées par l’agent dans le SMGC font état des demandes de renseignements, mais l’agent affirme qu’IRCC ne l’a pas avisé de celles-ci. Les demandeurs affirment que le fait qu’il y a eu des demandes de renseignements laisse entendre que M. Singh résidait au Canada, et qu’il était donc déraisonnable de la part de l’agent d’arriver à la conclusion contraire.

[38] J’estime que la décision de l’agent est raisonnable en ce qui concerne les demandes de renseignements faites par le député. Je conviens avec le défendeur qu’aucune preuve ne démontre que le député a informé IRCC que M. Singh vivait au Canada. Tout au plus, les demandes de renseignement permettent d’établir que M. Singh a continué de s’intéresser à sa demande, ce que l’agent ne conteste pas.

[39] Les demandeurs soutiennent en outre que la décision de l’agent n’est pas justifiée au regard des données sur les entrées et les sorties recueillies par l’Agence des Services frontaliers du Canada (ASFC). Ils affirment que, le 2 avril 2019, M. Singh est entré au Canada et a été interrogé par un agent de l’ASFC à son arrivée. Or, soulignent les demandeurs, depuis le mois de février 2019, les directives d’IRCC relatives au programme des entrées et des sorties permettent aux agents d’IRCC de faire des recherches directement dans le Système d’information sur les entrées et les sorties de l’ASFC à partir du SMGC. Les demandeurs soutiennent qu’il était donc déraisonnable que l’agent ne consulte pas les données sur les entrées et les sorties de M. Singh avant de rendre sa décision.

[40] Le défendeur fait valoir qu’il n’y avait aucune mention, dans les notes du SMGC, du fait que M. Singh était rentré au Canada en avril 2019. Il souligne en outre que, selon les lignes directrices du programme des entrées et des sorties, les données sur l’ensemble des passagers aériens ont commencé à être recueillies à partir de juin 2020. Or, M. Singh est arrivé au Canada en avril 2019, soit des mois avant la mise en œuvre des lignes directrices.

[41] J’estime que les demandeurs, en soutenant que l’agent aurait dû s’appuyer sur les données d’entrée et de sorties recueillies par l’ASFC, tentent indûment de faire porter ce fardeau au défendeur. L’agent ne disposait d’aucune preuve indiquant que M. Singh était rentré au Canada en avril 2019. Il incombait à M. Singh de fournir tous les renseignements pertinents susceptibles d’établir qu’il résidait au Canada (Sulce, au para 10). On ne pouvait raisonnablement demander à l’agent de rechercher des éléments de preuve pour le compte du demandeur, peu importe si l’agent avait la possibilité de le faire.

VI. Dépens

[42] Les demandeurs réclament les dépens au défendeur.

[43] Aux termes de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles), la Cour n’adjuge des dépens dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu de la LIPR que si elle constate l’existence de « raisons spéciales »:

Dépens

Costs

22 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

[44] Le critère permettant d’établir l’existence de raisons spéciales est rigoureux. Il comprend les situations où une partie agit de mauvaise foi ou d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée (Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 aux para 17‑23; Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 au para 7).

[45] À mon avis, il n’est pas justifié d’attribuer des dépens. En dépit de l’évaluation incorrecte de la preuve faite par l’agent, je ne suis pas convaincu que le défendeur a agi de façon inéquitable, oppressive ou inappropriée.

VII. Conclusion

[46] Je conclus qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser la demande de M. Singh. L’agent n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle M. Singh ne se trouvait plus au Canada au regard de la preuve démontrant le contraire. Ayant conclu que la décision de l’agent à l’égard de M. Singh était déraisonnable, je conclus que les décisions de l’agent à l’égard de Mme Kaur et de Gurleen sont également déraisonnables, puisqu’elles étaient fondées sur le refus d’accorder un permis de travail de M. Singh. Je fais donc droit aux présentes demandes de contrôle judiciaire.

[47] Il n’est pas adjugé de dépens.

[48] Les parties n’ont proposé aucune question à des fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-5572-20, IMM-5575-20 et IMM-5578-20

LA COUR STATUE que:

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’est certifiée.

  4. Une copie du présent jugement et des motifs sera versée dans les dossiers IMM‑5575-20 et IMM-5578-20.

« Shirzad A »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-5572-20

IMM-5575-20

IMM-5578-20

 

INTITULÉS :

BALJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

MANJIT KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

GURLEEN ANGELA SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION également appelé LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Harry Virk

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Erica Louie

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liberty Law Corporation

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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