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Date : 20020603

Dossier : T-1656-00

Référence neutre : 2002 CFPI 632

Ottawa (Ontario), le lundi 3 juin 2002

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                               DESNOES & GEDDES LIMITED

                                                                                                                                      demanderesse

                                                                          - et -

                                                 HART BREWERIES LIMITED

                                                                                                                                        défenderesse

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 31 janvier 2002, la Cour a conclu que le bien-fondé de certaines des accusations d'outrage au tribunal avait été établi dans le cas de M. Lorne Hart et de Hart Robinson Breweries Ltd. (HRBL), mais pas dans le cas de M. Ron Robinson. La Cour a ordonné que l'audience relative à l'outrage soit reprise à une date ultérieure et a précisé qu'elle recevrait alors d'autres observations au sujet de la peine qu'il convenait d'infliger à M. Hart et à HRBL, de même qu'au sujet des dépens, y compris les dépens à adjuger à M. Robinson.

[2]                 À la reprise de l'audience, la Cour a reçu des excuses écrites de M. Hart, de même que des documents complémentaires se rapportant à la question de la peine, et elle a entendu les observations de l'avocat de MM. Hart et Robinson et de l'avocat de la demanderesse.

[3]                 HRBL n'a jamais comparu lors de l'audience sur l'outrage, mais après le prononcé de l'ordonnance de la Cour, le 31 janvier 2002 et avant la reprise de l'audience, la Cour a reçu une lettre des avocats du syndic de la faillite de HRBL. Les avocats informaient la Cour que le syndic de faillite ne gérait et ne contrôlait pas HRBL au moment où les actes que la Cour avait jugés constituer un outrage au tribunal avaient été commis. Les avocats précisaient que, comme aucun des créanciers ayant des droits sur l'actif de la faillite de HRBL ne recevrait de dividendes, rien ne justifiait la comparution du syndic de la faillite de HRBL, [Traduction] « étant donné que le montant qui serait adjugé par le tribunal serait sans importance » .


[4]                 Après avoir reçu à la reprise de l'audience les excuses en question, de même que les éléments de preuve et les observations complémentaires des avocats, M. Hart a été informé qu'il serait condamné à une amende de 2 000 $ pour l'outrage au tribunal dont la Cour l'avait reconnu coupable. L'examen de la question des dépens et de celle des mesures à prendre au sujet de HRBL a été reporté à plus tard. Voici les motifs prononcés oralement par la Cour au sujet de l'amende infligée à M. Hart, ainsi que les motifs et la décision de la Cour en ce qui concerne HRBL et la question des dépens.

[5]                 Ainsi que la Cour l'a précisé à l'audience à M. Hart, l'existence d'une société démocratique repose sur le respect dont ses citoyens font preuve envers le principe de la primauté du droit. Pour ce faire, tous les moyens de contrainte de la Cour doivent être respectés, et c'est la raison pour laquelle la désobéissance à une ordonnance ou à un jugement de la Cour constitue un acte aussi grave. C'est pour cette raison que la Cour doit punir ceux qui désobéissent à ses ordonnances.

[6]                 La condamnation à une amende pour outrage au tribunal n'est pas une tâche facile. Je me suis inspirée des facteurs exposés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Cutter (Canada), Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada, Limited, [1987] 2 C.F. 557. Dans l'arrêt Cutter, la Cour a signalé que, lors de la détermination du montant de l'amende à imposer, le montant de l'amende doit être assez élevé pour rendre compte de la sévérité de la loi tout en étant « assez modéré pour démontrer la clémence de la justice » .


[7]                 Par ailleurs, l'amende ne doit pas être purement symbolique; elle doit être fonction de la capacité de payer de celui qui est reconnu coupable d'outrage au tribunal.

[8]                 J'ai accepté, au nom de la Cour, les excuses que M. Hart a offertes par écrit à la Cour et je les considère comme des excuses inconditionnelles.

[9]                 J'ai accepté aussi les assurances formelles de M. Hart suivant lesquelles il n'a pas agi consciemment dans le but de désobéir à une ordonnance de la Cour et qu'il croyait que le procès était entre les mains du président de la compagnie et de l'avocat de cette dernière.

[10]            Bien que j'accepte ses assurances, la conduite dont a fait preuve M. Hart en faisant fi d'un jugement qui lui avait été signifié était pour le moins insensée, en plus d'être répréhensible. M. Hart ne pouvait ignorer la portée et le sens de ce jugement et il ne pouvait s'en remettre aveuglément à d'autres personnes tout en agissant en violation des conditions de ce jugement.

[11]            Je suis par ailleurs convaincue que c'était la première fois que M. Hart faisait fi d'un moyen de contrainte de la Cour et je suis persuadée qu'il n'y avait et qu'il n'y a aucune raison de croire qu'il pourrait récidiver.


[12]            Finalement, j'ai également tenu compte des observations de son avocat au sujet de sa situation financière.

[13]            Compte tenu de tous ces facteurs, il convient à mon avis de condamner M. Hart à une amende de 2 000 $ et de lui accorder un délai pour la payer. Les modalités de règlement sont précisées dans l'ordonnance ci-jointe.

[14]            Pour ce qui est de HRBL, bien que l'amende que la Cour pourrait lui infliger risque de ne pas être payée, il n'en demeure pas moins qu'il est nécessaire de dissuader d'autres de commettre des actes semblables d'outrage au tribunal. Parmi les actes constituant un outrage au tribunal dont HRBL a été reconnue coupable, mentionnons le fait qu'elle a continuer à distribuer de la bière par l'entremise de la Régie des alcools de l'Ontario (la Régie) et de Brewers Retail Inc. en liaison avec les marques de commerce DRAGON'S BREATH, SOUFFLE DE DRAGON et le dessin d'un dragon, contrairement à l'interdiction explicite de notre Cour. Elle a exercé cette activité dans un but commercial et sur une longue période de temps, soit entre le 15 décembre 2000 et le 15 avril 2001. Bien que j'aie conclu qu'il ait incité directement ou indirectement HRBL à commettre ces actes qui constituent un outrage au tribunal, la situation de M. Hart est différente de celle de HRBL en ce sens que rien ne permet de penser que la vente par HRBL de son produit a procuré un avantage financier direct à M. Hart. La situation de M. Hart est également différente du fait qu'il a présenté ses excuses à la Cour, ce qui n'est pas le cas de HRBL.


[15]            Dans ces conditions, et compte tenu de la jurisprudence de notre Cour et notamment du jugement Coca-Cola Ltd. c. Pardhan, (2000), 5 C.P.R. (4th) 333 (C.F. 1re inst.), je considère qu'une amende de 4 000 $ constitue une sanction appropriée.

[16]            En ce qui concerne la question des dépens, lorsqu'elle fait droit à une demande d'ordonnance déclarant quelqu'un coupable d'outrage au tribunal, la Cour condamne habituellement la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse une somme raisonnable à titre de dépens extrajudiciaires. Cet usage illustre la philosophie de la Cour selon laquelle celui qui aide la Cour à faire exécuter ses décisions et à assurer le respect de ses ordonnances ne devrait pas être pénalisé sur le plan pécuniaire (voir, par exemple, le jugement Coca-Cola, précité, et la jurisprudence examinée par le juge en chef adjoint Lutfy).

[17]            Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a soumis à la Cour un mémoire de dépens d'un montant total de 52 652,85 $, qui représente des honoraires (TPS incluse) de 42 648,60 $ et des débours (TPS incluse) de 10 004,25 $. La demanderesse prie la Cour soit d'ordonner la taxation des dépens, soit d'adjuger une somme forfaitaire de 45 000 $ à titre de dépens à la place des dépens extrajudiciaires qu'elle pourrait adjuger.


[18]            En réponse, l'avocat de M. Hart a fait valoir que les dépens en question témoignent de l'inflexibilité de la demanderesse et d'une volonté de punir. Il affirme qu'en raison de l'offre de règlement qui a été faite et des démarches inutiles qui ont été entreprises en raison du défaut de la demanderesse de fournir tous les détails nécessaires au sujet des actes qui constitueraient un outrage au tribunal, la demanderesse ne devrait être condamnée qu'à 3 000 $ à titre de dépens. Il réclame par ailleurs une somme de 6 000 $ à titre de dépens pour le compte de M. Robinson.

[19]            La demanderesse affirme qu'une somme de 2 500 $ à titre de dépens à M. Robinson serait raisonnable.

[20]            L'offre de règlement dont l'avocat de M. Hart et de M. Robinson a fait mention a été faite une semaine avant la première audience relative à l'outrage et après le prononcé de l'ordonnance de justification. Dans cette offre, MM. Hart et Robinson ont tous les deux convenu d'être liés personnellement par l'injonction de la Cour et de consentir au prononcé d'une ordonnance rejetant la demande sans frais.

[21]            Cette offre des défendeurs était, dans le cas de M. Hart, moins favorable que ce que la demanderesse a finalement obtenu. Pour ce qui est de M. Robinson, parce que le bien-fondé des accusations d'outrage au tribunal n'a pas été établi et qu'il a en conséquence le droit d'obtenir que la demanderesse soit condamnée aux dépens, l'offre était plus avantageuse que le résultat que la demanderesse a obtenu.


[22]            Il est vrai, comme l'avocat de MM. Hart et Robinson le souligne, que, dans l'ordonnance de justification, les actes reprochés n'étaient pas suffisamment précisés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a fallu ajourner l'audience relative à l'outrage pour obtenir de plus amples précisions. Par la suite, il a fallu une journée pour entendre les témoignages et les observations des parties au sujet des accusations d'outrage au tribunal, et une demi-journée de plus pour recevoir les témoignages et les observations au sujet de la question de l'amende et des dépens.

[23]            Pour ce qui est du mémoire de dépens de la demanderesse, force est de constater qu'il manque de détails et que les services taxables n'y sont pas ventilés. Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet des honoraires et débours qui ont été effectivement facturés à la demanderesse.

[24]            Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'estime qu'il est dans l'intérêt des parties d'éviter les frais entraînés par la liquidation des dépens. En conséquence, les dépens seront fixés entre, d'une part, la demanderesse et, d'autre part, M. Hart et HRBL, à un montant qui remplacera les dépens extrajudiciaires raisonnables.


[25]            En l'absence d'éléments de preuve sur les honoraires et débours facturés à la demanderesse et compte tenu du fait que le mémoire de dépens n'est pas ventilé par services, qu'on y trouve la mention [Traduction] « recherche sur le fondement juridique de l'outrage au tribunal » , laquelle recherche ne devait pas, à mon avis, revenir à M. Hart et à HRBL, que le mémoire comprend les honoraires d'un second avocat qui n'étaient pas justifiés à mon avis vu la relative absence de complexité des faits et des questions juridiques, que des sommes sont réclamées pour des services non précisés fournis par des étudiants, des stagiaires et des étudiants en droit travaillant l'été, en plus des 92 heures facturées par l'avocat et l'avocat principal de la demanderesse, et compte tenu du fait que les questions en litige n'étaient pas complexes et qu'après l'audience sur la justification, seulement une journée et demie d'audience aurait suffi, j'en suis arrivée à la conclusion que la demanderesse devrait avoir droit à une somme forfaitaire de 40 000 $ à titre de dépens à la place des dépens extrajudiciaires raisonnables que la Cour pourrait adjuger.

[26]            Une question fondamentale demeure, celle de savoir si M. Hart et HRBL devraient être condamnés conjointement ou individuellement aux dépens en question.

[27]            Après avoir attentivement examiné les observations des avocats, il ne me semble ni équitable ni raisonnable de condamner conjointement M. Hart et HRBL aux dépens. La responsabilité devrait plutôt être partagée dans les proportions suivantes : 13 000 $ dans le cas de M. Hart et 27 000 $ dans le cas de HRBL.


[28]            J'en arrive à cette décision en raison du fait qu'il n'a pas été prouvé que M. Hart avait retiré un avantage monétaire et du fait qu'après l'audience de justification qui a eu lieu le 19 mars 2001, la demanderesse a choisi de poursuive HRBL malgré le fait que celle-ci avait déposé un avis de son intention de soumettre une proposition concordataire en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité le 18 avril 2001. Il ressort de la correspondance versée au dossier de la Cour que cette situation a été portée à l'attention de l'avocat de la demanderesse dans la lettre que le syndic de la faillite de HRBL a écrite le 7 mai 2001. Cette répartition des dépens correspond par ailleurs à la culpabilité respective des défendeurs dont il a été tenu compte dans l'amende qui leur a été imposée.

[29]            Pour ce qui est des dépens à adjuger à M. Robinson, il y a lieu de signaler que son avocat n'a soumis aucun mémoire de dépens.

[30]            Je suis convaincue que, comme il a réussi à démontrer le bien-fondé de sa thèse, M. Robinson devrait avoir droit à ses dépens, et je ne vois aucune raison de déroger au principe général que l'on trouve à l'article 407 des Règles pour décider de l'ampleur des dépens à adjuger.


[31]            Compte tenu du fait qu'un seul avocat représentait MM. Hart et Robinson et que la défense a été présentée comme une défense commune et qu'il semble que les frais ne puissent être imputables exclusivement à M. Robinson (aucune preuve n'a été présentée pour le compte de M. Hart ou de M. Robinson individuellement), il serait normalement raisonnable de condamner la demanderesse à payer à M. Robinson la moitié des dépens entre parties.

[32]            Le paragraphe 420(2) des Règles prévoit toutefois que, sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens entre parties jusqu'à la date de la signification de l'offre et que le défendeur a droit au double de ces dépens à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement. L'article 419 prévoit que l'article 420 s'applique, avec les adaptations nécessaires, au demandeur et au défendeur dans une demande.

[33]            Si j'applique ces principes et que je tiens compte du temps qui a été consacré relativement aux services taxables qui figurent dans les documents qui m'ont été soumis, j'estime raisonnable d'accorder en faveur de M. Robinson une somme forfaitaire de 6 000 $ à titre de dépens, au lieu de la somme prévue à l'article 407. Cette somme reflète ma conclusion que la somme de 3 000 $ correspond à peu près à la moitié des dépens. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire et compte tenu du montant de dépens auquel la demanderesse a droit contre M. Hart et HRBL, je ne vois pas la nécessité de condamner M. Robinson à payer des dépens à la demanderesse pour la période antérieure à l'offre de règlement.


[34]            Cette adjudication de dépens tient également compte du fait que la demanderesse n'a présenté aucune preuve à l'encontre de M. Robinson à l'audience. Je ne suis donc pas certaine que l'affaire aurait dû être poursuivie dans son cas.

ORDONNANCE

[35]            EN CONSÉQUENCE, PAR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE :

1.          QUE le défendeur Lorne Hart paye une amende de 2 000 $ dans un délai de 90 jours de la date de la présente ordonnance;

2.          QUE le défendeur Lorne Hart verse à la demanderesse la somme de 13 000 $ à titre de dépens dans un délai de 90 jours de la présente ordonnance;

3.          QUE la défenderesse Hart Robinson Breweries Ltd. paye une amende de 4 000 $;

4.          QUE la défenderesse Hart Robinson Breweries Ltd. verse à la demanderesse la somme de 27 000 $ à titre de dépens;


5.          QUE la demanderesse verse au défendeur Ron Robinson la somme de 6 000 $ à titre de dépens dans un délai de 30 jours de la date de la présente ordonnance.

    

                                                                                                                       « Eleanor R. Dawson »     

                                                                                                                                                      Juge                     

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

No DU GREFFE :                   T-1656-00

INTITULÉ :                           DESNOES & GEDDES LIMITED c. HART BREWERIES LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 2 avril 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :           Le 3 juin 2002

   

COMPARUTIONS :

Adam BobkerPOUR LA DEMANDERESSE

Serge AnissimoffPOUR LA DÉFENDERESSE

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & ParrPOUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Anissimoff & AssociatesPOUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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