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Date : 20031107

Dossier : IMM-5276-02

Référence : 2003 CF 1302

Ottawa (Ontario) le 7ième jour de novembre 2003

Présent(e) : L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                                               ALLA TCHERNIOUK

                                                                                                                                         Demanderesse

                                                                                  et

                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                            Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Alla Tcherniouk (la « demanderesse » ) est une citoyenne russe âgée de 43 ans qui fut refusée la reconnaissance comme réfugiée le 1er octobre 2002 par la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut des réfugiés, décision qu'elle veut casser par la présente demande de contrôle judiciaire.


[2]                 Le motif de persécution invoqué par la demanderesse est la violence conjugale: elle craint la persécution d'un homme dénommé Evgeney Ryabi, un client de la banque où elle travaillait dans la Direction des contrôles financiers et dont elle fit connaissance en octobre 1997.

[3]                 M. Ryabi aurait emménagé chez la demanderesse en juin 2000, après la séparation de celle-ci de son mari, mais, suite à plusieurs attaques, elle l'aurait chassé de l'appartement vers la fin août 2000.

[4]                 Le tribunal a jugé l'histoire de la demanderesse non crédible. Il a aussi conclu que l'État russe pouvait la protéger reconnaissant, cependant, que la preuve documentaire indiquait que les femmes, victimes de violence conjugale infligée par leurs époux, ne pouvaient compter sur la protection de la police mais que cette protection s'étendait cependant aux victimes de la violence non liée à la vie domestique.

[5]                 L'alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur la Cour fédérale autorise cette Cour d'annuler une décision d'un office fédéral si cette décision est fondée sur une conclusion de faits erronés, tirée d'une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose.


[6]                 Cette Cour a reconnu depuis longtemps « bien [qu'elle] ne soit généralement pas habilitée à intervenir dans des questions d'appréciation de la preuve, il en est autrement lorsque cette appréciation est elle-même basée sur des erreurs de droit ou des conclusions de faits manifestement erronées » (voir, Gracielome c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 463; Omorogbe c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] A.C.F. no 53; Sandhu c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] CFPI 653; Zalzali c. ministre de l'Emploi et de l'Immigration, CAF, dossier A-382-90).

[7]                 Après avoir entendu les parties, analysé la décision du tribunal et étudié le procès verbal, je constate que le tribunal a si mal interprété la preuve que l'intervention de cette Cour est nécessaire. Plusieurs constats de faits sont manifestement erronés et sont reliés à la fois aux conclusions du tribunal sur la crédibilité et sur la protection de l'État.

[8]                 J'énumère les erreurs suivantes et j'ajoute que la procureur de la défenderesse reconnaît l'existence de plusieurs de celles-ci.

[9]                 Le tribunal s'est mépris lorsqu'il a écrit à la page 4 de sa décision « le fait qu'elle ait attendu treize jours après le viol pour porter plainte » . La preuve est à l'effet qu'elle a porté plainte deux jours après le viol. Cette constatation erronée du tribunal a teinté de façon négative son analyse et son jugement de l'histoire de la crédibilité de la demanderesse.

[10]            Le tribunal a conclu à l'existence de la protection de l'État parce que selon lui, la violence que la demanderesse aurait subie ne constituait pas une violence conjugale résultat d'une union de fait et par conséquence les attaques étaient des crimes ordinaires que la preuve documentaire indiquait étaient enquêtés par la police russe.

[11]            Le tribunal a oublié cependant une conclusion subséquente à la page 4 où il est écrit « le fait que la première fois qu'elle se soit adressée à la police, elle l'a laissée sous l'impression qu'ils formaient un couple plutôt que de l'informer qu'il avait son propre appartement » . En autres mots, selon le tribunal, la police était sous l'impression qu'ils formaient un couple et donc, pour la police, ce n'était pas un cas de violence ordinaire mais de violence domestique ce qui explique d'après la preuve documentaire et la preuve personnelle la piètre façon dont la police russe a traité les plaintes de la demanderesse.

[12]            Le tribunal a mal interprété la preuve médicale (extrait du dossier médical, poste de secours médical no 7, cote P-4). À la page 5 de sa décision, le tribunal écrit « que les mesures décrites dans le document (cote P-4) ne sont en rien reliées à un des motifs de la Convention » . Si on lit l'extrait médical il est bien dit « elle a été agressée et rouée de coups le 17 août 2000 » .


[13]            Le tribunal reproche à la défenderesse « d'avoir attendu le lendemain pour porter plainte lors de ces deux premières attaques » (les attaques du 22 juillet et du 17 août 2000). Quant à la deuxième attaque, le tribunal ignore le témoignage de la défenderesse qui a indiqué (page 370, dossier certifié) qu'elle avait, immédiatement après l'attaque, rejoint la police à un service spécial. Quant à la première attaque, le tribunal ignore l'explication qu'a donnée la demanderesse, une explication qui m'apparaît tout à fait raisonnable.

[14]            Le conseiller de la demanderesse a soulevé plusieurs autres erreurs de faits dans la décision du tribunal:

(1) que l'ex époux de la demanderesse vivait avec elle jusqu'en janvier 2001;

(2) la confusion autour de l'avant et l'après du 3 janvier 2001;

(3) l'explication du délai de revendiquer au Canada;

(4) sur le temps consacré durant l'entrevue pour le rapport psychologique;

(5) sur le rôle de sa soeur;

(6) l'interprétation quant à l'enquête de la police et de leurs rapports;

(7) l'inexactitude de la réponse de la demanderesse sur la protection.

[15]            Ces erreurs sont plus ou moins importantes et certaines d'entre elles ne vont pas au coeur de la décision du tribunal. Cependant, elles démontrent l'inattention que le tribunal a donné à l'ensemble de la preuve et, conjuguée avec les erreurs déterminantes énumérées ci-haut, me portent à conclure que le tribunal a mal compris l'histoire de la demanderesse et que sa décision ne peut être maintenue.


                                                                     ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication de la demanderesse est retournée à la Section de la protection des réfugiés pour reconsidération par un tribunal différent. Aucune question certifiée s'impose.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                                                                                        

                                                                                                                                                            J u g e                


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           IMM-5276-02

INTITULÉ :                                        Alla Tcherniouk et MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

DATE DE L'AUDIENCE :              le 25 août, 2003

MOTIFS de l'ordonnance et ordonnance du juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                      le 7 novembre 2003

COMPARUTIONS :

Me Michel Lebrun                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Claudia Gagnon                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michel Lebrun                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Montréal, (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-Procureur Général du Canada


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