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Date : 20031030

Dossier : IMM-5873-02

Référence : 2003 CF 1264

ENTRE :

                                                                 YURIY TREMBLIUK

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                 Les présents motifs résultent de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié par laquelle la SPR a décidé que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La décision de la SPR est datée du 29 octobre 2002.


[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Ukraine âgé de dix-neuf (19) ans. Il a témoigné qu'à l'âge de treize (13) ans, il avait pris conscience de son homosexualité. À cet âge, il avait commencé à avoir des relations avec un autre jeune. Les relations avaient duré quelque quatre (4) années et avaient été consommées lorsque le demandeur a eu quinze (15) ans. Des jeunes gens dans sa communauté avaient appris son orientation sexuelle. En conséquence, ils l'ont harcelé et agressé physiquement. Les agressions physiques ont entraîné des fractures aux côtes, au bras et au nez. Le demandeur a été hospitalisé à plusieurs reprises. Il a témoigné qu'il avait reçu des menaces de mort, qu'il avait été victime d'un enlèvement par trois jeunes gens, qu'il avait été violé par deux d'entre eux et qu'il y avait eu un attentat à sa vie. Il a en outre témoigné que, lorsqu'il avait, à une occasion, signalé à la police la violence dont il avait été victime, il n'avait reçu aucune réponse lui offrant une protection.

[3]                 Le 28 juillet 2001, avec l'aide de sa mère ainsi que celle de sa marraine, qui vivait au Canada, il a quitté pour le Canada. À son arrivée au pays, il a présenté une demande d'asile.

[4]                 La SPR a conclu que le demandeur n'est pas crédible. Plus précisément, elle a conclu que le demandeur n'a pas une orientation homosexuelle.


[5]                 À la clôture de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai informé les avocats que j'accueillerais la demande sur le fondement que la SPR avait appliqué au demandeur un point de vue stéréotypé du style de vie et des préoccupations des personnes homosexuelles y compris le point de vue qu'un homme comme le demandeur, s'il était homosexuel, se dissocierait de l'Église catholique romaine et des écoles catholiques romaines, bien qu'il soit né catholique. La SPR a également adopté un point de vue stéréotypé sur la façon dont un prêtre de l'Église catholique romaine se comporterait en ce qui a trait à sa cohabitation et à ses rapports avec un jeune homme comme le demandeur dans le contexte actuel en Amérique du Nord. Sur ce dernier point, le demandeur a allégué qu'il résidait avec un prêtre de l'Église catholique romaine dans un appartement à deux chambres, avec le soutien de sa marraine, dans le but d'être proche de l'école catholique romaine qu'il fréquentait. La SPR a écrit :                                 

Je juge cette situation invraisemblable pour deux raisons. La première est que je ne crois pas qu'un prêtre risquerait sa réputation professionnelle en vivant dans un appartement de deux pièces avec un étudiant de dix-huit ans. Une personne raisonnable s'attendrait à ce que, étant donné le climat actuel en Amérique du Nord et, en fait, partout dans le monde concernant les agressions sexuelles commises à l'endroit de mineurs et de jeunes adultes par le clergé catholique, un prêtre ferait preuve d'une prudence raisonnable dans ses relations avec des jeunes sous sa responsabilité. Je ne crois pas que le demandeur habite dans un appartement de deux pièces avec le père Stepan, car je ne crois pas qu'un prêtre se comporterait de façon à risquer sa réputation professionnelle.

[6] La conclusion de la SPR que le demandeur n'avait pas une orientation homosexuelle était fondée sur ce qu'elle a considéré comme étant des invraisemblances, soit ne pas chercher à fréquenter la communauté homosexuelle à Toronto, ne pas savoir grand'chose de la Journée de fierté des lesbiennes et des gais à Toronto et fréquenter une école catholique romaine et, à l'occasion, l'Église catholique romaine. Le demandeur a témoigné que sa seule préoccupation à son arrivée au Canada était d'améliorer sa formation et de régulariser son statut au Canada.

[7]         L'avocat du défendeur a prétendu que les conclusions de la SPR relativement au style de vie et à la conduite des homosexuels ainsi qu'à l'attitude défensive des prêtres de l'Église catholique romaine étaient des conclusions d'invraisemblance du témoignage du demandeur et devaient en conséquence faire l'objet d'une grande retenue judiciaire. L'avocat du défendeur m'a renvoyé à l'arrêt souvent cité de la Cour d'appel fédérale, Aguebor c. Ministre de l'Emploi et l'Immigration[1], dans lequel le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié [l'organisme que la SPR a remplacé] a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [Non souligné dans l'original.]

Dans le même paragraphe, le juge Décary a continué en ces termes :

Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

Quant au renvoi à _ Giron _, il s'agit de Giron c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[2].

[8]    Vu les faits, je suis convaincu que les conclusions tirées par la SPR sont si déraisonnables qu'elles nécessitent l'intervention de la Cour. Ces conclusions sont fondées sur un profil stéréotypé qui ne peut tout simplement pas s'appliquer à toute personne ayant une orientation homosexuelle et à tous les prêtres de l'Église catholique romaine. Elles ne tiennent compte ni des arguments ni du témoignage vraisemblable fournis par le demandeur dans son explication.

[9]         C'est pour ces motifs que, à la clôture de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai informé les avocats que la demande serait accueillie.


[10]       Une autre question mérite quelques commentaires. La SPR disposait d'une évaluation psychologique du demandeur faite après l'arrivée du demandeur au Canada. La psychologue a conclu que, d'après elle, le demandeur souffrait de stress post-traumatique lorsqu'elle l'avait examiné.

[11]       Dans ses motifs, la SPR a écrit :

[...] je n'accepte pas ce diagnostic car je conclus que le témoin n'est ni crédible ni digne de foi.

[12]       S'il était loisible à la SPR de décider de la valeur, s'il y en avait une, à donner à l'évaluation faite par la psychologue, il ne lui était pas loisible de rejeter le diagnostic de la psychologue. Si la SPR est sans aucun doute un tribunal spécialisé, comme l'a fait remarquer le juge Décary dans les extraits de l'arrêt Aguebor, précédemment cités dans les présents motifs, elle n'est certainement pas un tribunal spécialisé dans le domaine de l'évaluation psychologique. L'avocat du défendeur a plaidé devant moi que les mots que j'ai cités relativement au fait de n'avoir pas accepté un diagnostic professionnel étaient, vraisemblablement, tout simplement une imprécision de langage; je suis convaincu qu'il n'est tout simplement pas loisible à la SPR d'avoir une telle _ imprécision de langage _. Cette conclusion n'est pas déterminante dans la décision d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.


[13]       À la clôture de l'audition de la présente affaire, lorsqu'ils ont été informés que la présente demande de contrôle judiciaire serait accueillie, aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. Je suis d'accord avec les avocats que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui justifie une certification. Aucune question ne sera certifiée.             

_ Frederick E. Gibson _

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 octobre 2003                  

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                    COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-5873-02

INTITULÉ :                                                        YURIY TREMBLIUK

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 23 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 30 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                                            POUR LE DEMANDEUR

Andrea Hammell                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)



[1]         (1993), 160 N.R. 315.

[2]         (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).


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