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Date : 20031001

Dossier : IMM-6333-02

Référence : 2003 CF 1135

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER                                   

ENTRE :

                                                         RAFAT MOHAMED AHMED,

                                                    LANA ABDOULKADER MOUSSA

                                                         et DALIA RAFAT MOHAMED

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 5 novembre 2002, par laquelle la Commission a décidé que le demandeur Mohamed Ahmed Rafat (le demandeur), son épouse et sa fille n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                 Le demandeur, son épouse et sa fille sont des citoyens de Djibouti. Le demandeur est le représentant désigné pour sa fille et son épouse fonde sa revendication sur celle de son mari.

[3]                 À partir de 1986, le demandeur a travaillé comme agent d'enregistrement pour Air France et il a été chef d'escale à partir de 1996. Il est détenteur d'une carte d'identité et d'un passeport français.

[4]                 Le demandeur prétend avoir été battu et détenu pendant 24 heures en 1993 après une réunion avec le président du Front Uni de l'Opposition Djiboutienne (FUOD) qui voulait regrouper tous les partis qui s'opposent au gouvernement; pendant trois jours lors du conflit au Yémen en 1994, il a été à nouveau détenu, interrogé et torturé, parce que les agents des services secrets yéménites étaient à la recherche de généraux en fuite et qu'il avait offert l'hospitalité à certains membres de sa famille qui étaient dans l'armée de l'air. En octobre 1997, il a été détenu pendant 24 heures, a été battu par les Services de sécurité et a été accusé d'être à la solde de la France parce que, dans le cadre de ses fonctions à l'aéroport, il avait empêché la police de faire une descente sur un défenseur français des droits de la personne.

[5]                 L'oncle du demandeur était lieutenant dans la garde présidentielle de Hassan Gouled. Le demandeur prétend qu'il a aidé son oncle à quitter Djibouti en août 1998.

[6]                 Le demandeur allègue que des agents de sécurité l'ont interrogé entre janvier et mai 2000 sur l'endroit où se trouvait son oncle. Lors d'une détention en mai, un des agents a pointé une arme sur la tête du demandeur bien que le demandeur n'ait pas mentionné cela dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[7]                 Le 24 juillet 2000, il est venu en vacances au Canada avec sa famille. Quelques jours plus tard, il est retourné à Djibouti pour aider ses parents âgés à retourner au Yémen. Le demandeur allègue que des agents l'ont encore interrogé le 12 août 2000 sur l'endroit où se trouvait son oncle et une fois encore ils lui ont pointé une arme sur la tête. Ce fait a été également omis dans son FRP.

[8]                 En octobre 2000, saisissant l'occasion d'un stage à Paris et d'un billet d'avion gratuit, le demandeur est venu au Canada et, le 14 octobre 2000, il a présenté une revendication du statut de réfugié.


[9]                 Essentiellement, la Commission a conclu que le comportement du demandeur l'année qui a précédé sa revendication du statut de réfugié était incompatible avec celui d'une personne qui craignait pour sa sécurité. Elle a conclu que l'explication donnée par le demandeur sur le fait qu'il n'a pas revendiqué le statut de réfugié en France, un pays dont il détient un passeport valide, était incompatible avec une crainte subjective de persécution. De plus, elle n'a pas estimé crédible que, malgré le fait que des agents des services de sécurité l'ont harcelé à Djibouti à partir des années 1980, l'ont détenu et lui ont pointé une arme sur la tête en mai 2000, le demandeur soit venu au Canada et soit retourné à Djibouti trois fois de suite avant de revendiquer le statut de réfugié.

[10]       Il est bien établi que la Commission peut tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur les contradictions et les incohérences contenues dans son récit, ou en se fondant sur un élément de preuve qui n'est pas vraisemblable. Lorsque de telles conclusions sont énoncées de façon claire et que des motifs sont exposés, la Cour ne devrait pas intervenir, même si la preuve pourrait, raisonnablement, justifier une conclusion différente. (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F)).

[11]       Cependant, l'omission de se référer aux documents pertinents en lien direct avec la question fondamentale entraînera la conclusion que le tribunal n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait.

[12]       Dans Atwal c. Canada (Secrétariat d'État) (1994), 82 F.T.R. 73, le juge Gibson a clairement précisé au paragraphe 10 :

Il va sans dire qu'un tribunal n'est pas tenu de parler, dans ses motifs de décision, de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le fait qu'un tribunal omette de le faire ne permet pas, dans des circonstances normales, de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toute la preuve produite. J'arrive toutefois à la conclusion que ce principe ne s'applique pas au défaut de faire mention d'un document pertinent qui constitue une preuve directement applicable à la question, fondamentale traitée dans la décision du Tribunal. [...]


[13]       Comme l'a fait remarquer le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question. Il a dit au paragraphe 17 :

[...] Plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il [disposait] : [...]. Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. [...]

[14]       Dans la présente affaire, le témoignage du demandeur est corroboré par une preuve documentaire crédible, plus précisément deux lettres, une de M. Alhoumekani lui-même et une du gouvernement de Djibouti en exil, affirmant que la famille de M. Alhoumekani, incluant le demandeur, avait été la cible de pressions et de menaces émanant du gouvernement de Djibouti.

[15]       Ces documents paraissent contredire carrément la conclusion de fait que la Commission a tirée et auraient dû être analysés dans les motifs de la décision qu'elle a rendue. Je tire de cette omission la conclusion que la Commission a tiré une conclusion erronée _ sans tenir compte des éléments dont elle disposait _(Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312).

[16]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

                                                         


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNEque la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

_ Danièle Tremblay-Lamer _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                     COUR FÉDÉRALE

                            

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           IMM-6333-02

INTITULÉ :                                                        RAFAT MOHAMED AHMED, LANA ABDOULKADER MOUSSA et DALIA RAFAT MOHAMED

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 29 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  la juge Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                                  le 1er octobre 2003

COMPARUTIONS :

Warren L. Creates                                                pour les demandeurs

Lynn Marchildon                                                  pour le défendeur

                    

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Perley-Robertson, Hill & McDougall LLP         

Avocats

90, rue Sparks

Ottawa (Ontario)

K1P 1E2                                                               pour les demandeurs


Morris Rosenberg                                                 pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8

                                                         


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