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Date : 20060519

Dossier : IMM‑4587‑05

Référence : 2006 CF 623

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

ENTRE :

NELSON HUMBERTO RUIZ BLANCO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Blanco, sa femme et sa fille sont des citoyens colombiens. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils affirment craindre avec raison d’être persécutés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en raison des opinions politiques présumées de M. Blanco, un officier de la marine colombienne. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils « ont qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés », L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Cependant, M. Blanco « n’a pas le droit à la protection en vertu de l’article 98 de la LIPR ». L’article 98 de la LIPR énonce que la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150 (la Convention sur les réfugiés), ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. M. Blanco sollicite le contrôle judiciaire de la conclusion relative à l’exclusion. J’ai conclu qu’il y avait lieu de faire droit à sa demande.

 

I. Le contexte

[2]               Le ministre a choisi de participer à l’audience concernant le statut de réfugié. Étant donné qu’il était notoire que les forces armées colombiennes avaient perpétré des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pendant la période où M. Blanco était un membre actif de la marine colombienne, le ministre a soutenu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que M. Blanco avait été complice de crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité (crimes internationaux).

 

[3]               Seule la question de l’exclusion est en litige dans la présente demande. Par conséquent, seuls les faits pertinents quant à cette question seront mentionnés. La SPR a jugé que M. Blanco était un témoin crédible, qui avait témoigné de façon franche et digne de foi. Les différences existant entre son témoignage et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ont été expliquées à la satisfaction de la SPR.

 

[4]               Le témoignage de M. Blanco peut être exposé brièvement. L’armée colombienne comporte trois branches : l’armée de terre, la marine et la force aérienne. M. Blanco s’est volontairement engagé dans l’École de la marine à Barranquilla en juillet 1980. Il a été employé comme technicien chargé de l’entretien et des réparations des systèmes de contrôle des sous‑marins à la base navale de Cartagena jusqu’en 1991. De janvier 1992 à décembre 1993, il a étudié l’électronique à l’École privée de la marine de Bogotá. En 1994, il a commencé à travailler dans le service de renseignements de la marine et son rôle consistait à détecter et à écouter les communications radio des FARC. L’information obtenue était transmise à ses officiers supérieurs.

 

[5]               En 1998, M. Blanco avait franchi les échelons qui vont de cadet à premier maître. Il a été sous‑officier du renseignement de la marine (s/off) de 1994 jusqu’en 2001. Il est devenu le militaire d’intervention directe dans le domaine du renseignement le plus haut gradé de son unité de Bogotá. En 2000, il a été transféré à un hôpital militaire où il supervisait une unité de renseignement comprenant sept personnes. Il a quitté la Colombie en avril 2001.

 

[6]               Pour ce qui est de sa connaissance de crimes internationaux, M. Blanco a déclaré qu’il avait lu des articles de journaux qui faisaient état de la participation de militaires à des assassinats, à des disparitions et à la torture. Il connaissait également certains rapports du procureur général, la principale agence administrative du ministère public ayant un rôle de surveillance et d’enquête sur le respect des droits de la personne, qui mentionnaient l’existence de violations de droits de la personne en Colombie. Il a reconnu qu’il y avait eu des articles de journaux qui faisaient état de violations des droits de la personne, de disparitions et d’exécutions dans le réseau des renseignements de la marine à Barrancabermeja (l’affaire Barrancabermeja) et que le commandant de la marine avait publié un communiqué disant qu’une enquête était en cours. Il a nié avoir eu connaissance du fait que le service de renseignements de la marine collaborait avec les paramilitaires.

 

II. Les faits non contestés

[7]               Les faits suivants ne sont pas contestés :

            a)         il n’a pas été jugé que la marine colombienne était un organisme poursuivant une fin limitée et brutale;

            b)         il n’existe aucune preuve indiquant que M. Blanco ait personnellement commis des crimes internationaux;

c)         il n’existe aucune preuve que M. Blanco ait été employé dans des lieux, ou près de lieux, où ont été commis des crimes internationaux.

 

III. La thèse du ministre

[8]               Le ministre soutient qu’étant donné que la marine colombienne ne poursuit pas une fin limitée et brutale, le seul fait d’en être membre ne suffit pas à établir l’existence d’un objectif commun. Il faut donc examiner si la situation particulière de M. Blanco en fait un complice. Cette enquête exige que l’on procède à l’analyse de divers facteurs, plus précisément : la nature de l’organisation, la méthode de recrutement, la nature de la participation et des responsabilités qu’assumait M. Blanco au sein de l’organisation, la durée de sa participation, sa connaissance des atrocités commises, et la possibilité de quitter l’organisation.

 

[9]               D’après le ministre, les preuves documentaires mentionnent des faits précis qui confirment que l’armée, la marine et le service de renseignements de la marine colombiens ont été directement impliqués dans des assassinats et des disparitions forcées. Les preuves indiquent qu’à l’époque où M. Blanco travaillait pour le service de renseignements de la marine, les forces armées colombiennes, y compris la marine et le service de renseignements de la marine, commettaient régulièrement des crimes contre l’humanité, y compris des actes de torture.

 

[10]           Le ministre note que M. Blanco s’est enrôlé volontairement dans la marine, qu’il a servi de son plein gré en qualité de sous‑officier du renseignement de la marine de 1994 à 2001 et qu’il a atteint un rang important. Le ministre soutient que la jurisprudence permet de déduire l’existence d’un objectif commun dans les crimes commis par cette organisation.

 

[11]           Le ministre estime que la durée du service militaire effectué par M. Blanco permet clairement de conclure qu’il y a eu participation consciente, objectif commun et complicité. Le témoignage de M. Blanco, mentionné ci‑dessus, fait ressortir qu’il était au courant de la perpétration de crimes internationaux. Compte tenu de son rang et de la durée de son service militaire, il était nécessairement au courant des atrocités commises. Le ministre affirme que M. Blanco a participé personnellement et sciemment aux activités du service de renseignements militaire colombien. Son affirmation selon laquelle il ne savait pas que le service de renseignements de la marine collaborait avec les paramilitaires n’est pas digne de foi, étant donné que ce fait était notoire.

 

[12]           M. Blanco avait la possibilité de quitter l’organisation quand il le souhaitait. Le ministre affirme que son départ définitif était un processus purement administratif qui n’a pris que trois mois. L’omission de quitter l’organisation permet de conclure à la complicité. En outre, affirme le ministre, une personne peut être considérée complice de crimes internationaux si elle a connaissance de ces crimes et omet de prendre des mesures pour en prévenir la perpétration ou ne se dissocie pas de l’organisation responsable le plus tôt possible en tenant compte de sa propre sécurité.

 

[13]           Le ministre soutient que M. Blanco faisait partie intégrante de l’armée colombienne et a joué un rôle actif dans cette organisation qui, à l’époque en cause, a commis, de façon collective et délibérée, des actes inhumains terribles. Il a fait sien l’affreux objectif commun de l’armée colombienne. Cette participation, même très indirecte, constitue manifestement de la complicité.

 

[14]           En résumé, le ministre affirme avoir présenté à l’audience un nombre considérable de documents pour appuyer l’affirmation selon laquelle l’armée colombienne a commis, de façon généralisée et systématique, des crimes internationaux. Une documentation volumineuse permettant de conclure que la marine colombienne, en particulier son service de renseignements, a participé à la perpétration de crimes contre l’humanité, a été présentée à la SPR. En outre, les crimes contre l’humanité ne se limitaient pas à l’épisode qui a eu lieu à Barrancabermeja à la suite duquel le service de renseignements de la marine a été jugé responsable de dizaines d’exécutions extrajudiciaires.

 

IV. Les dispositions légales pertinentes

Article 1 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150

 

F.  Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees, 189 U.N.T.S. 150

 

F.  The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

V. La décision

[15]           La SPR a conclu que le ministre s’était acquitté du fardeau d’établir l’existence « de raisons sérieuses de penser » que M. Blanco avait été complice de crimes contre l’humanité, en particulier de crimes de torture, commis de façon généralisée ou systématique, au sens de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (le Statut de Rome). Elle a ensuite examiné la situation personnelle de M. Blanco et estimé qu’elle en faisait un complice. Les conclusions de la SPR à ce sujet sont reproduites ci‑dessous.

 

A.  La nature de l’organisation

[16]           Parce que cet aspect est important pour la suite, il est utile d’exposer avec précision ce que la SPR a déclaré au sujet de la nature de l’organisation.

Le ministre fournit des exemples précis de rapports documentaires qui confirment que l’armée, la Marine et le service du renseignement de la Marine colombiens ont été directement impliqués dans le meurtre et la disparition forcée non seulement de guérilleros, mais aussi de citoyens à profil politique, journalistique, syndicaliste ou de défense des droits de la personne. De plus, comme nous l’avons vu, la collaboration entre les forces militaires et paramilitaires a été documentée au cours de la période où le demandeur d’asile était en service. Le tribunal est d’avis que les observations du ministre présentent d’une façon minutieuse et rigoureuse de nombreuses citations dans la documentation, lesquelles permettent de conclure que l’armée colombienne commettait des violations des droits de la personne et s’associait avec les forces paramilitaires. Le tribunal conclut que les forces armées colombiennes, y compris la Marine et le service du renseignement de la Marine, ont commis de graves violations des droits de la personne équivalant à des crimes contre l’humanité pendant la période où le demandeur d’asile était militaire.

 

 

B.  La méthode de recrutement

[17]           La SPR a jugé que l’enrôlement volontaire de M. Blanco, son rang, et ses responsabilités permettaient d’en déduire un objectif commun à l’égard des crimes commis par cette organisation.

 

C.  La durée de l’appartenance à l’organisation

[18]           M. Blanco a servi dans l’armée pendant une longue période, de 1980 à 2001, ce qui permet de conclure qu’il a participé à ces activités personnellement et consciemment, qu’il a partagé un objectif commun et qu’il a été complice de ces actes.

 

D.  La possibilité de quitter l’organisation

[19]           La SPR a jugé qu’aucune preuve n’indiquait que M. Blanco était obligé de continuer à servir dans la marine contre sa volonté. Sa décision de démissionner a résulté des menaces dont lui et sa famille ont été l’objet. Il avait la liberté de quitter la marine colombienne et l’omission de le faire permet de conclure qu’il était complice de ses activités.

 

E.  La connaissance des atrocités commises

[20]           La SPR a pris note du témoignage de M. Blanco (mentionné plus haut dans les présents motifs au paragraphe 6). Elle a souscrit aux arguments du conseil du ministre selon lesquels pendant la période où il était affecté à titre de sous‑officier du renseignement de la marine, M. Blanco était tout à fait au courant de la participation de l’armée, du service de renseignements de la marine, de la police et des paramilitaires à des crimes contre l’humanité. En raison de son rang, il était nécessairement au courant de ces crimes. Le demandeur a certes décrit certaines opérations de renseignement précises et déclaré que son travail était terminé lorsqu’il transmettait l’information obtenue, mais la SPR a estimé qu’il était raisonnable de conclure qu’un certain nombre des civils qui ont été arrêtés en raison des activités de renseignement de M. Blanco ont été assassinés ou torturés ou ont disparu. Elle a rejeté parce que non digne de foi l’affirmation de M. Blanco selon laquelle il n’était pas au courant du fait que le service de renseignements de la marine collaborait avec les paramilitaires, parce que le fait était notoire.

 

[21]           La SPR a finalement conclu que M. Blanco était membre du groupe persécuteur et qu’il était au courant des violations des droits de la personne commises. Il apportait son concours au service de renseignements de la marine, une organisation qui commettait des violations généralisées et systématiques des droits de la personne contre des civils, pendant la période de son service. Il existe donc des raisons sérieuses de penser que M. Blanco a été complice de crimes contre l’humanité et qu’il ne mérite donc pas la protection du Canada.

 

VI. La norme de contrôle

[22]           Dans le cas d’une conclusion relative à l’exclusion, les conclusions de fait sont contrôlées par rapport à la norme de la décision manifestement déraisonnable et les conclusions consistant à appliquer les faits au droit sont contrôlées par rapport à la norme de la décision raisonnable : Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 302 N.R. 178 (C.A.F.)

 

VII. Les questions en litige

[23]           M. Blanco affirme que la SPR a commis cinq erreurs distinctes. J’estime que les erreurs qu’il allègue peuvent être résumées par les questions suivantes :

a)         La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marine colombienne et le service de renseignements de la marine étaient des organisations impliquées dans des crimes internationaux?

b)         Dans l’affirmative, la SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Blanco en était complice?

 

VIII. L’analyse

[24]           On a consacré beaucoup de temps et d’efforts à la question de savoir si M. Blanco était complice de crimes internationaux. Trois arrêts de la Cour d’appel fédérale constituent la fondation de la jurisprudence en matière de complicité : Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) (Moreno); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.) (Sivakumar).

 

[25]           Il est toutefois prématuré de parler de complicité tant qu’il n’a pas été établi que l’organisation en question était impliquée dans la perpétration de crimes internationaux. La SPR a statué que les forces armées colombiennes, y compris la marine et le service de renseignements de la marine, avaient commis de graves violations des droits de la personne assimilables à des crimes contre l’humanité pendant la période au cours de laquelle M. Blanco était militaire. J’estime qu’il s’agit là d’une conclusion de fait, susceptible d’être contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[26]           La SPR a tiré sa conclusion en déclarant que le ministre avait fourni des exemples précis de rapports documentaires confirmant le fait que l’armée colombienne, la marine et le service de renseignements de la marine avaient été « directement impliqués dans le meurtre et la disparition forcée non seulement de guérilleros, mais aussi de citoyens à profil politique, journalistique, syndicaliste ou de défense des droits de la personne ». Elle a également conclu que la marine et l’armée avaient collaboré.

 

[27]           Il est incontestable que les preuves documentaires contiennent de nombreuses références à l’implication de l’armée colombienne dans des crimes contre l’humanité (dossier certifié du tribunal, aux pages 404, 410, 472 et 512). Cependant, dans l’ensemble, les preuves concernent l’armée colombienne ou les forces armées. Lorsque ces preuves décrivent en détail des faits ou des événements précis, elles font référence à l’armée et à des unités et à des brigades particulières de l’armée. En fait, les notes en bas de page qui figurent dans la décision de la SPR – sur lesquelles celle‑ci s’est fondée pour conclure qu’il était notoire que la marine et le service de renseignements de la marine avaient commis ces infractions – traitent de l’armée. (Les pages du dossier certifié du tribunal ne semblent pas être numérotées comme elles l’étaient devant la SPR. On trouvera les passages mentionnés par la SPR dans le dossier certifié du tribunal soit aux pages 391, 403 ou 404, soit aux pages 713, 725 ou 726. Dans l’un et l’autre cas, elles font référence à l’armée ou aux forces armées).

 

[28]           La marine et le service de renseignements de la marine sont rarement mentionnés dans les plus de 700 pages de documents que contient le dossier certifié du tribunal. Ils font référence, et même à plusieurs reprises, à l’affaire de Barrancabermeja. Le fait de mentionner à plusieurs reprises un événement unique n’en fait pas autre chose qu’un événement unique.

 

[29]           Les preuves documentaires figurant au dossier certifié du tribunal concernent presque exclusivement des violations des droits de la personne, en termes généraux, commises par l’armée, les forces armées ou les militaires. Lorsqu’elles fournissent des exemples particuliers de persécution (autres que l’affaire de Barrancabermeja), elles font également référence à l’armée.

 

[30]           En fait, en examinant les preuves documentaires qui ont été présentées à la SPR et que j’ai maintenant devant moi, je n’ai été en mesure de retracer, à l’exception de l’affaire de Barrancabermeja, que deux brèves références à la marine. Une de ces références parle d’un témoin qui a relaté que des unités navales près de Chengue ont fait semblant de ne pas voir des paramilitaires traverser un village dans lequel des civils ont été massacrés par la suite (dossier certifié du tribunal, à la page 489). L’autre référence concerne un commandant de la marine qui répondait à un appel à l’aide en disant qu’il n’avait pas compétence sur le secteur de Llorente (dossier certifié du tribunal, à la page 802). Même s’il ne faut pas minimiser la nature de ces incidents, il convient de faire remarquer que ce sont les seules références à la marine que j’ai pu trouver dans plus de 700 pages de rapports.

 

[31]           Le dilemme est à mon avis évident. Il faut que les crimes contre l’humanité soient commis de façon généralisée et systématique contre une population civile ou un groupe de personnes identifiables : Sivakumar; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100. Les preuves mentionnées, dans la mesure où elles concernent la marine ou le service de renseignements de la marine, font référence à trois incidents qui se sont produits sur une période s’étalant sur plus de 20 ans. Ces preuves ne permettent pas de conclure que la marine ou le service de renseignements de la marine ont commis des crimes internationaux de façon généralisée et systématique.

 

[32]           Je ne sais pas si la marine colombienne ou le service de renseignements de la marine ont participé à la perpétration de crimes internationaux. Je ne sais pas non plus si la marine ou le service de renseignements de la marine étaient de connivence avec l’armée colombienne, les forces armées ou les militaires dans la perpétration de crime internationaux. Les tribunaux connaissent mal ces questions. Mais je suis certaine de ce qui suit : il est impossible de tirer une telle conclusion en se fondant sur les preuves documentaires contenues dans le dossier certifié du tribunal relatif à la présente instance. La conclusion à laquelle en est arrivée la SPR à partir de ce dossier est contraire aux règles énoncées dans la jurisprudence citée. Sa conclusion sur ce point est manifestement déraisonnable et ne peut être confirmée. Compte tenu de cette conclusion, la question de la complicité ne se pose pas.

 

[33]           M. Blanco a demandé, au cas où il obtiendrait gain de cause, qu’après avoir annulé la décision de la SPR, j’enjoigne à la SPR de déclarer qu’il est un réfugié au sens de la Convention. Je ne suis pas convaincue, compte tenu de l’arrêt Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 1 R.C.F. 304 (C.A.), qu’il soit approprié de formuler une telle directive et je m’abstiendrai de le faire.

 

[34]           Pour les motifs qui précèdent, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Les avocats n’ont pas proposé qu’une question soit certifiée et aucune question de ce genre n’est soulevée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour qu’il statue sur celle‑ci.

 

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4587‑05

 

INTITULÉ :                                                   NELSON HUMBERTO RUIZ BLANCO

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 19 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shen

 

      POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shen

Hamilton (Ontario)

 

      POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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