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Date : 20030403

Dossier : IMM-2431-02

Référence : 2003 CFPI 397

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                             ERMAL TENEQEXHIU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 M. Teneqexhiu revendique le statut de réfugié au Canada en invoquant qu'il était persécuté dans son Albanie natale en raison de son affiliation politique et de celle de sa famille. Il est âgé de 21 ans. Son activité politique se ramenait à avoir assumé la direction d'un forum jeunesse du Parti démocrate à son école secondaire. Son père était un membre actif du Parti démocrate et avait fait l'objet de mauvais traitements de la part de membres du Parti socialiste, de même que sa mère.

[2]                 La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié de M. Teneqexhiu le 30 avril 2002 en raison de l'absence d'éléments de preuve crédibles et fiables. M. Teneqexhiu demande que cette décision soit annulée et qu'on lui accorde une nouvelle audience.

Les éléments de preuve sur lesquels la Commission a émis des réserves

[3]                 Il y avait quatre composantes de la preuve sur lesquelles la Commission a émis des réserves :

I. La preuve documentaire

[4]                 La Commission a estimé que la preuve documentaire présentée par M. Teneqexhiu n'était pas digne de foi. M. Teneqexhiu avait réussi à se procurer différents faux documents, notamment un visa d'étudiant pour entrer aux États-Unis et un passeport hollandais. La Commission a noté que M. Teneqexhiu s'était rendu en Turquie dans le but précis de se procurer des faux documents. La Commission craignait également que d'autres éléments de preuve documentaires fournis par M. Teneqexhiu puissent être frauduleux, et ce surtout vu le caractère généralisé des faux documents en Albanie. Certains des documents fournis par M. Teneqexhiu, par exemple, ne portaient aucune date de délivrance, et cela a mené la Commission à s'interroger sur l'authenticité de ces documents en particulier, et sur d'autres. Notamment, les explications données par M. Teneqexhiu relativement à la provenance d'une lettre protestant contre le traitement et l'arrestation de membres du Parti démocrate n'ont pas convaincu la Commission.


[5]                 Le fait que M. Teneqexhiu ait dû avoir recours à de faux documents dans le but de quitter l'Albanie et de se rendre au Canada ne constitue pas un fondement solide permettant de mettre en doute sa crédibilité ou la fiabilité d'autres documents : Takhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 240 (QL) (1re inst.), au paragraphe 14. De plus, M. Teneqexhiu a affirmé qu'il s'était procuré de faux documents en Turquie, mais il n'a pas dit qu'il s'y était rendu dans le but de se les procurer. Il y est plutôt allé pour fuir la persécution en Albanie.

[6]                 La Commission a mentionné précisément deux documents auxquels il manquait la date de délivrance. Il s'agissait dans les deux cas de rapports médicaux - l'un concernait M. Teneqexhiu, l'autre son père. En fait, les deux rapports portaient des dates. Pour les deux rapports, ces dates sont la date à laquelle le rapport a été préparé ainsi que la date et l'heure auxquelles le traitement médical a été fourni. La Commission fait elle-même référence à ces dates ailleurs dans ses motifs. Cependant, elle a estimé aussi que les documents auraient dû porter des dates de délivrance parce qu'ils avaient été demandés après les faits dont ils font état. L'absence de ces dates ne semble toutefois pas constituer un vice particulièrement important. Il y avait deux autres documents sur les quinze que M. Teneqexhiu a déposés auxquels il manquait effectivement des dates. Néanmoins, les réserves de la Commission ne sont pas un fondement valide pour mettre en doute la fiabilité de l'ensemble de la preuve documentaire dont elle disposait.


[7]                 En ce qui a trait à la lettre, M. Teneqexhiu avait expliqué à la Commission que c'était son cousin qui se l'était procurée. Il n'en était pas certain au départ, mais il a finalement affirmé que la lettre devait certainement provenir de la Society of Ex Persecuted and Political Condemned. Son explication était raisonnablement claire.

II. Les connaissances sur la politique

[8]                 La Commission a estimé qu'il y avait quelques lacunes dans le témoignage de M. Teneqexhiu. Elle s'est demandée, par exemple, comment il était possible qu'il fût incapable de nommer l'un ou l'autre des candidats dans l'une des élections auxquelles il avait participé. Il savait que son député représentait le Parti socialiste, mais il ne connaissait pas son nom. M. Teneqexhiu n'avait pas pu nommer le candidat que son parti essayait de battre.

[9]                 Au cours de la période pertinente, M. Teneqexhiu fréquentait l'école secondaire. Son rôle était d'inciter ses camarades de classe à devenir membres du Parti démocrate. Ses activités se limitaient à organiser des rencontres d'étudiants mensuelles. Il ressort de la preuve documentaire dont disposait la Commission qu'il n'y a pas eu d'élection pendant la période où M. Teneqexhiu a occupé son poste au sein du forum jeunesse. Il n'avait donc participé à aucune élection. Personne ne s'est présenté comme candidat. Il n'a jamais été en situation de tenter de battre le représentant du Parti socialiste en place. Par conséquent, la Commission a attribué une importance politique excessive à ce jeune homme dans les circonstances et les inférences défavorables qu'elle a tirées des éléments de preuve du demandeur étaient injustifiées.


III. Le traitement médical

[10]            M. Teneqexhiu a affirmé que lui et son père avaient été détenus et battus en juin 1999. Son père s'était retrouvé à l'hôpital, mais pas lui. Au lieu de cela, il a été visité par un ami de la famille qui était médecin. Les explications du demandeur pour ne pas être allé à l'hôpital n'ont pas convaincu la Commission. M. Teneqexhiu avait affirmé qu'il craignait que des membres du personnel médical puissent être de connivence avec la police. La Commission n'a pas accepté cette explication, vu le fait que M. Teneqexhiu s'était déjà rendu à l'hôpital une fois après avoir été battu.

[11]            Cela ne semble pas fondamentalement invraisemblable qu'une personne qui craignait les autorités ait pu vouloir éviter une visite à l'hôpital, où on aurait pu s'enquérir de l'origine des blessures et où ces mêmes autorités auraient pu être présentes. Cela serait particulièrement le cas si les blessures étaient facilement traitables sans une visite à l'hôpital. Bien qu'il ait décrit les coups reçus comme [traduction] « brutaux » , il n'a souffert, selon son témoignage, que de contusions. Il est vrai que, une fois déjà, en février 1999, il s'était rendu à l'hôpital après avoir été battu. Le rapport médical pour cette visite révèle qu'il a eu besoin de trois points de suture pour refermer une blessure à la tête. Manifestement, les différences dans la gravité des blessures expliqueraient, du moins en partie, sa décision de se rendre à l'hôpital dans un cas, mais pas dans l'autre.

IV. L'incident des coups de feu

[12]            M. Teneqexhiu a témoigné qu'une nuit de mars 2000, l'appartement de sa famille avait essuyé de nombreux coups de feu. Sa famille vivait au troisième étage d'un immeuble qui en compte cinq. Il y avait quatre appartements par étage - un de chaque côté. Le tribunal a considéré qu'il était peu probable que des tireurs eussent été capables d'isoler et de frapper l'appartement de la famille Teneqexhiu à partir de la rue, tout en évitant les autres résidences. Il a également pensé qu'il était improbable que M. Teneqexhiu ait pu identifier, dans l'obscurité, les tireurs comme des membres du Parti socialiste.

[13]            Il semble évident que si les tireurs savaient quel appartement du troisième étage ils devaient attaquer, ils pouvaient facilement le faire à partir de la rue. De plus, M. Teneqexhiu n'a jamais affirmé avoir identifié les tireurs. Il a affirmé que des voisins de l'autre côté de la rue, qui avaient été témoins de l'incident et connaissaient les assaillants, les avaient identifiés.

V. Conclusions

[14]            Il faut faire montre de beaucoup de retenue face au rôle de juge des faits de la Commission. Cependant, vu ce qui précède, les réserves de la Commission à l'égard de la preuve, de même que les inférences défavorables qu'elle en a tirées, étaient injustifiées. Par conséquent, la Commission en est arrivée à sa décision d'une façon qui constitue une erreur susceptible de révision.


[15]            M. Teneqexhiu a droit à une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n'a été proposée pour la certification et aucune ne sera certifiée.

                                                                        JUGEMENT

IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le demandeur a droit à une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                   « James W. O'Reilly »   

                                                                                                                                                                 Juge                  

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2431-02

INTITULÉ :                                        ERMAL TENEQEXHIU

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 19 MARS 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                      MARDI LE 03 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman                                                                        Pour le demandeur

Pamela Larmondin                                                                          Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

425, av. University, bureau 500

Toronto (Ontario) M5G 1T6                                                        Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                            Pour le défendeur


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