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Date : 20031125

Dossier : T-1532-02

Référence : 2003 CF 1384

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                    NARINDER KUMAR SHARMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 La Cour est saisie d'un appel interjeté en vertu de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, d'une décision en date du 19 août 2002 par laquelle la juge de la citoyenneté R. Cruden a rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance :

1.          accueillant la présente demande et annulant la décision rendue le 19 août 2002 par la juge de la citoyenneté;

2.          déclarant que le demandeur remplissait les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté au moment des faits;

3.          adjugeant les dépens au demandeur.

Genèse de l'instance

[3]                 Le demandeur, Narinder Kumar Sharma, est né en Inde. Le 4 avril 1998, il a obtenu le droit d'établissement au Canada avec sa femme et ses deux enfants et il a acquis le statut de résident permanent. Sa femme et ses deux fils sont devenus des citoyens canadiens en mai 2001.

[4]                 À son arrivée au Canada, le demandeur travaillait pour l'UNICEF comme coordonnateur de programmes à Damas, en Syrie. Toutes les absences du Canada du demandeur étaient attribuables à son travail pour l'UNICEF en Syrie :

No

Dates

Lieu

Durée

1

17 avril 1998 - 24 septembre 1998

Syrie

160

2

9 octobre 1998 - 24 décembre 1998

Syrie

76

3

4 janvier 1999 - 25 mars 1999

Syrie

80

4

12 avril 1999 - 25 décembre 1999

Syrie

255

5

9 janvier 2000 - 15 septembre 2000

Syrie

250

6

5 octobre 2000 - 22 décembre 2000

Syrie

78

7

5 janvier 2001 - 2 mars 2001

Syrie

56

8

5 mars 2001 - 31 août 2001

Syrie

179

Total

1134

[5]                 Le demandeur s'est absenté du Canada pour la première fois à peine treize jours après son arrivée. Entre ses huit séjours en Syrie pour son travail, le demandeur a passé respectivement 15, 11, 28, 15, 20, 14 et 3 jours au Canada. Entre la date à laquelle il a obtenu le droit d'établissement et celle à laquelle il a présenté sa demande de citoyenneté, c'est-à-dire le 27 septembre 2001, le demandeur a passé 1 134 jours à l'étranger et 137 jours au Canada. Il lui manquait donc 958 jours pour atteindre les 1 095 jours minimums exigés par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

[6]                 Le demandeur a demandé et obtenu un permis de retour pour résident permanent qui lui a été délivré par Citoyenneté et Immigration Canada avec les dates de validité suivantes : 10 janvier 2001, 10 janvier 2002 et 10 janvier 2003.

[7]                 Au moment de sa demande de citoyenneté, le demandeur avait :

1.          un numéro d'assurance sociale canadien;

2.          une carte d'assurance-maladie de l'Ontario;

3.          un permis de conduire de l'Ontario;

4.          une carte de membre de la CAA du Centre de l'Ontario;

5.          un compte bancaire, deux REER, des placements non enregistrés et un placement inscrit du Groupe financier de la Banque TD;


6.          un droit de propriété avec sa femme d'un appartement en copropriété à Mississauga (Ontario);

7.          un enregistrement à titre d'entreprise à propriétaire unique sous la dénomination commerciale de NS-Hydrotech Canada;

[8]                 À la suite de sa demande de citoyenneté, le demandeur a adhéré à la Indo-Canada Chamber of Commerce et à la Ontario Groundwater Association.

[9]                 Le demandeur produit des déclarations de revenus des particuliers en tant que résident de l'Ontario depuis 1998, année où il est devenu un résident canadien permanent.

[10]            Le demandeur a été reçu en entrevue le 18 juin 2002 par la juge de la citoyenneté R. Cruden qui, dans une décision datée du 19 août 2003, a refusé de lui attribuer la citoyenneté canadienne au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté. Voici un extrait de cette décision :

[traduction] Treize jours après que vous ayez légalement obtenu le droit d'établissement au Canada, vous êtes retourné travailler en Syrie. Par la suite, vous n'avez passé que 137 jours au Canada au cours de la période à l'examen. J'en conclus que vous n'avez pas élu domicile au Canada et que vous n'y avez pas maintenu de résidence. Le Canada n'est pas le lieu où vous résidez régulièrement, normalement ou habituellement. Vous avez eu peu d'occasions de fréquenter des Canadiens au Canada. Vous avez affirmé avoir tenté sans succès de vous faire recruter par des sociétés canadiennes. Le juge Mahoney a déclaré, dans l'arrêt Ronaasen, que « l'intention de revenir au Canada, si ferme soit-elle, ne suffit pas pour établir une résidence permanente » . Pour le moment, votre attachement au Canada n'est pas évident. Vous vous êtes engagé par contrat à continuer à travailler en Syrie en sachant parfaitement que vous aurez peu d'occasions de passer du temps au Canada. Il s'ensuit qu'il vous sera extrêmement difficile d'assimiler les valeurs canadiennes et de vous intégrer à la société canadienne. Pour le moment, vos liens avec la Syrie semblent plus solides que ceux que vous entretenez avec le Canada. Tout laisse croire que vous feriez un bon citoyen un jour, mais je ne puis accueillir votre demande.

Pour les motifs qui précèdent, il m'est impossible de faire droit à la présente demande uniquement parce que vous ne remplissez pas les conditions de résidence énumérées à l'alinéa 5(1)c).


Conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, j'ai examiné s'il y avait lieu de faire une recommandation favorable en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi. Or, vous n'avez produit aucun document qui me justifierait de recommander au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Après avoir attentivement examiné tous les faits de l'espèce, j'ai décidé que votre cas ne justifiait pas la formulation d'une recommandation favorable.

[11]            Le demandeur interjette appel de cette décision.

Prétentions et moyens du demandeur

[12]            Le demandeur appelle l'attention de la Cour sur des indices solides qui démontreraient ses liens avec le Canada qui, selon lui, établissent son intention d'élire domicile au Canada de façon permanente. Sa famille réside au Canada, il a obtenu des pièces d'identité canadienne, il est propriétaire d'un immeuble en Ontario, ses enfants fréquentent des établissements scolaires canadiens, il a lancé une entreprise et il s'est intégré à la société canadienne.

[13]            Le demandeur souligne que son emploi temporaire pour l'UNICEF, un organisme des Nations Unies, est la seule raison pour laquelle il s'est absenté du Canada. Il affirme que ce n'est qu'après que ses démarches en vue de se trouver du travail au Canada dans son domaine eurent échoué qu'il a reconduit son contrat de travail en Syrie avec l'UNICEF. Il ajoute que le temps qu'il a passé comme fonctionnaire international à l'UNICEF ne devrait pas avoir d'incidence sur la valeur de sa demande de citoyenneté, d'autant plus que le Canada fait partie des Nations Unies et que Citoyenneté et Immigration Canada lui a délivré un permis de retour pour résident permanent qui facilitait ses séjours à l'étranger.


[14]            Le demandeur affirme qu'il a coupé tous ses liens avec l'Inde, son pays d'origine, et qu'il a créé des liens solides avec le Canada, où il a l'intention de s'établir en permanence avec les autres membres de sa famille, qui ont déjà obtenu la citoyenneté canadienne.

[15]            Invoquant les jugements Chowdhury, [2000] A.C.F. no 1206 (C.F. 1re inst.) et Singh c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 786 (C.F. 1re inst.), dans lesquels la Cour cite les propos tenus par le juge Thurlow dans le jugement Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), le demandeur soutient que la présence physique au Canada n'est plus exigée pour pouvoir remplir les conditions de résidence de la Loi.

[16]            Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision de la juge de la citoyenneté Cruden est celle de la décision correcte (Lam c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 410 (C.F. 1re inst.)). Le demandeur invite la Cour à infirmer la décision de première instance et à conclure que les conditions de résidence prévues par la Loi ont été remplies, étant donné qu'il ressort de l'application des six critères de résidence que notre Cour a énoncés dans le jugement Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.) que sa demande de citoyenneté aurait dû être accueillie.


[17]            Finalement, le demandeur fait valoir que l'affirmation de la juge de la citoyenneté suivant laquelle aucun document n'avait été porté à sa connaissance pour l'inciter à recommander au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 5(4) est intenable. Le demandeur soutient que tous les documents soumis à la juge de la citoyenneté Cruden appuyaient une telle recommandation.

[18]            Le demandeur prie la Cour de faire droit à son appel avec dépens.

Prétentions et moyens du défendeur

[19]            Se fondant sur le jugement Lam, précité, le défendeur soutient que la décision de la juge de la citoyenneté Cruden mérite une plus grande retenue que celle que requiert la norme de contrôle judiciaire de la décision correcte. Il soutient que lorsque, comme en l'espèce, un juge de la citoyenneté expose clairement la jurisprudence et applique correctement aux faits le critère légal prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, notre Cour ne devrait pas substituer son interprétation des conditions de résidence à celle du premier juge. Suivant le défendeur, rien ne justifie de modifier la décision de première instance.

[20]            Suivant le défendeur, la raison d'être des conditions de résidence est de s'assurer que les personnes qui présentent une demande de citoyenneté se familiarisent avec le Canada et qu'ils s'intègrent à la société canadienne ou qu'ils se « canadianisent » (Pourghasemi, (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.).

[21]            Le défendeur soutient par ailleurs que le fait que la Loi autorise jusqu'à un an d'absence au cours des quatre années qui précèdent la demande de citoyenneté crée une forte inférence que la présence du requérant au Canada au cours des trois autres années retenues doit être prolongée. Le défendeur cite le jugement Hui, (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 8 (C.F. 1re inst.) à l'appui de cet argument.

[22]            Le défendeur affirme que, malgré les différentes formulations du critère de la résidence qui ont été suivies par notre Cour, il ressort de la jurisprudence récente que les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi font l'objet d'une analyse en deux étapes. Ainsi, le requérant doit d'abord établir qu'il a élu domicile au Canada au moins trois ans avant la demande et ensuite démontrer qu'il a conservé ce domicile pendant toute la période à l'examen (Ahmed c. Canada (MCI), 2002 CFPI 1067; Goudimenko c. Canada (MCI), 2002 CFPI 447).

[23]            Le défendeur ajoute que la juge de la citoyenneté Cruden a de toute évidence suivi cette méthode en deux étapes et qu'elle a conclu que le demandeur n'avait pas élu domicile au Canada et qu'il n'y avait pas conservé de domicile.


[24]            Suivant le défendeur, les faits portés à l'attention de la juge de la citoyenneté Cruden lui permettaient de conclure que le demandeur n'avait pas élu domicile au Canada. Le demandeur n'est resté au Canada que treize jours après la date à laquelle il a obtenu le droit d'établissement. Sa première absence a duré 160 jours et, au cours des quatre années qui ont suivi, il n'a passé que 137 jours au Canada. Le défendeur soutient que le demandeur n'a jamais séjourné au Canada assez longtemps pour y élire domicile.

[25]            Le défendeur invoque le jugement Mandal c. Canada (MCI), 2002 CFPI 488, une affaire qui repose sur des faits semblables et dans laquelle il a été jugé que le juge de la citoyenneté n'avait pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas élu domicile au Canada.

[26]            En réponse à l'argument du demandeur suivant lequel la présence physique n'est plus exigée pour remplir la condition de résidence prévue par la Loi, le défendeur déclare que la jurisprudence citée n'est d'aucun secours pour le demandeur. Dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles, la présence physique au Canada n'est pas exigée pour maintenir la résidence une fois que celle-ci a été établie. Comme le défendeur est d'avis que le demandeur n'a jamais « établi » de résidence au Canada, le débat serait clos et la décision du juge de la citoyenneté devrait être confirmée.

[27]            Invoquant le jugement Tsoi, [1997] A.C.F. no 82 (C.F. 1re inst.), le défendeur affirme que si l'appel du demandeur était accueilli, les conditions de résidence seraient vidées de tout leur sens.


[28]            Le défendeur soutient en outre que la juge de la citoyenneté Cruden a manifestement examiné les pièces versées au dossier par le demandeur mais qu'elle n'a pas jugé que les faits de l'espèce justifiaient la formulation de la recommandation favorable prévue au paragraphe 5(4) de la Loi.

[29]            Questions en litige

1.          La juge de la citoyenneté Cruden a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

2.          La juge de la citoyenneté Cruden a-t-elle commis une erreur en n'exerçant pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté en faisant une recommandation favorable au ministre?

Dispositions législatives applicables

[30]            Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté :


5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

. . .

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

. . .

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne; le ministre procède alors sans délai à l'attribution.

14.(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l'article 15, approuve ou rejette la demande selon qu'il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

. . .

(c) is a permanent resident within the meaning of paragraphe 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner :

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

14.(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.


15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

Analyse et décision

[31]            Norme de contrôle

J'adopterais la norme de contrôle que le juge Lutfy (maintenant juge à la Cour d'appel) a énoncée dans le jugement Lam, précité, au paragraphe 33 :

La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[32]            Première question

La juge de la citoyenneté Cruden a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?


L'article 5 exige essentiellement que celui qui réclame la citoyenneté canadienne ait, dans les quatre ans qui précèdent sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans ou 1 095 jours. Or, dans le cas qui nous occupe, le demandeur n'a été présent au Canada que pendant 137 jours. Il lui manque donc 958 jours pour atteindre les 1 095 jours minimums exigés par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[33]            Dans certains cas, les séjours à l'extérieur du Canada peuvent être pris en compte dans le calcul des 1 095 jours de résidence exigés par la Loi.

[34]            Il ressort de la jurisprudence que la durée des absences du Canada n'entrent dans le calcul des 1 095 jours que si le requérant a centralisé son mode de vie au Canada avant de commencer à s'absenter (voir, par exemple, les décisions Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 447; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1067; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Brockie, [2000] A.C.F. no 1967 (C.F. 1re inst.) et Mandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 488).

[35]            Le demandeur soutient que, comme il s'était engagé par contrat envers l'UNICEF, il ne pouvait résilier son contrat de travail dès son arrivée au Canada. Une fois son contrat terminé, il n'a pas réussi à se trouver du travail au Canada. Il a donc commencé à travailler pour les Nations Unies, ce qui explique ses séjours à l'étranger pour les durées susmentionnées.

[36]            Le demandeur soutient également qu'en raison du permis de retour pour résident permanent qui lui a été délivré, ses séjours à l'étranger devraient compter dans le calcul des jours de résidence exigés par la Loi. Je ne suis pas de cet avis. La Loi sur la citoyenneté ne renferme aucune disposition qui appuie la prétention du demandeur.

[37]            Le fait que le demandeur travaille pour un organisme des Nations Unies, l'UNICEF, ne lui est d'aucun secours, car notre Cour a jugé que des personnes se trouvant dans une situation comme la sienne doivent élire domicile au Canada et y maintenir leur résidence pour la durée exigée (voir les décisions Ahmed, précitée et Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 594).

[38]            Le juge Dubé, de notre Cour, a déclaré ce qui suit dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lo, [1999] A.C.F. no 130 (C.F. 1re inst.) (QL) aux paragraphes 3 à 6 :

La présence physique au Canada tout au long de la période est moins essentielle lorsqu'une personne s'y est établie en pensée et en fait, ou y a conservé ou centralisé son mode de vie habituel. C'était le cas de l'étudiant dans l'affaire Papadogiorgakis (précitée), qui s'était établi en Nouvelle-Écosse avant d'aller étudier aux États-Unis.

Malheureusement, ce n'est pas le cas de l'intimée en l'espèce qui, de toute évidence, ne peut s'être établie au Canada en seulement sept jours.

Par conséquent, sa demande était prématurée. Maintenant qu'elle a complété ses études et qu'elle s'est établie à Vancouver, elle pourra, au moment opportun, présenter une nouvelle demande de citoyenneté canadienne qui sera sans doute accueillie.

L'appel du ministre est accueilli.

[39]            En l'espèce, le demandeur s'est absenté du Canada pour la première fois à peine treize jours après son admission au Canada. J'estime que le demandeur n'a pas pu centraliser son mode de vie au Canada dans les treize jours qu'il y a passé avant sa première absence d'une durée de 160 jours. Je ne puis donc tenir compte de ses séjours à l'étranger dans le calcul des 1 095 jours de résidence exigés.

[40]            La juge Reed a proposé une autre méthode en ce qui concerne l'élection de domicile dans l'affaire Koo, précitée, aux pages 293 et 294 :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[41]            Aux dires du demandeur, il ressort de l'analyse des facteurs énoncés dans l'affaire Koo, précitée, que sa demande de citoyenneté aurait dû être acceptée. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de son avis. J'estime en effet que le deuxième facteur favorise le demandeur et que le sixième facteur est probablement neutre, mais que tous les autres facteurs ne favorisent pas le demandeur.

[42]            Il est évident lorsqu'on examine le premier facteur que le requérant doit avoir été présent au Canada pendant une période prolongée avant les absences qui sont survenues juste avant la présentation de sa demande de citoyenneté. Or, en l'espèce, le demandeur n'a été présent au Canada que pendant treize jours avant de s'absenter pour la première fois.

[43]            Pour ce qui est du deuxième facteur, la femme et la famille du demandeur se trouvent au Canada.

[44]            En ce qui concerne le troisième facteur, les brèves périodes de présence physique du demandeur au Canada dénotent qu'il y revenait pour rendre visite à sa famille et non qu'il rentrait chez lui.


[45]            Pour ce qui est du quatrième facteur, signalons que, entre la date de l'obtention de son droit d'établissement et celle de sa demande de citoyenneté, le demandeur a séjourné à l'étranger pendant 1 134 jours et qu'il a été présent au Canada durant 137 jours, ce qui représente une absence prolongée du pays.

[46]            En ce qui a trait au cinquième facteur, j'estime que, bien que les contrats de travail que le demandeur a signés avec l'UNICEF aient été d'une durée limitée, ils ont été reconduits à plusieurs reprises et qu'on ne peut plus parler de « situation manifestement temporaire » .

[47]            Finalement, pour ce qui est du sixième facteur, les attaches que le demandeur a avec sa famille sont plus importantes que celles qu'il a nouées avec tout autre pays. Le demandeur aurait tissé des liens solides avec le Canada s'il y passait plus de temps.

[48]            J'estime que je parviendrais à la même conclusion - c'est-à-dire que le demandeur n'a pas centralisé son mode de vie au Canada - si j'appliquais les facteurs énoncés dans la décision Koo, précitée,

[49]            Seconde question

La juge de la citoyenneté Cruden a-t-elle commis une erreur en n'exerçant pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté en faisant une recommandation favorable au ministre?


Le paragraphe 15(1) de la Loi prévoit qu'avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté doit examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

[50]            Le paragraphe 9(2) ne s'applique pas en l'espèce. Pour ce qui est de l'application des paragraphes 5(3) et 5(4), il s'agit d'une décision discrétionnaire du juge de la citoyenneté. En l'espèce, la juge de la citoyenneté a abordé cette question de la manière suivante dans sa décision :

[traduction] Conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, j'ai examiné s'il y avait lieu de faire une recommandation favorable en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi. Or, vous n'avez produit aucun document qui me justifierait de recommander au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Après avoir attentivement examiné tous les faits de l'espèce, j'ai décidé que votre cas ne justifiait pas la formulation d'une recommandation favorable.

[51]            Suivant le demandeur, l'affirmation de la juge de la citoyenneté suivant laquelle il n'avait porté à sa connaissance aucun document qui l'aurait justifiée de faire une telle recommandation favorable est intenable étant donné qu'il a produit plusieurs pièces. Si j'ai bien compris, ce que la juge de la citoyenneté a dit, c'est que le demandeur n'avait pas produit de documents distincts ou complémentaires au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Le fait que la juge de la citoyenneté a examiné tous les éléments présentés en appel est confirmé par sa déclaration suivante : [traduction] « Après avoir attentivement examiné tous les faits de l'espèce, j'ai décidé que votre cas ne justifiait pas la formulation d'une recommandation favorable. » Je ne suis pas disposé à intervenir dans l'exercice que la juge de la citoyenneté a fait de son pouvoir discrétionnaire.


[52]            À mon avis, la juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur et la demande (appel) du demandeur est rejetée.

                                           ORDONNANCE

[53]            IL EST ORDONNÉ que la demande (appel) du demandeur soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 25 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1532-02

INTITULÉ :              NARINDER KUMAR SHARMA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le jeudi 16 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     Le mardi 25 novembre 2003

COMPARUTIONS :

Jaswant Singh Mangat

POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat & Company

Mississauga (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


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