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Date : 20031014

Dossier : IMM-5968-02

Référence : 2003 CF 1190

ENTRE :

                                                                SULEYMAN FIDAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE von FINCKENSTEIN

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté, en date du 30 octobre 2002, la demande d'asile du demandeur.

CONTEXTE

[2]                 Le demandeur est un homme âgé de 29 ans de Pazarcik, en Turquie. Cette ville, qui compte une majorité de Turcs mais aussi des Kurdes, a été le site d'un conflit de plus en plus aigu entre les deux groupes ethniques.


[3]                 À la fin des années 1990, le demandeur a été détenu et torturé par des fonctionnaires du gouvernement turc à au moins quatre reprises en raison de son origine ethnique et de sa participation aux activités du parti kurde HADEP. En 2001, il s'est enfui de la Turquie après avoir appris que la police voulait l'arrêter de nouveau. Il est finalement arrivé au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Avant que sa revendication soit entendue par la Commission, il a appris qu'il souffrait du trouble de stress post-traumatique.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]         La Commission a considéré qu'elle ne disposait pas d'une preuve suffisante que le demandeur était un Kurde. À titre d'exemple, le demandeur ne parlait pas le kurde et n'avait pas produit de photographies de membres de sa famille en costume traditionnel ni de lettre fiable de l'HADEP confirmant qu'il était un membre du parti.

[5]                 En outre, la Commission a refusé de se fonder sur le récit du demandeur car elle a jugé qu'il n'était pas un témoin crédible. Selon elle, les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi les forces de sécurité turques s'étaient intéressées à lui à la fin des années 1990 et pourquoi il n'était pas allé dans un centre communautaire turc au Canada étaient incohérentes ou invraisemblables. La Commission a aussi constaté que le demandeur avait déclaré dans son témoignage qu'il avait été membre de l'HADEP, mais qu'il n'en avait rien dit dans son Formulaire de renseignements personnels.


[6]                 La Commission a conclu ses motifs par un examen du rapport psychologique produit par le demandeur :

Le tribunal a également examiné le contenu du rapport psychologique soumis par le demandeur. Le tribunal n'a aucune raison de douter du Dr Devin qui a constaté que le demandeur souffre de troubles de stress post-traumatique chroniques. En revanche, compte tenu des conclusions tirées sur sa crédibilité, énoncées ci-dessus, je ne suis pas convaincu que les troubles mentaux soient pertinents à l'établissement du bien-fondé de sa crainte de persécution.

[7]         Bien qu'elle ait reconnu la gravité de l'état du demandeur, la Commission n'était pas convaincue qu'il était un Kurde et qu'il courrait le risque d'être persécuté à cause de son origine ethnique et de sa religion s'il retournait en Turquie.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]         Le demandeur soulève deux questions :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l'état de santé du demandeur lorsqu'elle a tiré sa conclusion concernant la crédibilité?

2.          La conclusion concernant la crédibilité tirée par la Commission est-elle erronée?

ANALYSE

[9]         Dans le rapport qu'il a déposé auprès de la Commission, le psychologue du demandeur tire la conclusion suivante :


[traduction] M. Fidan a des maux de tête presque tous les jours. [...] Les symptômes de stress suivants ont aussi été décelés chez lui : perte d'appétit [...], manque d'énergie et troubles de concentration et de mémoire. Les effets cognitifs [...] sont marqués. L'idéation envahissante [...] nuisait à la concentration. M. Fidan semble parfois avoir des absences. [...] Comme il a été indiqué précédemment, il a eu d'importants problèmes de concentration au cours de l'entrevue. Si les mêmes problèmes surviennent lors de l'audience devant la Commission (défaut de répondre, problèmes de compréhension, demandes de répéter une question), il sera important de comprendre qu'ils sont compatibles avec la désorganisation causée par le stress traumatique. Il est peu probable qu'ils indiquent que M. Fidan tente d'éluder une question ou d'embrouiller les choses.

[10]       Le demandeur prétend que la Commission a tiré sa conclusion défavorable concernant la crédibilité sans tenir compte de cette partie du rapport psychologique. Subsidiairement, il fait valoir que la Commission était tenue d'expliquer le poids qu'elle avait accordé au rapport lorsqu'elle a tiré cette conclusion. Le défendeur répond que les motifs de la Commission étaient suffisants puisqu'ils indiquaient que le rapport avait été pris en compte et que la Commission n'était pas tenue d'analyser chacun des éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[11]       La Cour était saisie de faits semblables dans C.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1082. Dans cette affaire, la Commission avait reconnu que le demandeur souffrait du trouble de stress post-traumatique. Elle n'avait cependant pas évaluer l'incidence que ce trouble pourrait avoir sur la capacité du demandeur de se rappeler les événements et sur son attitude générale pendant son témoignage. Le juge Teitelbaum a conclu, au paragraphe 12 :


L'appréciation par la Commission de la crédibilité en l'espèce est liée à son examen de la preuve psychologique et médicale. Certes, il ne s'agit pas du cas d'un tribunal « faisant abstraction » du témoignage comme ce fut le cas dans l'affaire Galindo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 781 (C.A.F.). La Commission a effectivement fait état de la preuve médicale du TSPT. Toutefois, elle n'a pas donné à ce témoignage le poids ou la reconnaissance appropriés concernant la question cruciale de la crédibilité. De l'aveu de tous, il est présumé qu'un décideur tient compte de tous les éléments de preuve produits, et qu'il n'est nullement besoin de faire explicitement état de chaque élément de preuve : (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 147 N.R. 317 (Hassan)). Toutefois, en l'espèce, la Commission a mal caractérisé la preuve médicale parce qu'elle n'a pas souligné les effets du TSPT sur la crédibilité du requérant lorsque celle-ci était le pivot de sa décision.

[12]       La crédibilité constituait aussi le « pivot » de la décision de la Commission en l'espèce. Celle-ci a néanmoins omis d'indiquer de quelle façon elle avait tenu compte du rapport psychologique lorsqu'elle avait tiré sa conclusion concernant la crédibilité, si tant est qu'elle en ait tenu compte. La Commission ne devait pas se contenter d'indiquer qu'elle avait « examiné » le rapport. Elle devait expliquer de manière satisfaisante comment elle avait tenu compte du grave problème de santé du demandeur avant de conclure à son manque de crédibilité. En ne le faisant pas, elle a commis une erreur susceptible de contrôle qui justifie le renvoi de l'affaire à un tribunal de la Commission différemment constitué.

[13]       Compte tenu de ma conclusion concernant le rapport psychologique, il n'est pas nécessaire que j'examine la conclusion relative à la crédibilité elle-même.


[14]       Par conséquent, l'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

          « K. von Finckenstein »          

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-5968-02

INTITULÉ :                                                                   SULEYMAN FIDAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                                 LE 14 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                    POUR LE DEMANDEUR

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario) M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20031014

Dossier : IMM-5968-02

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                      SULEYMAN FIDAN

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision.

          « K. von Finckenstein »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


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