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Date : 20030128

Dossier : IMM-4207-01

Référence neutre : 2003 CFPI 90

Toronto (Ontario), le mardi 28 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                                       PIL GYO HEO

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Monsieur Pil Gyo Heo (le demandeur) sollicite, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, et du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas, Daniel A. Vaughan (l'agent des visas), a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada le 26 juillet 2001.

[2]                 Le demandeur, un citoyen de la Corée du Sud, a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de travailleur indépendant qualifié en mai 1999. Dans sa demande, il a inscrit son épouse et son fils, Soon Young Heo, comme personnes à charge l'accompagnant. Le demandeur a indiqué qu'il avait l'intention d'exercer la profession d'ingénieur électricien au Canada.

[3]                 Le demandeur a joint à sa demande une lettre datée du 28 avril 1999. Dans le cadre du processus d'examen de cette demande, le demandeur et les personnes à sa charge ont dû fournir des renseignements médicaux. Dans une lettre datée du 8 mars 2001, l'agent des visas a fait savoir au demandeur que les résultats des examens médicaux avaient été évalués. Selon la copie de la déclaration médicale qui était jointe à cette lettre, le fils du demandeur était atteint de dystrophie musculaire. La déclaration médicale indiquait notamment ce qui suit :

[traduction] L'examen clinique et les résultats obtenus en laboratoire révèlent que le demandeur de 17 ans est atteint de dystrophie musculaire, une maladie caractérisée par une faiblesse musculaire progressive associée à une incapacité fonctionnelle croissante. Il se déplace actuellement en fauteuil roulant et il a besoin d'aide pour effectuer les principales activités de la vie quotidienne, comme s'habiller, prendre un bain et utiliser la toilette. S'il est admis au Canada, le demandeur aurait accès à différents services médicaux, infirmiers et sociaux, notamment des soins infirmiers à domicile et de la physiothérapie, et il aurait probablement besoin de ces services. Il devrait aussi être hospitalisé à de nombreuses reprises pour que son état sous-jacent soit contrôlé et que les infections respiratoires et les difficultés respiratoires progressives qui accompagnent souvent la faiblesse musculaire associée à cet état soient traitées. Le demandeur aurait aussi besoin de transport adapté. En fait, il utiliserait beaucoup plus les services sociaux et de santé que le Canadien moyen, ce qui serait jugé excessif. Par conséquent, le demandeur n'est pas admissible suivant le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[4]                 Dans sa lettre du 8 mars 2001, l'agent des visas a aussi souligné que, compte tenu de cet avis du médecin agréé, les demandeurs pourraient ne pas être admissibles au Canada. Il a invité le demandeur à lui transmettre des renseignements additionnels sur l'état de santé de son fils.

[5]                 Le 7 mai 2001, le demandeur a produit de nouveaux documents, notamment des lettres de recommandation attestant les aptitudes intellectuelles et les réussites scolaires de son fils, ainsi qu'une lettre d'un certain docteur Woo datée du 17 avril 2001, dans laquelle celui-ci confirmait le diagnostic de dystrophie musculaire de type Duchenne et faisait des commentaires positifs sur l'intelligence et les réussites scolaires du fils.

[6]                 Ces documents ont été transmis aux médecins agréés du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration par le docteur James Beltran, avec une lettre datée du 21 juin 2001. Le docteur Beltran est celui qui a effectué l'évaluation initiale de l'état de santé du fils. Son avis a été confirmé par le docteur W.G. Waddell, un autre médecin agréé qui était au service du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration depuis le 1er décembre 1998.

[7]                 Dans sa lettre du 21 juin 2001, le docteur Beltran a écrit qu'à son avis les renseignements additionnels fournis par le demandeur au sujet de l'état de santé de son fils ne changeaient rien à la première évaluation médicale qui avait été effectuée, à la suite de laquelle le fils avait été considéré comme étant non admissible au Canada pour des raisons d'ordre médical. Le docteur Beltran a donné l'explication suivante pour justifier sa conclusion :

[traduction] J'estime que ces renseignements ne changent rien à la première évaluation médicale pour les raisons suivantes :


-                 les rapports, lettres et commentaires additionnels qui ont été produits ne renferment aucun nouveau renseignement indiquant que l'état de santé à cause duquel le demandeur a été jugé non admissible pour des raisons d'ordre médical s'est amélioré ou n'entraînera probablement pas un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé. [en caractères gras et en italique dans l'original]

[8]                 Dans un courriel daté du 17 juillet 2001, le docteur Waddell a fait savoir au docteur Beltran qu'il avait examiné les documents transmis par le demandeur le 21 juin 2001 en réponse à la lettre exigée par l'équité procédurale. Il a aussi écrit :

[traduction] Je partage votre avis : aucun nouvel élément de preuve n'a été présenté qui pourrait modifier notre décision conjointe quant à la non-admissibilité de M. Heo pour des raisons d'ordre médical.

[9]                 Ce deuxième avis d'un médecin agréé confirmant le premier a été communiqué à l'agent des visas le 24 juillet 2001. Deux jours plus tard, l'agent des visas a écrit aux demandeurs une lettre dans laquelle il mentionnait :

[traduction] Dans une lettre précédente, notre bureau vous apprenait les résultats de l'examen médical de Soon Young, une personne à votre charge, en soulignant que ces résultats entraîneraient probablement le rejet de votre demande. Vous avez alors été invité à transmettre des renseignements additionnels en réponse à cet examen.

Les renseignements médicaux que vous avez fournis ont été examinés par des médecins agréés des Services médicaux à l'étranger de Citoyenneté et Immigration Canada. Ces médecins m'ont fait savoir qu'ils maintenaient leur avis.

J'ai maintenant terminé l'étude de votre demande. Soon Young, une personne à votre charge, fait partie de la catégorie des personnes non admissibles décrite au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration de 1993, ...

Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision défavorable.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[10]            Le demandeur prétend que les médecins agréés ne disposaient pas d'éléments de preuve suffisants pour conclure que son fils entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. Selon lui, la preuve médicale indiquait qu'il était impossible d'établir un pronostic sûr puisque l'état de son fils pouvait s'améliorer, rester le même ou se détériorer. Le demandeur se fonde à cet égard sur le rapport médical du docteur Moon du 17 juillet 2000.

[11]            Il prétend aussi que plusieurs des conclusions formulées par les médecins agréés dans la déclaration médicale au sujet de l'état de santé de son fils n'étaient pas étayées par la preuve dont ils disposaient, par exemple celle selon laquelle son fils aurait besoin de [traduction] « soins infirmiers à domicile » et [traduction] « devrait [...] être hospitalisé à de nombreuses reprises » , et celle relative au traitement des infections respiratoires causées par une défaillance progressive du système respiratoire. La preuve indiquait en fait que le fils du demandeur n'avait jamais eu besoin de ce type de services et n'avait jamais été hospitalisé dans le passé.

[12]            Le demandeur soutient que l'expression « fardeau excessif » doit être interprétée en tenant compte de la disponibilité du service exigé. Il fonde sa prétention sur les décisions suivantes : Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 311, Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56, et Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 274 (1re inst.).

[13]            Le demandeur soutient également que la preuve en l'espèce n'indique pas que les médecins agréés ont pris en considération la disponibilité des services dont son fils aurait soi-disant besoin dans l'avenir. Rappelant la décision Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1934 (1re inst.) (QL), le demandeur affirme que, si la disponibilité ou la rareté des services sociaux et de santé qui seraient probablement requis n'est pas prise en considération, il est impossible d'apprécier le caractère raisonnable de l'avis des médecins agréés sur la question du fardeau « excessif » . Une erreur de droit susceptible de contrôle a été commise à cet égard puisque l'agent des visas s'est fondé sur l'avis des médecins agréés pour prendre sa décision.

[14]            Le demandeur soutient de plus qu'un médecin agréé a l'obligation de déterminer si les services requis sont couverts par le régime provincial d'assurance-maladie et de traiter clairement de cette question dans son avis (Manto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 205 F.T.R. 165). Or, les médecins agréés ne l'ont pas fait en l'espèce, et il est impossible de déterminer si leur conclusion est raisonnable en l'absence d'une preuve indiquant qu'ils ont appliqué les critères appropriés pour décider si le fardeau serait réellement « excessif » .


[15]            Le demandeur prétend ensuite que les médecins agréés n'ont pas expliqué avec précision pour quelles raisons un fardeau excessif serait créé si son fils avait besoin de soins spéciaux. Selon lui, il ressort de la preuve, plus particulièrement des lettres de recommandation attestant les capacités intellectuelles et les réussites scolaires de son fils, que celui-ci est relativement indépendant et en bonne santé. Les médecins agréés n'avaient aucune raison de conclure qu'il avait besoin de soins spéciaux dans la mesure décrite dans la déclaration médicale. Le demandeur se fonde à cet égard sur la décision Mo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 201 F.T.R. 11.

[16]            Le demandeur soutient aussi que l'agent des visas a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il prétend que l'agent des visas qui a rendu la décision défavorable n'avait pas entre les mains tous les documents dont les médecins agréés avaient disposé. Selon lui, l'agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu'il n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents. Il se fonde à cet égard sur la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 73.

[17]            Finalement, le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au paragraphe 11(3) du Règlement et en n'envisageant pas de permettre à son fils d'entrer au Canada en vertu d'un permis ministériel. Il invoque la décision Savvateev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 170 F.T.R. 317, au soutien de sa prétention.


[18]            En conclusion, le demandeur soutient que, si la Cour conclut que les médecins agréés ou l'agent des visas ont commis une erreur, elle devrait annuler la décision puisque l'on ignore ce qu'aurait été l'issue de la demande si l'erreur n'avait pas été commise. Il se fonde à cet égard sur la décision Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 209 F.T.R. 62.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[19]            Le défendeur soutient que les médecins agréés et l'agent des visas ont évalué et traité correctement la demande du demandeur et qu'ils l'ont fait en conformité avec le droit et les principes de l'équité procédurale.

[20]            Le défendeur soutient que la preuve appuie la conclusion selon laquelle l'admission du fils du demandeur entraînerait ou risquerait d'entraîner un « fardeau excessif » pour les services sociaux ou de santé au Canada. Se fondant sur la décision Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), il rappelle que la Cour a reconnu que le diagnostic et le pronostic établis par les médecins agréés découlent directement de leur expertise en matière médicale et ne peuvent être modifiés par un profane.


[21]            Le défendeur fait valoir que la Cour a considéré que les avis émis par des médecins agréés aux fins du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sont raisonnables si les médecins les adoptent après avoir examiné la preuve dont ils disposaient au sujet de la nature, de la gravité et de la durée probable de la maladie de l'immigrant éventuel et s'ils ont décrit clairement les services médicaux ou sociaux qui seront probablement requis. Selon le défendeur, les médecins agréés en l'espèce ont respecté la norme examinée par la Cour dans les affaires Mohamed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.), Parmar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 6 Imm. L.R. (2d) 146 (C.A.F.), et Ning c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 134 F.T.R. 303.

[22]            En réponse aux arguments du demandeur concernant la disponibilité des services médicaux, le défendeur fait valoir qu'il n'est pas nécessaire que les médecins agréés connaissent avec précision la disponibilité d'un service social ou de santé particulier au Canada pour pouvoir émettre un avis légitime et raisonnable aux fins du sous-alinéa 19(1)a)(ii). En l'espèce, les médecins agréés ont établi le même diagnostic à l'égard du fils, ont évalué les services dont celui-ci aurait besoin et ont déterminé si le recours à ces services entraînerait un fardeau « excessif » ou [traduction] « plus lourd que la normale » . Le défendeur se fonde ici sur les décisions Jim et al., précitée, Ismaili, précitée, et Ning, précitée.

[23]            Le défendeur soutient que le processus suivi par l'agent des visas et les médecins agréés satisfaisait parfaitement aux exigences de l'équité procédurale telles qu'elles ont été établies par la Cour d'appel fédérale dans Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 278 N.R. 172 (C.A.F.), et Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 2 C.F. 413 (C.A.). Ainsi, le demandeur a eu la possibilité de répondre au diagnostic et au pronostic établis par les médecins agréés ainsi qu'aux conclusions qu'ils ont tirées relativement à la question du « fardeau excessif » . Le demandeur a produit des documents additionnels qui ont été examinés par les médecins agréés.

[24]            Le défendeur n'est pas d'avis que l'agent des visas a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a rendu sa décision puisqu'il est lié par l'avis émis par les médecins agréés aux fins du sous-alinéa 19(1)a)(ii), à moins que cet avis ne soit pas raisonnable parce qu'il comporte un défaut évident. Le défendeur se fonde à cet égard sur les décisions Fei, précitée, et Ma, précitée.

[25]            Le défendeur affirme par ailleurs que les prétentions du demandeur concernant le défaut de l'agent des visas d'exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au paragraphe 11(3) du Règlement sont sans fondement puisqu'un agent des visas ne peut exercer ce pouvoir que si demande lui en est faite. Or, le demandeur n'a pas fait une telle demande en l'espèce (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316).

[26]            Le défendeur soutient finalement que le paragraphe 11(3) du Règlement ne permet pas à un agent des visas d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à passer outre à une conclusion de non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical. Ce pouvoir discrétionnaire a plutôt pour but de permettre à un agent des visas de délivrer un visa à un immigrant éventuel s'il est d'avis que le nombre de points d'appréciation accordé en vertu de l'annexe I du Règlement ne reflète pas fidèlement la capacité de cet immigrant de s'établir avec succès au Canada. Or, ce n'est pas le nombre de points d'appréciation qui était en cause en l'espèce, mais la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical du fils du demandeur.


ANALYSE

[27]            Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi est pertinent aux fins de la présente affaire :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

[...]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

...

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;


[28]            La constitutionnalité de cette disposition a récemment été reconnue par la Cour d'appel fédérale dans Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 271, [2002] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL). La Cour d'appel a aussi parlé de l'absence d'une définition de l'expression « fardeau excessif » dans la loi, au paragraphe 18 :

La Cour a toutefois statué, dans le jugement Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995), 100 F.T.R. 139, que la loi ne confère pas au ministre le pouvoir de prendre des règlements portant sur la non-admissibilité pour des raisons de santé liées à l'existence d'un fardeau excessif, mais uniquement de prendre des règlements relatifs à la non-admissibilité pour des motifs de santé et de sécurité publiques. Ainsi, la loi ne définit pas l'expression « fardeau excessif » .

[29]            La Cour d'appel a aussi examiné d'autres décisions récentes où le concept de « fardeau excessif » avait été analysé. Dans Poon, précitée, M. le juge Pelletier, tel était alors son titre, a écrit, au paragraphe 21 :


Le coût à lui seul ne peut être un facteur déterminant. Si c'était le cas, on s'attendrait à ce que les lois et les règlements fassent mention du coût excessif plutôt que du fardeau excessif.

[30]            Il ne suffit pas cependant de tenir compte uniquement du coût. Le concept de « fardeau excessif » figurant dans la Loi est lié à la question de l'offre et de la demande des services de santé au Canada. Je renvoie à ce sujet à la décision Ma, précitée, à la page 313, à Shan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 238, aux paragraphes 3 à 5, et à la décision Manto, précitée, au paragraphes 28 et 29.

[31]            Dans l'arrêt Deol, précité, la Cour d'appel fédérale a aussi statué qu'il faut, pour déterminer si une personne pourrait entraîner un « fardeau excessif » pour les services de santé au Canada, tenir compte du coût et de la disponibilité. Elle a écrit, au paragraphe 24 :

De plus, il serait irréaliste de dissocier les coûts de la disponibilité. Si un nombre suffisant de personnes nécessitent des services de santé qui coûtent cher mais qui font l'objet d'une faible demande, il se peut qu'on doive réaffecter des ressources déjà consacrées à d'autres services pour lesquels la demande est plus élevée, créant ou allongeant ainsi la liste d'attente pour ces services. Il est également possible qu'une demande accrue pour un service déterminé empêche la redistribution de ressources en faveur de services pour lesquels il existe une pénurie.

[32]            Elle a conclu que la disponibilité des services de santé avait été prise en compte dans Deol, précité, et a écrit, au paragraphe 26 :

Ainsi, si l'on tient compte à la fois des coûts et de la disponibilité, il était de toute évidence loisible à la Commission de conclure, vu l'ensemble de la preuve, qu'il était raisonnable de la part de l'agent des visas de conclure que, s'il était admis comme résident permanent, M. Singh aurait probablement besoin de services de santé qui entraîneraient un fardeau excessif pour le Canada. En conséquence, rien ne justifie de modifier cet aspect de la décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[33]            En l'espèce, il n'y a aucune preuve qui indique que les médecins agréés se sont penchés sur la question de l'offre et de la demande des services de santé dont pourrait avoir besoin le fils du demandeur. L'absence d'une telle preuve jette un doute sur le caractère raisonnable de l'avis des médecins agréés et sur la conclusion finale à laquelle l'agent des visas est arrivé relativement à la non-admissibilité du fils du demandeur pour des raisons d'ordre médical. Dans la décision Rabang, précitée, Mme le juge Sharlow, tel était alors son titre, a écrit, aux paragraphes 14, 20 et 21 :

La preuve que contient le dossier médical étaye l'avis du médecin agréé dans la mesure où elle porte sur l'état de santé de Patrick et sur le fait qu'à l'avenir, il aura probablement besoin de soins médicaux, de soins thérapeutiques, et d'enseignement spécial. Cependant, sauf une exception de peu d'importance [...], il n'y a pas de preuve sur ce que j'appelle les aspects non médicaux de l'avis, soit la disponibilité, la rareté ou les coûts de services sociaux ou de santé financés à même les deniers publics, établissant ce que Patrick exigera probablement. Comme on n'a pas tenté de pallier ce manque de preuve par un affidavit, il est impossible d'apprécier le caractère raisonnable de l'avis du médecin agréé selon lequel on peut raisonnablement s'attendre à ce que les besoins de Patrick entraînent un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

[...]

Dans un certain nombre d'affaires dont notre Cour a été saisie, des éléments de preuve établissant le coût social ont été produits pour justifier l'avis d'un médecin agréé sur le fardeau excessif. Je renvoie, à titre d'exemple, à l'affaire Ma, précitée, à la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-288-99 (29 octobre 1999) (C.F. 1re inst.), et à l'instance qui s'est déroulée devant la Section de première instance dans l'affaire Thangarajan, précitée (décision publiée à (1998) 152 F.T.R. 91), et dans l'affaire connexe Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 129 F.T.R. 151 (deux décisions confirmées par la Cour d'appel fédérale le 24 juin 1999).

On a également soutenu, pour le compte du ministre, qu'il incombait aux demandeurs de convaincre le médecin agréé que le fardeau que Patrick entraînerait sur les services sociaux et de santé financés à même les deniers publics ne serait pas excessif, et que ces derniers n'ont produit aucun élément de preuve à cet égard. Cet argument ne traite pas du problème fondamental que soulève la présente affaire. Le problème est que le dossier ne contient aucun élément de preuve sur la question cruciale du fardeau excessif.

[34]            Monsieur le juge Lemieux a adopté la même approche dans Redding c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] 1 C.F. 496 (1re inst.), aux paragraphes 35 à 38.

[35]            En l'espèce, la déclaration médicale n'indique pas que les médecins agréés ont pris en considération la disponibilité des services dont le fils du demandeur aurait besoin. Cette déclaration se lit en partie comme suit :

[traduction] S'il est admis au Canada, le demandeur aurait accès à différents services médicaux, infirmiers et sociaux, notamment des soins infirmiers à domicile et de la physiothérapie, et il aurait probablement besoin de ces services. Il devrait aussi être hospitalisé à de nombreuses reprises pour que son état sous-jacent soit contrôlé [...] Le demandeur aurait aussi besoin de transport adapté. En fait, il utiliserait beaucoup plus les services sociaux et de santé que le Canadien moyen, ce qui serait jugé excessif.

[36]            Il n'y a rien d'autre dans le dossier qui montre que les médecins agréés ont pris en considération la disponibilité des services en cause lorsqu'ils ont émis leur avis concernant la question du « fardeau excessif » . La déclaration médicale ne parle pas non plus du coût probable de ces services, sans égard à leur disponibilité au Canada.

[37]            Le critère relatif à l'exclusion d'une personne pour des raisons d'ordre médical en conformité avec la Loi n'exige pas seulement que cette personne soit atteinte d'une maladie ou d'une invalidité. Aux termes de la Loi, il faut que cette condition risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. Il faut aussi que la conclusion repose sur une preuve qui démontre que la question sous-jacente de l'offre et de la demande des services qui seraient requis a été examinée. Or, en l'espèce, il n'y a pas au dossier de preuve relative à l'offre et à la demande des services dont aurait apparemment besoin le fils du demandeur.


[38]            L'adjectif « excessif » exige qu'une comparaison soit faite avec une certaine norme. Rien ne permet de croire en l'espèce que les médecins agréés ou l'agent des visas ont tenté de faire une telle comparaison. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée d'abord à des médecins agréés différents et, ensuite, à un autre agent des visas pour être réexaminée.

[39]            Les avocats ont indiqué que l'affaire ne soulevait aucune question devant être certifiée.

                                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée d'abord à des médecins agréés différents et, ensuite, à un autre agent des visas pour être réexaminée.

L'affaire ne soulève aucune question devant être certifiée.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4207-01

INTITULÉ :                                                       PIL GYO HEO

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION      

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le mercredi 22 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                    Le mardi 28 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Marvin Moses                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Marie-Louise Wcislo                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Rhonda Marquis

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

480, avenue University, bureau 610

Toronto (Ontario) M5G 1V2

Morris Rosenberg                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                          Date : 20030128

                                                            Dossier : IMM-4207-01

ENTRE :

PIL GYO HEO

                                                                                    demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                          

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