Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211117


Dossier : IMM-1831-20

Référence : 2021 CF 1258

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2021

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

KABERUKA, PIERRE

UWINEZA, KABERUKA CHANTAL

KABERUKA, JOEL

KABERUKA, INEZA JAEL

KABERUKA, JOANNA UWANTEGE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Pierre Kaberuka et sa famille recherchent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [ci-après la LIPR ou la Loi]. La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la Loi.

I. Questions préliminaires

[2] La Cour a soulevé d’entrée de jeu deux questions. D’abord, en vertu de quoi une décision de la SPR peut-elle être présentée à la Cour sans que l’affaire ne soit déférée à la Section d’appel des réfugiés [SAR]? Ensuite quel traitement doit être réservé à un long affidavit (9 pages) soumis plus de six mois après la décision de la SPR ? Dans un cas, il s’agit de la juridiction de la Cour pour entendre un contrôle judiciaire et dans l’autre il s’agit de l’administration d’une preuve ex post facto, c’est-à-dire après qu’un tribunal administratif a décidé une affaire.

[3] Pour ce qui est de la première question, c’est par application du paragraphe 110(2) de la LIPR qu’aucun appel n’est permis à la SAR lorsqu’un étranger arrive à un poste-frontière directement des États-Unis. Le seul recours face à la décision de la SPR est alors devant la Cour fédérale, l’appel à la SAR étant prohibé.

[4] La deuxième question nécessite un développement plus long. Les Demandeurs ont soumis un dossier de demande de 241 pages. Il y était inclus un affidavit du Demandeur principal long de neuf pages, avec dix pièces ajoutées. Ces pièces, plutôt hétéroclites, ne fournissaient pas la provenance de celles-ci. Ainsi, il n’était pas clair s’il s’agissait d’une nouvelle preuve, venant ainsi à l’encontre de la règle selon laquelle le contrôle judiciaire doit considérer le dossier certifié du tribunal, puisque c’était la preuve présentée devant le tribunal administratif. En effet, une cour de révision ne peut considérer que les éléments sur lesquels la décision à réviser était fondée (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263) [Bernard]. Comme le disait le juge d’appel Stratas dans Bernard, il est fondamental que l’on respecte les rôles différents que jouent les décideurs administratifs et les cours :

[17] Les demandes de contrôle judiciaire sont des instances où une cour de révision est invitée à annuler les décisions confiées par le législateur à un décideur administratif. Dans ce contexte, le décideur administratif et la cour de révision jouent des rôles différents à ne pas confondre :

Pour se prononcer sur l'admissibilité de l'affidavit [...], il faut constamment garder à l'esprit le rôle différent joué par notre Cour et par [le décideur administratif]. Le législateur a conféré [au décideur administratif] — et non à notre Cour — la compétence pour trancher certaines questions sur le fond, telles que celles de l'opportunité d'homologuer un tarif provisoire, d'en définir la teneur et de préciser les modalités dont ils peuvent être assortis. Dans le cadre de cette mission, c'est [au décideur administratif] et non à notre Cour qu'il appartient de tirer des conclusions de fait, de déterminer les règles de droit applicables, d'examiner la question de savoir s'il existe des questions d'orientations générales dont on devrait tenir compte, d'appliquer les règles de droit et toute orientation générales aux faits qu'elle constate, de tirer des conclusions et, le cas échéant, d'examiner l'opportunité d'accorder une réparation. En l'espèce, [le décideur administratif] s'est déjà [acquitté] de ce rôle en prenant une décision sur le fond, celle d'établir un tarif provisoire, et en refusant de le modifier.

 

La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond qui a ainsi été rendue. Dans le cas d'une telle demande, notre Cour ne dispose que de pouvoirs limités en vertu de la Loi sur les Cours fédérales en ce qui concerne le contrôle de la décision [du décideur administratif]. Notre Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que [le décideur administratif] a fait et elle ne peut se pencher sur le bien-fondé de la décision [du décideur administratif] ou rendre une nouvelle décision sur le fond.

En raison des rôles bien distincts que jouent respectivement notre Cour et [le décideur administratif], notre Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le décideur administratif]. En d'autres termes, les éléments de preuve qui n'ont pas été portés à la connaissance [du décideur administratif] et qui ont trait au fond de l'affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l'a déclaré dans l'arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees' Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n'ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (voir également les arrêts Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3, et Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11).

(Access Copyright, précité, aux paragraphes 17 à 19, adopté dans Connolly, précité, au paragraphe 7; voir également Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux paragraphes 41 et 42.)

[Je souligne.]

[5] En notre espèce, il n’a jamais été clarifié en quoi cet affidavit et ces pièces se voulaient de la nouvelle preuve. On y retrouvait des écrits qui se trouvaient peut-être déjà dans le dossier certifié du tribunal (par exemple, le fondement de la demande d’asile, une lettre de M. Gitwaza en date du 26 avril 2016) alors que la provenance d’autres pièces est restée méconnue. L’affidavit, qui doit se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 81), déborde largement en contravention de la règle qui veut que « les opinions, les arguments et les conclusions de droit n’ont donc pas leur place dans un affidavit » (Bernard Letarte et al, Recours et procédure devant les Cours fédérales, LexisNexis Canada, 2013, au # 3-44). Enfin, cet affidavit cherchait à reproduire des extraits du témoignage du Demandeur principal devant la SPR sans que la transcription complète ne soit fournie ou que la transcription ne soit attestée.

[6] La Cour a indiqué à l’audience que l’affidavit n’était pas conforme aux prescriptions dans ce domaine. L’affidavit n’est pas admissible dans une bonne mesure (opinions, arguments). Quant aux transcriptions d’extraits du témoignage du Demandeur principal, elles sont sujettes à une évaluation de leur valeur probante vu une absence de contexte et le fait qu’elles ne font pas l’objet d’une quelque forme d’attestation. À tout évènement, l’ensemble de la décision de la SPR est évalué sur la base de la décision raisonnable et l’affidavit du Demandeur principal dans la mesure de son admissibilité en fera partie. Je note que le narratif qui se trouve au fondement de la demande d’asile (FDA) est une alternative raisonnable à l’affidavit offert après que la décision a été rendue pour ce qui est d’établir les faits qui sont présentés par le Demandeur principal. La Cour s’y tiendra.

II. Les faits

[7] La SPR dégage dans sa décision rendue le 27 janvier 2020 l’allégation faite par les Demandeurs comme étant la crainte de persécution dans leur pays de citoyenneté, le Rwanda, du Front Patriotique du Rwanda (FPR), de la police et d’un certain Paul Gitwaza. On note que le narratif du Demandeur principal ne parlait que de persécution menée à son égard par le FPR, le parti au pouvoir au Rwanda. Mais, ultimement, les allégations ont été présentées comme dépassant la persécution alléguée du FPR.

[8] Les Demandeurs sont Pierre Kaberuka, sa femme et leurs trois enfants, tous trois nés hors du Rwanda. Le Demandeur principal dit avoir reçu la foi en 1990, alors qu’il était âgé de 23 ans : il avait alors joint une église pentecôtiste locale. Il est devenu pasteur responsable d’une église jusqu’en 1994. En 1995, le Demandeur principal s’est inscrit à l’université nationale du Rwanda.

[9] Avec quelques collègues, dont Paul Gitwaza (que le Demandeur principal dit être « le Représentant légal »), il a été fondé en 1999 les Églises Zion Temple. Ainsi, le Demandeur principal est membre fondateur du Ministère de la parole authentique / Zion Temple et il aura agi comme secrétaire général de l’organisation. Celle-ci a eu une rapide croissance. En cinq ans, de nombreuses branches ont été créées au Rwanda, en République démocratique du Congo, au Burundi et en Tanzanie, mais aussi à l’extérieur de l’Afrique (Belgique, Danemark, Royaume-Uni, États-Unis d’Amérique, Suède, France, Canada).

[10] Cela l’a amené à voyager beaucoup : cela l’aura mené dans des pays où l’Église a été implantée et ailleurs (Australie, Philippines, Afrique du Sud et d’autres pays africains). Avec l’expansion de l’organisation, six évêques ont été établis et le Demandeur principal a été fait l’un de ceux-ci (responsable de la province de l’Est).

[11] En 2012, une agence de développement a été fondée pour coordonner les activités de développement à travers le Rwanda et ailleurs; le Demandeur principal a été fait premier vice-président. Contre cette toile de fond, le Demandeur principal allègue avoir subi de la persécution qui aura engendré son départ du Rwanda.

[12] Le Demandeur principal allègue que l’État rwandais a mis en place, depuis le début de 2014, ce qu’il a appelé « une politique de contrôle de la société civile » (organisations non gouvernementales et associations religieuses incluses). Cette politique se serait accentuée dans les années qui ont suivi. Le Demandeur principal allègue qu’il s’agissait de placer la société civile dans une position d’allégeance au régime. Le Demandeur principal fait grand état d’un incident en juillet 2015 où les autorités policières sont intervenues pour faire cesser une conférence internationale organisée par l’Église Zion Temple.

[13] M. Gitwaza a quitté pour les États-Unis en août 2015. Le Demandeur principal prétend que c’est à cause de l’intimidation exercée et le climat malsain qui n’était pas favorable à l’Église Zion Temple que M. Gitwaza a quitté pour huit mois. Or, un article publié à la fin de l’année 2015 indiquait que certains évêques, dont le Demandeur principal, voulaient évincer M. Gitwaza de ses responsabilités de représentant légal. M. Kaberuka et ses collègues ont démenti cette nouvelle. Cependant, il appert que deux membres de l’Église Zion Temple ont voyagé aux États-Unis pour confirmer à M. Gitwaza le contenu de l’article publié. Le récit du Demandeur principal est muet sur ce que les évêques, ou lui, ont fait pour convaincre M. Gitwaza de leur bonne foi. Quoiqu’il en soit, M. Gitwaza rentrait au Rwanda en avril 2016. Il semble avoir fait maison nette par la suite. Dans les mois qui ont suivi avril 2016, les évêques ont été envoyés travailler dans les différentes provinces du Rwanda. Ils étaient pour ainsi dire congédiés en octobre 2016.

[14] L’épouse du Demandeur principal était affectée par une réorganisation là où elle travaillait alors que son poste était aboli en novembre 2016. Le Demandeur principal prétend avoir été convoqué officieusement par la police face à des reproches d’avoir semé la zizanie et troublé l’ordre public. Le récit du Demandeur ne précise pas ce qui aurait pu inciter cette semonce.

[15] Ce que le Demandeur principal dit être des abus a été dénoncé le 20 janvier 2017 auprès du Rwanda Governance Board (RGB); selon le Demandeur, il s’agit d’une « institution étatique en charge des églises et organisations non-gouvernementales ». Le Demandeur principal n’a pas mis en exergue le mandat du RGB, ce qui aurait pu expliquer en quoi cette démarche aurait pu être pertinente par rapport à ce qui ressemblait être des questions de régie interne de l’Église Zion Temple.

[16] L’absence d’action du RGB aura incité les évêques à une démarche auprès du bureau du Premier ministre le 24 mai 2017. Ils ont été ignorés.

[17] Le Demandeur principal dit que M. Gitwaza le calomniait durant ce temps. Il dit avoir porté plainte pour diffamation et mauvaise gestion. On ne sait où. On nous dit plutôt que la plainte a été ignorée. De même, le Demandeur principal allègue des interpellations, interrogations, menaces d’arrestation par la police. Aucune précision n’est donnée au narratif sur le nombre de telles actions, les dates, ou les allégations faites à son égard.

[18] Il est allégué au narratif qu’une lettre envoyée par M. Gitwaza au secrétaire général du FPR, le 29 avril 2016, dès son retour au Rwanda, est devenue publique quelque temps en 2017. La lettre est au dossier certifié du tribunal et était devant la SPR. Le Demandeur principal qualifie cette lettre de « lettre d’allégeance au parti » et la lettre identifie le Demandeur comme étant l’un des cinq évêques avec qui M. Gitwaza ne peut travailler à l’avenir. On se rappellera que les évêques ont été exilés par la suite avant d’être congédiés en octobre 2016 par M. Gitwaza.

[19] Le Demandeur principal a alors choisi de former une autre église, en mai 2017, la Glory to God Temple. Le Demandeur reconnaît l’absence « de documents légaux nous autorisant à travailler » (on ne sait pas lesquels); la nouvelle église a commencé ses opérations « sous-couvert d’une autre église ». Le Demandeur principal allègue avoir été sous écoute électronique et être surveillé, avec visites régulières des agents de renseignement. Comme pour d’autres telles allégations, aucune précision n’est donnée à l’égard de ces allégations : ni le nombre, ni les dates, ni la teneur des « interrogations officieux [sic] », outre que « pour sonder si on avait de la rancoeur envers l’État ou non » n’ont été offerts en preuve.

[20] Alors que l’église fondée par le Demandeur principal avait débuté ses opérations en mai 2017, elle devait fermer ses portes en mars 2018 parce qu’elle ne rencontrait pas les conditions prescrites. Le Demandeur principal reconnait d’emblée qu’il y avait de très nombreuses fermetures d’églises lors de ce « courant ». Six mille églises dans tout le pays ont fermé et, de ce nombre, sept cents, seulement à Kigali, ont fermé leurs portes.

[21] Il semble qu’on ait reproché au local qu’occupait la nouvelle église avec une autre le bruit qui en émanait. Les ajustements faits auront permis à cette autre église de recommencer ses activités, alors que l’autorisation requise pour l’église du Demandeur principal continuait à faire défaut. Le Demandeur principal en a fait une affaire personnelle, disant que « nous n’avons pas compris les critères de sélection utilisés pour choisir l’église qui allait continuer ses activités et celle qui devait arrêter les siennes »

[22] Les évêques évincés ont demandé une audience au secrétaire général du FPR en juin 2018 mais, semble-t-il, ils ont été chassés sans même être entendus. Ils ont rencontré la maire du district à la fin septembre 2018. Tout ce que le Demandeur principal en dit est qu’ils ont quitté son bureau sans résultat.

[23] Le Demandeur principal dit alors qu’il a décidé en ce jour de fin septembre 2018 que « je devais absolument quitter ce pays ». Pourquoi? Parce qu’une fois que les fidèles se seront lassés, « le régime n’allait pas hésiter à nous emprisonner ou nous tuer ». Aucune précision ou explication n’est offerte pour ce qui pourrait apparaître être un langage quelque peu hyperbolique, sans autre contexte ou explication.

[24] Le Demandeur principal et son épouse achetaient des billets d’avion pour les États-Unis (ils avaient tous les deux des visas valides) le 1er octobre 2018. Deux vols différents ont été choisis, les 3 et 6 octobre 2018. La famille traversait la frontière canadienne, au poste frontalier de Lacolle, au Québec, le 10 octobre. Grâce au fait de la présence de famille au Canada, les Demandeurs n’ont pas été refoulés à la frontière. Le Demandeur principal conclut que, « pour toutes ces raisons je demande l’asile et la protection au Canada. »

III. La décision dont contrôle judiciaire est demandé

[25] Le FDA était devant la Section de la protection des réfugiés. Un dossier considérable était aussi devant elle (494 pages) et des témoins, dont le Demandeur principal, ont été entendus. La SPR a conclu que ni l’article 96, ni l’article 97 de la Loi ne pouvaient trouver application. Je note que l’avocat représentant les Demandeurs a concédé devant la SPR que l’enfant née aux États-Unis ne pouvait se réclamer des articles 96 et 97, d’autant que le Demandeur principal aurait conclu « qu’il ne croyait pas qu’elle craigne quoi que ce soit aux États-Unis » (décision de la SPR, para 25-26).

[26] De l’avis de la SPR, les problèmes rencontrés au Rwanda par les Demandeurs ne constituent pas de la persécution. L’analyse de la SPR ne l’amène pas à douter de la participation du Demandeur principal dans la création de l’Église Zion Temple. C’est plutôt que les traitements que le Demandeur principal dit avoir subi, « ne correspondent pas à la définition telle qu’articulée dans l’arrêt Ward » (décision de la SPR, para 30). Les Demandeurs ont allégué persécution en raison de leur religion et les opinions politiques imputés. La SPR n’est pas d’accord. Les mauvais traitements ne peuvent constituer de la persécution parce que ceux-ci doivent être graves, voulant dire qu’ils doivent être de la nature d’une dénégation majeure d’un droit de la personne fondamental. Les vexations subies ne sont pas de cet ordre.

[27] La SPR examine ces vexations :

  • a) Fermetures d’églises

C’est le Demandeur principal lui-même qui a indiqué dans son témoignage le grand nombre de fermetures d’églises au Rwanda, et en particulier à Kigali. Mais il a aussi indiqué que les fermetures l’étaient pour que les églises répondent à certains critères, dont avoir ses propres locaux (sur une période de deux ans), avoir un stationnement, des locaux à l’épreuve du son, des toilettes et un réservoir d’eau). Conformité à ces règles est requise avant de pouvoir ouvrir. Selon la SPR, l’église du Demandeur principal n’était pas ciblée, mais était plutôt l’une de six mille églises fermées. La pratique religieuse n’est pas interdite. C’est plutôt que des normes sanitaires et sécuritaires n’ont pas été respectées. Ne pas pouvoir rouvrir pour les raisons évoquées ne constitue pas de la persécution. De fait, la SPR a retenu que la mairesse de Kicukiro avait prévenu le Demandeur principal et ses condisciples qu’ils n’avaient pas reçu les autorisations requises (« ils n’ont pas de papier légal », décision de la SPR, para 37).

b) Le Secrétaire général du FPR

La SPR a conclu que le fait de ne pouvoir discuter des problèmes administratifs de l’église du Demandeur principal ne constitue pas de la persécution. Tel qu’en a témoigné la femme du Demandeur, le Secrétaire général occupe un poste très important au sein de l’appareil étatique du Rwanda. Il proposerait, entre autres, des candidats pour des postes de ministres, ambassadeurs et directeurs pour les grandes sociétés. L’épouse du Demandeur principal concédait d’emblée qu’il ne pourrait pas s’occuper de problèmes locaux. Elle a témoigné qu’il occupait le troisième poste en importance après le président et le vice-président du pays. Le FPR est le parti au pouvoir.

c) Le rôle de Paul Gitwaza

M. Gitwaza veut garder le MPA/Zion Temple pour lui-même. Il avait écrit au Secrétaire général du FPR en avril 2016, au retour de son séjour aux États-Unis alors que, semble-t-il, un bras de fer était engagé entre les cinq évêques, dont le Demandeur principal, et M. Gitwaza. Il s’y plaignait des cinq évêques. De plus, ces évêques lui ont réclamé les gages non payés depuis février 2017. Les choses n’étaient manifestement pas au mieux entre les deux factions. Ces mêmes évêques ont allégué des détournements de fonds, l’utilisation de faux documents et la diffamation publique. Ils ont même tenté d’arrêter la publication des changements de statuts du MPA/Zion Temple dans la Gazette officielle. Le changement aux statuts ne constitue pas de la persécution et les autres allégations relèvent des difficultés internes de l’Église, et ne constituent pas un fondement pour une demande d’asile.

d) Opinion politique imputée et « ennemi du pays »

M. Kaberuka dénonce ce qu’il appelle des opinions politiques imputées retenues contre lui par le parti au pouvoir. Le Demandeur principal dit craindre non pas une personne en particulier, mais le parti FPR en soi. Il s’est aussi plaint de la police qui l’aura interpellé une dizaine de fois, dit-il, où le Demandeur principal aurait été interrogé et menacé d’arrestation au sujet de diverses malversations : possession d’argent du Zion Temple, détention de comptes bancaires hors du Rwanda et utilisation de cet argent. La suggestion lui était faite par la police de quitter l’Église. Le Demandeur principal a confirmé n’avoir subi aucune blessure physique, mais il dit avoir subi des menaces d’ordre psychologique.

Le Demandeur principal s’est plaint que la police avait affublé ses confrères et lui d’être des « ennemis du pays ». Selon lui, cette étiquette fait qu’on a peur de toi, que ta famille te renie. Questionné par la SPR à savoir si lui ou ses condisciples ont subi des effets du fait de cette étiquette, le Demandeur principal a dû concéder que rien de tel ne s’est produit pour eux. De fait, l’étiquette a reçu une attention particulière de la part de la SPR. Celle-ci a consulté la preuve documentaire pour constater que les personnes comme M. Kaberuka ne sont pas parmi les catégories de personnes affublées de cette étiquette. Il en ressort que la crainte n’est pas fondée. Aucune preuve n’étayait ces allégations et aucun des condisciples n’a subi de préjudice.

Quant aux contacts avec la police, on n’y voit pas persécution. Au dire même du Demandeur principal, les interrogations étaient à caractère financier. Aucune arrestation n’aura eu lieu, le Demandeur principal n’a connu aucune violence et il a pu continuer ses activités. Il n’y a eu aucune persécution selon la SPR.

e) Perte d’emploi de l’épouse et crainte objective

Lors d’une restructuration ayant eu lieu là où travaillait l’épouse du Demandeur principal, le poste de la Demanderesse a été aboli et elle n’avait pu trouver un autre emploi par la suite. Cela, constate la SPR, ne constitue pas de la persécution. Pour la SPR, la prépondérance des probabilités n’a pas été satisfaite démontrant le lien de causalité entre les difficultés rencontrées par le Demandeur principal et la perte d’emploi de la Demanderesse.

[28] La SPR a questionné la crainte objective qui doit être démontrée pour avoir gain de cause. On a même souligné la grande difficulté pour le Demandeur principal à identifier un moment où il aurait commencé à craindre pour sa vie. Questionné à huit reprises, il a fini par répondre que sa crainte a commencé en 2016. Alors qu’il avait voyagé de par le monde, et en particulier aux États-Unis en 2016 et 2018, le Demandeur principal a indiqué qu’il espérait que les choses s’arrangent. La SPR ne croit pas, selon la balance des probabilités, à persécution ou à un empêchement de pratiquer sa foi. De fait, même la crainte subjective est douteuse pour qui a voyagé hors du Rwanda depuis 2016, notamment aux États-Unis.

[29] La crainte d’un retour au Rwanda engendrée du fait que les Demandeurs avaient été hors du Rwanda n’a pas été retenue non plus. La SPR a noté les nombreuses absences des Demandeurs au cours des dernières années et, souvent, pour de longues périodes. Il n’y a rien d’anormal pour ces Demandeurs d’être à l’extérieur du Rwanda. Leur absence du Rwanda depuis leur venue au Canada ne constitue un risque prospectif s’ils doivent retourner au Rwanda.

IV. Arguments et analyse

[30] Il ne fait pas de doute que les Demandeurs sont astreints à la norme de la décision raisonnable. Tout le monde en convient. Ce n’est certes pas une norme sans conséquence.

[31] C’est ainsi que la cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire et adopter une attitude de respect (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], para 13 et 14), menant à la déférence à laquelle la décision administrative a droit vu la compétence des tribunaux administratifs et le choix du législateur de leur conférer ce pouvoir de décision.

[32] Cela se manifeste pour une cour de révision devant considérer si la décision a les caractéristiques d’une décision raisonnable, « soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, para 99). La cour de révision s’assure de bien comprendre le raisonnement du décideur pour déterminer si la décision, dans son ensemble, est raisonnable. Le Demandeur, celui qui conteste la décision, supporte le fardeau de démontrer que la décision n’a pas les caractéristiques d’une décision raisonnable; on doit en démontrer le caractère déraisonnable et non se satisfaire de soulever un doute. De plus, en vertu du devoir de retenue judiciaire, la cour de révision n’est pas appelée à substituer son opinion à celle du décideur administratif. La cour de révision ne contrôle que la légalité de la décision.

[33] Il s’ensuit qu’il faut convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, para 100). On se demande souvent qu’est-ce qui rend une décision déraisonnable? La Cour suprême dans Vavilov pointe dans la direction de deux catégories de lacunes fondamentales. D’abord un manque de logique interne dans le raisonnement tendra à faire conclure que la décision n’est pas raisonnable. Ensuite une décision indéfendable sous certains rapports est en soi une décision déraisonnable. Mais ce sera au Demandeur d’en établir le caractère déraisonnable par prépondérance des probabilités. De là l’importance du fardeau de la preuve.

[34] C’est ainsi que le simple désaccord sur l’interprétation à donner à la preuve ne suffira généralement pas à convaincre la cour de révision que la décision est déraisonnable.

[35] Une lecture objective de la preuve laisse voir un conflit entre deux factions au sein de l’Église Zion Temple fondée avec la participation du Demandeur principal. Celui-ci semble bien avoir perdu le bras de fer. C’est Paul Gitwaza qui est demeuré à la tête de l’Église Zion Temple. Il importe bien peu, pour nos fins, si ce résultat est juste.

[36] Les Demandeurs ont argué que la SPR avait erré dans sa conclusion que l’Église qu’a fondée le Demandeur principal, après avoir été évincé de l’Église Zion Temple, n’avait pas été ciblée et fermée. La difficulté rencontrée par les Demandeurs est qu’ils ne font pas la démonstration que cette constatation de la SPR est déraisonnable. La preuve présentée n’établit pas que cette nouvelle église était ciblée. Elle aurait dû être ciblée avec six mille autres églises au Rwanda, incluant plusieurs centaines à Kigali. Rien ne prouve qu’elle ait subi un traitement particulier. Il semble plutôt que la règlementation n’aurait pas été respectée. C’est du moins une conclusion qui reste raisonnable. Le Demandeur principal a allégué que d’autres églises sont restées ouvertes malgré qu’elles contrevenaient aussi à la règlementation. Cela n’est pas convaincant. D’abord telle assertion n’est aucunement soutenue par la preuve. En plus, on ne connaît rien des circonstances particulières de ces églises restées ouvertes, s’il en est. Enfin, de permettre à certaines églises de rester ouvertes n’implique pas que l’église fondée par le Demandeur principal doive rester ouverte. Comme noté plus haut, des milliers d’églises ont connu le même sort.

[37] Il n’est certes pas impossible que des raisons occultes, autres que des raisons officielles de salubrité et de sécurité invoquées par les autorités, soient à la source de certaines fermetures. Le Demandeur principal argumente que c’est le cas, mais on n’est resté qu’au niveau des spéculations. La preuve faisait défaut. Quoiqu’il en soit, la nécessité de convaincre que la décision était déraisonnable, au sens de Vavilov, n’est pas établie sur la seule déclaration du Demandeur principal. Il serait loisible à la SPR de tirer ses conclusions sur la base de la preuve offerte.

[38] Ce qui fait cruellement défaut est la preuve au contraire. Le Demandeur lance des allégations à tout vent qu’il n’est pas en mesure de soutenir. Par exemple, il se plaint de lourdeurs administratives qui visent à « museler les voix dissidentes, et dans le cas d’espèce, diviser et fragiliser Zion Temple, exclure le demandeur de l’église, et lui refuser l’autorisation d’en ouvrir une autre, donc un enfreint notoire, sous couvert de la loi, à la liberté de religion » (mémoire des faits et des droits des Demandeurs, para 30). Ce n’est pas faire la preuve d’un manquement à la raisonnabilité d’une décision que de lancer des allégations qu’on n’ancre pas dans la preuve.

[39] Le Demandeur principal spécule, allègue, accuse, donne son interprétation de certains éléments sans que cela repose sur de la preuve objective. Il devait démontrer que la décision de la SPR était déraisonnable lorsqu’elle n’accepte pas les interprétations à saveur conspirationnelle offertes par le Demandeur principal. Selon une autre interprétation des circonstances présentées en notre espèce, le Demandeur principal s’est fait évincer de l’Église qu’il avait aidé à fonder, n’a pas réussi avec une nouvelle église qu’il cherchait à fonder parce qu’il ne pouvait se conformer aux exigences règlementaires et ses tentatives de faire renverser les décisions dans son pays de nationalité ont aussi échoué. La SPR pouvait raisonnablement préférer cette interprétation en concluant à une absence de persécution. Les Demandeurs n’ont de toute façon pas réussi à démontrer le caractère déraisonnable d’une décision de la SPR par ailleurs transparente et intelligible qui n’est pas marquée par de l’incohérence ou le manque de logique interne ou qui apparaît comme étant défendable. Ce n’est certes pas à une cour de révision que de chercher à trancher entre des versions des faits si celle retenue par le décideur administratif est raisonnable.

[40] Il en est de même des allégations de risque prospectif centrés sur M. Gitwaza et une certaine opinion politique imputée.

[41] Encore ici, on nage en pleines spéculations. L’argumentaire du Demandeur principal semble reposer exclusivement sur la lettre de Paul Gitwaza qu’il aurait envoyée le 29 avril 2016 au Secrétaire général du parti FPR. Ladite lettre remercie le FPR d’avoir compris les problèmes qu’il avait vécus (M. Gitwaza revenait alors à peine des États-Unis à la suite d’une annonce que certains voulaient l’évincer de l’Église Zion Temple). Il déclarait ne pouvoir travailler avec les cinq évêques, dont le Demandeur principal, qui s’opposaient « toutes les fois que nous décidons de faire quelque chose pour soutenir le parti ».

[42] Le Demandeur principal part de cette lettre qui montrait l’allégeance de l’Église au parti FPR pour échafauder ce qui ne peut qu’être que des allégations non supportées qui vont de se départir des services des cinq évêques, ce qui a été fait, à des violences dont on n’a aucune preuve. La SPR a plutôt conclu que ces questions d’allégeance de l’Église relevaient des problèmes internes au sein de l’Église Zion Temple. Cela ne constitue pas un fondement pour une demande d’asile. Les Demandeurs n’ont pas démontré en quoi cette conclusion serait déraisonnable. Les spéculations et les interprétations d’une lettre ne sauraient être suffisantes pour supporter une conspiration avec l’état contre le Demandeur principal.

[43] Le Demandeur principal continue dans la même veine avec sa prétention qu’il serait persécuté pour son opinion politique imputée. Celle-ci découlerait de cette même lettre d’avril 2016 où on indique qu’il serait l’un des cinq évêques s’opposant toujours à « faire quelque chose pour soutenir le parti ». Mais encore faut-il que les Demandeurs établissent un rapport entre l’opinion politique imputée, qui peut ne pas être conforme aux convictions profondes d’une personne mais qui lui sont imputées (Canada (Procureur Général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], pages 746 et 747), et la crainte d’être persécutés. La crainte de persécution doit avoir une certaine objectivité, pas uniquement découler d’une crainte subjective alléguée.

[44] De fait la jurisprudence de notre Cour est constante que les incidents doivent être sérieux, ce qui tend à démontrer l’objectivité de la crainte au sens où la personne raisonnable pourrait avoir une réelle crainte. Dans Sefa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1190 [Sefa] on lit :

[10] La Commission a fourni ce que les parties s’entendent pour reconnaître comme un exposé clair du droit concernant la question de savoir dans quelle situation le genre de discrimination dont les demandeurs ont été victimes sera considéré comme de la persécution permettant de fonder une demande d’asile en vertu de la Loi. Elle a déclaré ce qui suit :

9. Pour que des mauvais traitements subis soient considérés comme de la persécution, il faut qu’ils soient graves et que le préjudice soit infligé de façon répétitive ou persistante, ou de manière systématique. Pour établir ce qui est caractérisé comme étant grave, il faut tenir compte de l’intérêt du demandeur d’asile qui fait l’objet d’un préjudice et la mesure dans laquelle cet intérêt pourrait être compromis. Les cours assimilent la gravité à la négation clé d’un droit fondamental de la personne. C’est l’exigence selon laquelle le préjudice doit être grave qui a mené à la distinction entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement. La persécution est caractérisée par la gravité supérieure des mauvais traitements qu’elle comporte. De même, les cours ont fait une distinction entre la persécution et la simple injustice. Selon le paragraphe 54 du Guide du HCR, les personnes qui jouissent d’un traitement moins favorable en raison de différences de traitement ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions, notamment de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. Les mauvais traitements peuvent constituer de la discrimination ou du harcèlement et ne pas être assez graves pour être considérés de la persécution. La SPR peut rendre une décision portant que la discrimination ne constitue pas de la persécution. Des actes de harcèlement qui, seuls, n’équivalent pas à de la persécution peuvent, collectivement, constituer de la persécution. Les actes discriminatoires répétés subis par le passé peuvent créer une possibilité sérieuse de persécution à l’avenir. Il faut trancher la question de savoir si des actes de discrimination équivalent à de la persécution à la lumière de toutes les circonstances.

La Cour est d’avis que la Commission a exposé clairement et correctement le droit applicable en la matière.

[Renvois omis.] [Je souligne.]

[45] Dans Balazs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 62 [Balazs], la même notion était ainsi présentée :

[27] Dans l'arrêt Sagharichi v Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 182 NR 398, 1993 CarswellNat 316 (CAF), il est établi que pour être qualifié de persécution, les incidents de discrimination ou de harcèlement doivent être sérieux, systématiques ou permettre de conclure qu'il existe une possibilité sérieuse de persécution à l'avenir. De plus, l'intervention de la Cour de révision n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[…]

[30] Quoique certains événements regrettables aient eu lieu dans le cas des demandeurs, la SPR a tiré une conclusion raisonnable en mentionnant que ceux-ci ne peuvent donner droit à l’asile, car ils ne constituent pas de la persécution. Les événements subis par les demandeurs ne sont pas d’une gravité telle que le statut de réfugié devrait leur être conféré. Ils n’ont pas été empêchés d’étudier, de gagner leur vie et la SPR a considéré que les événements subis par les demandeurs, y compris le traitement des enfants à l’école, ne constituent pas en soi de la persécution, et ce, même si les incidents sont pris de manière cumulative.

[Je souligne.]

On doit donc voir la gravité et la répétition de gestes qui pourraient être discriminatoires et qui occasionneraient des conséquences graves pour les personnes. Or, en notre espèce les Demandeurs se plaignent que l’opinion politique imputée aurait favorisé leur éviction de l’Église qu’ils avaient fondée et les difficultés à en créer une nouvelle. On ne peut pas voir en quoi cela serait, vu l’évaluation objective des risques, le présage à des risques prospectifs.

[46] La Cour estime que la persécution alléguée par les Demandeurs n’a pas été établie. La décision de la FPR de conclure à l’absence de persécution n’a pas démontrée comme étant déraisonnable. Le régime de la protection des réfugiés, tout comme celui des personnes à protéger, n’est pas une façon accélérée d’immigrer au Canada. Le droit requiert que l’un et l’autre soient pour la réelle protection de ces personnes. Le sérieux et la gravité de la persécution alléguée n’ont jamais été établis. Les Demandeurs n’ont pas été empêchés de pratiquer leur foi. Le Demandeur principal a été évincé de son poste d’évêque au sein de l’Église Zion Temple. Par la suite, la SPR a été satisfaite qu’il n’a pas établi une nouvelle église pour des raisons qui seraient autres que l’incapacité de rencontrer certaines exigences administratives, de salubrité et de sécurité imposées à tous. C’était certes une conclusion à laquelle la SPR pouvait arriver; il eut fallu que le Demandeur principal, en particulier, établisse que cette conclusion générale était déraisonnable. On ne peut voir dans la preuve offerte où se trouvait la persécution : le conflit avec M. Gitwaza n’est rien d’autre qu’un conflit interne au sein de l’organisation. Comme dit plus tôt, il n’est pas impossible que des motifs occultes soient la réelle raison de ses déboires. Mais la SPR n’a pas été satisfaite que c’était le cas et cette Cour n’a rien à redire à cet égard. De toute manière c’était aux Demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la décision prise par la SPR. La preuve étant déficiente, et relevant trop souvent de la spéculation, la Cour ne peut que constater que la décision de la SPR n’a pas été démontrée comme étant déraisonnable.

[47] Les Demandeurs ont aussi dit craindre un retour au Rwanda s’ils échouent dans leur demande d’asile au Canada. Cette autre allégation a aussi été rejetée. L’absence du Rwanda ne serait pas une chose nouvelle pour les Demandeurs, dit la SPR. La preuve est claire qu’ils ont passé beaucoup de temps hors du pays au cours des années, et ce pour de longs séjours, sans jamais être inquiétés. De plus, le Demandeur principal a témoigné ne pas avoir parlé à quiconque de ses démarches au Canada. La SPR se questionne alors sur comment les autorités auraient pu apprendre l’absence, si tant est que les Demandeurs seraient d’un quelconque intérêt pour ces autorités.

[48] De prétendre qu’une loi rwandaise de 2016 interdisant de parler en mal du Rwanda pourrait lui être opposé, alors même que le Demandeur principal a témoigné n’avoir rien fait de tel, ne fait pas avancer la cause des Demandeurs. L’omnipotence du gouvernement rwandais, tel qu’allégué par le Demandeur principal, n’a pas été démontré, pas plus d’ailleurs que l’intérêt spécial que le gouvernement porterait aux Demandeurs.

[49] En fin de compte, les Demandeurs cherchent pratiquement à renverser le fardeau de la preuve pour que la SPR soit tenue d’établir que le gouvernement étranger ne saura jamais que les Demandeurs ont fait une demande d’asile. A défaut de preuve par les Demandeurs, ils cherchent à effectivement renverser le fardeau. Comme dit plus tôt, c’est à la partie demanderesse de démontrer que la décision est déraisonnable, y compris que leur absence pourrait être notée et que cela constitue un risque prospectif. Les spéculations ne peuvent satisfaire le fardeau de la preuve sur contrôle judiciaire.

[50] La cour de révision n’est pas appelée à substituer sa solution préférée à celle du décideur administratif. Elle recherche plutôt à se satisfaire de la légalité de la décision. Dans la mesure où une décision est raisonnable, il n’y a pas lieu à intervention.

V. Conclusion

[51] La preuve offerte par les Demandeurs démontre que le Demandeur principal a été évincé de son poste au sein de l’Église Zion Temple quelque part en 2016. Sa tentative de former une nouvelle église, alors que six mille d’entre elles ont fermé leurs portes, aura échoué. La preuve de motifs occultes pour la fermeture et l’incapacité de rouvrir n’aura pas satisfait la SPR. Il fallait que les Demandeurs convainquent la cour de révision que la décision de la SPR était déraisonnable au sens du droit administratif. Cela n’a pas été fait. Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties ont déclaré ne pas s’en remettre à l’article 74 de la LIPR. La Cour convient avec les parties qu’il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1831-20

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question grave d’importance générale qui puisse être certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1831-20

INTITULÉ :

PIERRE KABERUKA ET AL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 17 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Pacifique Siryuyumus

Pour les demandeurs

 

Charles Maher

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.