Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     IMM-3402-96

Entre :

     ANUSHA NITHIYANATHAN,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     Que la transcription révisée ci-jointe des motifs que j'ai prononcés à l'audience, tenue à Toronto (Ontario) le 30 juillet 1997, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

     F.C. Muldoon

     juge

Ottawa (Ontario),

le 19 août 1997.

Traduction certifiée conforme                 
                                 François Blais, LL. L.

     IMM-3402-96

Entre :

     ANUSHA NITHIYANATHAN,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS

     (Rendus oralement à l'audience le 30 juillet 1997.)

Le juge Muldoon

         Pour ce qui est du témoignage de la requérante et des propos persuasifs de son avocat, la Cour n'éprouve guère de difficulté à trancher la demande en l'instance. Celle-ci a certainement très peu de caractéristiques uniques. Le passage suivant de la décision rendue dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993) 160 N.R. 313, où le juge Décarie énonce la norme de contrôle relativement aux conclusions en matière de crédibilité et d'invraisemblances, vient immédiatement à l'esprit :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié ... [il a voulu dire la Section du statut de réfugié au sens de la Convention ou la SSR] ... a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.                 

    

         Ce passage signifie que, même si la Cour se prononçait sur l'affaire en première instance et qu'elle arrivait à une conclusion différente, il faut, pour infirmer les conclusions du tribunal qui fait l'objet du contrôle, en l'occurrence la SSR, conclure cependant que ces conclusions sont déraisonnables au point de ne pouvoir être maintenues. La Cour applique cette norme au fait que le tribunal a examiné le formulaire de renseignements personnels, écouté les témoignages et conclu que, si elle est par ailleurs une personne généralement crédible, la requérante a enjolivé la situation. Celle-ci, comme cela se produit si souvent dans l'histoire de l'humanité, s'est améliorée du point de vue de la requérante. En fait, elle s'est détériorée mais, de son point de vue, en tant que demandeur de statut, elle s'est améliorée chaque fois qu'elle en a fait le récit.

         La SSR a cependant déclaré que, même si Mme Nithiyanathan avait été maltraitée par la police - et les membres du tribunal ont affirmé que la preuve documentaire révèle que le risque d'un mauvais traitement physique et mental est très faible au cours des détentions de courte durée - les incidents qui se sont produits, dont le nombre est relativement peu élevé, sont isolés et ne sont pas systémiques.

         Alors, le Sri Lanka est un pays déchiré par une guerre civile violente et meurtrière. Le gouvernement sri-lankais essaie de réprimer une rébellion de la forme la plus brutale et insensée. Les rebelles prisent les commandos suicides, comme ce fut le cas particulièrement lors de l'assassinat récent de Rajiv Gandhi, le premier ministre de l'Inde, et de celui d'un candidat à la présidence du Sri Lanka : dans les deux cas, il s'agissait de commandos suicides dirigés par des femmes. Cela signifie que des précautions doivent être prises; les autorités ont donc mis en place des mesures de sécurité. Les mesures de sécurité et leur mise en oeuvre, certainement leur mise en oeuvre, ne seraient jamais acceptables au Canada, un pays pacifique où il n'y a aujourd'hui aucune guerre civile et, d'aucuns diraient, plus de droits et libertés de la personne qu'il n'en faut. Cependant, en toute logique, il ne convient pas d'appliquer des normes canadiennes au Sri Lanka. Là-bas, l'État doit faire preuve d'une grande prudence.

         Les membres des forces de la sécurité ne sont pas tous des docteurs en philosophie ni des personnes bien intentionnées. On pourrait en dire autant des Canadiens, surtout compte tenu de l'inconduite du régiment aéroporté en Somalie. Donnez à des gens de peu d'instruction et ayant vécu une enfance difficile trop de pouvoirs - le pouvoir des armes à feu et le pouvoir de la loi - et l'on réalise que certains sont des brutes, oui, des brutes canadiennes, mais, au moins, au Canada, la loi ne tolérera pas un tel comportement en temps de paix civile.

         Donc, lorsque Mme Nithiyanathan a quitté le nord du pays pour se rendre à Colombo, elle a été arrêtée ou détenue par la police pour une période relativement plus longue que la plupart des gens afin, de toute évidence, qu'une enquête soit menée sur son passé. La technique utilisée est, si la Cour peut s'exprimer ainsi, brutale, simpliste et stupide. Ils croient qu'un commando suicide sri-lankais appartenant aux Tigres tamouls s'effondrera et passera aux aveux s'ils font des menaces, s'ils crient et s'ils giflent. Évidemment, ce sont les personnes innocentes qui seront bouleversées par ce traitement et qui risquent d'estimer qu'elles sont persécutées, pas les commandos suicides. Mais c'est ainsi qu'ils traitent les gens sur lesquels ils doivent mener une enquête, dans le passé desquels ils doivent fouiller. La preuve et la documentation permettent de le constater. Le Sri Lanka est décimé par la guerre civile; il a des mesures de sécurité, et les membres de ses forces de sécurité ne sont pas tous des gens bien instruits et doux.

         De l'avis de la Cour, la SSR a bien évalué la situation et elle ne s'est pas écartée. De l'avis de la Cour, la SSR a à juste titre conclu qu'il n'y avait pas de persécution ni aucun risque important de persécution. Une détention, même de quatre jours, une gifle et des menaces et, sans doute, des cris, ne font pas de la requérante une réfugiée. La SSR a conclu, indubitablement à bon droit, que la requérante avait une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, soit à Colombo, une ville où la population tamoule représente plus d'un quart de million de personnes, peut-être un demi-million aujourd'hui, où il existe un réseau de femmes tamoules, et où une personne même sans expérience de travail peut trouver du soutien.

         Si l'on a bien compris ou si l'on comprend bien la SSR, il n'était pas déraisonnable pour la requérante de tenter de trouver et, en fait, de trouver une possibilité de refuge à Colombo, et les membres du tribunal ont évalué ses chances de trouver un emploi. Ils ont déclaré qu'elle avait une douzième année, qu'elle avait de bien meilleures chances que de nombreuses autres personnes (qui n'ont pas une telle instruction) de trouver un emploi, en dépit du fait qu'elle n'avait aucune expérience de travail.

         Le document qu'ils ont cité n'est pas nécessairement adopté textuellement. La SSR s'y est reportée et, faut-il le signaler, elle a tiré une conclusion illogique, ou a exprimé sa conclusion d'une manière illogique lorsqu'elle a examiné le document, où l'on peut lire qu'il est nécessaire pour une femme de posséder de l'expérience de travail ou une bonne instruction pour trouver un emploi. Et la SSR a dit, bien, elle a une bonne instruction et, donc, des possibilités d'emploi. C'est une façon illogique de s'exprimer : peut-être cela révèle-t-il un processus de réflexion illogique sur ce fondement même, mais cela souligne également que ses chances de trouver un emploi sont meilleures que celles de nombreuses autres personnes.

         D'autre part, il est certainement sans importance sur le plan légal de penser que, si elle a un jour recours à l'assistance sociale parce qu'elle ne peut trouver un emploi, il n'y a aucune raison pour que ce soit au Canada et non dans son propre pays. Il semble que ses perspectives d'emploi ne soient pas meilleures au Canada qu'elles le seraient au Sri Lanka; et, de fait, au Canada, en raison de l'évolution technologique de la société, ses perspectives d'emploi seraient certainement moins bonnes qu'au Sri Lanka, où elle a reçu son instruction. Donc, bien que cela puisse être sans importance sur le plan légal, c'est tout à fait sensé et il n'est pas inimaginable d'avoir une telle pensée. Si elle doit avoir recours à l'assistance sociale, il est préférable que ce soit dans son propre pays, et non ici. Pourquoi, en effet, le Canada devrait-il accepter des personnes qui vont être des fardeaux pour les contribuables alors qu'elles peuvent trouver refuge dans une partie de leur propre pays? C'est-à-dire une possibilité de refuge dans une autre partie du pays?

         Tout bien considéré, la Cour ne peut conclure que la SSR a commis, dans sa décision, une erreur grave qui inciterait la Cour à infirmer cette décision. Par conséquent, sans éprouver quelque plaisir que ce soit, la Cour rejette la demande et confirme la décision de la SSR.

         La Cour estime qu'il n'y a aucune question grave de portée générale à certifier, et les deux avocats confirment cette conclusion.

Traduction certifiée conforme                 
                                 François Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-3402-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ANUSHA NITHIYANATHAN c. MEI
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          30 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              19 août 1997

ONT COMPARU :

M. John Guoba              pour la requérante
M. Robin Sharma              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

M. John M. Guoba              pour la requérante

Toronto (Ontario)

M. George Thomson          pour l'intimé

Sous-procureur général

du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.