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Date : 20030303

Dossier : IMM-4350-01

Référence neutre : 2003 CFPI 270

ENTRE :

                                          VITALI PAPSOUEV, MARINA PAPSOUEVA,

JULIA PAPSOUEVA et DARIA PAPSOUEVA, par l'entremise

de sa tutrice à l'instance, MARINA PAPSOUEVA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a établi que les demandeurs, Vitali Papsouev, Marina Papsoueva, Julia Papsoueva et Daria Papsoueva, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


Contexte

[2]                 Les demanderesses Marina Papsoueva, Julia Papsoueva et Daria Papsoueva sont des citoyennes de la Russie qui prétendent être persécutées dans ce pays parce qu'elles sont juives. Le demandeur Vitali Papsouev, qui a fondé sa demande sur les faits énoncés dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de son épouse, craint également d'être persécuté en raison de ses opinions politiques présumées et parce que, en tant que riche homme d'affaires, il est une cible facile pour les extorqueurs. La demanderesse Marina Papsoueva est également la représentante commise d'office de leurs deux filles, Julia Papsoueva et Daria Papsoueva.

[3]                 Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention pour la première fois le 14 juillet 1995. Le 13 octobre 1997, la Commission a établi qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Cette décision a fait l'objet d'un contrôle judiciaire de la part de la Section de première instance de la Cour fédérale, qui a renvoyé l'affaire pour nouvelle décision, par ordonnance datée du 19 mai 1999. La nouvelle audition s'est déroulée pendant 21 jours, dans la période entre le 17 novembre 1999 et le 17 avril 2001. La décision, qui fait l'objet du présent examen, a été rendue le 20 août 2001.


[4]                 Les demandeurs ont déménagé à Moscou en 1982. En 1990, il y a eu une montée d'antisémitisme en Russie, des groupes antisémites harcelant et persécutant ouvertement les Juifs. En janvier 1991, les demandeurs ont commencé à recevoir des appels et des lettres de menaces. En septembre 1991, un groupe d'hommes ont pénétré de force dans l'appartement des demandeurs; ils l'ont saccagé, ont détruit le mobilier et ont menacé et battu la demanderesse au vu de ses deux filles. Les policiers sont venus sur les lieux après l'incident, mais ils n'ont pas mené d'enquête. L'une des filles a dû recevoir des soins de psychiatrie par suite de cet incident.

[5]                 En février 1992, deux hommes ont abordé la demanderesse et ses enfants dans la rue et ont insulté cette dernière, l'ont frappée deux fois au visage et ont menacé de la tuer ainsi que les membres de sa famille si elle ne quittait pas le pays. Elle a de nouveau téléphoné à la police, qui n'a cette fois encore pas mené d'enquête officielle.

[6]                 Le demandeur est un riche homme d'affaires qui, à Moscou, faisait commerce avec la collectivité juive. Il avait nombre d'importantes relations et, selon ses dires, aidait à la conclusion de transactions commerciales. Lors de son témoignage, le demandeur a allégué avoir reçu, à son établissement et chez lui, des appels et des lettres de menaces, consistant dans un cas en une tentative d'extorsion. Il a également soutenu que des hommes étaient venus à son bureau armés de fusils qu'ils ont pointés dans sa direction; ils ont ligoté tout le monde et dérobé dans le coffre-fort une importante somme d'argent.


[7]                 Les demandeurs adultes ont quitté la Russie en août 1992 et ils sont venus au Canada sans leurs enfants, afin d'ouvrir la voie à leur départ définitif de la Russie. Ils ont rencontré un avocat qui leur a conseillé de présenter à Detroit une demande de résidence permanente. En septembre, les demandeurs sont retournés en Russie et ils ont demandé des visas. Le demandeur n'y est pas resté très longtemps, puisqu'il était de retour au Canada le 24 septembre 1992. Les autres demandeurs sont arrivés au Canada le 9 décembre 1992.

La décision de la Commission

[8]                 De manière générale, la Commission a établi que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'il y avait une possibilité sérieuse qu'ils fassent l'objet de persécution s'ils devaient retourner en Russie. La Commission a conclu que le comportement des demandeurs ne cadrait nullement avec la crainte subjective d'être persécuté après leur départ du Canada. Elle a également conclu que les prétendus incidents dont les demandeurs auraient été victimes au début des années 1990 ne s'étaient pas réellement produits et que, s'ils s'étaient produits, ils n'auraient pas donné lieu à la crainte alléguée.

[9]                 La Commission a admis que la demanderesse était bien juive, celle-ci n'étant cependant guère pratiquante. La Commission a relevé le fait, par exemple, que la demanderesse ne fréquente la synagogue que deux ou trois fois par année. Elle a aussi conclu que les filles de la demanderesse sont encore moins pratiquantes qu'elle. Les demanderesses n'ont pas prétendu avoir participé très peu à la vie religieuse et communautaire juive pour se montrer discrètes et éviter ainsi d'être ciblées en tant que juives. C'est que, plutôt, leur niveau de pratique correspond à ce qu'elles désirent.


[10]            Le Conseil a cru que Julia avait reçu des soins de psychiatrie. Le document soumis confirmait seulement, toutefois, qu'elle avait bénéficié de services de counseling, et non quel incident était à l'origine du besoin de tels services.

[11]            La Commission a admis en preuve le témoignage du sergent King en tant qu'expert en matière d'enquêtes sur le crime organisé en Russie et en Europe de l'Est. Se fondant sur diverses sources d'information, ce témoin a qualifié le demandeur de « [traduction] membre non actif » d'un groupe organisé. Ces sources consistaient en une entrevue avec le demandeur, une enquête financière, le témoignage d'un informateur, de l'écoute électronique et la surveillance de tiers, qui a permis d'enregistrer le demandeur parlant ou faisant allusion à des personnes soupçonnées par la GRC d'être liées au crime organisé. Cette preuve ne suffisait pas pour que l'avocat du ministre puisse demander l'exclusion du demandeur du processus de revendication du statut de réfugié.

[12]            Les demandeurs ont contesté la présentation et l'utilisation du témoignage de l'informateur en l'espèce puisque la source n'en était pas révélée. La Commission a reçu cet élément de preuve, au motif qu'elle avait le pouvoir discrétionnaire de l'accepter ou de le rejeter. Elle a également renvoyé au paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[13]            Voici certaines conclusions relatives à la crédibilité et à des incohérences se rapportant au fait que le comportement des demandeurs est incompatible et déraisonnable au vu de leur crainte alléguée d'être persécutés :

1.          la consultation d'un avocat qui leur a conseillé de demander la résidence permanente ne démontre l'existence ni des incidents allégués, ni d'une crainte quelconque;

2.          pendant la campagne antisémite, le comportement des demandeurs n'était pas raisonnable puisqu'ils n'ont pris aucune mesure de sécurité pour se protéger ainsi que leurs enfants dans leur foyer;

3.          la demanderesse a ouvert la porte de son appartement aux agresseurs sans prendre de précautions, à une époque où des menaces étaient proférées au téléphone;

4.          le demandeur a laissé sa famille sans protection;

5.          les demandeurs ont laissé leurs filles chez leur grand-mère lorsqu'ils ont quitté le pays, tout en prétendant craindre les enlèvements à Moscou à des fins d'extorsion;

6.          le demandeur est venu au Canada avec un partenaire politique en décembre 1991 et il n'a pas alors revendiqué le statut de réfugié;

7.          le demandeur savait par les journaux qu'il y avait de nombreux incidents tels que l'attaque survenue dans son établissement et, malgré cela, celui-ci n'était pas protégé alors qu'il était un homme d'affaires prospère ayant de l'argent dans un coffre-fort.

[14]            Tout au long de la décision, la Commission fait aussi mention de diverses omissions ainsi que d'incohérences entre les témoignages et les FRP des demandeurs, pour lesquelles aucune explication satisfaisante n'a été donnée.

[15]            La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas démontré, tel qu'il l'avait allégué, qu'il avait raison de craindre un tort sérieux de la part de M. Tochtachunov, un homme soupçonné d'être un chef du crime organisé et qui avait perdu une large somme qu'il avait déposée dans une banque Internet sur les conseils du demandeur, ainsi que de M. Yakubovski, un partenaire commercial et politique ayant de bonnes relations dans les milieux politiques proches de Boris Eltsine. Le demandeur n'a fourni aucune preuve quant à des menaces de ces personnes à son endroit.

[16]            Finalement, la Commission a longuement traité de la preuve documentaire et de la preuve d'expert portant sur la situation des juifs en Russie. Elle a conclu en ces termes :

[...] la preuve révèle [...] qu'il y a une renaissance de la culture et des institutions des Juifs en Russie, que ceux-ci prennent part très activement à la vie politique et religieuse et qu'en général, ils expriment de manière avisée et vigilante leurs inquiétudes aux dirigeants politiques et aux défenseurs des droits de la personne, chez eux et à l'étranger.

[17]            La Commission a jugé la preuve non crédible quant à des éléments essentiels des revendications. Elle a également conclu, compte tenu du profil des demandeurs, des faits d'espèce et de l'ensemble de la preuve documentaire, qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse de grave risque de persécution des demandeurs en Russie.


Questions en litige

[18]            Les demandeurs proposent les questions en litige qui suivent :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en acceptant le témoignage du sergent King à l'audience, au motif qu'elle aurait

a)          omis de fournir des motifs en rejetant la requête présentée par les demandeurs soit pour faire exclure le témoignage, soit pour qu'on enjoigne au témoin de révéler l'identité des informateurs, alors qu'il avait dit qu'il allait le faire?

b)          erronément, accepté le témoignage du sergent King, ou omis d'enjoindre à ce dernier de répondre aux questions posées sur l'identité des informateurs?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction du témoignage de la fille des demandeurs et du témoignage de la mère de la demanderesse au sujet des actes de persécution à Moscou, et en omettant d'expliquer pourquoi elle ne prêtait pas foi à ces témoignages?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tirant des déductions déraisonnables du fait qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait, notamment les éléments faisant voir clairement que les demandeurs seraient en danger?


Motifs de la décision

[19]            1re question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en acceptant le témoignage du sergent King à l'audience, au motif qu'elle aurait

a)          omis de fournir des motifs en rejetant la requête présentée par les demandeurs soit pour faire exclure le témoignage, soit pour qu'on enjoigne au témoin de révéler l'identité des informateurs, alors qu'il avait dit qu'il allait le faire?

b)          erronément, accepté le témoignage du sergent King, ou omis d'enjoindre à ce dernier de répondre aux questions posées sur l'identité des informateurs?

Cette question a trait à l'admissibilité et à la source du témoignage des agents de la GRC en tant qu'experts dans le domaine du crime organisé en Russie et en Europe de l'Est. J'ai examiné la décision de la Commission et nulle part je n'ai trouvé de recours par celle-ci à ce long témoignage. La décision de la Commission n'était pas fondée sur le témoignage des agents de la GRC. La Commission a déclaré ce qui suit, à la page 28 de sa décision (page 34 du dossier de la demande du demandeur) :

[traduction]

Me fondant sur l'analyse qui précède et après examen attentif de l'ensemble de la preuve relative à toutes les questions en litige, je conclus qu'on n'a pas démontré qu'il y a possibilité sérieuse que les demandeurs seraient persécutés pour motifs prévus à la Convention s'ils devaient retourner en Russie. La preuve manque de crédibilité quant à des éléments essentiels des revendications. Ils ne se sont pas acquitté du fardeau, qui leur incombe, de démontrer qu'ils craignent avec raison d'être persécutés en Russie. Compte tenu de leur profil, des faits d'espèce et de l'ensemble de la preuve documentaire, je conclus qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse de grave risque de persécution des demandeurs en Russie.


La Section du statut de réfugié statue, par conséquent, que les revendicateurs, Vitali Papsouev, Marina Papsoueva, Julia Papsoueva et Daria Papsoueva, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[20]            La question de savoir si la Commission a motivé l'admission du témoignage des agents de la GRC et l'absence de directives à ces agents pour qu'ils répondent aux questions sur l'identité des informateurs n'avait pas d'effet déterminant sur la présente demande de contrôle judiciaire. Les conclusions quant à la crédibilité, et quant à savoir si les juifs font l'objet de persécutions en Russie, ne s'appuyaient pas sur ces témoignages. La décision de la Commission reposait sur d'autres éléments de preuve et considérations. Si ces dernières sont jugées susceptibles de fonder une décision, la décision sera confirmée.

[21]            Je signale d'ailleurs que la Commission a donné de brefs motifs, lorsqu'elle a déclaré ce qui suit à la page 7 de sa décision (dossier de la demande des demandeurs, volume 1, page 13) :

[traduction]


Le demandeur a contesté la présentation et l'utilisation du témoignage de l'informateur en l'espèce puisque la source n'en était pas révélée. L'avocat du demandeur a mis en garde de ne pas tirer de conclusions sur le fondement d'une telle preuve. Le tribunal a statué à l'encontre des demandeurs et il a accepté la dénonciation en preuve. Bien que je convienne, pour les motifs avancés par l'avocat, qu'une telle dénonciation doit soit être écartée, soit utilisée avec beaucoup de circonspection, le pouvoir discrétionnaire à cet égard incombe au tribunal. Dans un contexte administratif comme celui de la SSR, il y a un certain assouplissement des règles de preuve, notamment en ce qui concerne l'admissibilité, même lorsqu'il y a litige, et la pratique la plus répandue est d'admettre et d'apprécier la preuve plutôt que de la rejeter tout net. L'avocat a soutenu en l'espèce, en renvoyant à de la jurisprudence favorable à son argument, que lorsque la dénonciation qu'une partie désire présenter risque d'être très préjudiciable à l'autre, la cour ou le tribunal doit, sans modifier la norme, décider avec plus grand soin le traitement à lui réserver. Lors de son témoignage, le sergent King a déclaré qu'il en serait arrivé à sa conclusion principale, soit que M. Papsouev était un membre non actif du crime organisé, même en l'absence de la dénonciation. Je prête foi à son témoignage. L'inspecteur John Neely de la GRC a également témoigné et il a été reconnu en tant que témoin expert dans le même domaine. De manière générale, il a corroboré le témoignage du sergent King.

[22]            La note 5 renvoie au paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration, qui prévoit ce qui suit :

68.(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

68.(3) The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case.

[23]            Dans Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F., n ° 472 (QL) (1re inst.), la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit, dans une situation où un policier avait témoigné au sujet d'activités d'un gang asiatique et se fondait sur des sources confidentielles :

L'avocat ne nous a pas convaincus qu'en recevant le témoignage du caporal Ditchfield et en s'y fiant, la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a commis une erreur de droit ou un excès de compétence susceptible de révision. Même si certains éléments de ce témoignage étaient, comme l'a dit l'avocat, du « ouï-dire double » , la Commission avait le droit d'entendre le témoignage et de s'y fier s'il le jugeait utile, crédible et digne de foi [voir l'alinéa 69.4(3)c)].

[24]            Dans Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. n ° 549 (QL) (1re inst.), de même, une affaire où l'avocat s'objectait à l'admission d'une télécopie où figurait la déposition d'un membre non identifié de la collectivité sri-lankaise, la Cour d'appel a fait la déclaration suivante :


En résumé, je suis d'avis que le tribunal avait une preuve tout à fait valable à partir de laquelle il pouvait conclure, comme il l'a fait, que la partie appelante n'était [traduction] « ... pas du tout crédible » (v. 2, dossier d'appel, p. 304). Même si l'on peut dire que les renseignements contenus dans la pièce 8 sont très préjudiciables et constituent du ouï-dire des plus inacceptables, le tribunal n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en les admettant en preuve, vu les dispositions du paragraphe 68(3) de la Loi précitée. L'économie de la Loi et des Règlements laisse au tribunal la tâche de décider de la valeur qu'il attribuera aux éléments de preuve qu'on lui présente. Comme il a été souligné plus tôt, la demande de séjour temporaire au Canada de la partie appelante contenait d'autres éléments de preuve valables sur lesquels le tribunal pouvait s'appuyer pour tirer une conclusion défavorable sur sa crédibilité. À la page 192 du volume 2 du dossier d'appel, la partie appelante a déclaré qu'elle avait vécu en Inde de janvier 1984 à septembre 1987. Cette preuve ne peut faire l'objet des mêmes objections soulevées à l'égard de la pièce 8. En conséquence, elle soutient les conclusions du tribunal.

La Cour semble donc avoir statué en faveur de l'admissibilité de la preuve, ce qui est en jeu concernant plutôt la valeur à attribuer à celle-ci. Je souligne qu'en l'espèce, on n'a pas eu recours à la preuve en cause.

[25]            2e question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction du témoignage de la fille des demandeurs et du témoignage de la mère de la demanderesse au sujet des actes de persécution à Moscou, et en omettant d'expliquer pourquoi elle ne prêtait pas foi à ces témoignages?


Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte du témoignage de trois autres témoins, à savoir la mère de Marina Papsoueva, Julia Papsoueva et le Dr Stonov. Pour ce qui est du témoignage de la mère de Marina Papsoueva, premièrement, la Commission l'a bel et bien pris en compte et a déclaré l'avoir fait, aux pages 4 et 5 de sa décision (dossier de la demande des demandeurs, volume 1, page 10). Deuxièmement, la Commission a également traité du témoignage de Julia Papsoueva (dossier de la demande des demandeurs, volume 1, page 12). Je conclus aussi, troisièmement, que la Commission a tenu compte du témoignage du Dr Stonov (dossier de la demande des demandeurs, volume 1, pages 18 et 19). À mon avis, la Commission, un organisme spécialisé, s'est penchée sur ce témoignage et en est venue à une conclusion, sur le fondement de la preuve dans son ensemble. La Cour n'a pas pour rôle de substituer son opinion à celle de la Commission, à moins que celle-ci ne commette une erreur susceptible de révision. Or, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur révisable en faisant abstraction de témoignages.

[26]            3e question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tirant des déductions déraisonnables du fait qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait, notamment les éléments faisant voir clairement que les demandeurs seraient en danger?

Les demandeurs ont déclaré ce qui suit, au paragraphe 127 de leur mémoire supplémentaire des faits et du droit :

[traduction]

INFÉRENCES DÉRAISONNABLES

127.          Nous soutenons en outre que le tribunal a commis une erreur de droit en tirant des inférences déraisonnables relativement à la preuve. Le seul fondement de la conclusion du tribunal portant que les incidents n'avaient pas eu lieu, c'était sa conclusion quant à l'invraisemblance du comportement des demandeurs au motif

a)              que la demanderesse a ouvert la porte de son appartement aux agresseurs;

b)              que les demandeurs auraient dû quitter le pays plus rapidement;


c)              qu'ils auraient dû prendre davantage de mesures de sécurité;

d)              qu'ils auraient dû se servir de leurs relations pour obtenir des passeports plus rapidement;

e)              que Mme Papsoueva n'a pas fait état dans son FRP de swastikas antisémites apposés dans l'appartement;

f)              qu'ils ont laissé les enfants à la garde de leurs grands-parents pendant leur séjour hors du pays.

[27]            Dans Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 732 (QL) (C.A.), la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 2 à 4 :

Le procureur de l'appelant s'est appuyé, dans son mémoire, sur l'arrêt rendu par cette Cour dans Giron c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.) pour soutenir que la cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire peut plus facilement intervenir lorsqu'il s'agit d'une conclusion d'implausibilité. Comme l'arrêt Giron est de plus en plus souvent utilisé par les procureurs, il nous a semblé utile de le replacer dans une juste perspective.

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de « plausibilité » ou de « crédibilité » .

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.


Je ne puis conclure que les conclusions de la Commission sont déraisonnables. Je conclus ainsi, finalement, que sont raisonnables les conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité.

[28]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]            Les parties disposent d'une semaine à compter de la date de la présente décision pour soumettre à mon examen toute question grave de portée générale, et d'une semaine supplémentaire pour présenter des observations à l'égard de toute question proposée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                         

Vancouver (C-B)

Le 3 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        IMM-4350-01

INTITULÉ :                       VITALI PAPSOUEV, MARINA PAPSOUEVA, JULIA PAPSOUEVA et DARIA PAPSOUEVA, par l'entremise de sa tutrice à l'instance, MARINA PAPSOUEVA

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le mercredi 11 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     Le lundi 3 mars 2003

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                       POUR LES DEMANDEURS

Ann Margaret Oberst                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates          POUR LES DEMANDEURS

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg, c.r.                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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