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Date : 20211201


Dossier : IMM-1150-19

Référence : 2021 CF 1333

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2021

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

OMAR LEONARDO ARANGO TORRES

YENNY LORENA CHAPARRO MAYORQUIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, monsieur Omar Leonardo Arango Torres et madame Yenny Lorena Chaparro Mayorquin, sont mari et femme. Ils sont deux citoyens de la Colombie qui, à leur entrée au Canada, ont présenté une demande d’asile. Ils affirment qu’ils sont persécutés par un certain groupe paramilitaire.

[2] Dans une décision rendue oralement le 4 février 2019, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection adéquate de l’État et qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable dans leur pays.

[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Ils soutiennent que les conclusions de la SPR concernant l’existence d’une protection adéquate de l’État en Colombie et d’une PRI viable sont déraisonnables.

[4] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par les demandeurs est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]).

[5] Lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision est raisonnable, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[6] Je partage l’avis des demandeurs selon lequel la décision de la SPR doit être annulée parce qu’elle ne satisfait pas aux critères « de justification, de transparence et d’intelligibilité » énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov.

[7] Sur la question de la protection de l’État, la SPR a conclu de manière générale que les demandeurs n’avaient pas donné aux autorités de l’État suffisamment de temps pour enquêter correctement sur les faits dénoncés, ni l’occasion de les protéger. Les éléments de preuve et les témoignages ont toutefois démontré que les demandeurs avaient fait plusieurs dénonciations et avaient maintes fois tenté d’obtenir la protection de l’État entre le 23 septembre 2017 et le 19 janvier 2018, et que, à l’exception d’une occasion particulière où la police a escorté le demandeur jusqu’à la gare routière, rien ne prouvait que la protection de l’État serait accordée dans un délai raisonnable. La SPR ne semble pas avoir tenu compte de la nature continue des plaintes. Lorsque le demandeur a quitté la Colombie en novembre 2017, la demanderesse est devenue la cible du groupe paramilitaire. Par ailleurs, la SPR ne semble pas avoir pris en compte, dans son analyse, la nature de la menace que la demanderesse a reçue une semaine avant de quitter la Colombie. Bien que la SPR fasse mention d’un [traduction] « autre incident survenu le 19 janvier 2018 », elle ne donne pas plus de détails. Ce jour-là, le parent avec lequel la demanderesse vivait a trouvé une couronne funéraire portant son nom, à laquelle était jointe une note précisant que les demandeurs étaient devenus des cibles militaires en raison de leur refus de se conformer.

[8] Par ailleurs, la SPR ne s’est pas penchée sur la documentation objective dans sa décision. La SPR fait allusion au fait que la demanderesse a demandé la protection de l’Unidad Nacional de Protección [l’UNP]. L’UNP est une organisation chargée de fournir une protection aux personnes qui, compte tenu de leur position ou de leurs activités, peuvent être soumises à des risques extraordinaires ou extrêmes. Cependant, la SPR déclare qu’elle n’est [traduction] « pas sûre » que la demanderesse a [traduction] « correctement présenté une demande pour ce programme ». La SPR ne précise pas pourquoi la demande de protection auprès de l’UNP a pu être inappropriée, ni la source des informations soutenant cette allégation. En outre, elle n’examine pas si la demanderesse pourrait bénéficier d’une protection, et si celle-ci serait disponible en temps voulu. S’il était probable, sur la base d’éléments de preuve objectifs, qu’elle ne pouvait pas prétendre à la protection de l’UNP, ou que la protection n’aurait pas été offerte dans un délai raisonnable, alors le fait qu’elle n’ait jamais fait une demande en bonne et due forme ou un suivi auprès de l’UNP ne peut raisonnablement être retenu contre elle.

[9] Pour ce qui est de la PRI, la SPR a conclu que les demandeurs pouvaient retourner en toute sécurité à un endroit précis en Colombie. La SPR a admis que le groupe paramilitaire s’était intéressé à eux, mais a conclu qu’il n’avait pas un intérêt continu ni la motivation de les trouver. La SPR a fondé sa conclusion sur les éléments suivants : 1) les demandeurs avaient de la famille en Colombie et celle-ci n’avait eu aucun contact avec le groupe paramilitaire, 2) la famille du demandeur continuait à vivre dans la maison des demandeurs et 3) le groupe paramilitaire que craignaient les demandeurs n’était pas présent dans la PRI proposée.

[10] J’admets que le fait que le groupe paramilitaire n’ait jamais ciblé ou approché les membres de la famille des demandeurs pour savoir où ils se trouvaient témoigne d’un manque d’intérêt ou de motivation. Cependant, je suis d’avis que l’évaluation de la SPR est viciée parce qu’elle n’a pas tenu compte du profil de risque particulier du demandeur et des éléments de preuve indiquant que les demandeurs étaient devenus des cibles militaires.

[11] Il se peut fort bien que les conclusions de la SPR sur la protection de l’État et l’existence d’une PRI soient fondées. Toutefois, lorsque la décision est lue dans son ensemble et dans son contexte, je conclus qu’elle n’est pas suffisamment transparente ni justifiée pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[12] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1150-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’intitulé est modifié de manière à remplacer « ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté » par « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » comme défendeur approprié.

  3. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1150-19

INTITULÉ :

OMAR LEONARDO ARANGO TORRES ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

POUR LES DEMANDEURS

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero

London (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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