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Date : 20051110

Dossier : IMM-317-05

Référence : 2005 CF 1535

Toronto (Ontario), le 10 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

MICHAEL IFEDIORA NWOKOMAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, M. Nwokomah, un citoyen nigérian âgé de trente ans, a présenté une demande pour que lui soit reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, parce qu'il craint d'être persécuté au Nigeria en raison de son appartenance à un groupe social, celui des hommes homosexuels.

[2]                M. Nwokomah est un chrétien originaire du Sud du Nigeria. Alors qu'il travaillait à Keffi, dans l'État de Nasarawa, dans la partie nord du Nigeria à majorité musulmane, il a fait la connaissance du fils d'un ecclésiastique musulman local, avec lequel il a développé une relation qui a duré quelques mois. Le 14 juillet 2004, M. Kwokomah se trouvait au travail lorsqu'un ami est venu l'avertir qu'un groupe de jeunes militants musulmans se trouvait à sa résidence et le cherchait. D'après les renseignements obtenus par le demandeur, ces hommes criaient [Traduction] « Tuez-le! » , parce qu'ils le soupçonnaient d'être homosexuel. Les militants ont brûlé sa maison, et son compagnon aurait été appréhendé et détenu par les forces policières pour être poursuivi en vertu de la charia, en vigueur dans cet État.

[3]                Le demandeur n'est pas retourné chez lui, à Keffi; il a plutôt fui vers la capitale, Abuja, où il a résidé chez sa tante. Étant donné la proximité de Keffi et d'Abuja, le demandeur ne se sentait pas en sécurité dans la capitale et s'il s'est rendu à Lagos, où une autre tante l'a accueilli pour quelques jours, pendant qu'il prenait des dispositions pour quitter le Nigeria. Le demandeur est arrivé au Canada le 5 août 2004 et il a demandé l'asile.

[4]                Un article de journal en date du 28 novembre 2004 relate que le compagnon du demandeur a été traduit devant un tribunal de la charia à Keffi et qu'un mandat d'arrestation a été lancé contre le demandeur. Au moment de l'audience, ce dernier ne disposait d'aucune information sur les suites de la poursuite intentée contre son compagnon. L'article de journal laisse entendre que l'affaire ne pouvait procéder devant le tribunal de la charia que si les deux accusés étaient présents.

[5]                Le 6 janvier 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, parce qu'il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) sûre pour lui à Lagos ou à Port Harcourt. La seule question en l'espèce consiste à se demander si la Commission a commis une erreur en rendant cette décision.   

[6]                Pour conclure que le demandeur dispose d'une PRI sûre à Lagos ou à Port Harcourt, le tribunal a appliqué le critère à deux volets établi dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, à la page 710 (C.A.F.), et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.).

[7]                La Commission a jugé qu'il n'existe pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Lagos, ni à Port Harcourt. Le tribunal a pris cette décision après avoir examiné la crainte du demandeur à l'égard des pratiques de la charia dans le Nord ainsi que sa crainte générale de persécution au Nigeria à titre de personne homosexuelle. Le tribunal n'était pas convaincu, selon la prépondérance de la preuve, qu'il existe une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à l'avenir par les autorités dans ces deux villes.

[8]                Pour ce qui est de la crainte de M. Nwokomah d'être persécuté du fait de l'application de la charia, le tribunal a estimé qu'il n'existe une possibilité sérieuse de persécution ni à Lagos, ni à Port Harcourt. Le tribunal a fondé sa décision à cet égard sur la preuve documentaire, selon laquelle la charia n'est pas appliquée au-delà des frontières d'un État musulman et selon laquelle également la police fédérale a clairement fait savoir qu'elle n'appliquerait pas la charia des États. Le tribunal a conclu qu'étant donné que Lagos et Port Harcourt sont deux villes situées dans le Sud du Nigeria, où la charia n'a pas force de loi, il n'existe pas, selon la prépondérance de la preuve, une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans l'une ou l'autre de ces villes. Dans une note en bas de page, la Commission a fait remarquer qu'en principe, les chrétiens ne sont pas assujettis à la charia. La preuve documentaire indique qu'il arrive, dans certaines circonstances, que des chrétiens préfèrent être poursuivis en vertu de la charia en raison de ses règles de preuve rigoureuses, telle l'exigence d'avoir des témoins oculaires.

[9]                Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une conclusion de la Commission relative à la PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable : Yrais Del Carmen Silva Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1413, au paragraphe 34; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] A.C.F. no 1263 (QL), au paragraphe 11; Cerna c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1061, au paragraphe 33; Zakka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1759 (QL).

[10]            Le demandeur fait valoir que la Commission a fait abstraction de sa preuve selon laquelle les autorités de la charia ont communiqué avec sa tante à Lagos pour tenter de le retrouver, à l'époque où il se réfugiait chez elle. Il soutient de plus que la Commission a mal interprété la preuve relative à l'application de la charia dans le Sud du Nigeria.

[11]            J'ai soigneusement passé en revue le témoignage du demandeur devant la Commission ainsi que les déclarations contenues dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Le FRP ne fait état d'aucune tentative des autorités de la charia pour le retrouver à Lagos avant qu'il quitte le pays. Lorsqu'on lui a demandé directement, à l'audience, pourquoi il ne pourrait vivre ni à Lagos, ni à Port Harcourt, le demandeur a d'abord répondu que c'était en raison de l' « intolérance » . Ce n'est que plus tard qu'il a indiqué que des inconnus ont appelé sa tante pour s'informer à son sujet, dans le courant du mois d'août 2004. Le demandeur a laissé entendre pour la première fois dans l'affidavit déposé au soutien de sa demande d'autorisation de contrôle judiciaire que cet appel a pu être plus qu'une simple demande de renseignements. La Commission ne disposait pas de cet élément de preuve.     

[12]            Quant à l'application de la charia dans le Sud du Nigeria, la Commission a relevé que « dans la pratique, une personne qui aurait violé la charia dans les États où celle-ci est en vigueur ne serait pas poursuivie ou appréhendée dans les États non régis par la charia » . Le demandeur prétend que la Commission n'a pas tenu compte de documents selon lesquels une personne qui a commis un crime punissable à la fois en vertu de la charia et du code pénal nigérian pourrait être poursuivie en vertu du code pénal dans un État non musulman, même si cet État n'engagerait aucune poursuite pour des actes punissables uniquement au regard de la charia.

[13]            Je ne vois pas très bien, d'après la preuve, quelle compétence aurait l'autre État à l'égard d'un crime qui aurait été commis dans l'État du Nord. Mais à supposer qu'une infraction au code pénal commise dans un État nigérian puisse donner lieu à des poursuites dans n'importe quel autre État nigérian, le demandeur soutient en réalité que toute poursuite découlant de la violation de l'interdiction relative aux actes homosexuels constituerait de la persécution au sens de la Convention sur les réfugiés, indépendamment de tout risque de poursuite en vertu de la charia.

[14]            Dans ses motifs, la Commission écrit notamment :

Le tribunal en est arrivé à sa décision après avoir pris en compte la crainte du demandeur eu égard à l'application de la charia dans le nord du pays ainsi que sa crainte de persécution du fait de son homosexualité. L'homosexualité demeure une infraction pénale au Nigeria [Pièce R-4, Réponse à la demande d'information NGA42748.EF, 14 juillet 2004], mais le bureau d'Amnistie Internationale à Bonn en Allemagne :

« [...] concède qu'il n'a pas entendu parler d'un cas où les mesures punitives du code ont été mises en application ni de personnes reconnues coupables d'avoir pratiqué des actes homosexuels (11 févr. 2003). Amnesty International a également mentionné que différentes sources, allant du ministère des Affaires étrangères d'Allemagne aux organismes internationaux de défense des droits des homosexuels, mènent leurs activités en supposant que les actes homosexuels entre adultes consentants ne sont plus punis, mais que les actes homosexuels forcés et les actes homosexuels avec des mineurs sont poursuivis aux termes du code criminel (AI 22 oct. 2002) » .

[15]            Dans la décision Zakka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1759, 2005 CF 1434, la juge Snider, qui traitait un cas semblable, a déclaré au paragraphe 11 que le demandeur ne peut se limiter à invoquer l'existence d'une loi interdisant les actes homosexuels pour établir le risque. La juge a souligné que la Commission ne peut pour autant faire abstraction de l'existence de lois et de sanctions punissant l'homosexualité. Ce sont là des facteurs dont la Commission doit tenir compte, mais qui ne suffisent pas en soi à satisfaire au fardeau incombant au demandeur d'établir le bien-fondé de sa demande.

[16]            Indépendamment de la conclusion à laquelle je serais moi-même arrivé, je suis convaincu qu'il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur ne risque pas d'être poursuivi pour s'être livré à des actes homosexuels consensuels dans le Sud du Nigeria, en dépit de l'existence d'une loi pénale interdisant une telle conduite, et ne risque pas non plus d'être poursuivi en vertu de la charia dans l'État du Nord, là où les actes se sont produits.

[17]            La situation et le parcours personnels du demandeur, y compris le fait qu'il a déjà vécu de longues périodes dans chacune des villes pouvant constituer un refuge intérieur, font de ces deux villes des endroits où l'on peut raisonnablement penser qu'il vivrait en sécurité. Le demandeur n'a pas réussi à établir que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur est manifestement déraisonnable, ni même qu'elle est déraisonnable.

[18]            Aucune partie n'a proposé une question de portée générale, et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-317-05

INTITULÉ :                                        MICHAEL IFEDIORA NWOKOMAH

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 NOVEMBRE 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 NOVEMBRE 2005                                               

COMPARUTIONS :                 

Solomon Orjiwuru                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR

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