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Date : 20030904

Dossier : T-1099-02

Référence : 2003 CF 1026

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 4 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE GAUTHIER   

ENTRE :

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                               appelant

                                                                          - et -

                                                              TON TEH HUANG

                                                                                                                                                   intimé

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le ministre interjette appel de la décision du juge de la citoyenneté Gallagher, qui a approuvé la demande de citoyenneté de M. Huang le 30 mai 2002.

LES FAITS


[2]                M. Huang a obtenu le droit d'établissement au Canada le 14 juillet 1994; il était accompagné de sa famille. Il a présenté une demande de citoyenneté le 20 septembre 2001. À ce moment-là, son épouse et ses trois enfants avaient déjà obtenu leur citoyenneté canadienne. Dans les quatre ans qui ont précédé sa demande, M. Huang a été présent au Canada pendant 423 jours et absent pendant 1037 jours.

[3]                Pour rendre sa décision, le juge de la citoyenneté Gallagher a utilisé un formulaire imprimé qui dit qu'il a appliqué le _ critère du mode d'existence centralisé _ et examiné les six questions contenues dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Ce formulaire reproduit également ces six questions et, il ressort des notes qui figurent sous chacune d'elles que M. Huang avait été _ régulièrement _ absent du Canada depuis qu'il a obtenu le droit d'établissement en 1994, en raison des facteurs suivants : i) a des parents malades et âgés; ii) prête son assistance à l'entreprise immobilière de son épouse; et iii) s'occupe de son entreprise internationale d'architecture. Aucune mention en particulier ne précise si les facteurs ii) et iii) étaient de nature temporaire. Il n'y a aucune note décrivant les liens du demandeur avec un autre pays comme Taïwan où vivent ses parents et où il mène une grande partie de ses activités commerciales. Cependant, il ressort des notes figurant dans la section intitulée _ Décision _ que le juge de la citoyenneté Gallagher a estimé que M. Huang n'avait de liens avec aucun autre pays.

[4]                En tout cas, dans la section _ Décision _, le juge de la citoyenneté Gallagher dit :

[TRADUCTION] Le demandeur réside au Canada depuis 1994, mais il a été à l'extérieur du Canada pendant une période importante pour des raisons d'affaires et des raisons familiales, pendant et avant la période de quatre ans antérieure à la demande de citoyenneté. Toutefois, en comptant pour moitié le temps passé avant la période de quatre ans, et en tenant compte du temps passé depuis la demande, la durée de résidence du demandeur au Canada est, d'après mes calculs confirmés par l'appelant, supérieure aux 1095 jours requis.

[Non souligné dans l'original.]

                                                                                                                                               


[5]         Il note également :

[TRADUCTION] Par ailleurs, le demandeur a des liens très importants avec le Canada (à l'exclusion de tout autre pays) à cause de la famille et d'autres indicateurs secondaires. Devenir citoyen permettra également au demandeur de travailler (comme architecte) au Canada, et de ne pas être réduit à travailler comme architecte à Taïwan et en Chine continentale. Tout laisse penser que le demandeur sera un citoyen exemplaire.                    

QUESTIONS EN LITIGE

[6]         Le demandeur soulève deux questions dans le présent appel : a) le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans Re Koo et; b) a-t-il commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents, comme la possibilité que M. Huang puisse travailler comme architecte au Canada après avoir obtenu la citoyenneté canadienne?

ANALYSE

[7]         Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Wu, 2002 CFPI 579, [2002] A.C.F. no 765 (QL), (voir paragraphe 21), le juge Teitelbaum a dit que la Cour fédérale, Section de première instance, doit vérifier si le juge de la citoyenneté a bien appliqué l'un des critères admis de résidence. Les conclusions de fait ne devraient pas être modifiées à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables, ou tirées de manière abusive ou arbitraire (voir paragraphe 21). J'appliquerai cette norme de contrôle.


[8]         L'appelant prétend que le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'il a appliqué le critère énoncé dans Re Koo, précité, en faisant une mauvaise application de la formule de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C., 1985, ch. C-29 (la Loi). Cet alinéa dispose :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[Non souligné dans l'original.]

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

                                                                         

[9]         Le libellé de l'alinéa 5(1)c) montre que le nombre de jours de résidence devrait être calculé de la manière indiquée au sous-alinéa (ii), fondée sur les quatre ans qui ont précédé la date de la demande. Toutefois, comme noté précédemment, le juge a inclus dans son calcul le temps passé avant la période de quatre ans, accordant au demandeur des demi-jours pour ce temps, ainsi que le temps passé après le dépôt de sa demande[1]. Il s'agit manifestement d'une mauvaise application de l'alinéa 5(1)c) de la Loi ainsi que d'une mauvaise compréhension du critère énoncé dans Re Koo, précité.


[10]       En effet, comme cela ressort des notes du juge de la citoyenneté Gallagher sous la question 4, [_ Dans quelle mesure s'absente-t-il du Canada ? (nombre de jours d'absence du Canada VS nombre de jours de présence au Canada) _], le juge de la citoyenneté Gallagher n'a pas tenu compte du fait que la présence physique mentionnée dans Re Koo, précité, est la période prévue dans l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[11]       Du reste, je me demande si le juge de la citoyenneté Gallagher n'a pas assimilé le _ critère du mode d'existence centralisé _ au _ critère de la présence physique _ si cher à certains juges de notre Cour (voir, par exemple, Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232).

[12]       Il appert que le juge de la citoyenneté Gallagher justifie son approbation, au moins en partie, sur le fait que M. Huang a eu une présence physique au Canada pendant les 1095 jours requis. Je suis d'accord avec M. Huang que le juge de la citoyenneté s'est également fondé sur ses liens importants avec le Canada. Mais, malgré l'excellente plaidoirie de l'avocat de M. Huang, je ne peux accepter que, par conséquent, l'erreur relative à la présence physique requise, n'est plus déterminante pour la décision.


[13]       Si l'existence de liens importants établie par la propriété d'une maison où habitent son épouse et ses enfants, et par les autres _ indicateurs secondaires _ types (paiement d'impôts), permis de conduire, dons de charité et connaissance du Canada), était en soi suffisante pour remplir les conditions prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, sans égards ni pour la présence réelle au Canada ni pour la nature, la cause et l'étendue des absences pendant la période prévue par la Loi, il n'aurait pas été nécessaire de poser les autres questions énoncées dans Re Koo et dans le formulaire utilisé par le juge de la citoyenneté Gallagher.

[14]       Dans Re Koo, le demandeur était propriétaire d'une maison à Vancouver où vivait son épouse. Il avait plusieurs membres de sa famille au Canada y compris une tante, un cousin, une belle-mère et un frère cadet. Il payait des impôts et il avait les autres indices types de résidence comme les cartes de membres de clubs, le permis de conduire etc... Néanmoins, sa demande a été refusée. Cela montre l'importance des autres questions énoncées par le juge Reed et l'importance pour les juges de la citoyenneté de faire une étude et une analyse complètes et intégrales du temps passé au Canada et à l'extérieur du Canada pendant la période prévue par la Loi[2]. Conclure autrement serait s'écarter non seulement du critère du _ mode d'existence centralisé _ mais aussi du libellé très clair de la Loi elle-même. C'est tout simplement inacceptable.

[15]       En l'espèce, M. Huang n'a pas du tout réuni les 1095 jours requis. Il n'y a aucune indication que ses absences diminuaient avec le temps et qu'elles étaient causées par une situation temporaire.

[16]       En conséquence, l'erreur est déterminante pour la décision du juge de la citoyenneté Gallagher et l'appel doit être accueilli.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

L'appel est accueilli.

_ Johanne Gauthier _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                         T-1099-02

INTITULÉ :                                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION      

c.

TON TEH HUANG

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                                  Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                                le 3 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                                                       le 4 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Peter Bell                                                                                              pour l'appelant

James Hu                                                                                              pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                                  pour l'appelant

Sous-procureur général du Canada

James Hu                                                                                              pour l'intimé

Remedios & Co.

Vancouver (C.-B.)



[1]               À cet égard, je conclus que la décision dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Chen, [1999] A.C.F. no 424, est différente quant aux faits.

[2]            On peut trouver des exemples d'autres réponses ou analyse inacceptables de ces questions dans Canada (MCI) c. Wu, précité.


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