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Date : 20040512

Dossier : T-1878-02

Référence : 2004 CF 694

Toronto (Ontario), le 12 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE

ROGER R. LAFRENIÈRE

ENTRE :

                                        AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                      demanderesses

                                                                       et

                                                                       

                               APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                              défendeurs

Dossier : T-766-03

ET ENTRE :

ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs


                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Aperçu

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par AB Hassle, Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc., les demanderesses dans le dossier du greffe no 1878-02, et par Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc., les demanderesses dans le dossier du greffe no T-766-03 (ci-après conjointement appelées les demanderesses), aux fins de l'obtention de l'autorisation de déposer en réponse une preuve par affidavit de M. Jörgen Lindquist, en date du 15 avril 2004, (l'affidavit Lindquist) ainsi que d'une ordonnance indiquant les étapes procédurales subséquentes à franchir dans la présente instance.

[2]                L'affidavit Lindquist renferme la preuve des résultats d'analyse qui, selon les demanderesses, indiquent que les comprimés proposés de la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) constituent une contrefaçon de leurs brevets, qui sont en cause dans les deux instances qu'elles ont engagées conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).


[3]                Apotex déclare qu'il est tout simplement trop tard dans les deux instances pour demander à déposer de nouveaux éléments de preuve; elle affirme que l'autorisation devrait donc être refusée. Les demanderesses maintiennent que l'affidavit Lindquist n'aurait pas pu être soumis plus tôt étant donné qu'Apotex a continuellement refusé de produire des échantillons de ses comprimés pour les analyses. Par mesure de prudence, Apotex a présenté une requête distincte en vue d'obtenir une ordonnance lui permettant de déposer une preuve en réponse à l'affidavit Lindquist dans l'éventualité où l'autorisation est accordée.

[4]                Les demanderesses soutiennent que l'autorisation de déposer l'affidavit Lindquist devrait être accordée, et ce, pour les raisons suivantes : (1) cela ne causera pas de retard déraisonnable; (2) il est dans l'intérêt de la justice de le faire; (3) cela aidera grandement la Cour, et (4) cela ne causera pas de préjudice sérieux à la partie adverse. Pour les motifs qui sont ci-dessous énoncés, je conclus que la requête doit être rejetée.

Historique des deux instances

[5]                Il ne s'agit pas ici de la première instance fondée sur le Règlement dans laquelle les parties sont en cause. Dans le dossier du greffe no T-1747-00, les demanderesses ont engagé des procédures le 19 septembre 2000 en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (l'AC) à Apotex à l'égard de produits pharmaceutiques sous forme de comprimés d'oméprazole ou de magnésium d'oméprazole. Les demanderesses ont sollicité la divulgation de renseignements par Apotex, y compris la production d'échantillons de comprimés, par suite de l'allégation d'absence de contrefaçon d'Apotex. Apotex a refusé de produire les comprimés.

[6]                Les demanderesses ont demandé la production de certaines parties de la présentation réglementaire d'Apotex (la PDN) et ont demandé des échantillons de comprimés d'Apotex qui étaient peut-être en la possession du ministre. Par une ordonnance en date du 16 juillet 2001, la protonotaire Aronovitch a ordonné à Apotex de produire certaines parties de sa PDN. Étant donné qu'Apotex n'a pas soumis au ministre d'échantillons de ses comprimés de magnésium d'oméprazole, les échantillons n'ont pas été produits.

[7]                Par une ordonnance en date du 4 septembre 2002, le juge Kelen a accueilli, en se fondant sur les conclusions suivantes, la demande des demanderesses et a interdit au ministre de délivrer un AC à Apotex à l'égard des comprimés de magnésium d'oméprazole de 10, 20 et 40 mg tant que les brevets en question n'étaient pas expirés :

[51] À la lumière de ces témoignages, j'en arrive aux conclusions suivantes :

1.              Un composé réactif ou « interface » est généré spontanément lorsque l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble, qui est composé de polymères, est pulvérisé sur le noyau, qui contient de l'oméprazole et des substances alcalines;

2.              La nature du composé réactif ou de l'interface ne peut être vérifiée que par une analyse des comprimés eux-mêmes;

3.              Les experts ne s'entendent pas sur la question de savoir si le composé réactif ou l'interface peut être considéré comme un « sous-enrobage » au sens des brevets ou si le composé réactif formerait une couche continue autour du noyau et sur ce que son épaisseur pourrait être;

4.              Le composé réactif isolerait le noyau, l'empêchant ainsi de se dissoudre et jouerait ainsi le même rôle - jusqu'à un certain point - que le sous-enrobage décrit dans la revendication 1 du brevet;

5.              Il n'est pas possible d'évaluer la crédibilité des témoignages contradictoires d'experts sans avoir eu l'avantage de les entendre de vive voix en l'espèce;


6.              Il n'est pas possible de décider si l'allégation d'absence de contrefaçon est fondée en se fondant sur les spéculations et les conjectures des experts. Cette situation est particulièrement frustrante lorsque la meilleure preuve - qui est aussi probablement la plus concluante - serait les résultats des analyses des comprimés d'Apotex eux-mêmes;

7.              La conclusion évidente que la Cour tire du témoignage des experts est que les comprimés d'Apo-oméprazole auraient pu être analysés cliniquement pour déceler la présence d'une couche réactive ou d'un composé réactif ou d'un sous-enrobage spontané, et pour obtenir des renseignements techniques clés sur ses caractéristiques. Sans ces éléments d'information, les experts se livrent à des spéculations, des hypothèses et à des tergiversations;

8.              En matière de contrefaçon de brevets, il est troublant pour la Cour de s'en remettre à des témoins experts qui « tergiversent » et de décider lequel d'entre eux a raison.

[8]                Le juge Kelen a mentionné la décision AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 10 C.P.R. (4th) 38 (RhoxalPharma), dans laquelle la Cour avait devant elle un comprimé générique d'oméprazole similaire, un AA similaire et deux des mêmes brevets. Le juge Kelen a noté que le juge du procès, la juge Tremblay-Lamer, avait statué que la preuve avait établi, selon la probabilité la plus forte, que les comprimés génériques renfermaient un « sous-enrobage inerte » qui résultait spontanément de l'interréaction entre des ingrédients du noyau et l'enrobage gastrorésistant, et qu'ils ne contrefaisaient donc pas le brevet 693. Dans l'affaire RhoxalPharma, les échantillons de comprimés génériques avaient finalement été remis aux demanderesses, qui les avaient analysés pour confirmer qu'il y avait un sous-enrobage et qu'il y avait donc contrefaçon. Dans l'affaire RhoxalPharma, les demanderesses avaient été autorisées à déposer des éléments de preuve additionnels au sujet des résultats des analyses.

[9]                Le juge Kelen a fait remarquer que la décision RhoxalPharma est importante parce qu'elle démontre que les renseignements détaillés appropriés dont le breveté avait besoin pour vérifier le bien-fondé de l'allégation d'absence de contrefaçon se rapportaient aux échantillons effectivement utilisés lors des analyses pour déterminer l'existence d'un « sous-enrobage inerte » . Le juge Kelen a cité le refus d'Apotex de fournir aux demanderesses les échantillons de comprimés; il a accordé la réparation sollicitée par les demanderesses et a interdit au ministre de délivrer un AC à Apotex.

Dossier du greffe no T-1878-02

[10]            Par un avis de demande en date du 8 novembre 2002, les demanderesses ont engagé, conformément au Règlement, d'autres procédures dans le dossier du greffe no T-1878-02 en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un AC à Apotex à l'égard des comprimés de magnésium d'oméprazole de 10 et 20 mg tant que les brevets canadiens nos 1 292 693, 1 302 891 et 2 166 483 n'étaient pas expirés.


[11]            Les procédures, dans le dossier du greffe no T-1878-02, ont été engagées en réponse à un avis d'allégation (l'AA) envoyé par Apotex aux demanderesses le 26 septembre 2002, dans lequel Apotex alléguait que ses comprimés de magnésium d'oméprazole ne constitueraient pas une contrefaçon des revendications pertinentes relatives aux brevets en question et que les revendications pertinentes étaient invalides. Apotex n'a pas fourni d'échantillons de ses comprimés de magnésium d'oméprazole avec son AA.

[12]            Dans leur avis de demande, les demanderesses ont déclaré que l'AA était défectueux en l'absence des échantillons de comprimés d'Apotex. AstraZeneca a également déclaré ce qui suit :

[traduction]

31.            En outre, et subsidiairement, les demanderesses soutiennent qu'Apotex doit produire des échantillons et divulguer des détails sur la formulation et des renseignements sur le procédé en ce qui concerne la PDN pour le magnésium d'oméprazole d'Apotex qui est actuellement devant le ministre. Cette divulgation est nécessaire pour permettre aux demanderesses de déterminer si un sous-enrobage est présent ou si l'allégation d'absence de contrefaçon est justifiée pour l'un ou l'autre des motifs subsidiaires invoqués par Apotex.

32.            Les demanderesses n'ont aucun renseignement ou n'ont accès à aucun renseignement au sujet de l'existence, du contenu ou de la date de dépôt d'une présentation de drogue nouvelle et n'ont pas de détails concernant la formulation ou de renseignements sur le procédé pour le magnésium d'oméprazole mentionné dans la lettre. En outre, les demanderesses n'ont pas accès à des échantillons du produit d'Apotex.

[13]            La preuve des demanderesses a été signifiée et déposée le 10 janvier 2003. Cette preuve expliquait que les demanderesses n'avaient pas accès aux échantillons de comprimés d'Apotex et qu'il fallait procéder à des analyses sur ces comprimés afin de permettre aux demanderesses d'évaluer l'allégation d'absence de contrefaçon d'Apotex.


[14]            À la suite de la signification de la preuve par affidavit des demanderesses, Apotex a demandé et obtenu une prorogation de délai, jusqu'au 25 avril 2003, pour déposer sa preuve par affidavit. Apotex a déposé sa contre-preuve le 2 avril 2003, mais elle n'a pas produit les échantillons de comprimés pour les analyses. Apotex a cependant révélé qu'elle avait pris des mesures pour que des analyses soient effectuées sur des échantillons de ses comprimés. Les résultats des analyses étaient inclus dans la preuve fournie par Apotex. Par une lettre en date du 9 avril 2003, les demanderesses ont demandé à Apotex de fournir des échantillons de ses comprimés pour des analyses. L'avocat des demanderesses a fait savoir que, dans l'éventualité où Apotex ne fournirait pas les échantillons, les demanderesses [traduction] « se verraient obligées de présenter une demande à la Cour » . Le 18 avril 2003, Apotex a refusé de produire les échantillons.

[15]            Le 7 mai 2003, les demanderesses ont présenté une requête en vue de faire radier certaines parties de la preuve d'Apotex. Elles ont également demandé, à titre de réparation subsidiaire, l'autorisation de déposer un affidavit de M. Lindquist en réponse à certains éléments de preuve soumis par Apotex. (Cet affidavit n'est pas en cause dans la présente requête.) Par une ordonnance en date du 21 août 2003, j'ai accordé aux demanderesses l'autorisation de déposer l'affidavit Lindquist établi le 6 mai 2003.


[16]            Apotex a subséquemment présenté une requête le 2 septembre 2003 en vue d'obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit complémentaire de M. Cima en date du 27 août 2003. Par une ordonnance en date du 24 novembre 2003, la protonotaire Tabib a rejeté la requête d'Apotex, mais la décision a été annulée par le juge von Finckenstein, le 24 décembre 2003. Les demanderesses ont interjeté appel de l'ordonnance du juge von Finckenstein devant la Cour d'appel.

[17]            L'audition de l'affaire, dans le dossier du greffe no T-1878-02, doit commencer le 17 août 2004 et durer trois jours.

Dossier du greffe no T-766-03

[18]            Par un avis de demande en date du 13 mai 2003, les demanderesses ont engagé d'autres procédures conformément au Règlement dans le dossier du greffe no T-766-03 en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un AC à Apotex à l'égard des comprimés de magnésium d'oméprazole de 10 et de 20 mg tant que le brevet canadien no 2 186 037 ne sera pas expiré. L'instance, dans le dossier du greffe no T-766-03, a été engagée en réponse à un AA envoyé aux demanderesses par Apotex le 25 mars 2003. Apotex alléguait qu'aucune revendication pour le médicament lui-même et aucune revendication pour l'utilisation d'un médicament ne donneraient lieu à une contrefaçon si elle fabriquait, élaborait, utilisait ou vendait ses comprimés de magnésium d'oméprazole.


[19]            Les demanderesses ont déposé leur preuve dans le dossier du greffe no T-766-03 le 27 juin 2003. Cette preuve indiquait que les demanderesses n'avaient pas accès aux échantillons de comprimés de magnésium d'oméprazole d'Apotex et qu'elles en avaient besoin pour évaluer l'allégation d'absence de contrefaçon qu'Apotex avait faite.

[20]            La preuve au fond d'Apotex a été produite le 25 août 2003 et comprenait la preuve des analyses effectuées sur les comprimés qu'Apotex envisageait de fabriquer.

Contre-interrogatoires dans les deux instances

[21]            Étant donné que de nombreux témoins qui ont été présentés pour le compte des deux parties étaient les mêmes dans les dossiers du greffe nos T-766-03 et T-1878-02, ces dernières ont convenu de procéder à des contre-interrogatoires conjoints. Cependant, étant donné que les contre-interrogatoires dans le dossier no T-1878-02 ont eu lieu en retard, les contre-interrogatoires dans le dossier no T-766-03 ont également eu lieu en retard.

[22]            Monsieur Sherman, l'un des déclarants d'Apotex, a finalement subi son contre-interrogatoire le 6 janvier 2004. Pendant le contre-interrogatoire, l'avocat des demanderesses a demandé à M. Sherman de produire des échantillons des comprimés d'Apotex pour les analyses. La demande a été prise en considération par l'avocat d'Apotex. Par une lettre en date du 21 janvier 2004, l'avocat des demanderesses a rappelé à l'avocat d'Apotex les questions auxquelles il fallait encore répondre par suite du contre-interrogatoire de M. Sherman, y compris la demande d'échantillons de comprimés.


[23]            Par une lettre en date du 19 février 2004, l'avocat d'Apotex a produit les échantillons des comprimés de magnésium d'oméprazole de sa cliente dans les dossiers nos T-1878-02 et T-766-03.

[24]            Les demanderesses ont subséquemment demandé à leur avocat d'envoyer les échantillons de comprimés en Suède. Ces échantillons ont été envoyés par l'entremise d'un service de messagerie le 4 mars 2004.

[25]            Dans un courriel en date du 18 mars 2004, l'avocat d'Apotex a informé l'avocat des demanderesses que sa cliente n'avait pas encore décidé si elle allait s'opposer à une tentative de la part des demanderesses de déposer des éléments de preuve complémentaires à l'égard des échantillons de comprimés qu'elle avait produits.

[26]            L'analyse des échantillons a pris fin le 8 avril 2004. Ce jour-là, l'avocat des demanderesses a répondu à l'avocat d'Apotex, en faisant savoir que les analyses effectuées sur les échantillons de comprimés d'Apotex étaient terminées et que les résultats montraient la présence d'une couche continue de sous-enrobage. L'avocat des demanderesses a indiqué qu'il supposait qu'Apotex accepterait que les demanderesses déposent des éléments de preuve additionnels au sujet des analyses effectuées sur les échantillons et a demandé une confirmation à cet égard.


[27]            Par une lettre en date du 12 avril 2004, l'avocat d'Apotex a informé l'avocat des demanderesses qu'Apotex s'opposerait à toute requête visant l'autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels à l'égard des analyses effectuées sur les échantillons.

Position des demanderesses

[28]            Les demanderesses soutiennent que l'octroi de l'autorisation de déposer l'affidavit Lindquist complémentaire ne causera pas de retard déraisonnable puisque de nombreux contre-interrogatoires ne sont pas encore achevés. De plus, une date d'audition au fond de la demande dans le dossier no T-1878-02 a déjà été fixée. Par conséquent, l'octroi de l'autorisation de déposer l'affidavit Lindquist complémentaire ne retardera pas l'audition de l'une ou l'autre demande au fond.


[29]            Les demanderesses soutiennent également que l'octroi de l'autorisation servira les intérêts de la justice. Elles maintiennent que l'affidavit Lindquist complémentaire n'était pas antérieurement disponible parce qu'Apotex n'avait pas produit ses échantillons de comprimés pour les analyses. Il a fallu énormément de temps à Apotex pour procéder à une évaluation et faire en sorte que des analyses soient effectuées sur ses propres comprimés. À l'heure actuelle, seule Apotex dispose d'éléments de preuve portant sur la question de savoir si ses échantillons de comprimés constituent une contrefaçon des brevets pertinents. Les demanderesses maintiennent que l'intérêt de la justice milite en faveur du dépôt d'éléments de preuve correspondants dans le dossier.

[30]            Les demanderesses affirment en outre que l'affidavit Lindquist aidera grandement la Cour. Comme le juge Kelen l'a déjà fait remarquer dans le dossier du greffe no T-1747-00, les analyses constituent un facteur déterminant lorsqu'il s'agit de savoir s'il y a contrefaçon des brevets pertinents.

[31]            Enfin, les demanderesses soutiennent que l'octroi de l'autorisation ne causera pas de préjudice sérieux à Apotex. Apotex aura la possibilité de mener un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit Lindquist. De plus, l'audition des présentes demandes ne sera pas retardée.

Analyse

[32]            Comme il en a déjà été fait mention dans ces motifs, j'ai conclu que la requête doit être rejetée. Je suis convaincu que la preuve de M. Lindquist que l'on se propose de soumettre aiderait la Cour dans la décision finale qu'elle rendra dans la demande, mais les demanderesses n'ont pas établi que, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, l'octroi de l'autorisation ne causera pas un retard déraisonnable ou qu'Apotex ne subirait aucun préjudice sérieux. Par conséquent, l'intérêt de la justice n'exige pas, à mon avis, que la réparation demandée soit accordée.


[33]            Dans les demandes de contrôle judiciaire, les affidavits complémentaires ne seront admis que dans des circonstances fort restreintes, et ces affidavits doivent être déposés promptement, à défaut de quoi les procédures, qui sont censées être sommaires et rapides, seront prolongées : Fogal c. Canada (1999), 161 F.T.R. 121 aux pages 124 et 125 (C.F. 1re inst.), Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway (2000), 182 F.T.R. 100 à la page 101 (C.F. 1re inst.).

[34]            La célérité est particulièrement importante dans des procédures engagées conformément à l'article 6 du Règlement. Cette disposition accorde aux titulaires de brevets pharmaceutiques une réparation que la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont décrite comme étant « extraordinaire » et « draconienne » . En présentant simplement une demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction en réponse à un avis d'allégation, le titulaire du brevet obtient une réparation qui équivaut à une injonction interlocutoire par présomption dont les autres catégories de brevetés ne peuvent pas se prévaloir : Apotex Inc. c. Merck Frosst Canada Inc. (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 au paragraphe 33 (C.S.C.); Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Canada Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 539 au paragraphe 5 (C.A.F.); Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 aux paragraphes 18 et 19 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Canada (2000), 6 C.P.R. (4th) 165 au paragraphe 4 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 170 à la page 175 (C.A.F.).

[35]            En raison de l'injonction par présomption, pendant que la Cour est saisie de la procédure engagée conformément au Règlement, un breveté continue à bénéficier d'un monopole à l'égard de son produit même si, dans le contexte de cette procédure, il n'a pas justifié le maintien de ce monopole. La présente cour et la Cour d'appel ont donc insisté pour que les procédures engagées conformément au Règlement se déroulent avec célérité : Bayer AG c. Canada (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 à la page 337 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 au paragraphe 27 (C.A.F.); Pharmacia Inc. c. Canada (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 à la page 215 (C.A.F.).

[36]            Étant donné que les procédures engagées en vertu du Règlement doivent se dérouler avec célérité, la présente cour n'a pas hésité à rejeter les requêtes présentées par les demanderesses lorsque ces requêtes ne sont pas présentées en temps opportun : Biovial Corp. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (2002) 22 C.P.R. (4th) 503, à la page 515 (C.F. 1re inst.); confirmé par (2003), 29 C.P.R. (4th) 129 (C.A.F.); ordonnances rendues par le protonotaire Lafrenière dans les dossiers du greffe nos T-2169-01 et T-2052-01, en date du 26 juillet 2002, confirmées par une ordonnance du juge Rouleau, (2002) 21 C.P.R. (4th) 248 (C.F. 1re inst.); ordonnances rendues par le protonotaire Lafrenière dans les dossiers du greffe nos T-2169-01, T-2052-01 et T-877-02 en date du 16 juillet 2003; ordonnance rendue par le protonotaire Lafrenière dans le dossier du greffe no T-1800-02 en date du 6 octobre 2003; confirmée par une ordonnance du juge Pinard, [2003] A.C.F. no 1666 (C.F. 1re inst.).


[37]            Les demanderesses sollicitent l'autorisation de déposer une preuve par affidavit complémentaire dix-huit mois après que les procédures ont été engagées dans le dossier du greffe no T-1878-02, et près d'un an après que les procédures ont été engagées dans le dossier du greffe no T-766-03. Des explications satisfaisantes ont été données au sujet du temps qu'Apotex a mis pour déposer sa preuve après l'introduction des procédures, mais je ne suis pas convaincu que les demanderesses aient justifié leur inaction subséquente et, en particulier, le fait qu'elles ont omis de présenter une requête en temps opportun afin d'exiger la production des échantillons nécessaires pour les analyses.

[38]            Dans l'avis de demande qu'elles ont déposé dans le dossier du greffe no 1878-02, les demanderesses se sont plaintes qu'Apotex n'avait pas produit les échantillons de ses comprimés de magnésium d'oméprazole et elles ont déclaré que [traduction] « la production d'échantillons est nécessaire pour [leur] permettre de déterminer si un sous-enrobage est présent ou si l'allégation d'absence de contrefaçon est justifiée pour l'un des motifs subsidiaires invoqués par Apotex » . De même, dans l'avis de demande qu'elles ont déposé dans le dossier du greffe no T-766-03, les demanderesses se sont plaintes qu'Apotex n'avait pas produit les échantillons de ses comprimés de magnésium d'oméprazole et elles ont déclaré que [traduction] « la production d'échantillons est nécessaire pour [leur] permettre de déterminer entre autres si une couche séparatrice in situ est présente et si l'allégation d'absence de contrefaçon est justifiée pour l'un des motifs invoqués par Apotex » .


[39]            Pourtant, même si les demanderesses ont soulevé, au tout début des deux procédures, la question de savoir si un sous-enrobage est présent dans les comprimés d'Apotex et le fait qu'elles ont besoin d'échantillons afin de déterminer si c'est le cas, elles n'ont pas pris de mesures en vue de contraindre Apotex à produire son produit et elles ont simplement décidé d'attendre le contre-interrogatoire de M. Sherman. Cette stratégie est plutôt troublante compte tenu de la preuve par affidavit déposée par Apotex aux mois d'avril et d'août 2003, laquelle montrait que les échantillons avaient été analysés.

[40]            L'article 84 des Règles de la Cour fédérale (1998) établit l'ordre des contre-interrogatoires concernant les affidavits. Une partie ne peut pas procéder à un contre-interrogatoire au sujet des affidavits de ses adversaires tant qu'elle n'a pas signifié ses propres affidavits. Si les demanderesses avaient eu l'intention de soumettre leur propre preuve au sujet des analyses effectuées sur les échantillons, elles auraient dû prendre des mesures afin d'exiger la production des échantillons, de procéder aux analyses et de demander ensuite l'autorisation de déposer une preuve par affidavit additionnelle avant de fixer la date des contre-interrogatoires. Permettre aux demanderesses d'utiliser le contre-interrogatoire de M. Sherman pour déclencher la réouverture du dossier de la preuve sur un point qui opposait les parties dès le début serait à mon avis inapproprié et injuste. Cela entraînerait nécessairement des retards additionnels dans l'instance et risquerait de compromettre l'audition de la demande dans le dossier du greffe no T-1878-02.


[41]            Même si les demanderesses pouvaient à bon droit attendre le contre-interrogatoire de M. Sherman pour demander des échantillons, leur retard subséquent, lorsqu'il s'est agi de présenter la requête ici en cause, milite à l'encontre de l'octroi de la réparation demandée. Le 6 janvier 2004, l'avocat d'Apotex a pris en considération la question de savoir s'il allait produire les échantillons de comprimés de magnésium d'oméprazole d'Apotex. Apotex a clairement temporisé lorsqu'il s'est agi de répondre à cette demande plutôt simple, mais il incombait aux demanderesses de présenter une requête en vue de contraindre Apotex à produire les échantillons demandés et d'obtenir l'autorisation de soumettre des éléments de preuve complémentaires à ce sujet en l'absence d'une réponse donnée en temps opportun. Il est tout simplement inacceptable qu'il se soit écoulé six semaines entre la date du contre-interrogatoire et la date de la production des échantillons, et ce, même s'il est en partie possible de blâmer Apotex.

[42]            Les demanderesses et leur avocat savaient au départ qu'il était extrêmement important de procéder à des analyses sur les échantillons de comprimés de magnésium d'oméprazole d'Apotex pour déterminer si l'allégation d'absence de contrefaçon était justifiée et elles ont maintenu cette position. Malgré tout, elles n'ont pas pris de mesures suffisantes après avoir reçu les avis d'allégation d'Apotex pour faire en sorte que les analyses soient effectuées en temps opportun et pour soumettre une preuve en temps opportun.

[43]            Enfin, Apotex se plaint que les demanderesses ont décidé d'attendre pendant une période additionnelle de deux mois après qu'Apotex eut volontairement produit ses échantillons pour présenter la requête dont je suis ici saisi. Si ce n'était du temps qui s'est écoulé entre le moment où Apotex a déposé en réponse sa preuve par affidavit et la date du contre-interrogatoire de M. Sherman, j'aurais été porté à excuser ce retard compte tenu des explications données, et l'affidavit Lindquist aiderait la Cour à arriver à une décision au fond au sujet de la demande.

[44]            En conclusion, les demanderesses ont tardé d'une façon déraisonnable à chercher à contraindre Apotex à produire les échantillons. Étant donné qu'Apotex subirait un préjudice s'il survenait un autre retard dans la présente instance, l'octroi de la réparation demandée ne sert pas, à mon avis, les intérêts de la justice.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête visant l'autorisation de signifier et de déposer l'affidavit Lindquist est rejetée.

2.          L'échéancier, en ce qui concerne les étapes interlocutoires qu'il reste à franchir, est modifié comme suit dans le dossier du greffe no T-1878-02 :

a)          les contre-interrogatoires devront être achevés le 30 juin 2004 ou auparavant;

b)          le dossier de la demande des demanderesses sera signifié et déposé au plus tard le 20 juillet 2004 ou dans les 20 jours qui suivront la date à laquelle les contre-interrogatoires auront pris fin, selon l'événement qui se produira en premier lieu; et

c)          les dossiers de la demande des défendeurs seront signifiés et déposés au plus tard le 9 août 2004 ou dans les 20 jours de la signification du dossier des demanderesses, selon l'événement qui se produira en premier lieu.


3.          Les contre-interrogatoires, dans le dossier no T-766-03, devront être achevés le 30 juin 2004 ou auparavant. Les parties demanderont par écrit à la Cour, dans les dix jours qui suivront cette date, de fixer un échéancier pour les autres étapes à franchir dans le dossier du greffe no T-766-03.

4.          Les frais de ces requêtes et des requêtes d'Apotex visant le dépôt d'une preuve en réponse à l'affidavit Lindquist sont fixés à 3 250 $ en tout, y compris les débours, pour les quatre requêtes, ce montant devant être versé à Apotex quelle que soit l'issue de la cause, mais non immédiatement.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   T-1878-02

T-766-03

INTITULÉ :                                                    AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et entre

ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 3 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 12 MAI 2004

COMPARUTIONS :

J. Sheldon Hamilton

Gunars A. Gaikus                                              POUR LES DEMANDERESSES

Andrew R. Brodkin

Nathalie Butterfield                                            POUR LES DÉFENDEURS


                                                                                                                                    Page : 2

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

GOODMANS s.r.l.

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DÉFENDEURS


                                                                                                                                               

COUR FÉDÉRALE

                                                   Date : 20040512

                                           Dossiers : T-1878-02

                                                               T-766-03

ENTRE :

AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                    demanderesses

et

                                      

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                            défendeurs

ET ENTRE :

ASTRAZENECA AB et ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            

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