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Date : 20051130

Dossier : IMM-705-05

Référence : 2005 CF 1616

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

PRETTI PAUL SINGH

et RAMDOLARIE SINGH

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 10 janvier 2005, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’ils n’étaient pas crédibles et qu’il n’avaient pas une crainte subjective de persécution en Guyana. 

 


LES FAITS

 

[2]               Les demandeurs, des citoyens de la Guyana, sont mari et femme. Le demandeur principal, M. Singh (le demandeur), prétend craindre avec raison d’être persécuté par des personnes liées au Parti progressiste populaire (le PPP), le parti au pouvoir, qui s’en prendraient physiquement à lui et à son épouse ou les tuerait s’ils retournaient en Guyana. La demande de la demanderesse est fondée sur la demande d’asile de son mari.

 

[3]               Le demandeur travaillait comme entrepreneur en construction avant de lancer sa propre entreprise de sous‑traitance. Son entreprise a obtenu un contrat de construction d’habitations à loyer modique et il a été nommé à un comité de logement chargé de l’attribution de ces habitations. Le demandeur fait valoir plus particulièrement ce qui suit :

1.         lors d’une réunion du comité, il a aperçu une liste de riches membres du PPP qui étaient susceptibles de se voir attribuer des habitations à loyer modique par l’entremise du comité et qui louaient ces logements à des familles pauvres afin d’en tirer un revenu;

 

2.         en juin 2003, il s’est rendu aux bureaux du ministère du Logement en compagnie de 25 véritables salariés à faible revenu et a tenté d’obtenir une rencontre avec le ministre; ils ont été chassés des bureaux;

 

3.         le 28 juin 2003, il a été battu par trois hommes vêtus de noir; on a dû lui faire huit points de suture à l’hôpital;

 

4.         en juillet 2003, il a appris qu’il n’avait plus à assister aux réunions du comité;

 

5.                  en août 2003, il a appris qu’il ne pouvait plus être engagé à titre de sous-traitant;

 

6.                  en octobre 2003, il a sollicité une rencontre avec le ministre et a indiqué que, s’il n’obtenait pas satisfaction, il révélerait à la presse, au président et au premier ministre les noms des membres du PPP et des ministres ayant obtenu des habitations à loyer modique;

 

7.                  le demandeur et sa femme ont alors commencé à recevoir des menaces; sa femme lui a dit qu’elle le quitterait s’ils ne quittaient pas la Guyana.

 

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada en octobre 2003 et ont demandé l’asile en septembre 2004.

 

LA DÉCISION

 

[5]               La Commission a rejeté la demande du demandeur parce que celui‑ci n’était pas crédible. Le tribunal a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible ou digne de foi, de sorte qu’il n’avait pas une crainte subjective de persécution. La Commission a fondé ses conclusions sur les constatations suivantes :

1.         le demandeur n’avait aucun document prouvant sa nomination au comité de logement;

 

2.         il n’avait aucun document prouvant l’existence et l’exploitation de son entreprise;

 

3.         il a mentionné dans son témoignage qu’il ne se rappelait pas à quel moment il avait créé son entreprise;

 

4.         les lettres présentées à l’appui de ses demandes de visa canadien de visiteur (VCV) en 2002 et en 2003 indiquent qu’il travaillait comme menuisier pour une entreprise de construction de juin 1980 à août 2003, soit notamment durant la période pendant laquelle il prétendait avoir exploité sa propre entreprise en 2002;

 

5.         le FRP du demandeur n’indique pas qu’il était travailleur autonome et propriétaire de sa propre entreprise, alors que le FRP de son épouse mentionnait qu’elle était travailleuse autonome et propriétaire d’un club vidéo;

 

6.         le FRP du demandeur indique qu’il a travaillé pour l’entreprise de construction entre 1979 et 2003;

 

7.         le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il ne connaissait personnellement aucun des noms des membres du PPP ayant reçu des habitations à loyer modique; il avait seulement entendu dire que certains bénéficiaires avaient des liens avec des ministres du gouvernement; il a indiqué dans son FRP qu’il avait noté les noms de politiciens éminents;

 

8.         lors de son entrevue avec des représentants de CIC, le demandeur n’a pas fait mention des 25 personnes qui l’ont accompagné aux bureaux du ministère du Logement en juin 2003, alors qu’il en était question dans son FRP; lorsqu’on a attiré son attention sur cette contradiction à l’audience, le demandeur a répondu qu’il voulait présenter les faits « brièvement » à son entrevue;

 

9.         le demandeur ne disposait d’aucune preuve crédible de la corruption politique dans le régime d’attribution des habitations à loyer modique;

 

10.       le demandeur n’a rien dit dans son FRP des motivations politiques de l’agression dont il aurait été victime en juin 2003; aucun rapport de police ou rapport médical n’a été produit;

 

11.       le demandeur a fait mention d’événements importants survenus après juillet 2003 dans son FRP, alors que, lors de son entrevue, il a dit que rien d’important ne s’était produit;

 

12.       malgré le fait qu’il a reçu ses VCV en août 2003, le demandeur n’a quitté la Guyana qu’au mois d’octobre suivant et a attendu jusqu’en septembre 2004 pour demander l’asile au Canada.

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[6]               Il n’y a qu’une seule question à trancher en l’espèce : la Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable en matière de crédibilité relativement à un aspect important de la demande d’asile du demandeur?

 

ANALYSE

 

[7]               Le demandeur soutient que la conclusion générale de la Commission sur la question de la crédibilité est manifestement déraisonnable. Il prétend plus précisément que la Commission a commis une erreur :

1.         en considérant qu’il était un employé et non un entrepreneur indépendant;

 

2.         en concluant que les employés ne pouvaient pas être nommés au comité de logement et que c’est pour cette raison que le demandeur a prétendu être un entrepreneur indépendant;

 

3.         en constatant que le demandeur ignorait à l’audience les noms des membres éminents du PPP qui avaient obtenu ou pourraient éventuellement obtenir des habitations à loyer modique;

 

4.         en tirant une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas fait mention des 25 salariés à faible revenu lors de son entrevue avec les représentants de CIC, alors qu’il en avait parlé dans son FRP;

 

5.         en ne relatant pas correctement le témoignage fait par le demandeur à son entrevue avec les représentants de CIC au sujet des questions qui lui auraient été posées par ses agresseurs le 28 juin 2003;

 

6.         en ne relatant pas correctement le témoignage fait par la demanderesse à son entrevue avec des représentants de CIC concernant les menaces reçues après le 28 juin 2003;

 

7.         en n’expliquant pas pourquoi elle rejetait les raisons données par le demandeur pour avoir tardé à demander l’asile.

 

 

[8]               En raison de son expertise, la Commission est la mieux placée pour évaluer la nature du risque de persécution auquel serait exposé un demandeur s’il retournait dans son pays d’origine (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 47, le juge Bastarache). La Cour interviendra si les conclusions de la Commission sur cette question sont manifestement déraisonnables (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, aux paragraphes 4 et 5; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Pour que la Cour modifie une conclusion tirée par la Commission en matière de crédibilité, il faut démontrer que celle-ci a commis une erreur susceptible de contrôle, en appliquant les critères que j’ai formulés dans Chen, précitée, aux paragraphes 4 et 5 :

¶  4      La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir l’arrêt Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale s’était exprimée ainsi :

 

Qui, en effet, mieux que la section du statut de réfugié, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

Avant qu’une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée (et avant que ne soit accordée l’autorisation de présenter une demande touchant une conclusion en matière de crédibilité), l’un des critères suivants doit être rempli (ou suffisamment défendable dans le cas d’une demande d’autorisation) :

 

1. la Commission n’a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n’était pas crédible;

 

2. les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d’invraisemblance qui, de l’avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

 

3. la décision était fondée sur des conclusions qui n’étaient pas autorisées par la preuve; ou

 

4. la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

Voir l’affaire Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11 (Madame le juge Reed).

 

¶ 5   Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n’annulera une décision de ce genre, ou n’autorisera une demande de contrôle judiciaire d’une telle décision, qu’en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C’est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s’acquitter d’une très lourde charge, à la fois au stade de la demande d’autorisation et au stade de l’audience si l’autorisation est accordée.

 

[9]               En l’espèce, les conclusions suivantes de la Commission sont étayées par la preuve :

1.      le demandeur principal travaillait pour une entreprise de construction et n’était pas un travailleur autonome. Bien que je puisse ne pas être d’accord avec la Commission sur ce point, cette conclusion n’est pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve;

 

2.      la Commission ne disposait d’aucun document corroborant la nomination du demandeur au comité de logement; si le demandeur avait été effectivement nommé, il aurait produit une preuve de sa nomination;

 

3.      le demandeur n’a pas nommé clairement les membres éminents du PPP ayant reçu des habitations à loyer modique;

 

4.      le délai qui s’est écoulé entre le moment où le demandeur a reçu un VCV en août 2003 et le départ des demandeurs de la Guyana en octobre 2003 indique que les demandeurs n’avaient pas une crainte subjective de persécution car une telle crainte pousse normalement un réfugié à quitter son pays à la première occasion;

 

5.      le délai qui s’est écoulé entre l’arrivée des demandeurs au Canada en octobre 2003 et la date à laquelle ils ont demandé l’asile en septembre 2004 ne permet pas de croire que les demandeurs ont quitté la Guyana en raison d’une véritable crainte subjective de persécution. La preuve amène plutôt à conclure que les demandeurs sont venus au Canada parce que l’un des membres de leur famille duquel ils étaient très proches était atteint d’un cancer en phase terminale. Les raisons données pour expliquer le retard montrent que la persécution n’a pas été la principale raison de leur départ de la Guyana.

 

[10]           La Cour est reconnaissante aux demandeurs de s’être présentés à l’audience. Ils forment un couple charmant. La Cour ne peut pas annuler les conclusions de la Commission concernant la crédibilité en l’espèce parce que ces conclusions ne sont pas manifestement déraisonnables.

 

[11]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à des fins de certification, et aucune question semblable n’est certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM-705-05

 

INTITULÉ :                                                         PRETTI PAUL SINGH

                                                                              et RAMDOLARIE SINGH

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                              ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 23 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                         LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 30 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leslyn A. Lewis                                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocate

 

Neeta Logsetty                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leslyn A. Lewis                                                      POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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