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Date : 20040225

Dossier : IMM-332-03

Référence : 2004 CF 321

Ottawa (Ontario), le 25 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                          MOUSTAPHA OULD OULD IBNMOGDAD

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 20 décembre 2002 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                Le demandeur invoque les faits suivants à l'appui de sa demande.

[3]                Il est un citoyen de la Mauritanie. Il est issu d'une célèbre famille d'activistes antiesclavagistes. À partir de 1995, il a occupé divers postes au ministère de la Défense en Mauritanie. Le demandeur a commencé ses activités politiques lors de ses études en France en devenant membre du parti d'opposition l'Union des forces démocratiques (l'UFD). Alors qu'il était en Mauritanie, il a défié les autorités religieuses musulmanes par la publication de critiques, ce pour quoi il a été arrêté et détenu en 1997. Il a été détenu pendant près de six mois. Il a alors été victime de mauvais traitements et souffert de privations.

[4]                Le demandeur a créé une association antiesclavagiste à la fin de 1997 et il a participé à une conférence à Dakar, au Sénégal, au cours de laquelle il a attiré l'attention des médias sur la question. Il a été arrêté et détenu pendant plus d'un mois en 1998 en raison d'un article qu'il avait l'intention de publier, ce qui a entraîné son hospitalisation. En mars 1999, il a été arrêté pour la troisième fois et détenu pendant plus de trois mois en raison de soupçons quant à sa compétence en tant que fonctionnaire. Pendant sa détention, il a dû faire face à des conditions difficiles et, lorsqu'il est retourné au travail, il a découvert qu'il avait été rétrogradé.

[5]                Le demandeur a fait un voyage en Europe comme membre d'une délégation culturelle et, à son retour, il a été interrogé par le ministre de la Défense et accusé d'espionnage et de traîtrise. Il a été envoyé dans une prison du désert, où il a été torturé et libéré après avoir été amené à promettre de ne plus critiquer l'État.

[6]                Le demandeur a décidé de fuir le pays. Il a obtenu un faux passeport et est arrivé au Canada le 9 septembre 2000. Il a présenté une demande d'asile au Canada le 11 septembre 2000. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention le 20 décembre 2002.

[7]                À la lumière des nombreuses altérations et anomalies dans les documents soumis par le demandeur, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à établir son identité et elle a même remis en question le fait qu'il était originaire de la Mauritanie.

[8]                La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté. Elle a jugé non plausible que le gouvernement de la Mauritanie se fasse représenter par un homme qu'il avait détenu et torturé, ou même qu'il garde celui-ci comme employé. En outre, la Commission a estimé que les voyages du demandeur étaient incompatibles avec le comportement d'une personne ayant une crainte justifiée de persécution.

ANALYSE

[9]                La norme de contrôle applicable relativement aux conclusions de fait et de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. Dans la mesure où elles ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, les conclusions que tire la Commission sont à l'abri du contrôle judiciaire : Pushpanathan c. M.C.I., [1998] 1 R.C.S. 982.


[10]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas réussi à établir son identité. Je ne suis pas d'accord.

[11]            La Commission a noté dans un premier temps qu'il y avait une contradiction dans le témoignage du demandeur quant à l'endroit où le passeport avait été acheté. Dans son FRP, le demandeur a indiqué que le passeport avait été acheté au Sénégal. À l'audience, il a témoigné que son cousin l'avait acheté d'un passeur en Gambie. En conséquence, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait durant son témoignage donné une réponse différente de ce qu'il avait écrit dans son FRP.

[12]            La Commission a par la suite examiné les documents soumis par le demandeur et, dans sa décision, elle a soigneusement décrit les nombreuses anomalies et lacunes que comportaient, à son avis, les documents cherchant à établir l'identité du demandeur.

[13]            Pour ce qui est de la carte d'identité nationale (la CIN) du demandeur, la Commission a noté que celle-ci indiquait que le demandeur exerçait la profession de commerçant alors que son FRP montrait qu'il était un fonctionnaire; lorsqu'on l'a interrogé à l'audience, le demandeur n'a pas pu expliquer cette contradiction. En outre, la Commission a souligné que la signature de la personne autorisée pour valider cette carte était illisible et avait curieusement été effacée.


[14]            Dans la décision Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (QL), la Cour a dit que la question des documents étrangers n'est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. Toutefois, contrairement à ce que prétend l'avocat du demandeur, la Commission n'est pas tenue d'obtenir un rapport d'expert lorsqu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour permettre de douter de l'authenticité de tels documents. (Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 136 F.T.R. 241; Kashif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 282).

[15]            En l'espèce, les documents parlent d'eux-mêmes. D'après la photocopie couleur de la CIN, on peut voir, outre les deux anomalies relevées par la Commission, que la photo du demandeur a été agrafée à la page et que ses dimensions ne correspondent pas à celles de l'espace prévu. À mon avis, lorsqu'il y a une preuve claire qu'un document a été falsifié, il est entièrement loisible à la Commission de n'accorder aucune force probante à ce document.


[16]            En outre, la Commission n'a accordé aucune valeur probante à la présumée carte d'identité militaire du demandeur parce que la photo avait manifestement été désagrafée et remplacée. Encore une fois, un examen de la photocopie couleur de la carte dans le dossier du demandeur montre clairement cette anomalie flagrante. Il était donc raisonnable pour la Commission de n'accorder aucune valeur probante à ce document sans obtenir au préalable un rapport d'expert.

[17]            Pour ce qui est du permis de conduire militaire du demandeur, il y a également des signes évidents qu'il s'agit d'un document falsifié. Le tampon apposé sur la photo ne forme pas un cercle parfait. Contrairement à ce que prétend l'avocat du demandeur, le fait qu'il y avait d'autres tampons sur le permis ne le font pas paraître plus authentique. Ceux-ci font plutôt ressortir l'irrégularité du tampon apposé sur la photo du demandeur.

[18]            En ce qui concerne le permis de conduire international, la Commission a noté que celui-ci avait été délivré en Gambie en 1993 alors que le demandeur avait témoigné qu'il étudiait en France à cette époque. En outre, la Commission a conclu que ce document avait été désassemblé puis réassemblé. Encore une fois, il était justifié pour la Commission de ne lui accorder aucune valeur probante.

[19]            La Commission a également conclu que les diplômes soumis par le demandeur n'avaient aucune valeur probante. Il n'y a sur ceux-ci aucune photo du demandeur, signature de celui-ci ou autre renseignement permettant d'établir son identité. Vu les anomalies et les lacunes graves de ces documents, il était raisonnable pour la Commission de n'en tenir aucun compte.

[20]            Le demandeur a également soutenu que la Commission avait commis une erreur en omettant de mentionner dans sa décision des éléments de preuve qui permettaient d'établir son identité, savoir son certificat de mariage et le document de l'UFD. Je ne suis pas d'accord. Premièrement, la Commission n'est pas tenue de mentionner dans sa décision tous les documents produits en preuve. En fait, elle est présumée avoir apprécié et examiné tous les éléments de preuve dont elle était saisie, jusqu'à preuve du contraire (Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102).

[21]            Deuxièmement, ces éléments de preuve ne contredisent pas les conclusions de fait de la Commission. En conséquence, je ne puis inférer du silence de la Commission qu'elle n'a pas tenu compte de ces éléments de preuve.

[22]            Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, le juge Evans a dit ce qui suit quant à l'obligation de la Commission de faire état des éléments de preuve qui vont à l'encontre de ses conclusions :

[17] Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Non souligné dans l'original.]


[23]            La Commission a conclu qu'en soumettant des pièces d'identité qui n'étaient clairement pas des documents authentiques, le demandeur a démontré qu'il n'était pas un témoin crédible. Je suis convaincue que cette conclusion est compatible avec l'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui prévoit les facteurs que la Commission doit prendre en considération lorsqu'elle statue sur la crédibilité du demandeur.

[24]            Il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité du demandeur n'avait pas été établie. Voir Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (QL). La Commission a néanmoins conclu que le récit du demandeur n'était pas plausible. Elle n'a pas cru que le gouvernement pouvait, d'un côté, torturer le demandeur et, de l'autre, le garder comme employé et l'envoyer en mission à l'étranger pour le représenter. Cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable et aurait justifié à elle seule le rejet de la demande du demandeur.


[25]            Enfin, il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur était allé en Allemagne, au Portugal et en Irlande, mais qu'il avait attendu d'être au Canada pour revendiquer le statut de réfugié. La décision récente Remedios c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 617 (QL), réaffirme le principe suivant lequel il n'est pas déraisonnable de conclure que le demandeur qui n'a pas revendiqué le statut de réfugié dans d'autres pays signataires de la Convention de Genève est considéré être à la recherche du pays le plus accommodant.

[26]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]            L'avocat du demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Vu la conclusion de la Cour dans Ramalingam c. M.C.I., IMM-1298-97, et Chidambaram c. M.C.I., 2003 CFPI 66, suivant laquelle la question de l'authenticité des documents n'est pas du ressort de la spécialisation de la Section de la protection des réfugiés, celle-ci peut-elle conclure qu'une pièce d'identité délivrée par un État n'est pas un document authentique, en se fondant sur certains aspects matériels de ce document et en n'ayant recours ni à un rapport d'expert ni à une preuve directe extrinsèque indiquant que ces présumées anomalies matérielles sont révélatrices ou la preuve concluante d'une contrefaçon?

[28]            Vu que la question proposée ne permettrait pas de trancher l'appel en l'espèce, aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-332-03

INTITULÉ :                                                    MOUSTAPHA OULD OULD IBNMOGDAD

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

William Sloan                                        POUR LE DEMANDEUR

Gretchen Timmins                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SLOAN FLEXER FRIEDMAN                       POUR LE DEMANDEUR

400, rue McGill, 2e étage

Montréal (Québec)

H2Y 2G1

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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