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                                                                                                                                 Date : 20030424

                                                                                                                    Dossier : IMM-2793-02

                                                                                                               Référence : 2003 CFPI 502

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                             JOGINDER SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agente des visas qui avait refusé sa demande de résidence permanente (catégorie des entrepreneurs) parce qu'il ne s'était pas présenté à son entrevue de sélection pour immigration, et qui avait rejeté sa demande de dispense d'application des critères de sélection pour raisons humanitaires parce qu' « elle n'était pas en mesure, avec les renseignements existants, de rendre une décision éclairée » .


[2]                L'historique de cette demande est complexe et n'intéresse pas particulièrement les points soumis à la Cour. Qu'il suffise de dire que M. Singh est un Sikh du Punjab, en Inde, qui vit et travaille au Canada depuis novembre 1990. Il ne pouvait se présenter à aucune entrevue en dehors du Canada parce qu'il n'avait pas de passeport. Son dernier passeport valide a expiré en 1992 et, malgré plusieurs tentatives de le faire renouveler, le gouvernement indien n'a pas donné suite, prétendument parce qu'il avait à l'origine revendiqué le statut de réfugié au Canada. Il a aussi demandé une décision ministérielle le dispensant de se présenter à son entrevue au Canada, mais elle lui a été refusée.

[3]                Les parties avancent des arguments sur deux aspects :

(i)         L'agente des visas a-t-elle donné à M. Singh l'espérance légitime que son dossier ne serait pas rejeté s'il ne se présentait pas à son entrevue?

            (ii)        L'agente des visas a-t-elle négligé d'exercer sa compétence en refusant la demande de résidence permanente présentée par M. Singh sans évaluer le bien-fondé de sa demande de dispense d'application des critères de sélection pour raisons humanitaires?


[4]                Le défendeur soutient que, en réalité, l'agente des visas n'a pas fondé son refus simplement sur le fait que M. Singh ne s'est pas présenté à l'entrevue. Après évaluation du dossier, elle a plutôt estimé qu'une décision favorable ne pouvait être rendue sur la foi des pièces écrites et qu'une entrevue était absolument nécessaire compte tenu de ses doutes et de la complexité du dossier.

[5]                Le défendeur affirme aussi que l'argument de l'espérance légitime n'est pas fondé puisque l'agente des visas avait effectivement évalué le dossier et que c'est son évaluation qui l'avait conduite à demander que soit fixée une entrevue. Elle était fondée à exiger la présence du demandeur, en application du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, (le Règlement) et elle pouvait donc rejeter la demande puisque M. Singh ne s'était pas présenté. Le défendeur invoque plusieurs précédents en ce sens (Scislowicz c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n ° 991 (QL), IMM-3528-98 (C.F. 1re inst.); Su c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. n ° 1091 (QL), IMM-734-98; Voskanova c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. n ° 449 (QL), IMM-2736-98 (C.F. 1re inst.)).

Espérance légitime

[6]                La Cour souscrit aux principes suivis dans les précédents cités par le défendeur. En temps normal, si un agent des visas demande une entrevue en application de l'article 22.1 du Règlement et que le requérant ne se présente pas, sa requête peut être rejetée pour cette raison. De fait, il appert du dossier que les requérants sont expressément informés de cette possibilité dans le premier avis d'entrevue qu'ils reçoivent du ministère de l'Immigration.


[7]                M. Singh avait reçu le 15 mars 2001 l'avis suivant (premier avis de l'entrevue qui devait avoir lieu le 10 juillet 2001) :

[Traduction] Si vous confirmez que vous vous PRÉSENTEREZ, nous vous enverrons un accusé de réception dans un délai de sept jours. Si vous ne vous présentez pas après avoir confirmé votre présence, votre requête SERA REFUSÉE.

Si vous confirmez que vous NE vous présenterez PAS, ou si vous ne répondez pas au moins six semaines avant la date prévue de l'entrevue, alors votre entrevue sera annulée sans autre avis de nos bureaux. Dans ce cas, votre dossier sera mis dans une file d'attente et se verra assigner le temps d'entrevue alors disponible. Vous recevrez un préavis d'au plus six semaines et d'au moins quatre semaines pour vous présenter à la date et à l'heure nouvellement fixées. Vous DEVREZ vous présenter à cette deuxième entrevue - il ne vous sera pas possible de l'annuler ou d'en demander le report.

[8]                Le 11 mai 2001, l'avocat de M. Singh confirmait par écrit l'intention de M. Singh de se présenter à l'entrevue du 10 juillet, en ajoutant cependant que, si les difficultés qu'il connaissait avec les autorités indiennes persistaient, il ne lui serait peut-être pas possible de se présenter en personne, mais que, en tout état de cause, son avocat le représenterait à l'entrevue. La lettre mentionnait aussi que, si cet arrangement n'était pas possible, M. Singh souhaitait être informé des autres dispositions pouvant être prises pour assurer le traitement de sa demande de résidence permanente.

[9]                Ni M. Singh ni son avocat ne se sont présentés le 10 juillet 2001, vu que l'avocat avait été informé qu'une solution de remplacement n'était pas acceptable. Si sa demande avait été en conséquence refusée, sans autre parole ou acte, le principe observé dans les précédents invoqués par le défendeur serait applicable.


[10]            Cependant, ce n'est pas ce qui est arrivé. Le 11 juillet 2001, le consul et directeur adjoint du programme, au Consulat général du Canada à New York, écrivait à M. Singh pour l'informer notamment de ce qui suit :

[Traduction]... Si M. Singh souhaite maintenir la demande actuelle, il sera convoqué pour une nouvelle entrevue personnelle, étant entendu qu'il devra s'y présenter. Cependant, si M. Singh n'est pas en mesure de se présenter à une entrevue, sa demande sera évaluée d'après les renseignements existants, et il n'est pas garanti qu'une telle évaluation aura une issue favorable.

[11]            Il s'agit là d'une entorse à la procédure habituelle mentionnée dans l'avis général envoyé auparavant au demandeur et reproduit au paragraphe 7 ci-dessus. Cette lettre suffisait à donner à M. Singh l'espérance légitime que sa demande ne serait pas automatiquement refusée s'il ne se présentait pas à sa prochaine entrevue, et qu'une nouvelle évaluation aurait lieu sur la foi des pièces produites.

[12]            La lettre est très différente de ce qui avait été dit par exemple dans l'affaire Scislowicz, mentionnée par le défendeur, où le directeur de programme avait expressément informé M. Scislowicz que, s'il ne se présentait pas à l'entrevue, sa demande serait refusée parce que l'entrevue était indispensable.


[13]            La Cour estime que l'agente des visas était liée par l'engagement donné à M. Singh. Cette promesse concernant la procédure qui serait suivie dans son cas ne prétendait pas lui conférer un quelconque droit matériel puisque M. Singh avait été informé qu'il ne serait pas garanti que l'évaluation serait favorable. La promesse n'était en conflit avec aucune exigence législative.

[14]            De fait, en dépit de l'apparente conviction de l'agente des visas, qui croyait que les entrevues étaient obligatoires pour tous les requérants de la catégorie des entrepreneurs (voir les paragraphes 9 et 19 de l'affidavit de l'agente des visas en date du 12 août 2002), le défendeur n'a pu indiquer à la Cour une exigence législative de cette nature.

[15]            Les parties admettent que la seule disposition applicable est l'article 22.1 du Règlement, rédigé ainsi :


22.1(1) L'agent d'immigration peut exiger de toute personne au Canada qui demande le droit d'établissement ou de toute personne qui demande un visa d'immigrant, ainsi que des personnes à leur charge, le cas échéant, qu'elles subissent une entrevue aux fins de l'examen de la demande.

22.1(1)    An immigration officer may require that an applicant for landing who is in Canada, or an applicant for an immigrant visa, and dependants of the applicant, if any, be interviewed for the purpose of assessing the application.

(2) L'agent d'immigration peut exiger de toute personne qui demande un visa de visiteur, une autorisation d'étude ou une autorisation d'emploi, ainsi que des personnes à sa charge qui l'accompagnent, le cas échéant, qu'elles subissent une entrevue aux fins de l'examen de la demande. [Je souligne]

[...]

(2)    An immigration officer may require that an applicant for a visitor visa, student authorization or employment authorization and accompanying dependants of the applicant, if any, be interviewed for the purpose of assessing the application. [My emphasis]

...



[16]            Cette disposition n'impose pas l'obligation légale de faire subir une entrevue aux requérants dans tous les cas et elle ne donne pas non plus l'obligation légale de rejeter une demande parce que le requérant ne s'est pas présenté à une entrevue.

[17]            Le 20 mai 2002, l'agente des visas écrivait ce qui suit à M. Singh :

[Traduction]

Je me réfère à votre demande de résidence permanente au Canada.

J'ai refusé votre demande parce que vous ne vous êtes pas conformé à une directive de convocation pour une entrevue personnelle, directive qui vous avait été donnée en vertu du paragraphe 22.1(1) du Règlement sur l'immigration. Voici le texte de cette disposition :

22.1(1) L'agent d'immigration peut exiger de toute personne au Canada qui demande le droit d'établissement ou de toute personne qui demande un visa d'immigrant, ainsi que des personnes à leur charge, le cas échéant, qu'elles subissent une entrevue aux fins de l'examen de la demande.

Plus précisément, vous ne vous êtes pas présenté le 28 mars 2002 à l'entrevue de sélection pour immigration. Vous aviez déjà annulé votre entrevue du 10 juillet 2001.

[18]            À cet égard, les notes du STIDI du 9 mai 2002 mentionnent ce qui suit :

[Traduction]DEMANDE REFUSÉE. LE REQUÉRANT NE S'EST PAS PRÉSENTÉ À L'ENTREVUE QUI DEVAIT PERMETTRE DE DIRE S'IL RÉPOND AUX CONDITIONS DE LA CATÉGORIE DANS LAQUELLE IL A FAIT SA DEMANDE. UNE DEMANDE D'ENTREVUE PAR TÉLÉPHONE NE PEUT ÊTRE ACCEPTÉE, ET IL N'EST PAS POSSIBLE NON PLUS QUE SON REPRÉSENTANT COMPARAISSE EN SON NOM. MANIFESTEMENT, DE NOMBREUX ASPECTS DOIVENT ÊTRE ÉTUDIÉS - ENTREVUE IMPÉRATIVE

[19]            Manifestement, cette décision était contraire à l'engagement pris le 11 juillet 2001.


[20]            Le défendeur soutient que la Cour devrait tenir compte des mentions antérieures insérées dans les notes du STIDI, qui indiquaient qu'une évaluation du dossier avait été faite avant que ne soit demandée la deuxième entrevue le 11 juillet 2001, et que l'agente des visas était alors persuadée que M. Singh ne répondait pas à la définition de « entrepreneur » et aux critères prévus de sélection.

[21]            Sans doute, mais, le 11 juillet, M. Singh a été informé que sa demande « sera évaluée sur la foi des pièces du dossier » . Accepter l'argument du défendeur enlèverait toute signification à ces mots. S'il n'était pas nécessaire de réévaluer le dossier et s'il n'y avait aucun moyen de faire droit à la requête telle qu'elle existait, pourquoi ne pas l'avoir dit le 11 juillet?

[22]            Ce serait aussi contredire directement le texte clair de la lettre de refus datée du 20 mai 2002, et la Cour n'a pas disposé à reformuler la décision.


[23]            L'agente des visas devait évaluer la requête après avoir été informée que M. Singh ne se présenterait pas à l'entrevue du 28 mars 2002. Cette évaluation allait prendre en compte tous les documents versés au dossier jusqu'à la date de l'évaluation (notamment la correspondance et les arguments soulevés depuis le 11 juillet 2001). Elle pouvait rejeter la demande au fond, mais elle ne pouvait la rejeter pour les raisons invoquées dans sa lettre de refus. La Cour ne peut présumer que le résultat de cette évaluation aurait été défavorable. Si cette présomption avait été justifiée, il n'y aurait pas eu la lettre du 11 juillet.

[24]            S'agissant de la décision de l'agente des visas (article 2.1 du Règlement) de ne pas accorder au demandeur sa demande de dispense d'application des critères de sélection pour raisons humanitaires parce qu'elle n'était pas en mesure, avec les renseignements existants, de rendre une décision éclairée, le défendeur soutient qu'il s'agit là d'une décision distincte qui ne fait pas l'objet de la demande soumise à la Cour.

[25]            Selon M. Singh, cette demande de dispense, présentée en mai 2001, faisait partie de sa demande de résidence permanente et constituait simplement un autre moyen d'après lequel sa demande de résidence permanente serait évaluée.

[26]            La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Singh est rédigée en termes généraux et indique simplement qu'elle concerne :

[Traduction] La décision du 20 mai 2002 de Mme Anne Arnott, consul et gestionnaire de programme, dossier n ° B0364 24765, par laquelle était rejetée la demande de résidence permanente du requérant.

[27]            Après audition des arguments de M. Singh à l'audience, le défendeur a semblé admettre que la demande de dispense d'application d'un critère de sélection faisait effectivement partie de la décision globale d'accepter ou de rejeter la demande de résidence permanente présentée par M. Singh.


[28]            La Cour estime que la demande de contrôle judiciaire est formulée d'une manière qui englobe la demande de dispense.

[29]            Les notes du STIDI sont à peu près silencieuses sur cette partie de la procédure, sauf pour ce qui suit :

[Traduction] JE SUIS LE GESTIONNAIRE DE PROGRAMME ET À CE TITRE J'AI LE POUVOIR DE RENDRE UNE DÉCISION EN MATIÈRE DE CONSIDÉRATIONS HUMANITAIRES. IL M'EST IMPOSSIBLE, AU VU DES RENSEIGNEMENTS EXISTANTS, DE RENDRE UNE DÉCISION ÉCLAIRÉE. IL EST CERTAIN QUE LE REQUÉRANT RÉSIDE AU CANADA D'UNE MANIÈRE CONTINUE DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, MAIS CELA NE CONSTITUE PAS EN SOI UNE CONSIDÉRATION HUMANITAIRE JUSTIFIANT LA RÉSIDENCE PERMANENTE AU CANADA. LE REQUÉRANT NE S'EST PAS PRÉSENTÉ À L'ENTREVUE POUR PRODUIRE DES PREUVES QUI AURAIENT PERMIS DE RÉGLER CET ASPECT, ET JE NE PUIS DONC APPROUVER CETTE DEMANDE FONDÉE SUR DES CONSIDÉRATIONS HUMANITAIRES.

[30]            À l'évidence, l'agente des visas n'a pas examiné les éléments soulevés dans les lettres de l'avocat de M. Singh datées du 22 mars 2002 et du 11 mai 2001, qui notamment faisaient état du risque que courait M. Singh s'il retournait en Inde. Elle n'a pas considéré les pièces produites se rapportant à ce risque. Elle n'a pas cherché à évaluer le bien-fondé de la demande en se fondant sur les arguments exposés dans le dossier.


[31]            Pour les motifs expliqués ci-dessus et concernant sa décision de rejeter la demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des entrepreneurs, le refus de l'agente des visas d'approuver la demande fondée sur des considérations humanitaires est sujet à révision.

[32]            La décision du 20 mai 2002 est annulée dans son intégralité, et la demande de résidence permanente présentée par M. Singh sera réévaluée par un autre agent des visas en conformité avec la loi.

[33]            Le présent jugement ne soulève aucune question de portée générale méritant d'être certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                            « Johanne Gauthier »            

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2793-02

INTITULÉ :                                       JOGINDER SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 18 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    MADAME LE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                     le 24 avril 2003

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand                                                        POUR LE DEMANDEUR

Me Édith Savard                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand et Deslauriers                                                              POUR LE DEMANDEUR

83, rue St-Paul ouest

Montréal (Québec)    H2Y 1Z1

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)    H2Z 1X4


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