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Date : 20211207


Dossier : T‑1608‑19

Référence : 2021 CF 1368

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

REGIANE FERREIRA FILIZOLA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, la majore Regiane Ferreira Filizola, est une officière militaire au sein des Forces armées canadiennes (les FAC). Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le chef d’état‑major de la défense (le CEMD) du ministère de la Défense nationale en vertu de l’article 29.11 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 (la LDN).

[2] Par voie d’une lettre datée du 26 avril 2019, le CEMD a rejeté le grief de la demanderesse (le grief) et sa demande de financement de jusqu’à trois cycles de fécondation in vitro (FIV), dont le remboursement d’environ 14 000 $ pour le traitement déjà reçu au cours d’un cycle de FIV (la décision). Le CEMD a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à un remboursement au titre de la politique sur la Gamme de soins (la GS) des FAC qui était en vigueur au moment où elle a reçu son traitement.

[3] La demanderesse soutient que le rejet de sa demande de remboursement des frais afférents à son traitement de FIV constitue un acte de discrimination fondée sur son genre et son handicap. Elle fait valoir que la politique sur laquelle reposait la décision du CEMD était discriminatoire et désuète, contrevenait aux principes de la politique sur la GS et, tout particulièrement, violait les droits à l’égalité que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), c 11 (la Charte).

[4] Pour les raisons qui suivent, je conclus que la décision du CEMD est raisonnable. En conséquence, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. La demanderesse et la FIV

[5] La demanderesse est membre de la Force régulière des FAC et reçoit des services de santé des FAC conformément à la politique sur la GS. En tant que résident de l’Ontario, l’époux de la demanderesse reçoit des services de soins de santé provinciaux conformément à l’Assurance‑santé de l’Ontario.

[6] La demanderesse et son époux désiraient avoir des enfants biologiques, mais n’ont pas été en mesure de concevoir. Le 27 septembre 2011, une exploration clinique a révélé que l’incapacité du couple à concevoir était due à une infertilité masculine.

[7] La demanderesse a consulté le médecin militaire des FAC (le MM) pour savoir si ses traitements de fertilité seraient couverts par la politique sur la GS. On lui a répondu qu’elle ne remplissait pas les critères d’admissibilité : aux termes de la politique sur la GS, pour que soient couverts les traitements de FIV d’une femme membre des FAC, celle‑ci doit avoir reçu un diagnostic médical d’infertilité causée par une obstruction bilatérale des trompes de Fallope.

[8] De 2012 à mai 2016, la demanderesse était affectée dans la province de Québec. Le 31 mai 2016, elle a été affectée en Ontario.

[9] En septembre 2016, il a été recommandé à la demanderesse et à son époux d’entamer immédiatement un traitement de FIV avec injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde (IICS) étant donné que les risques de complication augmentent avec le temps.

[10] La FIV est une méthode de procréation médicalement assistée qui permet la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde dans une boîte de laboratoire. Le taux de réussite d’un traitement de FIV est moindre lorsque les spermatozoïdes utilisés dans la procédure de fécondation ont une mobilité réduite ou une forme atypique. Dans un tel cas, il est recommandé que le traitement de FIV soit accompagné d’une IICS. La méthode de l’IICS sert à aider le spermatozoïde à atteindre l’ovule et à accroître le taux de réussite du traitement de FIV.

[11] Le 4 août 2016, la demanderesse a de nouveau reçu du MM la confirmation que son traitement de FIV ne serait pas couvert par la politique sur la GS des FAC.

[12] Le 11 octobre 2016, la demanderesse et son époux ont recouru à la FIV et à l’IICS à leurs frais. La procédure de FIV (sans l’IICS) coûte plus ou moins 14 000 $CAN. La demanderesse a reçu un deuxième traitement de FIV à l’été 2018, dont le coût s’est élevé à environ 5 200 $CAN. Les deux traitements ont été fructueux, donnant lieu à la naissance de deux enfants.

B. La couverture des traitements de fertilité

[13] Selon les principes de la politique sur la GS des FAC, celle‑ci doit assurer la prestation de services de soins de santé comparables à ceux offerts par la province dans laquelle réside un militaire.

[14] En 2011, la province de Québec a adopté une loi approuvant le financement des traitements contre l’infertilité, quelle quf’en soit la cause. En novembre 2015, le Québec a mis un terme à la couverture gratuite pour les traitements contre l’infertilité au profit d’un crédit d’impôt.

[15] En décembre 2015, la province de l’Ontario a retiré le financement de la FIV de l’Assurance‑santé de l’Ontario et a commencé à financer le programme de procréation assistée de l’Ontario (le PPAO). Ce programme n’est pas financé par les services couverts par l’Assurance‑santé de l’Ontario, mais il exige que le patient détienne une carte valide de ce régime d’assurance‑santé. Dans le cadre du PPAO, si un médecin détermine que la FIV constitue l’option la plus appropriée, les résidents de l’Ontario qui sont admissibles peuvent se prévaloir d’un cycle unique de FIV, quelle que soit la cause de l’infertilité.

[16] C’est le Comité sur la Gamme de soins des FAC (le Comité sur la GS) qui établit les services auxquels ont droit les membres des FAC. Avant le 26 février 2019, la politique de soins de santé des FAC prévoyait qu’au chapitre des services relatifs à l’infertilité, une militaire devait avoir reçu un diagnostic médical d’infertilité causée par une obstruction bilatérale des trompes de Fallope pour pouvoir profiter de jusqu’à trois cycles de FIV. La couverture offerte comprenait également les médicaments utilisés aux fins de la FIV lorsque les critères applicables étaient remplis, ainsi qu’un maximum de trois cycles d’IICS pour les cas d’infertilité masculine, un service offert uniquement aux militaires de sexe masculin.

[17] Le 2 février 2017, le Comité sur la GS a convenu d’envisager la possibilité d’élargir la couverture en matière de FIV et d’obtenir de l’information sur les coûts prévus. Le 8 décembre 2017, il a décidé de recommander au chef du personnel militaire (le CPM) que la politique sur la GS comprenne un cycle financé de FIV pour toute employée des FAC de moins de 43 ans de sorte que la couverture offerte corresponde à celle prévue en Ontario. Le 8 juin 2018, le Comité sur la GS a été avisé que le CPM n’avait pas encore approuvé officiellement la recommandation, qu’il était possible que le Conseil des Forces armées doive donner son aval et qu’une date d’entrée en vigueur n’avait pas encore été fixée.

[18] Le 26 février 2019, le CPM des FAC a communiqué le message général des Forces canadiennes 029/19 (le CANFORGEN 029/19) afin d’informer les membres des FAC d’un changement dans les critères d’admissibilité aux services de fertilité, lequel changement entrait en vigueur « immédiatement ». La politique sur la GS des FAC a été mise à jour de sorte à couvrir le coût d’un cycle de FIV pour toutes les femmes de moins de 43 ans membres de la Force régulière et à retirer l’exigence qu’une femme ait reçu un diagnostic médical d’infertilité causée par une obstruction bilatérale des trompes de Fallope pour être admissible. La politique a également été mise à jour de manière à prévoir le remboursement du coût d’au plus trois cycles d’IICS pour les membres des FAC.

C. Le grief

[19] Le 1er novembre 2016, la demanderesse a déposé un grief par lequel elle demandait le financement de jusqu’à trois cycles de traitement de FIV assorti d’IICS, dont le paiement immédiat d’environ 14 000 $CAN pour le traitement déjà reçu au cours d’un cycle. En outre, le grief soulevait des questions en matière de traitement inégal concernant l’accès au financement aux fins d’un traitement de FIV :

[TRADUCTION]

a) Bien que la politique sur la GS des FAC ait prévu le financement de jusqu’à trois cycles de FIV, comprenant l’IICS et les médicaments requis, les critères d’admissibilité étaient trop restrictifs, car ils limitaient le financement à une cause d’infertilité en particulier (obstruction bilatérale des trompes de Fallope);

b) La politique sur la GS des FAC était discriminatoire et a nui à la demanderesse puisqu’en plus de lui refuser la couverture pour non‑satisfaction des critères d’admissibilité, elle l’a rendue non admissible au PPAO étant donné qu’il lui est interdit de détenir une carte de l’Assurance‑santé de l’Ontario.

[20] Le grief a été soumis à l’examen du Comité externe d’examen des griefs militaires (le CEEGM).

[21] Le 2 août 2018, le CEEGM a publié son rapport de conclusions et de recommandations (le rapport). Dans ce dernier, le CEEGM a déterminé que la demanderesse a été traitée conformément à la politique sur la GS qui était en vigueur lorsqu’elle a reçu son traitement de FIV en octobre 2016. Le CEEGM a souligné les changements qui sont intervenus au Québec en novembre 2015 et en Ontario en décembre 2015, moment où la province a mis en branle le PPAO et retiré la couverture des traitements de FIV de l’Assurance‑santé de l’Ontario. Le CEEGM a toutefois insisté sur le fait que le PPAO est un programme social et non un programme médical. Il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

À l’heure actuelle, ni l’une ni l’autre de ces provinces canadiennes n’offre un traitement contre l’infertilité en tant que service médical financé. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que la GS, soit la politique s’appliquant aux membres des FAC, n’est pas plus restrictive que l’Assurance‑santé de l’Ontario; elle fournit une couverture médicale en matière de FIV qui est comparable, voire supérieure, à celle offerte dans les provinces de l’Ontario et de Québec.

[Caractères gras dans l’original.]

[22] Le CEEGM a également conclu que les FAC n’ont nullement l’obligation d’assumer les frais afférents aux traitements d’IICS qui ont été payés par l’époux de la demanderesse, puisque celui‑ci n’est pas couvert par la politique sur la GS.

[23] Le CEEGM s’est penché sur les modifications proposées à la politique sur la GS qui visent à faire correspondre la couverture à celle offerte par le PPAO. Il a souligné que les modifications n’avaient pas encore été approuvées, mais a conclu qu’il serait juste de financer un cycle de FIV pour la demanderesse :

[traduction]

Eu égard à la mise à jour qu’a récemment obtenue le Comité au sujet de l’état des modifications à la GS, il est raisonnable de s’attendre à une approbation dans un avenir rapproché. Vu l’imminence de l’approbation de l’élargissement de la couverture en matière de FIV pour les membres des FAC, je conclus qu’il serait juste d’appliquer le même traitement et de financer un cycle de FIV pour la plaignante, qui a moins de 43 ans […] et serait donc admissible. Je souligne également que la FIV est assujettie à un facteur temporel, comme l’a fait remarquer la clinique de fertilité Create de Toronto, laquelle a conseillé à la plaignante d’entamer immédiatement le processus de FIV et d’IICS.

[24] Le CEEGM a formulé les recommandations suivantes dans le rapport :

[traduction]

Je recommande que le grief soit rejeté.

Je recommande que les FAC offrent à la plaignante, dès que possible, un financement pour un cycle de FIV compte tenu des modifications à la GS des FAC qui seront bientôt approuvées.

D. La décision faisant l’objet du contrôle

[25] Par voie d’une lettre datée du 26 avril 2019, le CEMD a rejeté le grief de la demanderesse ainsi que sa demande de remboursement des frais afférents au traitement de FIV qu’elle a reçu. Le CEMD a fait siennes les conclusions du CEEGM, mais n’a pas retenu chacune de ses recommandations. Le CEMD a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas, au moment de son traitement, aux critères liés à la couverture en matière de traitements de fertilité aux termes de la politique sur la GS des FAC.

III. Le régime législatif

A. Les dispositions sur les soins de santé

[26] Bien qu’au Canada les soins de santé relèvent généralement de la compétence des provinces, les membres des FAC sont exclus de la définition d’« assuré » figurant à l’article 2 de la Loi canadienne sur la santé, LRC 1985, c C‑6 (la Loi canadienne sur la santé) et, partant, ne sont pas admissibles à recevoir des soins de santé au titre des régimes provinciaux d’assurance‑maladie.

[27] Néanmoins, le gouvernement fédéral peut fournir des services de soins de santé relativement à des questions qui relèvent de sa compétence, ce qui comprend les membres des FAC, en vertu du paragraphe 91(7) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 & 31 Victoria, c 3. Qui plus est, le chapitre 34 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, Volume I, publiés en vertu de la LDN, exige que les FAC prodiguent des soins médicaux à leurs membres aux frais de l’État (art 34.07(4)). Ainsi, il incombe aux FAC d’assurer la prestation de soins de santé comparables à ceux garantis par la Loi canadienne sur la santé.

B. La procédure de règlement des griefs

[28] Le paragraphe 29(1) de la LDN prévoit que tout membre des FAC a le droit de déposer un grief relativement à une décision, à un acte ou à une omission de la part de son employeur. Au sein des FAC, c’est le CEMD qui est l’autorité de dernière instance en matière de griefs (LDN, art 29.11). Avant d’étudier un grief et de rendre une décision définitive, le CEMD est tenu de soumettre à l’examen du CEEGM tout grief portant sur l’admissibilité à des soins médicaux ou dentaires (LDN, art 29.12 et 29.2(1)). Le CEMD n’est pas lié par les conclusions ou recommandations du CEEGM (LDN, art 29.13(1)), mais il doit motiver sa décision s’il s’écarte des recommandations du CEEGM (LDN, art 29.13(2)). Une fois qu’une décision est rendue par le CEMD, elle est définitive et exécutoire, sous réserve du contrôle judiciaire par la Cour (LDN, art 29.15).

IV. Les questions préliminaires

A. Les nouveaux éléments de preuve

[29] Le défendeur soutient que le mémoire de la demanderesse fait renvoi à des ressources sur Internet qui ne figuraient pas dans le dossier certifié du tribunal et qui, partant, ne devraient pas être prises en compte aux fins du présent contrôle judiciaire.

[30] Je conviens que, selon une règle de droit bien connue, des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au décideur ne peuvent pas être déposés au cours de la procédure de demande de contrôle judiciaire en vue de contester la décision en cause. Cela dit, je constate que les ressources en ligne additionnelles auxquelles fait renvoi la demanderesse dans ses observations consistent en des ressources gouvernementales qui expliquent les couvertures en matière de soins de santé ou des ressources sur lesquelles la demanderesse se fonde pour expliquer les procédures de FIV et d’IICS. Par conséquent, j’accepte ces éléments de preuve étant donné qu’ils sont à la disposition du public et purement informatifs.

B. Le nouvel avis de demande

[31] Le défendeur fait valoir que, dans le dossier de la demande, daté du 5 avril 2021, la demanderesse a inclus un nouvel avis de demande (le nouvel avis de demande) qui soulève des questions qui ne figuraient pas dans l’avis de demande initial, daté du 2 octobre 2019 (l’avis de demande initial). En particulier, le nouvel avis de demande comprend explicitement des arguments fondés sur une violation de la Charte. Le défendeur affirme que la demanderesse ne devrait pas avoir le droit de présenter de nouvelles allégations à la suite de la clôture du dossier de la preuve.

[32] Je suis d’accord avec le défendeur. Je conclus que la demanderesse n’a pas donné au défendeur un avis adéquat au sujet de la modification des motifs de la demande, tels qu’ils sont énoncés dans le nouvel avis de demande. En vertu du paragraphe 75(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), la Cour peut, sur requête, autoriser une partie à modifier un document afin de protéger les droits de toutes les parties. Je conclus que la demanderesse aurait pu présenter une requête visant à modifier l’avis de demande initial avant de soumettre le dossier de la demande. En conséquence, je ferai abstraction du nouvel avis de demande.

C. Les arguments fondés sur la Charte

[33] Le défendeur soutient que la demanderesse ne devrait pas avoir le droit d’avancer des arguments fondés sur une violation de la Charte étant donné qu’aucun argument reposant sur la Charte ne figurait dans les motifs de la demande énoncés dans l’avis de demande initial. Le défendeur fait valoir qu’il n’a pas reçu un préavis suffisant pour pouvoir dûment répondre aux arguments fondés sur la Charte.

[34] L’avis de demande initial faisait état de plusieurs motifs justifiant la procédure en cause, notamment le suivant :

[traduction]

Que la GS des FAC finançait trois cycles de FIV, mais que les critères de couverture étaient trop restrictifs et de nature discriminatoire. Au moment où la demande a été présentée au CEMD, la GS des FAC offrait un financement pour jusqu’à trois cycles de FIV et d’injection intracytoplasmique (IICS) aux membres actifs de la Force régulière qui étaient aux prises avec un problème médical très spécifique (obstruction des trompes de Fallope dans le cas des femmes, et IICS dans le cas des hommes), c’est‑à‑dire qu’il y avait discrimination dans la couverture assurée aux militaires actifs, car le financement de la FIV était lié à la cause de l’infertilité. Dans cette situation, il est impossible pour les couples homosexuels en bonne santé et les couples où le partenaire aux prises avec un problème de fertilité n’est pas un militaire actif d’être admissibles à la couverture;

(Non souligné dans l’original.)

[35] Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a précisé qu’au moment où celle‑ci a présenté l’avis de demande initial en 2019, elle n’était pas représentée par un avocat. La demanderesse soutient que, bien que les arguments fondés sur une violation de la Charte n’aient pas été énoncés dans l’avis de demande initial, ils ressortaient implicitement du libellé puisque l’égalité a toujours été au cœur de cette affaire. Lorsque la demanderesse a subséquemment retenu les services d’un avocat, l’avis de demande initial a été reformulé de sorte que le nouvel avis de demande renferme explicitement les arguments fondés sur la Charte.

[36] La demanderesse fait valoir que le défendeur aurait dû déduire de la mention figurant dans l’avis de demande initial selon laquelle les critères de couverture étaient [traduction] « trop restrictifs et de nature discriminatoire » que la demanderesse avancerait des arguments liés à l’article 15 de la Charte.

[37] Lorsque cet argument a été présenté à l’avocat du défendeur lors de l’audience, le défendeur a répondu que l’emploi du mot [traduction] « discriminatoire » dans l’avis de demande initial ne suffit pas pour communiquer l’intention de la demanderesse de formuler des observations reposant sur une violation de la Charte.

[38] Aux termes de l’alinéa 301e) des Règles, un avis de demande doit contenir « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable ».

[39] Dans Majeed c Canada (Sécurité publique), 2007 CF 1082, au paragraphe 25, la Cour a conclu que l’inclusion d’arguments fondés sur la Charte qui ne figurent pas dans l’avis de demande est préjudiciable :

Non seulement ce cours normal des choses causerait un préjudice grave au défendeur, mais il supposerait aussi que la Cour est appelée à trancher une question constitutionnelle dans l’abstrait, en grande partie. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer à maintes reprises, les questions fondées sur la Charte doivent être tranchées sur le fondement d’un dossier de la preuve adéquat : voir, par exemple, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au paragraphe 80, et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 8 et suivants.

[40] Dans Jama c Canada (Procureur général), 2018 CF 219, aux paragraphes 19 et 20, le juge Manson a conclu que de nouveaux motifs reposant sur l’invocation de la Charte ne peuvent pas être soulevés s’ils n’ont pas été mentionnés dans l’avis de demande. Il souligne ce qui suit au paragraphe 20 :

Lorsqu’il sollicite un contrôle judiciaire, le demandeur doit énoncer les motifs invoqués dans son avis de demande; il ne peut pas présenter de nouveaux motifs dans son mémoire des faits et du droit (Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226, au paragraphe 6).

[41] Je suis d’accord avec le défendeur que l’emploi du mot [traduction] « discriminatoire » dans l’avis de demande initial ne constitue pas une notification suffisante de l’invocation de la Charte et que le manque de spécificité donne lieu à un préjudice. C’est à la demanderesse qu’il incombait de modifier l’avis de demande en temps opportun, conformément au paragraphe 75(1) des Règles, afin d’aviser le défendeur de son intention d’invoquer la Charte. Je conclus qu’elle a omis de le faire. Par conséquent, je ne prendrai pas en compte les arguments fondés sur la Charte avancés par la demanderesse.

V. La question en litige et la norme de contrôle

[42] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision du CEMD était raisonnable.

[43] Le défendeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable puisqu’aucune circonstance justifiant une dérogation à cette présomption n’existe en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) au para 25). Selon la jurisprudence, lorsqu’une décision d’un tribunal administratif spécialisé, qui interprète et applique sa loi habilitante, est soumise à un contrôle judiciaire, il est présumé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 13, 24, 30). Le défendeur fait valoir que, conformément à l’arrêt Vavilov, le contrôle fondé sur le principe de la déférence devrait respecter l’expertise spécialisée du CEMD en l’espèce.

[44] Concernant le contrôle d’une question d’interprétation législative, le défendeur affirme que la Cour doit d’abord se pencher sur la démarche et les raisons qui ont amené le décideur à parvenir à la décision et aux motifs, tout en considérant les motifs de façon globale et contextuelle, afin de déterminer si la décision peut se justifier ou non (Vavilov, aux para 105‑107, 108‑135).

[45] Le défendeur fait remarquer que la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable à d’autres décisions du CEMD (voir : Stemmler c Canada (Procureur général), 2016 CF 1299; Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32 au para 77) et soutient que, depuis l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’appliquant aux décisions de l’autorité de dernière instance (l’ADI) – en l’espèce, le CEMD – est demeurée inchangée puisque la Cour maintient qu’« un degré de déférence élevé doit être accordé à l’ADI lorsqu’elle exerce sa compétence en matière de grief » (Bond‑Castelli c Canada (Procureur général), 2020 CF 1155 au para 31).

[46] Le défendeur invoque le paragraphe 22 de la décision Rompré c Canada (Procureur général), 2012 CF 101, pour souligner la manière dont la Cour a traité l’expertise du CEMD :

[…] En l’espèce, le CEMD est l’officier qui a le grade le plus élevé au sein des FC et il est chargé d’assurer la direction et l’administration des FC. En matière de règlement des griefs, et plus particulièrement lorsqu’il est chargé de déterminer les mesures de réparations appropriées, il est investi d’un pouvoir discrétionnaire important. Les questions qu’il devait trancher en l’espèce sont des questions mixtes de fait et de droit qui relèvent de son expertise et de sa connaissance particulière du contexte militaire.

[47] Les observations de la demanderesse traitent de la norme de contrôle appropriée à appliquer aux questions relatives aux violations de la Charte. Ayant déterminé au paragraphe 41 que je ne prendrai pas en compte les arguments fondés sur la Charte, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Vavilov.

[48] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est néanmoins rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Quant à savoir si la décision est raisonnable dans son ensemble, cela dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont disposait le décideur et des répercussions de la décision sur les personnes concernées par cette décision (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[49] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125).

VI. L’analyse

(1) La présomption contre la rétroactivité

[50] En matière d’interprétation législative, il faut présumer qu’une loi qui porte atteinte à des droits substantiels ne s’applique pas aux faits qui sont survenus avant son entrée en vigueur (R c Dineley, 2012 CSC 58 (Dineley) au para 10; Canada (Procureur général) c Almalki, 2016 CAF 195 au para 34; R v Marshall, 2019 ONSC 7376 au para 14). La présomption contre la rétroactivité sert à assurer la certitude de la loi. Dans l’arrêt Dineley, au paragraphe 10, la Cour suprême a souligné ce qui suit :

Ainsi, une nouvelle mesure législative qui porte atteinte à de tels droits est présumée n’avoir d’effet que pour l’avenir, à moins qu’il soit possible de discerner une intention claire du législateur qu’elle s’applique rétrospectivement.

[51] La présomption contre la rétroactivité des lois est solide et peut uniquement être réfutée en des termes clairs ou par déduction nécessaire (Mandavia v Central West Health Care Institutions Board, 2005 NLCA 12 au para 103).

[52] Dans la décision, le CEMD a expliqué la nécessité de respecter la politique sur la GS qui était en vigueur au moment du traitement de la demanderesse :

[traduction]

Je ne suis pas indifférent à votre situation, mais je suis tenu de respecter les politiques. Par conséquent, je ne peux souscrire à la recommandation du Comité d’autoriser le remboursement en présumant que la GS sera modifiée ultérieurement et que cette modification s’appliquerait rétroactivement de sorte à couvrir les frais que vous avez payés.

[53] Le défendeur reconnaît que la publication du CANFORGEN 029/19, prenant effet immédiatement le 26 février 2019, a modifié les critères d’admissibilité auxquels doivent satisfaire les membres des FAC pour obtenir des services de fertilité, dont un cycle de FIV pour les femmes de moins de 43 ans. Le défendeur ajoute cependant que la demanderesse avait déjà reçu un traitement de FIV en octobre 2016, sachant que celui‑ci ne serait pas couvert par la GS et bien avant l’entrée en vigueur de la nouvelle politique.

[54] Dans Canada (Procureur général) c Irvine, 2003 CFPI 660, la Cour a examiné la question de savoir si le critère énoncé par la CSC dans Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 (Meiorin) et Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 (Grismer) devrait s’appliquer rétroactivement aux décisions rendues par les FAC avant l’arrêt Meiorin. Au paragraphe 31, la Cour a souligné ce qui suit :

Je suis conscient que les FAC ont pris l’initiative de modifier leurs politiques en réponse aux arrêts récents Meiorin et Grismer. Toutefois, ces modifications n’existaient pas au moment de la décision. Je crois que les modifications apportées à la politique n’étaient pas destinées à s’appliquer rétroactivement mais qu’elles devaient plutôt s’appliquer à partir du moment où elles ont été apportées.

(Non souligné dans l’original.)

[55] Le défendeur invoque la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire Skyline Roofing Ltd. v Alberta (Workers’ Compensation Board Appeals Commission), 2001 ABQB 624, au paragraphe 62, pour avancer que la présomption de non‑rétroactivité des lois s’applique également aux politiques :

[traduction]

Comme les politiques autorisées par la loi peuvent avoir force de loi, il existe une présomption générale selon laquelle les politiques de cette nature ne peuvent pas être appliquées rétroactivement. Les citoyens ont le droit de savoir ce que prévoit la loi au moment où ils prennent des décisions touchant à leur conduite. Même le législateur édicte rarement des règlements qui ont un effet rétroactif en raison de ce principe constitutionnel. Ainsi, on ne peut pas supposer qu’un pouvoir d’établir des politiques rétroactives a été conféré à moins que la loi l’ait prévu.

[56] Le défendeur soutient que des tribunaux provinciaux traitant de la question des soins de santé, comme la Commission d’appel et de révision des services de santé de l’Ontario (la CARSS de l’Ontario), se sont penchés sur la question de l’application rétroactive des politiques sur les soins de santé. La CARSS de l’Ontario est saisie d’affaires concernant les paiements relatifs à des services de santé et la couverture par le PPAO. La jurisprudence découlant de la CARSS de l’Ontario étaye la position voulant qu’une personne soit assurée selon la couverture qui est en place au moment où elle reçoit un traitement (JV v Ontario (Health Insurance Plan), 2009 CanLII 84982 (CARSS de l’Ontario) aux para 18‑23) et que, sauf mention expresse en ce sens, un règlement ne doit pas être appliqué rétroactivement (JAR v The General Manager, 2014 CanLII 2337 (CARSS de l’Ontario) aux para 21, 28).

[57] À mon avis, le libellé du CANFORGEN 029/19 est sans équivoque : les modifications à la politique sur la GS entraient en vigueur « immédiatement » à compter du 26 février 2019 – et non avant. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, compte tenu de la présomption solide contre la rétroactivité, la nouvelle politique sur la GS ne peut pas servir de base au remboursement des dépenses que la demanderesse a assumées avant la mise en œuvre de la nouvelle politique sur la GS. Je conclus que le CEMD a examiné le grief, daté du 1er novembre 2016, et les éléments de preuve dont il disposait pour parvenir raisonnablement à la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas droit au remboursement des frais afférents aux procédures liées à la FIV puisqu’elle ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité de la politique sur la GS qui était en vigueur au moment où elle a reçu le traitement.

(2) L’erreur du CEMD ne constitue pas un vice fondamental : le résultat global demeurerait inchangé

[58] Le CPM des FAC a publié le CANFORGEN 029/19 le 26 février 2019. Au moment de la décision, datée du 26 avril 2019, les critères d’admissibilité prévus dans la politique sur la GS concernant les services de fertilité avaient déjà été modifiés; pourtant, le libellé des motifs du CEMD donne à penser que les modifications à la politique étaient encore à venir :

[traduction]

[…] le Comité [CEEGM] a recommandé que le grief soit rejeté et que les FAC vous offrent un financement pour un cycle de FIV dès que possible, en prévision des modifications à la GS qui seront bientôt approuvées.

[Non souligné dans l’original.]

[59] Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu que le fait que le CEMD n’était pas au courant de la modification de la politique au moment de la décision l’a amené à rendre une décision déraisonnable qui ne tenait pas compte du contexte dans lequel le grief a été présenté, notamment les modifications à la politique sur la GS et la recommandation du CEEGM que les FAC offrent de financer un cycle de FIV en prévision des modifications susmentionnées.

[60] Le défendeur fait valoir que le CEMD ne savait pas que la politique avait été effectivement modifiée deux mois auparavant puisque les documents qui figuraient dans le dossier formant le dossier certifié du tribunal, sur lequel le CEMD a fondé sa décision, ont été préparés avant la modification à la politique. Lorsque la modification a été publiée sous la forme du CANFORGEN 029/19, la décision était rendue à l’étape de l’examen final, de l’approbation et de la signature par le CEMD.

[61] Le défendeur soutient que, même si le CEMD a commis une erreur en ne mentionnant pas le fait que les dispositions de la politique sur la GS traitant de la couverture en matière de FIV avaient été modifiées le 26 février 2019, cette erreur n’a aucune incidence sur la décision globale. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, si l’affaire était renvoyée pour nouvelle décision, le CEMD ne saurait raisonnablement parvenir à un résultat différent, compte tenu des faits et du droit en l’espèce (Maple Lodge Farms Ltd. c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45 au para 51).

[62] Je conclus qu’il était raisonnable que le CEMD juge que la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité de la politique sur la GS qui était en vigueur au moment où elle a reçu le traitement de FIV. Bien que le CEMD ait indiqué à tort dans ses motifs que la modification à la politique était à venir, je conclus que, même si le CEMD avait fait dûment renvoi à la nouvelle politique sur la GS dans la décision, cela n’aurait pas influé sur la décision globale selon laquelle la politique ne pouvait pas être appliquée rétroactivement. Je conclus que la présence de cette lacune dans les motifs du CEMD ne suffit pas pour montrer que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, aux termes de l’arrêt Vavilov (aux para 99‑100).

(3) La couverture prévue dans la politique sur la GS ne correspond pas à la couverture provinciale

[63] Au moment où la demanderesse a subi un traitement de fertilité à ses frais, la province de l’Ontario avait retiré de l’Assurance‑santé de l’Ontario le financement de la FIV et avait commencé à financer le PPAO, lequel donnait à tous les résidents admissibles de l’Ontario accès à un cycle unique de FIV, quelle que soit la cause de l’infertilité. Pour pouvoir obtenir le traitement, un résident de l’Ontario devait détenir une carte de l’Assurance‑santé de l’Ontario. En revanche, à cette époque, la politique sur la GS couvrait trois cycles de FIV dans le cas des femmes aux prises avec une obstruction bilatérale des trompes de Fallope, y compris le coût des médicaments.

[64] À titre de membre des FAC, la demanderesse n’a pas une carte de l’Assurance‑santé de l’Ontario. Elle soutient que la politique sur la GS alors en vigueur était trop restrictive : si elle avait détenu une carte de l’Assurance‑santé de l’Ontario, elle aurait pu se prévaloir d’un cycle de traitement de FIV couvert par le PPAO. Il s’agit là de la mesure recommandée par le CEEGM, qui serait comparable aux soins offerts par la province de l’Ontario.

[65] Dans la décision, le CEMD a examiné les politiques en vigueur en Ontario et au Québec, les deux seules provinces qui incluaient la FIV dans leur régime d’assurance‑maladie respectif. Le CEMD a souligné que le Québec avait remplacé son financement de la FIV par un crédit d’impôt en 2015 et que l’Ontario avait mis en place une couverture pour un cycle unique de FIV, quelle que soit la cause de l’infertilité, en 2015. Avant de conclure qu’il ne pouvait pas autoriser le remboursement, le CEMD a présenté son raisonnement :

[traduction]

[…] bien que la politique actuelle des FAC ne puisse pas couvrir toutes les situations, elle offre bel et bien une couverture comparable et rentable aux militaires dont l’état est attribuable aux causes les plus courantes d’infertilité.

La question de l’infertilité a été revue à maintes reprises par le Comité sur la GS. Historiquement, le Québec et l’Ontario ont été les deux seules provinces à offrir du financement pour la FIV, mais leurs exigences en matière d’admissibilité différaient.

[66] Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a fait valoir que, malgré la déférence dont il faut faire preuve à l’égard d’un décideur qui possède une expertise spécialisée, Vavilov exige que la Cour examine les contraintes d’ordre contextuel relatives aux faits en cause. La demanderesse soutient que le CEMD n’est pas un expert des domaines des soins de santé ou de l’infertilité. Bien qu’il n’ait pas été lié par les recommandations du CEEGM, le CEMD a omis de tenir compte du contexte entourant le grief, y compris des conclusions tirées par les experts qui avaient examiné le grief et déterminé que la politique en vigueur au moment du traitement était trop restrictive. La demanderesse affirme que la politique elle‑même a été modifiée deux mois avant la décision afin de prendre en compte les questions soulevées dans le grief et que le CEMD aurait dû autoriser le remboursement de sorte à assurer une couverture comparable à celle offerte en Ontario.

[67] À l’audience, l’avocat du défendeur a fait observer que la présente affaire consiste en l’examen de la décision de rejeter la demande de remboursement présentée par la demanderesse et non en l’examen de la politique en vigueur au moment du grief. Je suis d’accord. Je souscris également à l’observation du défendeur selon laquelle, bien que la GS vise à offrir une couverture comparable à celle garantie par les diverses provinces à mesure que celles‑ci élargissent les services assurés, les FAC ne devraient pas être tenues de refléter ces changements instantanément.

[68] En dépit de la recommandation du CEEGM de rembourser à la demanderesse un cycle de FIV, en tant qu’autorité de dernière instance en matière de griefs au sein des FAC (LDN, art 29.11), le CEMD n’est pas lié par les conclusions et recommandations du CEEGM et peut parvenir à une conclusion différente s’il motive sa décision (LDN, art 29.13). Même s’il n’est pas un expert du domaine médical, le CEMD est investi par la LDN du pouvoir d’interpréter les politiques des FAC et d’agir à titre d’autorité de dernière instance. Bien que je sympathise avec la demanderesse, je conclus qu’il est possible de suivre le raisonnement du CEMD dans la décision.

[69] À l’audience, les parties ont confirmé qu’elles ne solliciteraient pas de dépens.

VII. Conclusion

[70] À mon avis, eu égard à l’important pouvoir discrétionnaire du CEMD, je conclus qu’il était raisonnable que le CEMD rejette le grief et la demande de financement de jusqu’à trois cycles de FIV, dont le remboursement du traitement déjà reçu au cours d’un cycle de FIV. Au moment où la demanderesse a reçu ses traitements de FIV, elle n’était pas admissible à un remboursement aux termes de la politique sur la GS. Bien que les critères d’admissibilité de cette politique aient été modifiés le 26 février 2019, je juge qu’il était raisonnable que le CEMD conclue que la politique sur la GS ne peut pas être appliquée rétroactivement de sorte à permettre à la demanderesse de se voir rembourser les traitements de FIV qu’elle a reçus le 11 octobre 2016. Je conclus également que l’erreur figurant dans les motifs du CEMD ne rend pas la décision déraisonnable. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier T‑1608‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1608‑19

 

INTITULÉ :

REGIANE FERREIRA FILIZOLA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Marc Kemerer

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me James Schneider

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Devry Smith Frank LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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