Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030716

Dossier : IMM-4224-02

Référence : 2003 CF 885

Ottawa (Ontario), le mercredi 16 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                            ARUMAINATHAN ARUNASALAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                 M. Arunasalam est citoyen du Sri Lanka. Il revendique le statut de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur son appartenance à un groupe social décrit comme celui des hommes tamouls de Jaffna. Il soumet la présente demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rejeté sa demande.

LA DÉCISION DE LA SSR

[2]                 M. Arunasalam était propriétaire d'un commerce de pharmacie et d'épicerie au Sri Lanka. Il prétend que l'armée sri-lankaise (SLA) l'a détenu et l'a battu parce qu'elle craignait qu'il fournisse des médicaments aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET). M. Arunasalam prétend en outre que la SLA l'a accusé d'être entré par effraction dans son propre commerce afin de cacher le fait qu'il donnait des médicaments aux TLET. M. Arunasalam croit que ce sont des membres de la SLA qui sont entrés par effraction dans son commerce. M. Arunasalam affirme en outre qu'en plus de s'être fait voler par des membres de la SLA, les TLET lui ont extorqué de l'argent et lui ont volé des fournitures médicales.

[3]                 La SSR a conclu que M. Arunasalam n'était pas un témoin crédible ou fiable. La SSR a énoncé comme suit ses préoccupations à l'égard du témoignage du demandeur :

·            M. Arunasalam a omis un fait déterminant dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), soit le fait que les TLET voulaient qu'il se rende à Vavuniya et qu'il ne s'y était pas rendu;


·            dans son témoignage de vive voix, M. Arunasalam a déclaré qu'il avait été arrêté par la SLA à six ou sept reprises et qu'on l'avait interrogé. Dans son FRP, il a seulement mentionné qu'il avait été arrêté à de nombreuses reprises;

·            il a omis de mentionner dans son FRP que les TLET et que le Parti démocratique populaire de l'Eelam (EPDP) le rechercheraient pour lui extorquer de l'argent peu importe où il irait au Sri Lanka;

·            il a témoigné que les TLET pouvaient aller et venir à Trincomalee de la même manière qu'ils le font à Jaffna. La SSR a conclu que ce témoignage était peu crédible étant donné que Trincomalee est un port de mer important contrôlé par le gouvernement depuis 1983, alors que la ville de Jaffna a en alternance été contrôlée par le gouvernement et par les TLET;


·            sauf quant à son arrestation la plus récente, M. Arunasalam n'a pas été précis à l'égard des dates de ses arrestations. Il a donné des détails à l'égard de deux arrestations au cours desquelles il a été battu, mais il n'a pas pu donner de détails à l'égard des autres arrestations. La SSR s'attendait à ce qu'une personne qui a été arrêtée et détenue ait une idée approximative des dates de ces événements. En raison de l'incapacité du demandeur à se rappeler les dates, la SSR n'a pas cru qu'il avait été arrêté par l'armée aussi souvent qu'il le prétendait;

·            le témoignage de M. Arunasalam a été jugé vague;

·            M. Arunasalam a reconnu que le fait de fournir des médicaments aux TLET était une infraction très grave. La SSR n'a pas cru que la SLA aurait relâché M. Arunasalam seulement après l'avoir battu et avoir obtenu de sa part le paiement d'un pot-de-vin si elle avait pensé qu'il fournissait des médicaments aux TLET.

[4]                 La SSR n'a pas relevé d'incohérences dans le témoignage de M. Arunasalam.

[5]                 Compte tenu de ces conclusions quant à la crédibilité, la SSR a estimé que M. Arunasalam n'avait pas dans le passé été persécuté par les militaires, comme il le déclarait, et que ces derniers ne l'avaient pas détenu et battu.


[6]                 Subsidiairement, la SSR a conclu que M. Arunasalam avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Vavuniya ou à Trincomalee. La SSR a fait remarquer qu'à Vavuniya M. Arunasalam avait vécu chez un ami pendant plus d'un mois et demi sans avoir de problèmes. Selon la SSR, le demandeur pouvait en outre aller vivre à Trincomalee où il aurait peu à craindre d'être persécuté. M. Arunasalam est un homme d'affaires qui a déjà eu à recommencer l'exploitation d'un commerce et il pourrait le faire à nouveau à Trincomalee et y vivre en sécurité.

L'ADMISSION D'ERREURS

[7]                 L'avocat du ministre a de façon équitable admis ce qui suit :

i)           La conclusion de la SSR à l'égard de la [TRADUCTION] « contradiction » entre la déclaration contenue dans le FRP selon laquelle M. Arunasalam avait été à [TRADUCTION] « de nombreuses reprises » arrêté par la SLA et son témoignage de vive voix selon lequel il avait été arrêté par la SLA à [TRADUCTION] « six ou sept reprises » était erronée. Il n'y avait pas vraiment une contradiction ou une incohérence.

ii)          La SSR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que M. Arunasalam avait omis de mentionner dans son FRP le fait que les TLET et que le EPDP le rechercheraient afin de lui extorquer de l'argent peu importe où il irait au Sri Lanka.

iii)          La conclusion selon laquelle il existe une PRI à Vavuniya est déficiente compte tenu des commentaires, faits par le président de l'audience de la SSR au début de l'audience, selon lesquels la question d'une PRI à Vavuniya ne faisait pas l'objet du débat.


AUTRES ERREURS

[8]                 Bien qu'elles n'aient pas été admises par le ministre, je suis d'avis que les conclusions suivantes, tirées par la SSR, sont également déficientes :

i)           M. Arunasalam n'a pas témoigné que les TLET voulaient qu'il se rende à Vavuniya comme la SSR l'a déclaré. Il a témoigné que les TLET voulaient qu'il se rende à Vanni. Aucune explication n'a été fournie par la SSR quant aux raisons pour lesquelles ce fait était suffisamment important dans la revendication de M. Arunasalam pour qu'une inférence défavorable puisse être tirée de son omission de l'avoir mentionné dans son FRP.

ii)          Un examen attentif de toute la transcription n'appuie pas la conclusion selon laquelle le témoignage de M. Arunasalam était vague. Son incapacité à se rappeler les dates de ses arrestations a été le seul exemple mentionné par le ministre quant au fait que le témoignage était vague et cette incapacité avait déjà fait l'objet d'une inférence défavorable.

LA CONSÉQUENCE DES ERREURS

[9]                 Les conclusions quant à la crédibilité doivent faire l'objet d'une grande retenue par la Cour. La SSR, en tant que tribunal spécialisé, a l'avantage de pouvoir observer les témoins durant leurs témoignages. Par conséquent, elle est la mieux placée pour apprécier la crédibilité et pour décider de la vraisemblance du témoignage.


[10]            Cependant, en l'espèce, le témoignage de M. Arunasalam ne comportait pas d'incohérences, il n'était pas vague dans son ensemble et la SSR a eu tort de conclure qu'il y avait des omissions déterminantes dans son FRP. La SSR a conclu qu'il y avait une PRI à Vavuniya après avoir expressément informé l'avocat de M. Arunasalam que cette question ne faisait pas l'objet du débat.

[11]            La conséquence de ces erreurs, prises dans leur ensemble, est suffisamment importante pour que je ne sois pas convaincue que les motifs de la SSR reflètent une compréhension des questions en litige et des éléments de preuve qui traitaient de ces questions. Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

LA PRI À TRINCOMALEE

[12]            Pour arriver à la conclusion selon laquelle la décision devait être annulée, j'ai examiné la conclusion subsidiaire à l'égard d'une PRI à Trincomalee. À mon avis, cette conclusion est également déficiente pour les motifs ci-après énoncés.

[13]            Au début de l'audience, lorsque les questions à être examinées lors de l'audience ont été énumérées, le président de l'audience a déclaré ce qui suit à l'égard de la question d'une PRI :


[TRADUCTION]

Maître, je ne pense pas que vous devez nous en dire beaucoup sur la question d'une PRI, mais je serais intéressé à savoir s'il existe un endroit sûr au Sri Lanka, autre que Vavuniya ou Jaffna, et s'il a des relations familiales à Colombo. Je suppose qu'il s'agirait de cousins, de tantes ou d'oncles.

[14]            À la conclusion de l'audience, lorsque l'avocat de M. Arunasalam présentait ses observations, le président de l'audience a déclaré :

[TRADUCTION]

AVOCAT : [...]

(inaudible) question de la possibilité de refuge intérieur. Comme le revendicateur a témoigné (inaudible) en ce qui concerne (inaudible). Le seul autre endroit où il pourrait s'établir est Colombo. À cet égard, je soumets que vous devez prendre en compte que (inaudible).

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Vous savez quoi Maître? Je ne pense pas qu'il ait une PRI. En tant que Tamoul du Nord, une PRI à Colombo afin de démarrer une entreprise serait difficile.

AVOCAT :             Merci.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Alors, je n'ai pas besoin que vous me parliez de Colombo.

AVOCAT :             Alors, après avoir établi son identité en tant que personne qui est venue (inaudible) de Jaffna en tant que personne (inaudible) de Jaffna, après avoir établi qu'il a été privé de son moyen de subsistance à l'âge de 48 ans, je pense que le revendicateur répond raisonnablement à la définition (inaudible) selon laquelle il serait présumé être un réfugié au sens de la Convention.

Ce sont mes observations. [Non souligné dans l'original.]


[15]            Une lecture correcte de cet échange, à mon avis, est que la SSR n'a pas jugé que M. Arunasalam avait quelque PRI que ce soit. L'avocat était en train de déclarer que le seul autre endroit où M. Arunasalam pourrait vivre en sécurité était Colombo, mais qu'une PRI à Colombo ne serait pas raisonnable. Dans ce contexte, lorsque le président de l'audience a déclaré dans son deuxième commentaire qu'il n'avait pas besoin d'entendre l'avocat sur la question d'une PRI à Colombo, la conséquence apparente a été de confirmer la déclaration vague contenue dans son premier commentaire selon laquelle M. Arunasalam n'avait aucune PRI. C'est notamment le cas lorsqu'au début de l'audience le président de l'audience a déclaré que l'avocat n'avait pas besoin de lui en dire [TRADUCTION] « beaucoup » sur la question d'une PRI.

[16]            En outre, il n'est pas suffisant pour la SSR d'établir l'existence d'une PRI en général. Comme M. le juge Noël, maintenant juge à la Section d'appel, l'a écrit dans la décision Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 125 F.T.R. 141, au paragraphe 16 :

La conclusion de la Commission quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur est également viciée. Dans sa décision, la Commission n'a pas indiqué exactement où, en Afghanistan, on pourrait s'attendre raisonnablement que le requérant trouve un asile sûr. La Commission a plutôt fait référence à la « région contrôlée par le général Dostam » , à la « région à l'extérieur de Kaboul » et « aux régions échappant au contrôle de Jamiat-e-Islami » comme étant les régions générales où le requérant pourrait trouver refuge. La conclusion quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur exige plus que la simple identification d'une région approximative où l'agent de persécution est présumé exercer le contrôle et plus qu'une conclusion générale indiquant que le requérant est libre de s'enfuir ailleurs. Il faut identifier un lieu géographique précis où la situation est telle que ce lieu puisse constituer un asile sûr réalistement accessible. En retour, il faut discuter de la situation qui existe dans ce lieu identifié. [Les notes de bas de page sont omises. Non souligné dans l'original.]

[17]            Voir également à cet égard la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 390 (1re inst.).


[18]            La SSR a l'obligation de donner un avis à l'égard des régions géographiques qui seraient jugées comme des PRI viables afin qu'un demandeur ait une occasion équitable de fournir des éléments de preuve pour établir qu'il n'y a pas une PRI.

[19]            La conséquence de la jurisprudence précédemment mentionnée est que, même s'il y avait un doute sur la question de savoir ce que le président de l'audience voulait dire quand il a informé l'avocat pendant qu'il présentait ses observations qu'il ne pensait pas que M. Arunasalam avait une PRI, la seule région géographique correctement établie par le président de l'audience comme une PRI viable était Colombo. Il s'ensuit que la conclusion selon laquelle il existe une PRI à Trincomalee est déficiente.

[20]            Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de la certification et le présent dossier n'en soulève aucune.

ORDONNANCE

[21]            LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 7 août 2002 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est par la présente annulée.


2.          L'affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés afin qu'elle soit tranchée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                            COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-4224-02

INTITULÉ :                                           Arumainathan Arunasalam c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 2 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         La juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                        Le 16 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Kumar Sriskanda                                    POUR LE DEMANDEUR

Jeremiah Eastman                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar Sriskanda

Avocat

Scarborough (Ontario)              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.