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Date : 20030729

Dossier : IMM-5344-03

Référence : 2003 CF 931

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 JUILLET 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                             ERDAL AKYOL, MURUVVET AKYOL, BETUL AKYOL,

                                     ABDULLAH AKYOL, BUSRANUR AKYOL ET

                                                          OSMANNURI AKYOL

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                    (Prononcés à l'audience, tenue à Ottawa (Ontario),

                                                        le mercredi 16 juillet 2003)


[1]                Les demandeurs ont présenté une requête sollicitant un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi prévue pour le 17 juillet 2003, au motif qu'il y a une question sérieuse à examiner, qu'ils subiront un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients est en leur faveur. Les présents motifs, qui rejettent la requête, ont été prononcés à l'audience. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.

[2]                J'accepte le résumé et la qualification des faits présentés par le défendeur dans son exposé des points d'argument, qui renvoie aux notes de l'agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent d'ERAR) quant à l'explication qu'il donne pour sa décision défavorable et aux motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (SPR), qui a rejeté la revendication du statut de réfugié des demandeurs.


[3]                Je souligne particulièrement que la SPR a conclu que si le demandeur principal avait vraiment craint de retourner en Turquie, il se serait arrangé pour que sa famille le rejoigne en Amérique du Nord, après son premier départ de ce pays, plutôt que de risquer d'autres ennuis en retournant en Turquie. En outre, la SPR a considéré qu'il n'était pas raisonnable que, au motif qu'ils avaient trouvé un bon obstétricien, ils soient restés aux États-Unis, sans statut et courant le risque d'être expulsés vers le pays qu'ils disaient craindre, et ce sans présenter quelque demande de protection que ce soit ou partir vers le Canada, qui n'était qu'à quelques heures de voiture. La SPR a conclu que le comportement des demandeurs [traduction] « ne cadrait pas du tout avec une crainte de persécution bien fondée » , et a souligné que, au regard de la jurisprudence, une insuffisance de preuve quant à l'élément subjectif de la crainte était en soit fatal à la revendication. La SPR a en outre conclu que les demandeurs n'avaient pas établi objectivement qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés. En particulier, elle a noté que la preuve documentaire n'étayait pas la prétention des demandeurs qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés en Turquie du fait qu'ils étaient des partisans de Fethullah Gulen. La SPR s'est référée à des éléments de preuve qui établissaient que le mouvement Gulen avait d'assez bonnes relations avec les autorités étatiques, qu'il était moins susceptible de faire l'objet de mauvais traitements par suite des politiques de l'État que d'autres groupes islamiques et qu'il avait acquis un certain pouvoir sur les plans social, économique et politique. La SPR a conclu que, bien que la femme et les demandeurs mineurs puissent subir de la discrimination en Turquie, ils ne seraient pas victimes d'actes de persécution. Par conséquent, dans sa décision du 24 juin 2002, elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire que les demandeurs ont présentée à l'encontre de cette décision a été rejetée par la Cour.


[4]                Les demandeurs ont à peu près fait les mêmes allégations dans leur demande d'examen des risques avant renvoi qu'ils avaient faites devant la SPR. Cette demande d'examen a aussi été rejetée. Dans sa décision du 6 juin 2003, l'agent d'ERAR a examiné les allégations que les demandeurs ont faites quant aux risques que leur feraient courir leur identité kurde, leurs croyances religieuses de musulmans sunnites et de partisan de Fethullah Gulen (y compris la prétention de la demanderesse concernant le port du hijab) et les obligations militaires du demandeur principal et de son fils aîné. L'agent d'ERAR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). C'est la décision de l'agent d'ERAR qui fait l'objet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en cause.

[5]                En supposant, sans trancher la question, qu'il existe une question sérieuse à examiner en l'espèce, la Cour refuse néanmoins le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada demandé par les demandeurs, au motif qu'il n'a pas été établi qu'ils subiraient un préjudice irréparable.

[6]                Premièrement, il n'y a aucune preuve que les demandeurs courraient vraisemblablement un risque pour leur vie ou leur sécurité : Kerrutt c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93; Atakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 F.T.R. 122 (Atakora); Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.); Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 92 F.T.R. 107; Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 387 (C.F. 1re inst.).


[7]                Deuxièmement, l'allégation d'un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. La Cour doit être convaincue que ce préjudice surviendra si la réparation sollicitée n'est pas accordée : Atakora, précitée, au paragraphe 12; Syntex Inc. c. Novopharm Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129, à la page 135 (C.A.F.); Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 559, 2001 CFPI 325, au paragraphe 15.

[8]                Troisièmement, la Cour note que le risque que les demandeurs courraient s'ils retournaient en Turquie a été évalué deux fois : une première fois par la SPR, et la seconde fois par l'agent d'ERAR. Dans les deux cas, ces deux tribunaux administratifs ont conclu que les demandeurs ne courraient pas de risque. En l'espèce, la SPR a clairement mis en doute la crédibilité des demandeurs lorsqu'elle a conclu, en se fondant sur le comportement que les demandeurs avaient eu pendant une longue période, qu'ils n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés qui était à la base de leur revendication. La jurisprudence de la Cour établit que lorsque le récit d'un demandeur est jugé non crédible, ce récit ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis : Saibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 151, 2002 CFPI 103, au paragraphe 11; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 751, au paragraphe 12; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 483, aux pages 492 et 493 (1re inst.).


[9]                Quatrièmement, l'échec d'une entreprise qui survient par suite d'un renvoi ne constitue pas nécessairement un préjudice irréparable. Les demandeurs renvoient à l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.) (Toth) pour étayer leur argument. Dans cet arrêt, un sursis avait été octroyé dans des circonstances où l'expulsion aurait eu pour conséquence de mettre un terme à l'exploitation d'une entreprise qui était le soutien de la famille du demandeur et de nombreux employés. Il peut y avoir préjudice irréparable dans le cas où quelqu'un possède une entreprise dont il ne peut se départir et que, en conséquence, il perd une somme d'argent considérable. En l'espèce, j'accepte la prétention du défendeur selon laquelle il n'y a absolument aucun élément de preuve quant à la valeur de l'entreprise du demandeur principal, quant à savoir si cette entreprise avait d'autres employés que le demandeur, quant à savoir si le demandeur serait capable de vendre son entreprise et quant à savoir même quelle perte financière il subirait le cas échéant. Par conséquent, les demandeurs n'ont pas établi qu'ils subiront un préjudice irréparable : Siljanovski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 923, aux paragraphes 6 et 7 (1re inst.); Startchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 931, 2002 CFPI 690, au paragraphe 8; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1647, au paragraphe 7 (1re inst.); Qayyum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 192, au paragraphe 2 (1re inst.); et Toth, précité.


[10]            Cinquièmement, j'accepte aussi l'observation du défendeur selon laquelle la détention aux États-Unis que les demandeurs ont invoquée ne constitue pas un préjudice irréparable dans les circonstances. La Cour note que cette allégation est fondée sur l'affidavit de Burhan Celik, un membre de la collectivité turque au Canada et un ami des demandeurs, qui a apparemment téléphoné à un avocat aux États-Unis qui aurait formulé l'opinion que les demandeurs seraient détenus aux États-Unis et que les conditions de la détention ressembleraient à celles d'un goulag. Le demandeur principal mentionne également dans son affidavit qu'il est au courant des « terribles conditions » de détention aux États-Unis, mais il ne dit pas clairement d'où il a tiré ce renseignement. La Cour note également qu'aucun détail n'a été fourni au sujet de ces prétendues terribles conditions et qu'aucun affidavit de l'avocat des États-Unis n'a été versé au dossier. En outre, les demandeurs n'ont versé aucun élément de preuve documentaire objectif au dossier pour établir que les conditions de détention aux États-Unis seraient intolérables au point de constituer un préjudice irréparable. En outre, même si les demandeurs étaient détenus, il faudrait supposer que les autorités américaines les traiteraient correctement. Récemment, la Cour dans l'affaire Nabut c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1878, 2001 CFPI 1392 (Nabut) a examiné un argument d'un revendicateur selon lequel, étant donné qu'il était Arabe et soupçonné d'avoir des liens avec des terroristes, son renvoi vers les États-Unis aurait pour résultat un préjudice irréparable si ses droits fondamentaux n'étaient pas respectés pendant une longue période d'incarcération. Rejetant cet argument, la Cour a suivi l'arrêt de la Cour d'appel Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Satiacum (C.A.F.) (1989), 99 N.R. 171, et a statué qu'elle était plutôt disposée à présumer que le demandeur bénéficierait de l'application régulière de la loi et d'un procès équitable aux États-Unis : Nabut, précitée, au paragraphe 8; Mikhailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 1.

[11]            Sixièmement, l'expulsion de personnes alors qu'elles ont présenté des demandes d'autorisation ou engagé d'autres instances devant la Cour ne constitue ni une question sérieuse ni un préjudice irréparable : Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 86 (1re inst.), au paragraphe 12; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1166 (1re inst.). Je note également que le traitement de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire continuera peu importe où les demandeurs se trouvent et qu'ils peuvent donner à leur avocat, à partir des États-Unis ou à partir de la Turquie, s'ils se retrouvaient là, les directives à suivre pour la poursuite de leur litige. En outre, la Cour ne peut pas conjecturer sur la possibilité que des autorités étrangères puissent détenir ou arrêter les demandeurs, même si cette détention ou arrestation devait avoir pour effet de rendre théorique toute décision qui accueillerait ultérieurement une demande d'autorisation et de contrôle judicaire : Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 90 F.T.R. 54, au paragraphe 8; voir également Karthigesu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 204; Bada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 56 F.T.R. 106, à la page 107.


[12]            En conclusion, je conclus que l'expulsion des demandeurs n'a pas d'autres conséquences que des conséquences normales (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21). Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur vu qu'il est dans l'intérêt public que la mesure de renvoi soit exécutée dans les meilleurs délais possible (Celis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1679, 2002 CFPI 1231, au paragraphe 4).

[13]            Par conséquent, la Cour a décerné une ordonnance rejetant la requête que les demandeurs avaient présentée pour obtenir un sursis à l'exécution de leur renvoi.

                                                                                                                                 « Luc Martineau »                     

                                                                                        __________________________________

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5344-03

INTITULÉ :                                       ERDAL AKYOL ET AL. c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 16 JUILLET 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                         LE JUGE MARTINEAU

DATE :                                               29 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :                        

LORNE WALDMAN                                                              POUR LES DEMANDEURS

ANDREA HAMMELL                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WALDMAN & ASSOCIATES                                              POUR LES DEMANDEURS

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                        POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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