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Date : 20030117

Dossier : IMM-980-00

Référence neutre : 2003 CFPI 42

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 17 JANVIER 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                             SHYAMA PRASAD

                                                            BANDYOPADHYAY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une agente des visas, Julia Montgomery (l'agente), a rejeté, en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), la demande de résidence permanente du demandeur en date du 13 janvier 2000.


[2]                Le demandeur, le docteur Shyama Prasad Bandyopadhyay, est un citoyen de l'Inde. La première demande de résidence permanente qu'il a présentée, dans laquelle il avait inscrit son épouse et leurs deux fils comme personnes à charge, a été rejetée le 10 juillet 1999. Le 11 août 1999, le juge Sharlow a fait droit à une requête pour jugement sur consentement portant que la décision rendue relativement à la première demande soit annulée et que celle-ci soit renvoyée à un autre agent des visas pour faire l'objet d'une nouvelle décision.

[3]                Le dossier du demandeur a alors été transféré au Haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre. Une entrevue a eu lieu avec le demandeur et son épouse le 5 octobre 1999. Pour des raisons d'équité procédurale, le demandeur a été évalué en date du 6 août 1996, soit la date de sa première demande de résidence permanente.

[4]                L'agente a évalué le demandeur pour la profession de travailleur social en service collectif (CCDP 2331-114) et lui a alloué les points suivants :

FACTEUR                                            POINTS ALLOUÉS

Âge                                                                   08

Demande dans la profession                               05

Préparation professionnelle spécifique/

Études et formation                                            18

Expérience                                                        00

Emploi réservé                                       00

Facteur démographique                                     08

Études                                                               15

Anglais                                                  09

Français                                                            00

Points supplémentaires (proche parent

au Canada)                                                        00

Personnalité                                                       05

TOTAL                                                             68


[5]                L'agente a déterminé que le demandeur ne possédait pas les compétences professionnelles ou l'expérience de travail exigées d'un travailleur social en service collectif. Le demandeur ne satisfaisait donc pas aux exigences prévues au paragraphe 11(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement). S'il en avait été autrement, l'agente aurait pu lui délivrer un visa d'immigrant malgré le fait qu'il n'avait obtenu aucun point pour l'expérience. L'agente a ensuite évalué le demandeur pour la profession d'agent d'administration (CCDP 1179-182), même si elle estimait que les fonctions principales de cette profession ne figuraient pas dans la description de travail du demandeur. Encore une fois, le demandeur n'a pas obtenu un nombre de points d'appréciation suffisant pour avoir droit à un visa d'immigrant. L'agente a aussi examiné le cas du demandeur au regard de la profession de médecin hygiéniste (CCDP 1119-186), qui était celle qui semblait se rapprocher le plus de sa description de travail. Comme il n'y avait aucune demande dans cette profession, le paragraphe 11(2) du Règlement interdisait la délivrance d'un visa d'immigration. Finalement, l'agente a évalué le demandeur en fonction de la description d'emploi contenue dans la Classification nationale des professions pour la profession d'agent d'administration (CNP 1221). Le demandeur s'est alors vu attribuer un point pour la demande dans la profession et sept points pour le facteur des études et de la formation, ce qui n'était pas suffisant.

[6]                La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions. L'agente a-t-elle commis une erreur de droit :

1)         en ne motivant pas son appréciation de la personnalité du demandeur?

2)         en prenant en compte des facteurs qui n'étaient pas pertinents dans le cadre de cette appréciation?


3)         en n'évaluant pas le demandeur pour la profession de travailleur des services communautaires et sociaux (CNP 4212)?

1.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne motivant pas son appréciation de la personnalité du demandeur?

[7]                Le demandeur prétend que l'agente était tenue d'expliquer pourquoi elle lui avait attribué cinq points pour la personnalité. Il fait valoir que l'agente n'a fait aucun effort pour expliquer comment ces points se répartissaient entre les différentes qualités, notamment l'esprit d'initiative, la motivation et la faculté d'adaptation.

[8]                Le demandeur invoque la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL), où le juge O'Keefe a fait, au paragraphe 16, le commentaire suivant au sujet de l'obligation de motiver l'appréciation de la personnalité :

À mon avis, comme il ressort de l'arrêt Baker [c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817], précité, les notes de l'agent des visas ou encore la lettre qu'il a envoyée à la demanderesse dans laquelle il traitait des diverses questions en cause auraient constitué les motifs de décision requis. [...] Comme je l'ai déjà dit, les notes et la lettre de l'agent des visas en l'espèce ne mentionnent pas ce dont il a tenu compte pour parvenir à un nombre total de cinq (5) points d'appréciation au titre de la personnalité. Si les notes ou la lettre envoyée à la demanderesse avaient mentionné les facteurs dont l'agent a tenu compte pour en arriver à ce total de cinq (5) points, notre Cour n'aurait pu mettre en doute l'opinion de ce dernier, à moins que ses motifs fussent déraisonnables. À moins que l'opinion de l'agent des visas ne soit déraisonnable, rien ne permet à la Cour de substituer son opinion à celle de l'agent des visas.

(Non souligné dans l'original.)


[9]                En l'espèce, les facteurs que l'agente a pris en compte lorsqu'elle a évalué la personnalité du demandeur sont indiqués dans les notes qu'elle a versées dans le STIDI. Bien qu'il n'y ait pas, dans ces notes, de rubrique particulière traitant de la personnalité, il ressort clairement de celles-ci que l'agente a pris en compte les facteurs suivants pour apprécier la personnalité du demandeur : les efforts faits par celui-ci pour communiquer avec des agences canadiennes de recrutement de travailleurs du domaine de la santé; l'emploi de son épouse; les demandes de renseignements présentées par le fils aîné à l'université de Windsor; les fonds à la disposition du demandeur; le fait qu'il serait pratiquement impossible pour lui d'exercer la médecine au Canada; la possibilité qu'il ait de la difficulté à trouver un emploi qui lui convienne au Canada à cause de son âge; l'utilité de l'expérience qu'il a acquise dans le domaine de la santé au Bengale-Occidental compte tenu des besoins en matière de soins de santé de l'Alberta.

[10]            Les notes de l'agente décrivent clairement les facteurs qu'elle a pris en compte pour attribuer cinq points d'appréciation au demandeur pour la personnalité. Sa décision ne peut donc pas être annulée pour ce motif.

2.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en prenant en compte des facteurs qui n'étaient pas pertinents dans le cadre de cette appréciation?


[11]            Tel que mentionné précédemment, l'agente a alloué cinq points au demandeur pour la personnalité, dix étant le maximum de points pouvant être accordés pour ce facteur. Le demandeur prétend que l'agente a commis une erreur en considérant qu'à cause de son âge il aurait de la difficulté à se trouver du travail dans son domaine au Canada. Selon les notes qu'elle a versées dans le STIDI, l'agente a considéré que le demandeur [traduction] « aurait probablement de la difficulté à trouver un emploi qui lui convienne dans son domaine d'expertise » à cause de son âge. En outre, l'âge du demandeur était seulement l'un des facteurs que l'agente a pris en compte dans son appréciation de la personnalité.

[12]            Un agent des visas saisi d'une demande d'admission au Canada à titre d'immigrant doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi pour statuer sur la demande en tenant compte des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. Lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale, et si on ne s'est pas fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la loi, la Cour ne devrait pas intervenir (To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696, au paragr. 3 (C.A.) (QL), appliquant à un agent des visas les commentaires formulés par le juge McIntyre dans Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et al., [1982] 2 R.C.S. 2, aux p. 7 et 8).


[13]            Le nombre de points d'appréciation accordés pour la personnalité relève du pouvoir discrétionnaire de l'agente (annexe I du Règlement, colonne I, facteur 9). Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL), le juge Dubé a statué, au paragraphe 6, que les facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement peuvent être pris en considération dans l'appréciation de la personnalité, mais seulement dans la mesure où ils « permettent de déterminer des qualités du demandeur et notamment sa faculté d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative et son ingéniosité » . Ce passage a été cité avec approbation par le juge Dawson dans Anwer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1172, au paragr. 10 (1re inst.) (QL). L'âge du demandeur est l'un des facteurs mentionnés à l'annexe I. Le demandeur avait 48 ans au moment de l'entrevue. À mon avis, l'agente pouvait tenir compte de l'incidence de l'âge du demandeur dans le cadre de son appréciation de la capacité de ce dernier de s'établir au Canada sur le plan économique. Même s'il ne l'empêcherait certainement pas de trouver du travail dans son domaine au Canada, son âge pourrait faire en sorte qu'il soit plus difficile de se trouver un emploi. L'âge du demandeur était donc un facteur pertinent quant à sa capacité de s'établir au Canada sur le plan économique, et l'agente n'a pas commis d'erreur en en tenant compte lorsqu'elle a évalué sa personnalité.

3.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en n'évaluant pas le demandeur pour la profession de travailleur des services communautaires et sociaux (CNP 4212)?

[14]            L'agente a évalué le demandeur pour les trois professions suivantes : travailleur social en service collectif (CCDP 2331-114), agent d'administration (CCDP 1179-882; CNP 1221) et médecin hygiéniste (CCDP 1119-186). Le demandeur soutient que l'agente a commis une erreur en ne l'évaluant pas au regard de la profession de travailleur des services communautaires et sociaux (CNP 4212), qui a remplacé la profession de travailleur social en service collectif dont il était question dans la CCDP.


[15]            Le juge Dawson a récemment indiqué ce qui suit au sujet de la norme de contrôle applicable à l'évaluation de l'expérience, dans la décision Dizon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 115, [2002] A.C.F. no 135, au paragr. 12 (1re inst.) (QL) :

La question de savoir si une partie demanderesse a accompli les fonctions de l'occupation visée est une question de fait pure et simple. Selon l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, les conclusions de fait sont susceptibles de révision lorsqu'elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou encore sans égard aux éléments dont l'agente des visas était saisie.

[16]            Il ressort des notes qu'elle a versées dans le STIDI que l'agente a interrogé le demandeur sur son expérience de travail et qu'elle a constaté son manque d'expérience et de formation en tant que travailleur social en service collectif pendant l'entrevue. Selon ces notes, le demandeur a reconnu qu'il ne possédait pas les compétences requises pour cette profession et qu'il devrait suivre des cours en vue d'obtenir un diplôme en travail social s'il voulait l'exercer au Canada. Les documents contenus dans le dossier certifié du tribunal indiquent que, même si le demandeur a fait des études très impressionnantes et a acquis une vaste expérience de travail, ses études et son expérience n'ont aucun lien avec la profession de travailleur social en service collectif. À mon avis, la conclusion de l'agente concernant le manque d'expérience du demandeur en tant que travailleur social en service collectif n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'agente disposait.


[17]            En outre, le demandeur ne m'a pas convaincu que le résultat aurait été différent si l'agente avait utilisé la description de la CNP. Selon la CNP 4212, un travailleur des services communautaires et sociaux « gère et met en place différents programmes d'assistance sociale et de services communautaires, et aide les clients à régler leurs problèmes personnels et sociaux » , et un diplôme de travail social, de counseling ou de toute autre discipline des sciences sociales « [est] habituellement exigé » pour occuper un emploi de travailleur des services communautaires et sociaux. Or, le demandeur ne possède de diplôme dans aucune de ces disciplines. La description de la CNP indique également que, dans certains cas, une expérience du milieu des services sociaux peut « suppléer » aux exigences scolaires.

[18]            Pour que l'expérience de travail du demandeur puisse suppléer aux exigences scolaires, « il doit y avoir une quelconque raison convaincante qui permette de penser que le demandeur sera capable de se trouver un emploi dans le domaine qu'il entend intégrer, malgré le fait qu'il ne possède pas les compétences « habituelles » en matière d'éducation » (Hara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1395, au paragr. 6 (1re inst.) (QL)). Ces commentaires du juge Reed ont été adoptés par le juge Sharlow dans Karathanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1528 (1re inst.) (QL), où elle a ajouté, au paragraphe 25, que l'agent des visas « aurait dû tenir compte [des] études [du demandeur], de sa formation et de son expérience en entier afin de déterminer si cela correspondait approximativement à l'équivalent d'une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire » .


[19]            Il ne fait aucun doute en l'espèce que la plus grande partie des fonctions exercées par le demandeur en tant que médecin hygiéniste et d'administrateur de la santé sont de nature administrative ou de gestion et ne correspondent pas, de façon générale, aux fonctions d'un travailleur des services communautaires et sociaux qui sont décrites dans la CNP. J'estime que l'agente n'a pas commis d'erreur en omettant d'apprécier le demandeur pour cette profession et que, même si elle avait eu l'obligation de le faire, son omission n'aurait pas eu de conséquences. Compte tenu de la preuve au dossier, le demandeur n'aurait quand même reçu aucun point d'appréciation pour l'expérience et, en conséquence, n'aurait pas pu obtenir un visa d'immigrant.

Conclusion

[20]            Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Je ne vois aucune raison spéciale d'accorder les dépens à l'une ou l'autre des parties. Dans son exposé des arguments, le demandeur a prétendu que l'avocat du défendeur n'avait pas fait preuve de diligence pour fixer les dates du contre-interrogatoire de l'agente, de sorte que les dépens devraient être accordés au demandeur peu importe l'issue de la présente demande. Cette question n'a pas été débattue à l'audience. Quoi qu'il en soit, bien qu'il y ait eu un certain retard quant à la fixation d'une date aux fins du contre-interrogatoire de l'agente, ce retard était dû principalement au fait que celle-ci était en congé de deuil après le décès de son mari. Aucune question d'importance générale n'a été proposée par les avocats à des fins de certification.


                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle l'agente a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, en date du 13 janvier 2000, est rejetée sans dépens.

                                                                                 « Luc Martineau »              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-980-00

INTITULÉ :                                           SHYAMA PRASAD BANDYOPADHYAY

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le lundi 13 janvier 2003   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                          Le 17 janvier 2003    

COMPARUTIONS :             

M. Max Chaudhary                                                                   POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

M. Max Chaudhary                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocat

18, promenade Wynford

Bureau 707

North York (Ontario) M3C 3S2

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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