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                                                                                                                                 Date : 20000525

                                                                                                                   Dossier : IMM-1159-99

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                              FREDA NEWTON

VANESSA NARTEY

demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         À une époque où punir les fils pour les péchés de leurs pères n'a plus la cote, il se peut qu'une fille doive subir les conséquences des manquements de la mère en matière de preuve.    Il s'agit d'une affaire où la demanderesse, Freda Newton, a fui le Ghana avec sa fille après qu'une bagarre eût éclaté lorsque la famille de son amant a posé comme condition préalable à leur mariage que leur fille âgée d'un an devrait subir la mutilation des organes génitaux. Au cours de la bagarre, elle a frappé la soeur de son amant sur la tête avec un gourdin, ce qui lui a valu d'être incarcérée. Elle a réussi à s'enfuir avec sa fille, mais elle croit que les membres de la famille de son ancien amant, qui ont de l'argent et des relations avec le régime actuel, sont encore à leur recherche. Elle craint que si elle retourne au Ghana, ils vont s'emparer de sa fille et lui imposer leur coutume barbare.

[2]         Son problème, ou plus précisément le problème de sa fille, c'est qu'on ne l'a pas trouvée digne de foi. La Section du statut de réfugié (SSR) a repéré trois endroits où il y a des contradictions ou des invraisemblances dans son témoignage, ce qui les a fait conclure qu'elle manquait de crédibilité et rejeter sa demande.


[3]         Les faits se résument de la façon suivante. La demanderesse habitait dans un village de l'Est du Ghana. Elle a fait la connaissance de Jonathan Nartey, un musulman du Nord du Ghana, lorsqu'il est venu dans le village de la jeune femme pour gérer une succursale de l'entreprise de son père. Ils sont devenus amants et elle lui a donné une fille, la demanderesse Vanessa Nartey. On a parlé mariage et le 7 janvier 1996, lorsque Vanessa avait environ un an, une rencontre a été organisée entre les familles respectives de M. Nartey et de Mme Newton afin de discuter de leur mariage. Étant donné l'absence du père de Mme Newton, c'est l'oncle de celle-ci qui s'est fait le porte-parole de la famille. Les discussions se déroulaient assez bien jusqu'à ce que le père de M. Nartey déclare que Vanessa devrait subir la mutilation des organes génitaux avant que le mariage soit célébré. Mme Newton et son oncle se sont immédiatement opposés à cette idée avec véhémence. Une bagarre a éclaté de laquelle la soeur de M. Nartey est sortie un peu amochée après avoir tâté du gourdin que maniait Mme Newton.

[4]         Les policiers se sont rendus sur les lieux et ont emmené Mme Newton au poste de police local où ils l'ont gardée en détention pendant environ deux semaines au cours desquelles elle a été battue et brûlée avec des cigarettes. Au bout d'environ deux semaines, elle s'est retrouvée à l'hôpital dans des circonstances qu'elle décrit de la façon suivante :

[TRADUCTION] [...] Un soir, il y avait un policier dans ma cellule. Et ce policier m'a dit que si je le laissais avoir des rapports sexuels avec moi, il me permettrait d'aller voir ma fille, mais j'ai refusé. Je lui ai dit non, que je ne ferais pas ça. Alors, il a continué de me frapper et de m'acculer dans un coin.

Alors, le 24, quand je suis revenue à moi, je me suis rendu compte que j'avais été admise à l'hôpital d' Ojobee. Alors, lorsque j'ai été remise, je leur ai demandé comment il se faisait que je me trouvais là. Qu'est-ce que je faisais là. Alors, ils ont dit que lorsqu'ils étaient venus me voir en prison, ils m'avaient trouvée effondrée, et qu'on m'avait alors amenée à l'hôpital.

[5]         Avec l'aide d'une infirmière, Mme Newton a réussi à s'enfuir de l'hôpital et, le 1er mars 1996, elle a quitté le Ghana pour se rendre au Canada. Lorsqu'elle a été interrogée au point d'entrée, on lui a demandé si elle avait déjà été en prison. Elle a répondu que non. Elle a été admise au Canada où elle a demandé le statut de réfugié. Lorsqu'elle était à réunir la documentation nécessaire, elle a écrit à son oncle pour lui demander de lui fournir des certificats de naissance pour elle-même et pour sa fille. À l'audience, Mme Newton a déclaré dans son témoignage qu'elle avait déjà eu en sa possession une copie de son propre certificat de naissance lorsqu'elle était au Ghana, mais que son oncle avait réussi à récupérer celle-ci et à en faire émettre une autre grâce à une de ses relations qui était bureaucrate au Ghana. Le certificat de naissance de Mme Newton et celui de sa fille portent tous deux la date du 28 avril 1998 comme date d'enregistrement.


[6]         Mme Newton a eu une autre fille au Canada, Philmore Nartey, née le 11 novembre 1996. Selon le témoignage de Mme Newton, le père de l'enfant est également Jonathan Nartey, mais la dernière fois qu'elle l'aurait vu remonte à quelque temps avant la réunion de famille du 7 janvier 1996 qui lui a occasionné tous ces problèmes. Lorsque la SSR lui a fait remarquer que cela lui ferait une grossesse de quelque dix mois, Mme Newton a continué d'affirmer que M. Nartey était le père de ses deux enfants.

[7]         En lisant la transcription des propos tenus à l'audience devant la SSR, on se rend compte que celle-ci faisait des réserves sur plusieurs points du récit de Mme Newton. Toutefois, lorsque sa décision a été connue, la SSR y soulignait trois importantes invraisemblances sur lesquelles elle s'est fondée pour rejeter la crédibilité de Mme Newton.

[8]         Le premier motif a trait à l'affirmation selon laquelle M. Nartey était le père de son second enfant, même si la date de sa dernière relation avec lui (dont tout ce qu'on en sait c'est qu'elle n'a pas pu être ultérieure au 7 janvier 1996) signifie que la période de sa grossesse aurait été d'environ quarante-quatre semaines. Aucun élément de preuve d'ordre médical n'a été produit devant la SSR, qui s'en est remise aux connaissances ordinaires selon lesquelles la durée normale d'une grossesse est de neuf mois. La SSR a éprouvé des difficultés avec ces considérations et a apparemment conclu que si M. Nartey était le père, Mme Newton ne pouvait pas être en prison comme elle l'affirmait et que, par conséquent, son récit n'était pas digne de foi.


[9]         La SSR a alors contesté la question de savoir si Mme Newton pouvait véritablement avoir eu en sa possession son certificat de naissance avant de quitter le Ghana étant donné que la date d'enregistrement qui y figurait était de deux ans postérieure à son départ du Ghana. On peut arriver à lire la date de délivrance qui figure sur les certificats et il s'agit du 29 avril 1998, le jour suivant la date d'enregistrement. L'avocat a soutenu qu'une date d'enregistrement tardive est affaire courante dans de nombreux pays du tiers monde mais, respectueusement, là n'est pas la question. Selon son témoignage, Mme Newton détenait un certificat de naissance alors que, d'après les documents qu'elle a produits, sa naissance n'avait pas encore été enregistrée.

[10]       Finalement, la SSR s'est arrêtée à la contradiction qui existe entre ce qu'elle a déclaré à l'agent, au point d'entrée, sur le fait de ne pas avoir été emprisonnée et son témoignage (ainsi que le formulaire de renseignements personnels) selon lequel des policiers l'ont détenue pendant deux semaines. La SSR a conclu que cette contradiction sur un élément important de son récit attaquait sa crédibilité. L'avocat a soutenu qu'en anglais, il y avait une distinction bien établie entre aller en prison et être détenue dans une cellule au poste de police. Il est à souligner que le formulaire de renseignements personnels de Mme Newton a été traduit et que son témoignage devant la SSR a été donné au moyen d'un interprète. S'il est permis de penser à un problème de traduction, cela ne soutient pas l'idée que Mme Newton faisait preuve de précision dans son usage de la langue.


[11]       L'avocat soutient que la façon dont la SSR a traité ces trois cas est déraisonnable. Quant au premier cas, il a donné à entendre que la durée d'une grossesse normale dure souvent plus longtemps que les neuf mois qui lui sont habituellement alloués. Si telle était la réponse faite à la SSR, alors il aurait fallu en faire l'objet d'un témoignage d'ordre médical. L'avocat a suggéré que, malgré son témoignage concernant la paternité, il se peut que Mme Newton ait été battue jusqu'à ce qu'elle perde connaissance par son visiteur de la prison qui l'aurait ensuite violée et mise enceinte. Étant donné sa sortie de prison antérieure au 24 janvier 1996, cela peut ou non expliquer la question de la durée de sa grossesse, un sujet qui n'est pas étayé par un élément de preuve. En toute justice envers Mme Newton, on pourrait déduire de son témoignage devant la SSR qu'elle a été victime d'un viol alors qu'elle était en prison, ce qui dans plusieurs cultures peut être vu comme quelque chose de très honteux qu'il faut dissimuler en désignant un homme comme le père de tous ses enfants. Mais il est également possible de traiter cette question comme l'a fait la SSR, à savoir comme preuve que si elle avait eu une relation sexuelle avec M. Nartey après les événements qui sont censés s'être produits le 7 janvier 1996, ou bien ces événements ne se sont pas produits, ou bien les conséquences n'ont pas été telles qu'elle l'a prétendu. Une telle interprétation des éléments de preuve n'est pas déraisonnable.


[12]       Pour ce qui est des certificats de naissance, c'est une question qui ne met pas en cause les événements importants entourant sa revendication, mais il s'agit d'une simple question de crédibilité. L'avocat soulève la possibilité de plusieurs enregistrements de la même naissance, une pratique dont il a eu personnellement connaissance. Malheureusement, il n'y a pas d'élément de preuve devant la Cour sur cette question. De plus, il est du ressort de la SSR d'être au courant de l'existence de certaines pratiques locales, notamment celles entourant la délivrance de pièces d'identité. En l'absence d'éléments de preuve contraires, le seul document qui porte sur la question indique que la date de la naissance de Mme Newton n'a été enregistrée qu'après que celle-ci eût quitté le pays. Elle ne pouvait donc pas avoir le document en sa possession au moment où elle l'a prétendu. Il est du ressort de la SSR de déterminer le poids à accorder à cette incohérence.

[13]       Finalement, la question de savoir si Mme Newton a dit à l'agent, au point d'entrée, qu'elle n'avait pas été emprisonnée parce qu'elle a fait la distinction entre une prison et un poste de police en est une de vraisemblance. Étant donné qu'on a eu recours aux services d'un interprète en toutes circonstances donne à penser que le niveau de précision linguistique aurait été moins élevé plutôt que plus élevé mais, là encore, c'est une question du ressort de la SSR.

[14]       En définitive, la question en est une de norme de contrôle. La décision de la SSR était-elle déraisonnable eu égard aux éléments de preuve dont elle était saisie? J'en viens à la conclusion qu'elle n'était pas déraisonnable et qu'il n'y a donc pas lieu d'intervenir.

[15]       À l'audience, l'avocat a soulevé pour la première fois l'application des lignes directrices concernant la discrimination fondée sur le sexe, soutenant que la décision ne faisait pas référence ou ne prenait pas en considération les lignes directrices. L'avocat du défendeur a contesté l'argument que l'on tentait d'invoquer parce qu'on ne l'avait pas invoqué plus tôt et qu'on n'y faisait pas référence dans la documentation de la demanderesse. Je m'en remets au juge Hugessen dans Greens At Tam O'Shanter Inc. c. Canada [1999] A.C.F. no 260 lorsqu'il dit :


En premier lieu, la partie requérante devrait informer honnêtement la partie adverse du fondement légal et factuel de la requête qui est présentée. Pareils renseignements sont non seulement nécessaires selon la norme d'équité, mais permettent aussi en fait à la Cour de gagner du temps, en ce sens qu'il se pourrait bien que la requête soit acceptée par la partie qui y répond. Il pourrait également y avoir une économie importante d'argent. Les Règles prévoient également que les dépens sont imposés à la partie qui conteste une requête qu'elle n'aurait pas dû contester. À mon avis, l'autre objectif évident, en ce qui concerne les prétentions écrites, est d'informer la Cour et de l'aider à régler la requête. La défenderesse a noté ces points en présentant la requête ce matin et je crois qu'ils sont fondés.

[16]       En l'espèce, et la Cour et l'avocat du défendeur ont été surpris de voir invoquer les lignes directrices comme une question en litige alors que cette question n'avait pas été soulevée devant la SSR et qu'il n'était pas fait mention des lignes directrices dans les longs arguments écrits de la demanderesse. Si la revendication ne concernait que Mme Newton, je n'aurais pas d'hésitation à décider qu'aucun poids ne sera accordé aux arguments concernant les lignes directrices. Mais parce que Vanessa Nartey est elle-même revendicatrice du statut de réfugiée en ce qu'elle est personnellement une victime éventuelle de la persécution et non simplement partie de la demande en tant que personne à charge, je vais examiner si les lignes directrices changeraient la situation en ce qui la concerne.

[17]       Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution. Puisque Vanessa n'a pas témoigné, il n'y a pas lieu d'appliquer les lignes directrices à sa revendication.


[18]       La mère de Vanessa a témoigné. L'application des lignes directrices nous amènerait-elle à conclure différemment quant à sa crédibilité? La seule question sur laquelle les lignes directrices pourraient avoir une incidence est celle de l'identité du père de Vanessa. L'insistance avec laquelle Mme Newton a affirmé que M. Nartey est le père de Vanessa a soulevé une des questions de crédibilité sur lesquelles la SSR s'est fondée pour conclure comme elle l'a fait. Il se peut que Mme Newton ait décidé d'attribuer la paternité de Vanessa à M. Nartey parce que l'alternative qui s'offrait à elle était d'admettre qu'elle a été violée par un membre du personnel de la prison, ce qui pourrait avoir des effets dévastateurs dans la culture de Mme Newton. Si le tribunal avait été réceptif à cette possibilité, il en serait peut-être venu à une différente conclusion sur cette question. Par contre, le tribunal ne peut pas créer des éléments de preuve quant à la signification culturelle d'un viol. Il est maintenant connu que les victimes de viol trouvent cette expérience extrêmement dégradante et que, même dans la culture occidentale, plusieurs viols ne sont pas rapportés à cause du sentiment de honte qu'éprouve la victime. On doit présumer que le tribunal avait ces considérations à l'esprit lorsqu'il a évalué le témoignage de Mme Newton. Il n'est pas possible de traiter les lignes directrices comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus.

[19]       Le fait de se fonder sur les lignes directrices pour dire que Mme Newton ne devrait pas être crue quant à un élément matériel de son récit donne à la présente affaire une autre tournure particulière. Ce serait demander à la SSR d'ignorer le témoignage de Mme Newton sur la paternité de son enfant pour privilégier plutôt une théorie que celle-ci n'a pas invoquée. On ne peut accroître la crédibilité d'une revendicatrice en disant qu'il ne faut pas la croire.


[20]       Tout compte fait, l'application des lignes directrices ne permettrait pas raisonnablement de conclure qu'on en serait venu à un autre résultat.

[21]       L'avocat a également soulevé des arguments tirés de la Charte et de divers accords internationaux. L'application de ces accords aux faits qui nous occupent dépend de la conclusion selon laquelle la version des faits de Mme Newton est vraie. La SSR a conclu qu'elle ne l'était pas. La Charte et les diverses conventions citées par l'avocat ne sont donc pas utiles non plus.

[22]       En conclusion, la décision de la SSR selon laquelle le compte rendu des faits que donne Mme Newton n'est pas digne de foi est une conclusion que la SSR pouvait raisonnablement tirer des éléments de preuve dont elle disposait. Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié en date du 19 février 1999, et dont les motifs sont datés du 3 février 1999, est rejetée.

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                        Avocats inscrits au dossier

DOSSIER DE LA COUR NO :                                              IMM-1159-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 FREDA NEWTON et autre

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 29 février 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                              Monsieur le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                                                           le 25 mai 2000

ONT COMPARU

M. Stewart Istvanffy                                                                  pour la demanderesse

Mme Josée Paquin                                                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Stewart Istvanffy                                                                  pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg                                                                pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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