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Date : 20030528

Dossier : IMM-2905-02

Référence : 2003 CFPI 674

Toronto (Ontario), le 28 mai 2003

En présence de Monsieur le juge Campbell

ENTRE :

JUAN MANUEL MUNIVE RODRIGUEZ

ROSA JULIA LOPEZ RIVERA

DANIEL MUNIVE LOPEZ

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) datée du 16 mai 2002, dans laquelle la SSR a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. Le demandeur principal (le demandeur) a allégué qu'il avait raison de craindre d'être persécuté en raison des opinions politiques qu'on lui attribue. Sa femme et sa fille, les demanderesses, ont allégué qu'elles craignaient d'être persécutées en raison de leur appartenance à un groupe social, en tant que membres de la famille du demandeur.

[3]                 Le demandeur a allégué que les militaires le prenaient pour un sympathisant des zapatistes et de leur organisation. Il possédait une imprimerie et il a reçu une commande d'un avocat, Me Flores, pour l'impression de 500 dépliants servant à la promotion du Movimento Juvenil Independiente, un groupe politique. Le demandeur s'est montré intéressé aux idées prônées par l'organisation et il a accepté que son atelier soit mentionné sur les prospectus concernant une réunion à venir.

[4]                 La revendication de protection présentée par le demandeur repose essentiellement sur les incidents qui ont suivi la livraison du dépliant à Me Flores. Les éléments de preuve de la persécution se trouvent dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur ainsi que dans celui de sa femme. Dans son FRP, le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

Le 16 mai 2000, j'ai reçu un téléphone de menaces à mon atelier d'un homme m'avertissant que j'aurais des problèmes en raison de la propagande politique que je publiais. Cela m'a évidemment effrayé et je n'ai plus parlé du mouvement à quiconque me questionnait à ce sujet. Je me suis rendu compte que j'avais commis une erreur en inscrivant mon adresse et numéro de téléphone sur les prospectus.


Plus tard, ce jour du 16 mai 2000, j'ai vu Me Flores. À ce moment-là, je l'ai informé des menaces dont j'avais été victime. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter et qu'il fallait s'attendre à cela. Me Flores a commandé 5000 prospectus de plus et il m'a versé 1 500 pesos. Cette fois, je n'ai pas mentionné mon adresse et mon numéro sur les prospectus. J'ai préparé la nouvelle commande de prospectus et Me Flores est venu les prendre le lendemain. Je n'ai jamais revu Me Flores.

Le 19 mai 2000, j'ai reçu d'autres menaces de mort par téléphone. Cette fois, les menaces visaient nommément ma femme et mon fils. J'ai dit à l'appelant que je n'avais rien à voir avec le mouvement et que j'avais seulement inclus mon adresse et mon numéro pour faire plaisir à Me Flores.

Le 6 juin 2000, vers 20 h 30, trois jeunes hommes, qui avaient nettement l'apparence d'officiers militaires, sont entrés dans mon atelier et ont commencé à me battre. Ils n'ont rien dit et sont partis quelques minutes plus tard. Après leur départ, j'ai téléphoné à mon frère David qui m'a emmené me faire soigner à la Seguro Social Clinica no 2 à Puebla. Je suis resté à l'hôpital jusqu'au 9 juin 2000.

Ma femme, mon fils et moi avons tout fait pour ne pas faire de vagues jusqu'à l'élection générale du 2 juillet 2000. À cette élection, le parti de l'opposition, le Partido Accion Nacional (PAN), a remporté la présidence sous la gouverne de M. Vicente Fox. Le PRI a toutefois conservé un pouvoir considérable au sein du congrès. Néanmoins, j'espérais que, par suite de la perte de l'élection présidentielle par le PRI, je n'aurais plus de problèmes, mais ce ne fut pas le cas.

Le 7 juillet 2000, je me trouvais à Mexico pour affaires et alors que je marchais dans la rue, j'ai entendu quelqu'un derrière moi appeler mon nom de famille. Comme je me suis retourné pour voir, j'ai aperçu une voiture de couleur sombre se déplaçant lentement avec un homme penché par la fenêtre du passager et pointant une arme vers moi. Je me suis mis à courir et j'ai entendu deux coups de feu. J'ai réussi à m'échapper en me cachant dans une église catholique où je suis resté pendant trente minutes. Je suis retourné à Cholula plus tard ce jour-là. Le lendemain, j'ai reçu un appel téléphonique à la maison d'un homme qui m'a averti que la prochaine fois, je ne m'en tirerais pas. Il a ajouté que ma femme et mon fils seraient également tués. (Dossier de demande du demandeur, page 31 et 32)

À la suite de ces événements, le demandeur a quitté le Mexique et est arrivé au Canada le 25 août 2000.

[5]                 Dans son FRP, la femme du demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]


En septembre 2001, j'ai fait une visite de quatre jours à ma soeur, Patricia Lopez, qui vit à Cholula dans la province de Puebla. Je suis ensuite retournée à Los Reyes. Le 11 septembre 2001, j'ai reçu un appel téléphonique d'un homme qui a prétendu être Arturo Flores. Il voulait parler à Juan. Je lui ai dit que je ne savais pas où se trouvait Juan et j'ai raccroché. Le 16 octobre 2001, l'homme a rappelé et je lui ai dit que Juan n'était même pas au Mexique. À ce moment-là, j'ai senti beaucoup de colère dans sa voix. Il m'a dit qu'il savait où je me trouvais et qu'il allait nous enlever, mon fils et moi, et nous tuer. Il a ajouté qu'il s'emparerait également de Juan et d'Arturo. Le fait qu'il menace d'avoir Arturo m'a donné à penser que ce n'était pas Arturo qui était à l'autre bout du fil. J'avais très peur. Je ne suis pas allée voir la police parce que je ne lui faisais pas confiance. De plus, elle n'a rien fait pour aider Juan lorsqu'il s'est adressé à elle pour obtenir son assistance. J'ai parlé de cette situation à mon frère, Alfredo. Il était lieutenant dans l'armée de l'air mexicaine. Il m'a dit qu'il tenterait de m'aider mais qu'il n'avait pas le pouvoir de faire quoi que ce soit.

Nous avons reçu un certain nombre d'appels téléphoniques de menaces qui qualifiaient Juan d'individu subversif. On m'a également accusée d'être une personne subversive. Je savais que nous ne pourrions pas demeurer au Mexique et nous avons commencé à élaborer des plans pour partir. Ma mère, Daniel et moi avons quitté le Mexique le 4 novembre 2001 et nous sommes venus au Canada. Ma mère est retournée au Mexique et a déménagé à Puebla. J'ai eu besoin de l'aide de ma mère pour voyager en raison de mon handicap visuel. (Dossier de demande du demandeur, pages 43 et 44)

[6]                 Il est important de noter que, dans sa décision, la SSR n'a pas tiré de conclusion défavorable relative à la crédibilité au sujet du demandeur ou de sa femme. De ce fait, on doit présumer que la SSR a accepté leurs éléments de preuve (Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); 31 N.R. 34 (C.A.F.)). Ne tenant aucun compte des éléments de preuve détaillés et convaincants présentés à la SSR par le demandeur et sa femme au sujet de leur crainte subjective et objective d'être persécutés, la décision de la SSR repose sur des éléments de preuve périmés. Par exemple, la SSR affirme ce qui suit :


Le tribunal ne croit pas qu'il soit vraisemblable pour un individu ayant le profil politique et professionnel du demandeur principal d'être recherché à l'heure actuelle par les autorités mexicaines. Le demandeur principal a indiqué dans son témoignage, parce que les autorités mexicaines croient qu'il est associé aux zapatistes, qu'il est toujours recherché par celles-ci. [...] Le demandeur principal est d'abord et avant tout un homme d'affaires. À titre de propriétaire d'une petite entreprise, un atelier d'imprimerie, qu'il a hérité de son père, il a accepté d'imprimer les dépliants. Ce faisant, il a conclu un marché afin d'offrir un service à son client, M. Flores, contre versement d'une somme d'argent. Accessoirement, pour rendre service à son client et pour exprimer son mécontentement face à la situation politique actuelle, il a offert à son client d'imprimer le nom et l'adresse de son entreprise sur les dépliants initiaux. D'ailleurs, le régime de corruption et d'impunité qui règne au sein de la police et de l'armée a entraîné de nombreuses violations des droits de la personne à l'endroit d'individus qui ont exprimé leurs vues antigouvernementales. D'autre part, le système judiciaire au Mexique connaît de sérieux problèmes qui minent son indépendance et sa capacité à protéger les victimes. Ces faits sont bien documentés. Toutefois, il semblerait que les autorités ciblent seulement les individus ayant un certain profil. Dans le document, Série « Questions et réponses » - Mexique : possibilités de refuge intérieur, il est indiqué que, selon Andrew Reding, « Les délateurs de quelque profession que ce soit ou les personnes qui découvrent la corruption de personnages puissants en se fondant sur la preuve documentaire, éprouveraient une crainte légitime au Mexique » (note : Direction des recherches, CISR, Ottawa, octobre 1997, p. 2.4.9.). Le risque d'être victime de violation des droits de la personne au Mexique serait essentiellement déterminé par :

« [...] la mesure dans laquelle les individus au sein des groupes politiques précaires, tels que les partis d'opposition [¼], exercent leurs droits constitutionnels à la dissension et plus particulièrement à la critique du gouvernement ou des représentants officiels, ou encore remettent sérieusement en question le statu quo politique. » (Note : Idem)

Le demandeur principal n'a pas de profil politique en tant que tel. Sa situation est très différente de celle du député dont il est fait mention dans son témoignage. En aucun temps, que ce soit avant ou après les opérations commerciales dont il est question dans la présente affaire, le demandeur principal n'a-t-il pris part aux activités d'un parti ou d'un mouvement politique quel qu'il soit. Il n'a jamais exprimé publiquement d'opinion favorable ou défavorable à l'endroit du gouvernement ou des zapatistes. Ses activités politiques se limitent à l'ajout de son adresse commerciale sur un dépliant politique et l'utilisation de son lieu d'affaires pour y tenir une réunion à une seule occasion. Ces actes ne peuvent, de l'avis du tribunal, être interprétés comme l'exercice d'un droit constitutionnel à la dissension ou à la critique du gouvernement. Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, le tribunal conclut que le demandeur n'est pas membre d'un groupe à risque de violations des droits de la personne aux mains des autorités mexicaines. (Décision de la SSR, p. 4 à 6.)

[7]                 Le document de 1997 mentionné par la SSR dans le passage reproduit ci-dessus est inclus dans le dossier du tribunal transmis pour la présente demande. On ne sait toujours pas comment le document s'est retrouvé dans le dossier. Si je comprends bien, ce document pourrait très vraisemblablement faire partie de la « trousse d'information standard » qui sert couramment de documentation de base pour une revendication de cette nature. Il est toutefois certain que ce n'est pas le demandeur qui l'a produit et qu'il n'a pas été mentionné au cours de l'audience devant la SSR.

[8]                 Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur que l'énoncé tiré du document de 1997 constitue un élément clé de la décision de la SSR et que, en tant que tel, il aurait dû être abordé directement par la SSR au cours de l'audience. Si cela avait été fait, l'avocat du demandeur aurait eu l'occasion de mettre en doute la pertinence du document. En effet, l'avocat du demandeur a produit devant la SSR une preuve documentaire beaucoup plus récente qui, à mon point de vue, établit de façon décisive que, pas plus tard qu'en 2000 et 2001, les partisans zapatistes étaient persécutés au Mexique en raison de leurs opinions politiques (voir le dossier du tribunal, aux pages 430 et 419, respectivement).

[9]                 Vu l'omission de la part de la SSR d'offrir à l'avocat du demandeur l'occasion de faire des observations au sujet du profil auquel les motifs accordent tant d'importance, je conclus qu'elle a commis une erreur quant à l'application régulière de la loi.

[10]            Il est évident qu'en prenant sa décision, la SSR a mis beaucoup d'effort à comparer la situation du demandeur avec un profil quelque peu périmé trouvé dans le document de 1997. À mon avis, la SSR aurait dû faire un effort encore plus grand pour examiner les éléments de preuve beaucoup plus pertinents et apparemment crédibles du demandeur et de sa femme concernant le risque de subir un préjudice s'ils devaient retourner au Mexique. Ainsi, selon moi, l'omission de la SSR de traiter de manière adéquate ces éléments de preuve, ajoutée au manquement à l'application régulière de la loi dont j'ai fait état ci-dessus, rend la décision de la SSR manifestement déraisonnable.


                                                        ORDONNANCE             

Par conséquent, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

« Douglas R. Campbell »          

                                                                                                                                       Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2905-02

INTITULÉ :                                         JUAN MANUEL MUNIVE RODRIGUEZ

ROSA JULIA LOPEZ RIVERA

DANIEL MUNIVE LOPEZ

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                              défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 28 MAI 2003

COMPARUTIONS :             J. Byron Thomas

Pour les demandeurs

Marina Stefanovic

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Byron Thomas

Etobicoke (Ontario)

Pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                                   Date : 20030528

                                   Dossier : IMM-2905-02

ENTRE :

JUAN MANUEL MUNIVE RODRIGUEZ

ROSA JULIA LOPEZ RIVERA

DANIEL MUNIVE LOPEZ

                                                    demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                    défendeur

                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                            

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