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Date : 20220118


Dossier : T‑894‑21

Référence : 2022 CF 60

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

JAY SEDORE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Jay Sedore demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel [la Section d’appel] de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission]. La Section d’appel a rejeté l’appel interjeté par M. Sedore à l’encontre de la décision de la Commission de rejeter sa demande de libération conditionnelle totale.

[2] En vertu de l’alinéa 102a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], la Commission peut accorder la libération conditionnelle si elle est convaincue qu’une récidive du délinquant ne présentera pas un risque inacceptable pour la société. La Section d’appel et la Commission ont toutes deux tiré des conclusions explicites, fondées sur les renseignements carcéraux et l’évaluation psychologique fournis, selon lesquelles M. Sedore n’a pas satisfait à cette condition préalable. Il n’a pas démontré que ces conclusions étaient déraisonnables.

[3] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Contexte

[4] M. Sedore est âgé de 67 ans. Il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré (condamné en 1991), tentative d’évasion d’une garde légale (condamné en 1995) et tentative de bris de prison avec une intention particulière (condamné en 2001).

[5] La peine d’emprisonnement à perpétuité de M. Sedore était assujettie à une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans. Il est devenu admissible à la libération conditionnelle totale le 10 novembre 2015. Sa première demande de semi‑liberté et de libération conditionnelle totale a été refusée en 2017. Ses demandes subséquentes de permissions de sortir avec escorte et sans escorte ont été retirées en 2019.

[6] Un examen en vue d’une libération conditionnelle était prévu en août 2020, mais a été ajourné pour des motifs d’ordre administratif jusqu’en novembre 2020 pour permettre la compilation de documents. À la demande de M. Sedore, l’audience a été reportée pour lui permettre d’obtenir un résumé des soins de santé.

[7] L’audience de M. Sedore devant la Commission a eu lieu le 29 janvier 2021. Il était représenté par un avocat. Au moment de l’examen en vue de sa libération conditionnelle, M. Sedore était incarcéré à l’Établissement de Warkworth près de Kingston, en Ontario. La cote de sécurité de monsieur était moyenne.

[8] La Commission a rejeté la demande de libération conditionnelle totale de M. Sedore en raison d’un certain nombre de considérations, lesquelles comprenaient les antécédents criminels, les relations sociales, les antécédents de mise en liberté dans la collectivité, le comportement en établissement, les évaluations psychologiques du risque et le plan de libération conditionnelle de M. Sedore, ainsi que des déclarations de la victime.

[9] La Section d’appel a confirmé le refus de la Commission d’accorder la libération conditionnelle totale à M. Sedore le 15 mars 2021.

III. Question en litige

[10] La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la Section d’appel était raisonnable.

IV. Analyse

[11] La décision de la Section d’appel est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au paragraphe 100 :

Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[12] Dans l’affaire May c Canada (Procureur général), 2020 CF 292 [May], le juge Henry Brown a fait observer que la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov exigeait que la Cour fasse preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions administratives concernant la libération conditionnelle. Il a conclu que cette approche « cadr[ait] avec les principes » de la proposition dans l’arrêt Vavilov voulant que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige que la Cour soit attentive à la manière dont le décideur administratif met à profit son expertise (May, aux para 22‑23, citant Vavilov, au para 93).

[13] Le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel confirmant une décision de la Commission exige que la Cour s’assure de la légalité des deux décisions (Timm c Canada (Procureur général), 2021 CF 775, au para 8, citant Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au para 10).

[14] M. Sedore a présenté de nombreux arguments devant la Section d’appel et la Commission. À l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, son avocat a limité ses observations aux conclusions de la Commission concernant un incident survenu en 2014, lorsque M. Sedore a été incarcéré dans un établissement à sécurité minimale.

[15] M. Sedore était détenu dans un environnement communautaire, semblable à un chalet, avec d’autres détenus. L’un de ces détenus, identifié seulement par le nom « Brian », l’a menacé physiquement et a essayé de se mettre derrière lui avec un cordon électrique. Selon M. Sedore, [traduction] « chaque fois que je suis allé à la porte, il m’a arrêté et m’a dit que je devais lui passer sur le corps pour sortir. Alors, j’en ai eu finalement assez et j’ai menacé de le tuer ». Il n’est pas contesté que M. Sedore a mis un couteau sur la gorge de Brian.

[16] La police a été appelée. L’incident a fait l’objet d’une enquête, mais M. Sedore n’a pas été accusé. M. Sedore a expliqué à la Commission qu’il agissait en légitime défense et qu’il n’avait pas d’autre choix que de réagir comme il l’a fait :

[traduction]

Ouais, c’est ce qui s’est passé pendant plus, environ 45 minutes. Ça a continué. Et finalement, j’en ai eu assez. J’ai dit qu’il n’y avait qu’une seule façon de m’occuper de lui. Je veux dire, c’était la seule façon de m’occuper de lui. Maintenant, si j’avais eu une fourchette, genre, je faisais la vaisselle. Et j’avais le couteau dans ma main quand il m’a menacé la dernière fois. Mais si j’avais eu une fourchette, j’aurais utilisé la fourchette, je veux dire, ce n’était pas que j’étais violent, ou que je voulais le tuer. Je ne voulais pas faire ça. Tout ce que je voulais faire, c’était lui faire tellement peur qu’il me laisserait tranquille, ce qu’il a fait.

[17] L’un des membres de la Commission a exprimé son désarroi à l’égard du fait que, lorsqu’il a été poussé émotionnellement, la [traduction] « réaction instantanée » de M. Sedore a été d’attraper un couteau et de le mettre sur le cou de Brian pour l’effrayer, au lieu de le pousser hors du chemin et d’obtenir de l’aide.

[18] La Commission a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

À votre audience, vous n’avez pas accepté la responsabilité de vos actes qui ont mené à votre comportement en établissement. Vous n’avez pas non plus reconnu le[s] mode[s] de pensée problématique[s] en ce qui concerne vos réactions violentes si elles sont provoquées par un tiers. Vous avez également indiqué à plusieurs reprises que, puisque vous n’avez pas été accusé de l’incident en 2014, votre réaction n’avait rien de mal. Vous avez admis qu’il aurait pu y avoir une autre façon de confronter une personne difficile ou d’obtenir l’aide du personnel. Malheureusement, cela indique que vous n’avez pas fait de progrès dans la gestion de vos émotions ou n’avez pas amélioré vos compétences en matière de résolution de problèmes au niveau attendu de quelqu’un qui a terminé le programme.

[19] M. Sedore conteste la définition du membre de la Commission selon laquelle le fait qu’il ait décidé de mettre un couteau sur la gorge d’un autre homme était une [traduction] « réaction instantanée ». Il a témoigné devant la Commission que l’incident s’est déroulé sur une période d’environ 45 minutes. Son avocat a décrit M. Sedore comme un détenu d’expérience et de longue date qui comprendrait quand sa vie était en danger. Malgré sa condamnation pour meurtre au premier degré violent, le séjour en établissement de M. Sedore a généralement été exempt de violence.

[20] Je ne suis pas convaincu que M. Sedore ait relevé des « lacunes graves » dans les décisions de la Section d’appel et de la Commission à un point tel qu’elles justifieraient l’intervention de la Cour. Même si l’altercation avec Brian s’est déroulée sur une période de 45 minutes, la Commission a raisonnablement conclu qu’à un bref moment au cours de cette période, M. Sedore a déterminé que sa meilleure façon d’agir était de mettre un couteau sur la gorge d’un autre homme.

[21] M. Sedore a admis qu’il y avait d’autres moyens de s’occuper de la personne qui lui posait problème. Il s’agissait notamment de quitter les lieux par une porte arrière. M. Sedore a déclaré qu’il n’était pas autorisé à utiliser la porte arrière et que son ouverture aurait déclenché une alarme. Le commissaire a fait remarquer que cela aurait été un excellent moyen d’éviter la situation dans laquelle s’est trouvé M. Sedore. Le défaut de M. Sedore d’envisager ou de poursuivre d’autres solutions appuie les conclusions de la Section d’appel et de la Commission concernant ses difficultés continues à gérer ses émotions ou à améliorer ses compétences en matière de résolution de problèmes.

[22] De plus, l’incident de 2014 n’était qu’un des motifs pour lesquels la Section d’appel et la Commission ont rejeté la demande de libération conditionnelle totale de M. Sedore. Les examens relatifs à la libération conditionnelle précédents de M. Sedore ont révélé des antécédents mitigés. Il y avait des facteurs qui favorisaient la libération conditionnelle de M. Sedore, y compris des lettres de soutien de membres de sa famille et d’amis, ainsi que des commentaires positifs et des notes découlant de nombreux programmes qu’il avait terminés pendant son incarcération. Toutefois, ces considérations étaient évaluées au regard d’un comportement en établissement plus problématique, comme les réactions de M. Sedore lorsqu’il a été provoqué et son exposition de façon inappropriée aux gardiens de prison. En 2019, une arme improvisée a été découverte dans sa cellule. M. Sedore a nié qu’il s’agissait de son arme, mais l’incident a donné lieu à une période d’isolement, à un transfèrement involontaire et une augmentation de sa cote de sécurité.

[23] Une évaluation psychologique de M. Sedore a révélé que son risque de récidive, tant générale que violente, était modéré, et que son potentiel de réinsertion sociale était faible. Son équipe de gestion de cas a recommandé un plan de libération progressif et structuré, mais M. Sedore a déclaré qu’il ne visait que la libération conditionnelle totale. Une lettre de la sœur de la victime du meurtre indiquait qu’elle craignait M. Sedore s’il devait être libéré.

[24] M. Sedore s’est dit préoccupé par sa vulnérabilité à la COVID‑19. Selon M. Sedore, il s’était auto‑examiné et s’était diagnostiqué une allergie au polyéthylèneglycol [PEG]. Il a donc choisi de ne pas se faire vacciner contre le coronavirus. La Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun renseignement médical à l’appui d’une conclusion d’allergie au PEG. M. Sedore a également exprimé sa crainte de subir un anévrisme, mais encore une fois, la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun renseignement médical à l’appui de cette allégation.

[25] En vertu de l’alinéa 102a) de la LSCMLC, la Commission peut accorder la libération conditionnelle si elle est convaincue qu’une récidive du délinquant ne présentera pas un risque inacceptable pour la société. La Section d’appel et la Commission ont toutes deux tiré des conclusions explicites, fondées sur les renseignements carcéraux et l’évaluation psychologique fournis, selon lesquelles M. Sedore n’a pas satisfait à cette condition préalable. Il n’a pas démontré que ces conclusions étaient déraisonnables.

[26] L’avocat de M. Sedore a confirmé lors de l’audience de la demande de contrôle judiciaire qu’il ne soulevait plus d’argument fondé sur les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi canadienne de 1982 sur le Canada (R.‑U.), c 11.

V. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le défendeur ne demande pas les dépens, et, par conséquent, aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑894‑21

 

INTITULÉ :

JAY SEDORE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE KINGSTON ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

John Dillon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sean Stynes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Dillon

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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