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Date : 20211223


Dossier : T‑1890‑21

Référence : 2021 CF 1465

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DOUGLAS RANDAL BOLDT

demandeur

et

LE COLLÈGE DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION ET EN CITOYENNETÉ

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Survol

[1] Douglas Boldt sollicite la suspension d’une décision du comité de discipline du Collège des consultants en immigration et en citoyenneté [le CCIC] (anciennement, le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada ou le CRCIC) jusqu’à ce que la Cour ait statué sur sa demande de contrôle judiciaire de cette décision. Dans sa décision – dont la référence est CCIC c Boldt, 2021 CCIC 33 –, le comité de discipline a infligé des sanctions à M. Boldt, notamment la suspension de son permis durant quatre mois pour des manquements au code d’éthique professionnelle du CRCIC visés par une décision antérieure (CRCIC c Boldt, 2021 CRCIC 5). Selon M. Boldt, les conclusions du CCIC sont erronées et le fait que la suspension soit exécutoire avant que ces conclusions puissent être contestées l’oblige en réalité à cesser définitivement d’exercer.

[2] Les arguments de M. Boldt quant à l’équité et au caractère déraisonnable de la décision du CCIC soulèvent au moins une question sérieuse à juger dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, au vu notamment de l’âge de M. Boldt, de la nature des services qu’il offre en qualité de consultant et des conséquences permanentes que les sanctions temporaires risquent d’entraîner, M. Boldt a établi qu’il subira un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée jusqu’à ce que la Cour statue sur le contrôle judiciaire. La prépondérance des inconvénients milite également en faveur de la suspension. Par conséquent, je conclus donc qu’il convient de suspendre l’exécution des sanctions infligées par le CCIC jusqu’à ce que la Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Boldt.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[3] Les parties conviennent qu’une suspension jusqu’à ce que la Cour se prononce sur la demande de contrôle judiciaire n’est accordée que dans le cas où le demandeur satisfait au critère en trois volets énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Par conséquent, la demande de suspension présentée par M. Boldt soulève les trois questions suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire soulève‑t‑elle une question sérieuse à juger?

  2. Monsieur Boldt subira‑t‑il un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée?

  3. La prépondérance des inconvénients favorise‑t‑elle l’octroi de l’injonction?

[4] Ces questions ne sont pas examinées de façon totalement isolée, car le fait de tirer une conclusion très ferme quant à l’une de ces trois questions peut permettre d’assouplir les exigences applicables aux deux autres (Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada c CICC The College of Immigration and Citizenship Consultants Corp., 2020 CF 1191 au para 9; Apotex Fermentation Inc v Novopharm Ltd, 1994 CanLII 16694 au para 14 (CA Man.)). Toutefois, comme l’a fait remarquer le juge Gascon dans la décision Okojie, si les questions ne constituent pas des compartiments étanches, [traduction] « cela ne signifie pas pour autant que le non‑respect de l’un des trois volets peut être compensé en imposant aux deux autres des exigences beaucoup plus strictes » (Okojie v Canada (Citizenship and Immigration), 2019 FC 880 au para 32). Pour évaluer les trois volets du critère, il s’agit en définitive de savoir si l’octroi de la suspension « serait juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire », et la réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte (Google Inc c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34 aux para 1, 25).

III. Analyse

A. La question sérieuse

(1) Le contexte de la plainte portée contre M. Boldt

[5] Monsieur Boldt exerce la profession de consultant en immigration sous l’enseigne de la société VisaMax Ltd. C’est par l’intermédiaire de VisaMax que M. Boldt a représenté RHJ et son mari, ZC, tous deux des ressortissants chinois. RHJ est la plaignante dans l’affaire dont était saisi le CCIC et qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire. RHJ et ZC sont devenus des clients de VisaMax en 2010, initialement dans le contexte du Programme des candidats des provinces (PCP) du Manitoba. Les premières tentatives faites dans le cadre de ce programme s’étant soldées par un échec, VisaMax a ensuite aidé RHJ à obtenir un permis d’études, dans l’espoir qu’elle devienne admissible à un permis de travail postdiplôme. VisaMax a ensuite aidé ZC à obtenir un permis de travail ouvert, grâce au visa d’étudiant de RHJ.

[6] VisaMax partage ses locaux avec une autre société, B Travel. Il y avait entre VisaMax et B Travel une relation d’affaires qui permettait à VisaMax d’engager B Travel pour l’aider à organiser les voyages de ses clients immigrants. Il existait aussi entre les deux une relation plus personnelle, puisque M. Boldt fréquentait BL, la propriétaire de B Travel.

[7] Monsieur Boldt allègue que durant la période où ZC cherchait à obtenir un emploi grâce à son permis de travail ouvert en 2012, celui‑ci a proposé à BL et à B Travel de créer une entreprise afin de le rendre admissible au programme des travailleurs qualifiés du PCP du Manitoba. L’entreprise a été créée, et ZC y a investi 60 000 $. ZC a brièvement touché un salaire versé par l’entreprise, mais il est parti peu après pour la Colombie‑Britannique. Monsieur Boldt affirme que ses connaissances au sujet de cette entreprise étaient limitées et qu’il n’a pas joué un rôle important dans sa constitution, mais le CCIC a conclu dans sa décision au fond que M. Boldt était « tout à fait au courant » des activités de l’entreprise et de l’investissement (CRCIC c Boldt, 2021 CRCIC 5 au para 28).

[8] Après la fin de son programme d’études, RHJ a effectué un stage chez B Travel. Elle a ensuite été embauchée par B Travel en tant qu’employée à temps plein munie d’un permis de travail postdiplôme et ensuite d’un permis de travail fermé conformément au PCP du Manitoba. Selon M. Boldt, RHJ et BL se sont entendues pour que le reste de l’investissement de 60 000 $ soit investi dans B Travel afin de permettre à l’entreprise d’embaucher RHJ. RHJ affirme avoir demandé à M. Boldt de déduire du reste des 60 000 $ investis les frais de service de ses démarches d’immigration. Une partie du travail effectué par RHJ l’était apparemment au profit de VisaMax. Monsieur Boldt fait valoir qu’il s’agissait d’un travail effectué pour B Travel, laquelle fournissait des services à VisaMax, bien que la preuve démontre que RHJ avait une adresse de courriel de VisaMax et qu’elle envoyait des messages avec un bloc‑signature la désignant comme coordonnatrice en matière d’immigration pour VisaMax.

[9] À un moment donné, le fait que ZC était recherché pour détournement de fonds en Chine a fait surface. ZC a demandé l’asile, mais il est retourné en Chine en 2016 et a été reconnu coupable de détournement de fonds, puis condamné à une peine de trois ans de prison et à une amende. Dans l’intervalle, ZC et RHJ ont obtenu leur divorce en 2013, mais ils ont continué de vivre dans la même maison à Winnipeg. Des allégations d’infidélité ont été reprochées à ZC mais, comme l’a souligné le CCIC, le couple était aussi « préoccup[é] par d’éventuelles poursuites criminelles contre Z.C. en Chine et par l’effet que cela pourrait avoir sur les procédures d’immigration ». La demande de résidence permanente de RHJ a finalement été refusée en 2017 et elle a été jugée interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration, étant donné que le divorce a été jugé être un divorce « de convenance » et qu’elle avait effectué pour VisaMax des travaux non autorisés qui étaient différents de ceux qu’elle avait été autorisée à effectuer pour B Travel.

[10] Peu après, RHJ a décidé qu’elle ne voulait plus des services de M. Boldt et elle a retenu ceux d’un nouvel avocat. Elle a demandé que son dossier lui soit remis et que l’investissement de 60 000 $ lui soit remboursé. Monsieur Boldt a dressé une facture de 43 325 $ pour ses services. Il a également informé RHJ qu’il lui remettrait son dossier lorsqu’elle signerait une renonciation le dégageant, ainsi que VisaMax, BL et B Travel, de toute réclamation éventuelle qu’elle pourrait avoir contre eux, y compris en rapport avec l’investissement commercial.

(2) La plainte et la procédure de plainte

[11] RHJ a déposé une plainte auprès du CRCIC – qui était l’organisme responsable des plaintes à l’époque – en septembre 2017. Elle a allégué que M. Boldt n’avait pas bien mené son dossier d’immigration, qu’il avait été en situation de conflit d’intérêts vu sa qualité d’employeur et de représentant, qu’il avait refusé de produire son dossier, qu’il lui avait facturé des honoraires excessifs et qu’il avait mal administré l’investissement de 60 000 $.

[12] Selon M. Boldt, ZC et RHJ ont en tout temps fait preuve de malhonnêteté, et ont en réalité dupé M. Boldt et BL par leurs arrangements et investissements. Il soutient également que les motifs de la plainte fournis au CCIC par RHJ étaient inappropriés. Dans sa réponse à la plainte, il a contesté une bonne partie des allégations formulées par RHJ. Il a également allégué que le gouvernement chinois cherchait à faire revenir ZC et RHJ en Chine et avait collaboré étroitement avec le gouvernement canadien dans cette affaire.

[13] Après enquête, la plainte a été renvoyée au comité de discipline du CRCIC en mai 2018, et l’avis de renvoi donné vers la fin du mois de juin 2018. Dans l’avis de renvoi, il est allégué que M. Boldt a commis un manquement professionnel pour les motifs suivants : il n’a pas fourni à RHJ et ZC une convention de mandat dans laquelle il aurait décrit le travail qui lui avait été confié; il a facturé des honoraires excessifs et déraisonnables; il n’a pas remis à RHJ son dossier complet lorsque celle‑ci lui a retiré son mandat; il a fait passer ses propres intérêts avant ceux de RHJ lorsqu’il lui a permis de travailler pour VisaMax; il a fait passer ses propres intérêts avant ceux de RHJ et de ZC lorsqu’il a facilité ou encouragé leur alliance commerciale et leur investissement de 60 000 $ auprès de B Travel; il a fait passer ses propres intérêts avant ceux de RHJ et de ZC s’agissant des 60 000 $ parce qu’il n’a pas [traduction] « donné instruction à sa petite amie de restituer les fonds ».

[14] Monsieur Boldt a jugé que la production des dossiers d’immigration de RHJ au Canada et au Manitoba était essentielle à sa défense relativement à la plainte. Le CRCIC n’a pas le pouvoir d’exiger la production de documents, mais lors d’une conférence préparatoire tenue en août 2018, l’avocate du CRCIC a consenti à ce que son client facilite la demande de production du dossier présentée par un tiers au Canada et au Manitoba. Après l’intervention de l’avocat de RHJ, lors de la conférence préparatoire tenue le 15 octobre 2018, un membre de la formation du comité de discipline du CRCIC a ordonné à l’avocate du CRCIC de faciliter une demande de production de documents par l’intermédiaire de l’avocat de RHJ, [traduction] « afin d’obtenir une copie complète des dossiers d’immigration de la plaignante auprès du gouvernement du Canada et de la province du Manitoba, pour la période allant de 2010 jusqu’à présent ».

[15] Des documents des dossiers d’immigration ont été fournis en mars 2019, mais les dossiers n’ont pas été fournis intégralement. Le problème a été soulevé lors d’une conférence préparatoire tenue en avril 2019; en mai 2019, M. Boldt a présenté une requête en vue d’obtenir le rejet de la plainte portée contre lui. Le 28 juin 2019, le CRCIC a de nouveau ordonné à son avocate de faciliter une demande visant à obtenir, par l’intermédiaire de l’avocat de RHJ, [traduction] « une copie complète des dossiers d’immigration de la plaignante auprès du gouvernement du Canada et de la province du Manitoba, pour la période allant de 2010 jusqu’au 15 octobre 2018 » [souligné dans l’original]. L’ordonnance enjoignait également à l’avocate du CRCIC de veiller à ce qu’une liste de documents précis soit jointe aux dossiers. Selon l’ordonnance, à moins que des renseignements ou des explications soient fournis pour justifier la non‑divulgation des documents, l’affaire passerait à l’étape de l’établissement du calendrier de divulgation [traduction] « dans le cas où le comité de discipline chargé de l’audition de la requête ne rejetterait pas l’affaire dans son ensemble ». Il était souligné dans l’ordonnance que le consentement en bonne et due forme et les documents devaient être reçus dès que possible, mais fixait la date limite au 13 décembre 2019, après quoi une conférence préparatoire serait tenue pour fixer les prochaines étapes.

(3) Les décisions interlocutoires

[16] Le 30 septembre 2019, le comité de discipline du CRCIC a instruit la requête par laquelle M. Boldt sollicitait le rejet de la plainte. Le 12 novembre 2019, le CRCIC a rejeté la requête au motif qu’elle était prématurée. Le CRCIC a tenu compte de la date limite du 13 décembre 2019 qui avait été fixée dans l’ordonnance du 28 juin 2019, ajoutant que « [le CRCIC] a[vait] donc l’occasion de fournir les dossiers complets des gouvernements fédéral et provincial ». Le CRCIC a observé que M. Boldt pouvait présenter une autre requête devant la formation du comité de discipline chargée de statuer sur la plainte au fond, si les renseignements manquants étaient essentiels pour lui permettre de présenter une défense pleine et entière.

[17] Monsieur Boldt a présenté en février 2020 une autre requête en vue de faire rejeter la plainte, dans laquelle il dénonçait de nouveau la non‑divulgation des documents, entre autres motifs. Le 20 mai 2020, le CRCIC a rejeté la requête cette fois également. Après avoir souligné qu’il n’avait pas le pouvoir d’exiger la production des documents, le comité de discipline a estimé que le CRCIC n’avait pas contrevenu aux ordonnances antérieures étant donné qu’il s’y était conformé au moyen des mesures qu’il avait prises pour faciliter la production des documents, même si ces mesures n’ont pas entraîné la production. Le CRCIC a également fait remarquer que la plaignante n’était pas partie à l’instance, mais plutôt un témoin, et que le CRCIC pouvait uniquement faciliter les demandes de production de documents, et non contraindre RHJ à divulguer les documents si elle refusait de le faire. Le CRCIC a également conclu que M. Boldt n’avait pas établi la pertinence de ces documents pour sa défense, ni le préjudice qu’il subirait s’il n’y avait pas accès. Citant l’arrêt R c La, [1997] 2 RCS 680, de la Cour suprême, le CRCIC a souligné que le meilleur moyen pour évaluer l’incidence des documents manquants est d’entendre toute la preuve, et que « [d]’ici là, ce motif pour la requête est insuffisant » [sic].

(4) La décision sur le fond et la décision sur les sanctions

[18] Une formation du comité de discipline du CRCIC a examiné la plainte au fond au début du mois de novembre 2020. Monsieur Boldt, qui avait auparavant été représenté par une avocate, a agi pour son propre compte. À l’audience, il a présenté une requête préliminaire pour tenter d’obtenir les échanges entre l’avocate du CRCIC et l’avocat de RHJ, particulièrement en ce qui concerne la production des dossiers d’immigration demandés. Après avoir conclu que ces échanges étaient protégés par le privilège relatif au litige et non pertinents, le CRCIC a rejeté la requête. Monsieur Boldt n’a pas présenté de nouvelle requête en vue d’obtenir le rejet de la plainte pour défaut de production.

[19] Le 1er mars 2021, le comité de discipline du CRCIC a rendu sa décision au fond. Il a conclu que M. Boldt n’avait pas facturé d’honoraires excessifs et déraisonnables, ni fait passer ses propres intérêts avant ceux de RHJ parce qu’elle avait aidé VisaMax tout en travaillant pour B Travel. Toutefois, le comité de discipline a constaté que M. Boldt : n’avait pas fourni de conventions de mandat à ses clients; n’avait pas remis à RHJ son dossier; et avait fait passer ses propres intérêts avant ceux de RHJ et de ZC en ce qui concerne l’investissement de 60 000 $. Voici la conclusion du comité de discipline sur ce dernier point :

L[a formation] estime que, selon la prépondérance des probabilités, le membre était au courant de l’investissement de 60 000 $ et du fait que la création de l’entreprise était en partie motivée par des considérations liées à l’immigration. La petite amie du membre a bénéficié de cet arrangement, tout comme le membre, en fournissant des conseils en matière d’immigration à un client. Le membre n’a pas fait passer les intérêts de ses clients avant les siens et ceux d’une personne avec laquelle il avait une relation personnelle. Il n’a pas fourni des services d’immigration de manière honorable ou intègre et, ce faisant, il a porté atteinte à l’intégrité de la pratique de l’immigration.

[20] Les parties ont présenté des observations sur la question des sanctions en mars et mai 2021. La même formation – désormais en sa qualité de comité de discipline du CCIC, vu l’entrée en vigueur de la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté, LC 2019, c 29, art 292 [la Loi sur le CCIC] – a rendu sa décision sur les sanctions le 3 décembre 2021. Il importe de souligner pour les besoins de l’espèce que la formation a ordonné la suspension du permis de M. Boldt pour une période de quatre mois à compter du 4 janvier 2022, et a ordonné à M. Boldt de transmettre au plus tard le 17 décembre 2021 une déclaration assermentée confirmant avoir informé tous ses clients actuels, par écrit, de la suspension.

[21] J’ai instruit la requête en suspension de M. Boldt le 16 décembre 2021, soit la veille de la date limite fixée pour informer ses clients. À l’audience, le CCIC a consenti à suspendre provisoirement l’obligation de M. Boldt de se conformer à cette exigence jusqu’à la présente décision. J’ai rendu une ordonnance à cet égard le 16 décembre 2021.

(5) La demande de contrôle judiciaire sous‑jacente

[22] Le 10 décembre 2021, M. Boldt a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, par laquelle il sollicite l’annulation de la décision sur les sanctions rendue le 3 décembre 2021, de la décision sur le fond rendue le 3 mars 2021, et de la décision du 20 mai 2020 rejetant sa requête en vue d’obtenir le rejet de la plainte. Conformément à l’article 71 de la Loi sur le CCIC, le CCIC agit à titre d’intimé. Contrairement à ce qui prévalait avant l’adoption de la Loi sur le CCIC, la demande de contrôle judiciaire n’est pas considérée comme relevant de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ou de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29, et n’est donc pas assujettie à l’obligation d’obtenir l’autorisation de la présenter.

[23] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Boldt affirme que le CRCIC a commis les erreurs suivantes : il a conclu à tort que les ordonnances interlocutoires de production de documents avaient été respectées et, en tout état de cause, il a donné suite à la plainte en l’absence d’une divulgation complète de la part de RHJ; il a rejeté sa demande de divulgation de la correspondance entre l’avocate du CRCIC et l’avocat de RHJ; il a tiré des conclusions déraisonnables quant à la preuve durant l’instruction au fond; et il a tiré des conclusions déraisonnables et injustifiées dans sa décision sur le fond et dans sa décision sur les sanctions. Il allègue également que le temps qui s’est écoulé depuis la plainte initiale, déposée en septembre 2017, jusqu’à la décision sur les sanctions, rendue en décembre 2021, est excessif et qu’il constitue un manquement à l’équité procédurale.

[24] Je tiens à faire remarquer que le CCIC ne s’oppose pas, à juste titre à mon avis, à la demande de contrôle judiciaire par laquelle M. Boldt conteste les diverses décisions du CRCIC et du CCIC qui ont mené à sa décision finale sur les sanctions. La Cour d’appel a fréquemment confirmé qu’il n’y a pas lieu de solliciter le contrôle judiciaire avant la fin du processus administratif, et que les questions interlocutoires qui demeurent pertinentes peuvent être contestées à ce moment‑là (Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 au para 34‑37, 50; Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30‑32, 47‑51). Même si l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dispose que, sauf ordonnance contraire, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur « une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée », il semble inefficace dans de telles circonstances d’exiger du demandeur qu’il dépose des demandes de contrôle judiciaire distinctes à l’égard de chacune des ordonnances ponctuelles qui peuvent permettre d’aboutir à l’ordonnance finale du processus administratif.

(6) Monsieur Boldt a soulevé une question sérieuse à juger lors du contrôle judiciaire

[25] Aux fins de l’application du critère pour l’obtention d’une suspension, est « sérieuse » la question qui montre que la demande n’est « ni futile ni vexatoire ». Cette évaluation repose sur un « examen préliminaire » du fond, mais « [i]l n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, aux p 337‑338; Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M‑I L.L.C., 2020 CAF 3 au para 8).

[26] Monsieur Boldt invoque trois principaux arguments : a) la production documentaire incomplète – notamment en raison de la conclusion selon laquelle le CRCIC n’a pas fait défaut de se conformer aux ordonnances de production, de la décision d’examiner l’affaire au fond alors que les dossiers d’immigration de RHJ n’avaient pas été divulgués intégralement et d’autoriser son témoignage, du refus d’ordonner la divulgation des communications entre les avocats, et des ordonnances de la formation qui ont empêché M. Boldt de contre‑interroger RHJ sur cette question; b) la lenteur du processus; c) le manque de logique du raisonnement dans les motifs de la décision au fond en ce qui concerne l’investissement de 60 000 $.

[27] S’agissant de la production des documents, M. Boldt fait valoir que le CRCIC a lui‑même reconnu la pertinence des documents demandés, car il a ordonné à deux occasions distinctes que leur production soit facilitée. Il souligne l’admission faite par l’avocate du CRCIC à l’audience quant au fond, car elle avait consenti à la demande de facilitation qu’elle jugeait [traduction] « logique » à l’époque, et fait remarquer que le formulaire de plainte actuel du CCIC contient désormais une partie intitulée « Confirmation et consentement » qui comprend un paragraphe obligeant le plaignant à consentir à ce que les autorités d’immigration fédérales et provinciales divulguent les renseignements qui le concerne. Il renvoie à divers aspects de la transcription non officielle de l’audience tenue par vidéoconférence devant la formation (apparemment produite automatiquement par Zoom), durant laquelle on l’a empêché d’interroger RHJ sur la production du dossier complet. En ce qui concerne les communications entre les avocats, il soutient que l’affirmation de l’avocat de RHJ dans la correspondance portant que certaines parties du dossier de RHJ sont protégées en raison de leur non‑pertinence, est insoutenable. Il conteste également l’existence du privilège relatif au litige invoqué.

[28] Sur la question de la lenteur du processus, M. Boldt renvoie à des affaires disciplinaires dans lesquelles les tribunaux ont tenu compte de la lenteur du processus, notamment dans les arrêts Wachtler v College of Physicians and Surgeons of the Province of Alberta, 2009 ABCA 130 aux para 46, 48‑49, et Abrametz v Law Society of Saskatchewan, 2020 SKCA 81 aux para 213‑216. Il rappelle la durée totale de la procédure d’enquête et de la procédure disciplinaire, soit plus de quatre ans, dont les sept mois qui se sont écoulés entre le dépôt des observations et la décision sur les sanctions. Il affirme qu’en l’espèce on ne peut lui reprocher le fait que le problème lié à la production des documents a exigé du temps.

[29] S’agissant du manque de logique du raisonnement dans les motifs, M. Boldt souligne que même si le CRCIC a estimé que la société dans laquelle ZC a investi avait été créée en partie à des fins d’immigration, et que BL avait tiré avantage de l’entente tandis que lui‑même, M. Boldt, avait profité du fait d’avoir fourni des conseils en matière d’immigration à son client, rien dans les motifs de décision n’explique comment ces éléments sont logiquement liés à une irrégularité de la part de M. Boldt, ni comment ils démontrent que M. Boldt a fait passer ses propres intérêts avant ceux de ses clients. Il soutient que rien dans les motifs n’établit que RHJ avait le droit de demander le remboursement des fonds investis par ZC, ou de toute partie résiduelle éventuelle de ces fonds.

[30] Le CCIC soutient que la demande de contrôle judiciaire est sans fondement. Il fait valoir que M. Boldt n’a pas demandé à la formation du comité de discipline qui s’est prononcé au fond de rejeter la plainte pour cause de non‑divulgation de la part de la plaignante et que, en tout état de cause, il n’a pas établi en quoi le dossier complet d’immigration de RHJ ou les communications entre les avocats se rapportent à une question importante, ces éléments étant selon le CCIC protégés. Sur ce point, le CCIC invoque la décision Law Society of Upper Canada v Thangavel Muthali Kesavan, 2012 ONLSAP 20 au para 46, et Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 au para 45. Il fait également valoir que, indépendamment du dossier d’immigration de RHJ, la preuve sur laquelle le CCIC s’est appuyé pour tirer ses conclusions défavorables quant au défaut de fournir des conventions de mandat – lequel défaut a été admis –, quant au refus de remettre à RHJ son dossier en l’absence d’une renonciation et quant à l’investissement de 60 000 $ était accablante.

[31] S’agissant de la lenteur du processus, le CCIC fait valoir que comme M. Boldt n’avait pas soumis ce problème au CCIC, il ne peut être autorisé à alléguer devant notre Cour que le temps qui s’est écoulé avant d’obtenir une décision était excessif et que, de toute façon, les demandes de production de documents de M. Boldt et ses requêtes en vue de faire rejeter la plainte – lesquelles ont été rejetées – ont en grande partie ralenti le processus. Le CCIC soutient également que sa décision au sujet des 60 000 $ était suffisamment justifiée pour satisfaire aux exigences de la norme du caractère raisonnable.

[32] Gardant à l’esprit le principe selon lequel un examen prolongé du fond de l’affaire n’est pas souhaitable au stade d’une demande de suspension et le fait que la Cour sera appelée à rendre une décision distincte au fond à un stade ultérieur, j’estime que le mieux est de dire simplement que, malgré les solides arguments de l’avocate du CCIC, je conclus, à la lumière des éléments de preuve et des observations qui m’ont été présentés, que M. Boldt a démontré que sa demande de contrôle judiciaire n’est ni futile ni vexatoire. Dans le contexte des allégations qui ont été formulées, des différends d’ordre factuel soulevés, des ordonnances préliminaires rendues, de l’examen de la transcription non officielle, et des conclusions et motifs du CRCIC/CCIC, je ne puis conclure que la demande de M. Boldt est futile, vexatoire ou qu’elle « n’a aucune chance de succès » (Coote c Lawpro Professional Indemnity Company, 2013 CAF 246 au para 7).

B. Le préjudice irréparable

[33] Les parties s’entendent généralement sur le droit applicable en matière de préjudice irréparable, mais elles invoquent différents aspects. Selon M. Boldt, ce n’est pas l’étendue du préjudice qui le rend « irréparable », mais l’impossibilité de le quantifier ou qu’il fasse l’objet d’une réparation du point de vue monétaire à l’étape du procès. Le CCIC ne conteste pas cet argument, mais il souligne que la preuve d’un préjudice irréparable doit être claire et ne pas reposer sur des conjectures, et ne peut se limiter à une perte financière ou à des inconvénients. Toutes ces observations sont bien étayées par la jurisprudence, y compris les affaires qui concernent le CRCIC (RJR‑MacDonald, à la p 341; Bansal c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2019 CF 1273 aux para 21‑22 [Bansal]; Qita c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2020 CF 695 au para 26 [Qita]; Ebid c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2021 CF 755 aux para 16‑17 [Ebid]).

[34] Le CCIC affirme que la partie qui sollicite la suspension est tenue d’établir l’existence d’un [traduction] « risque véritable de conséquences désastreuses », citant la décision Yazdanfar v College of Physicians and Surgeons of Ontario, 2012 ONSC 2422 au para 33 (C. div.) [Yazdanfar], rendue par un juge de la Cour divisionnaire de l’Ontario. Je ne suivrai pas cette décision pour deux raisons.

[35] Premièrement, les termes [traduction] « risque véritable » renvoient à une norme de preuve inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, à en juger par l’origine de l’expression tirée de la décision Matrix Photocatalytic Inc. v Purifics Environmental Technologies Inc., 1994 CanLII 7433 aux para 79‑81 (CS Ont.) [Matrix]. Cette norme ne concorde pas avec la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, par laquelle je suis lié et selon laquelle le préjudice irréparable doit être établi selon la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités (voir p. ex., Canada (Procureur général) c Robinson, 2021 CAF 39 au para 17; Jaballah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 179 au para 4; FH c McDougall, 2008 CSC 53 aux para 45‑49). La jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario semble être la même, malgré les décisions Matrix et Yazdanfar (Ontario Public Service Employees Union v Ontario (Attorney General), 2002 CanLII 44918 au para 23 (CA Ont.)). D’autres cours d’appel provinciales ont adopté la même approche (Fraser v Limbo Cove Resources Inc., 2021 NSCA 41 au para 19; Her Majesty the Queen in Right of Newfoundland and Labrador v OD Holdings Limited and City Sand and Gravel Limited, 2021 NLCA 52 au para 10; Irwin v Alberta Veterinary Medical Association, 2015 ABCA 176 au para 4). Je tiens à souligner que dans la décision Yazdanfar, le juge cite un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario à l’appui de cet énoncé, qui à mon avis serait l’arrêt Sazant v College of Physicians and Surgeons (Ontario), 2011 CarswellOnt 15914. Toutefois, après avoir lu cet arrêt et la décision Noble v Noble, [2002] OJ no 4997 (CSJ), les deux étant cités dans la décision Yazdanfar, je constate que les tribunaux n’emploient ni les termes [traduction] « risque véritable » ni les termes [traduction] « conséquences désastreuses ».

[36] Deuxièmement, dans la mesure où dans la décision Yazdanfar, les [traduction] « conséquences désastreuses » étaient censées déterminer l’étendue exigée du préjudice irréparable, cette exigence ne concorde pas avec le fait que la Cour suprême a reconnu, dans l’arrêt RJR‑MacDonald, que le caractère irréparable vise la nature du préjudice, et non son étendue. Je tiens à faire remarquer que la Cour divisionnaire elle‑même, siégeant en formation dans une affaire ultérieure, a remis en question l’emploi de ces termes (Azeff v Ontario Securities Commission, 2016 ONSC 1279 aux para 11‑12 (C div.); voir aussi Law Society of Ontario v Fuhgeh, 2021 ONLSTA 24 aux para 29‑30).

[37] Je suis donc d’avis qu’il incombe à M. Boldt d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi un préjudice irréparable, c’est‑à‑dire un préjudice qui ne peut être réparé au moyen de dommages‑intérêts versés par la partie adverse. J’estime que M. Boldt s’est acquitté de ce fardeau.

[38] L’élément central dans la preuve de M. Boldt est le fait qu’il est actuellement âgé de 67 ans. Il est le seul consultant en immigration agréé chez VisaMax et il compte environ 60 clients actifs en immigration, dont les dossiers sont pour beaucoup en voie d’achèvement. Il a aussi trois employés. Environ 90 % des clients de sa pratique lui sont recommandés par des clients précédents ou actuels. S’il est suspendu pendant quatre mois et qu’il est tenu de diriger ces clients vers un délégué, ceux‑ci ne reviendront pas et ne lui enverront pas d’autres clients, et ses employés devront se chercher un autre emploi. Il ne pourra pas simplement rouvrir son entreprise après la suspension, mais devra plutôt la reconstruire [traduction] « en repartant de zéro », ce qui est intenable à son âge. Le résultat, comme il le dit lui‑même, est une [traduction] « fermeture complète de l’entreprise ».

[39] Les parties ont renvoyé à un certain nombre d’affaires dans lesquelles des suspensions ont été demandées jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel ou le contrôle judiciaire d’une décision sur les sanctions disciplinaires professionnelles, notamment les affaires Bansal, Qita, et Ebid, qui concernent le CRCIC, ainsi que les affaires Yazdanfar, Metera v Financial Planning Group (#3), 2003 ABQB 884, Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106 [Newbould], et Visconti v College of Physicians and Surgeons of Alberta, 2009 ABQB 742.

[40] Le CCIC affirme que le préjudice financier auquel M. Boldt est exposé ne peut être qualifié d’irréparable, parce qu’une perte financière quelconque ne permet pas d’établir un préjudice irréparable; que M. Boldt n’a pas fourni de renseignements concernant son actif et son passif, comme un T4, pour permettre d’évaluer [traduction] « les répercussions financières globales » qu’il subira; et que la durée de la perte est limitée à quatre mois. J’estime que la preuve présentée par M. Boldt démontre, selon la prépondérance des probabilités, un préjudice financier causé par la fermeture permanente de son entreprise, préjudice qui ne peut être réparé par l’octroi de dommages‑intérêts. À cet égard, il m’est impossible de conclure, au vu de la situation de M. Boldt et compte tenu de son âge et de ses antécédents, qu’il serait en mesure de trouver un emploi ou d’autres sources de revenus comparables, comme il a été conclu dans les décisions Bansal (au para 24), Qita (au para 28) et Ebid (au para 23).

[41] Bien que ce point ne soit pas déterminant, je crois qu’il convient d’observer que dans sa jurisprudence antérieure, le CRCIC semble avoir conclu que toute perte de revenu peut être indemnisée par l’octroi de dommages‑intérêts lorsque la demande de contrôle judiciaire est accueillie (Bansal, au para 25, citant la décision Watto v Immigration Consultants of Canada Regulatory Council, 2018 ONSC 4825 au para 21; Qita, au para 27‑28; Ebid, au para 23). Toutefois, je doute qu’on puisse parvenir à cette conclusion aussi rapidement, du moins sous le régime de la nouvelle loi, soit la Loi sur le CCIC. Dans l’arrêt Ernst c Alberta Energy Regulator, 2017 CSC 1 [Ernst], la Cour suprême du Canada a confirmé l’existence d’immunités reconnues par la common law, lesquelles protègent les organismes administratifs contre les poursuites civiles, du moins dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles (Ernst, aux para 50‑57, 171‑176; Ali v Attorney General, 2019 ONSC 807 aux para 33‑34). Le comité de discipline du CCIC instruit les plaintes portées contre les membres et statue sur elles, dans l’exercice de la compétence que lui confère la Loi sur le CCIC. Sans qu’il soit nécessaire de trancher la question, il n’est guère certain qu’un membre puisse obtenir réparation auprès du CCIC d’un préjudice financier découlant d’une décision sur les sanctions, si la Cour annule la décision au motif qu’elle est inéquitable ou déraisonnable. Le CCIC a fait valoir qu’aucune décision faisant droit à une indemnisation de la part du CCIC n’a été rendue. Il n’est donc pas surprenant que le CCIC n’ait pas admis qu’un membre qui obtient gain de cause à l’issue d’un contrôle judiciaire peut facilement obtenir des dommages‑intérêts soit du CCIC, soit d’un plaignant.

[42] Il ne s’ensuit pas pour autant que le préjudice financier découlant d’une suspension constitue nécessairement un préjudice irréparable : les décisions Bansal, Qita et Ebid l’indiquent clairement. Le préjudice irréparable est évalué en fonction des faits. Il convient simplement de souligner qu’il peut être erroné de compter sur la possibilité d’obtenir auprès du CCIC des dommages‑intérêts, du moins depuis la promulgation de la Loi sur le CCIC.

[43] Le CCIC s’appuie également sur la décision Ebid pour affirmer qu’une certaine atteinte à la réputation professionnelle est inhérente aux procédures relatives à une inconduite professionnelle (Ebid, au para 22, citant l’arrêt Newbould, au para 31). Cependant, M. Boldt ne dénonce pas l’atteinte à sa réputation causée par la procédure pour manquement professionnel, poursuite qui a déjà eu lieu, ni même l’atteinte causée par le fait d’être reconnu coupable de manquements à la déontologie, mais bien l’atteinte à sa réputation causée par la suspension de son permis et l’obligation d’en informer ses clients.

[44] À cet égard, je ne puis retenir l’argument du CCIC selon lequel ses décisions sont déjà publiées sur son site Web et sur le répertoire juridique en ligne CanLII. Le CCIC s’appuie sur la décision Ebid pour affirmer que la publication de la décision fait en sorte que la réputation professionnelle du demandeur est déjà entachée (Ebid, au para 21). Toutefois, dans la décision Ebid, le juge Pentney dit que le demandeur avait déjà informé ses clients actuels de la suspension (Ebid, au para 21). Monsieur Boldt n’a pas encore informé ses clients étant donné qu’il a présenté sa requête en suspension avant d’être tenu de le faire et que la Cour a autorisé que l’effet de cette disposition soit suspendu provisoirement, avec le consentement du CCIC. À mon avis, l’obligation imposée par ordonnance du CCIC à M. Boldt d’informer personnellement ses clients démontre qu’on ne peut tenir pour acquis que les clients consultent le site Web du CCIC, ou encore CanLII, pour vérifier le statut disciplinaire de leur consultant. Les craintes principales de M. Boldt sont les répercussions sur ses finances et sa réputation pouvant découler de son obligation d’informer ses clients de sa suspension, puis de l’application de la suspension et de la fermeture de son entreprise qui s’ensuivra. La publication en ligne des décisions du CCIC n’a donné lieu à rien de tout cela.

[45] Enfin, selon le CCIC, les activités de M. Boldt qui sont liées à l’immigration relèvent en fait d’une société, VisaMax. Le CCIC soutient que la société peut prendre des mesures d’atténuation pour éviter un préjudice irréparable. J’estime que le CCIC n’a pas raisonnablement expliqué quelles mesures VisaMax pourrait prendre pour éviter le préjudice décrit par M. Boldt, et je ne suis pas convaincu que le préjudice irréparable qui a été décrit serait sensiblement réduit du fait que M. Boldt exploite son entreprise en étant le seul consultant agréé en immigration.

[46] Vu mes conclusions quant au préjudice irréparable que subirait M. Boldt, je n’ai pas à examiner le différend entre les parties sur la possibilité d’invoquer un préjudice irréparable subi par les clients ou les employés d’un professionnel faisant l’objet d’une mesure disciplinaire pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable.

C. La prépondérance des inconvénients

[47] Comme le concède le CCIC, le résultat des deux autres volets du critère applicable à la suspension est souvent nécessaire pour apprécier la prépondérance des inconvénients. Néanmoins, la question de savoir si d’autres préjudices causés au CCIC, ses fonctions réglementaires ou l’intérêt public l’emportent sur celui qui est causé à M. Boldt – lequel a été reconnu comme étant irréparable au deuxième volet – demeure entière (Ebid, au para 26).

[48] Le CCIC est un ordre professionnel dont la mission consiste à protéger l’intérêt public grâce à l’établissement et au maintien de normes de conduite professionnelles (Ebid, au para 30, citant la décision Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada c Rahman, 2020 CF 832 au para 6). Je suis d’accord avec le CCIC pour dire qu’il existe un intérêt public général à ce que les sanctions pour manquement aux normes de conduite professionnelle soient appliquées rapidement, particulièrement lorsque le manquement est grave. Cela dit, je conviens avec M. Boldt que cet argument sur la protection de l’intérêt public est quelque peu affaibli, sans être toutefois entièrement écarté, par le fait que le CCIC a pris quelque sept mois pour rendre sa décision sur les sanctions.

[49] Tout compte fait, malgré l’intérêt du public à ce que les sanctions administratives soient rapidement appliquées, je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de la suspension, au vu du préjudice que subira M. Boldt si la suspension n’est pas accordée. Bien que l’existence d’un préjudice éventuel pour les employés de VisaMax ne soit pas nécessaire pour que je tire cette conclusion, je tiens à faire remarquer qu’il semble s’agir d’un élément qui milite aussi en faveur de l’octroi de la suspension.

[50] Compte tenu de l’ensemble des facteurs susmentionnés et des circonstances, je conclus qu’il « serait juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire » d’accorder la suspension demandée.

IV. Conclusion

[51] Par conséquent, la décision du CCIC sur les sanctions sera suspendue jusqu’à ce que la Cour rende sa décision sur la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, je ne suis pas disposé pour le moment à ordonner la suspension jusqu’à qu’il soit statué sur [traduction] « tout appel s’y rapportant », comme le demande M. Boldt, puisque les facteurs à examiner dans le cadre d’un tel appel, y compris la question sérieuse à juger, pourraient être très différents selon la décision de la Cour. Il vaut mieux qu’ils soient examinés à cette étape ultérieure, soit par notre Cour ou par la Cour d’appel fédérale, selon le cas.

[52] Compte tenu des observations des parties, je conclus que les dépens afférents à la présente requête devraient être adjugés à M. Boldt, payables sans égard à l’issue de la cause, mais il est entendu qu’il n’est pas nécessaire qu’ils soient payés immédiatement.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1890‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est accueillie. L’ordonnance sur les sanctions rendue par le comité de discipline du Collège des consultants en immigration et en citoyenneté le 3 décembre 2021 est par la présente suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

  2. Les dépens sont adjugés au demandeur, quelle que soit l’issue de la cause.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1890‑21

 

INTITULÉ :

DOUGLAS RANDAL BOLDT c LE COLLÈGE DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION ET EN CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

16 décembre 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

23 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Todd C. Andres

 

Pour le demandeur

 

Lisa Freeman

Justin Gattesco

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Lisa Freeman

Avocate

Toronto (Ontario)

‑et‑

Justin Gattesco

Collège des consultants en immigration et en citoyenneté

Burlington (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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