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Date : 20220125


Dossier : IMM-1036-21

Référence : 2022 CF 71

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2022

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

VICTOR JAVIER SOLIS RAMIREZ

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Victor Javier Solis Ramirez est un citoyen du Mexique qui a fait une demande d’asile au Canada. Celle-ci a été refusée tant par la Section de la protection des réfugiés (SPR) que par la Section d’appel des réfugiés (SAR). C’est la décision de la SAR qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire, faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 est rejetée.

I. Les faits

[2] Le Demandeur a quitté le Mexique le 22 octobre 2018. Le fondement de la demande d’asile (FDA) était signé le 31 octobre 2018. Dans son FDA, le Demandeur y déclare avoir vécu dans l’État de Guanajuato, au Mexique. Il y travaillait dans une usine de pièces d’auto et y vivait dans la maison de sa mère. Son ex-conjointe et leurs deux enfants vivent ailleurs dans le même État.

[3] L’allégation est que les problèmes auraient débuté le 16 juillet 2018, à peine trois mois avant le départ du Demandeur vers le Canada. Il aurait alors commencé à recevoir des menaces verbales, téléphoniques et en personne, venant d’un groupe s’identifiant comme le « Groupe Santa Rosa ». Le Demandeur précise qu’il s’agit d’un groupe criminel opérant dans cet État du Mexique et d’autres.

[4] Le frère du Demandeur est un militaire mexicain ayant débuté son service en juillet 2015. Il aurait avisé le Demandeur que les menaces seraient en lien avec les opérations menées ayant résulté en des arrestations concernant, entre autres, Santa Rosa. Effrayé, le Demandeur a déménagé chez un ami. C’est lorsqu’il a cru voir des voitures inhabituelles passer devant la maison que sa peur a augmenté. Son ami lui a fait savoir que des « distributeurs » de drogue « demandaient pour moi » (FDA). Ayant ramassé l’argent nécessaire pour l’achat d’un billet d’avion, il est arrivé à l’aéroport de Montréal le 22 octobre 2018.

II. La décision de la SAR

[5] La question déterminante est la possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique, la même question soulevée par la SPR.

[6] Deux États mexicains ont été identifiés comme PRI : les États de Michoacán et Jalisco. Le Demandeur aura prétendu que le cartel Santa Rosa de Lima (CSRL) pourrait le retrouver dans ces états. Or, aucune preuve n’est présentée alors même que le Cartable national de documentation (CND) note une rivalité entre le CSRL, impliqué dans le trafic d’hydrocarbures au Guanajuato, avec un autre cartel, le cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG), rivalité au cours de laquelle le CJNG a pris l’ascendant.

[7] Par ailleurs, le CSRL n’a pas de présence importante dans les États du Michoacán et du Jalisco, selon le CND. De plus ces états seraient sous le contrôle du CJNG, les adversaires du CSRL : il est douteux que le CSRL puisse compter sur l’assistance du CJNG pour retrouver le Demandeur dans l’un de ces deux états, si tant est que le Demandeur puisse être une cible quelconque. De fait, le Demandeur ne conteste aucunement une absence de menaces proférées par le CJNG à son endroit.

[8] Enfin, le Demandeur allègue qu’il serait en danger dans ces états à cause du taux élevé d’homicides et du recrutement forcé des cartels. Pour seule preuve, il réfère à un écrit (Insight Crime, 17 juillet 2019) où on réfère à des enfants et adolescents recrutés comme guetteurs pour le transport et la culture de la drogue, les impliquant ainsi dans des crimes violents. Le Demandeur a 27 ans (né en 1994). La SAR constate que le Demandeur ne fournit aucune explication quant à être exposé au recrutement et son risque, s’il en est, n’est aucunement différent de la population en général. La SAR conclut ainsi :

[32] Enfin, s’il fait référence à l’état vulnérable qui serait le sien, il n’explique aucunement quel serait cet état et la SAR ne voit aucun élément au dossier qui supposerait l’existence d’une vulnérabilité à prendre en compte dans l’étude de la possibilité de refuge intérieur.

III. Arguments et analyse

[9] Le Demandeur était tenu de démontrer, du fait qu’il a le fardeau de la preuve (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 100) que la décision rendue est déraisonnable. Pour ce faire, on considère les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité en fonction des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. En l’espèce, la question de la possibilité d’un refuge intérieur est examinée en deux étapes. La première étape consiste à déterminer que le Demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté là où il trouvera une PRI. La seconde étape est la détermination que cette partie du pays ne serait pas déraisonnable pour y trouver refuge. Comme le dit la Cour fédérale d’appel dans Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164, il s’agit d’une démonstration qu’il n’est facile à faire.

[10] Or, en notre espèce ces deux démonstrations de décisions déraisonnables n’ont pas été faites. Le Demandeur se contente de spéculations à partir de passages qu’il trouve au CND. Ainsi, il spécule que parce que des cartels sont dits capables de conclure des alliances ponctuelles, cela pourrait arriver dans son cas. Il ne fait que dire que malgré qu’un cartel particulier œuvre dans les deux états proposés pour refuge, et qu’il constitue un adversaire du cartel dont le Demandeur a peur, ces deux cartels pourraient quand même faire alliance pour s’en prendre à lui. Le fardeau est de démontrer par prépondérance des probabilités, non de faire des spéculations sans fondement.

[11] Il en est de même de la spéculation offerte par le Demandeur sur la capacité de retrouver une personne au-delà de la zone d’influence d’un cartel donné. La SAR a conclu sur la base de la documentation consultée que le CSPL perdait son influence au profit du CJNG, dont la base d’influence est dans les états où le refuge serait possible. Le Demandeur n’a jamais même tenté de contester que telle est la situation dans les deux états où la présence du CSPL est loin d’exister. Pour dire les choses autrement, le CSPL qui perd du terrain aux mains du CJNG dans l’état où il était actif, ne semble pas avoir même la capacité de tenter de retrouver le Demandeur là où ses adversaires se trouvent. Il est donc très probable que la spéculation du Demandeur ne puisse trouver aucune granularité sans une articulation appuyée par des faits. Ce qui ne s’est produit. Il est impossible dans ces circonstances d’y voir là la démonstration du caractère déraisonnable de la décision prise par la SAR.

[12] Le Demandeur fait grand état du caractère violent de la société mexicaine, avec ses milliers de meurtres annuellement. Mais, comme l’a dit la SAR dans sa décision, cela n’est pas contesté. C’est plutôt que le Demandeur n’expose pas en quoi le risque auquel il se prétend exposé serait différent de celui auquel sont malheureusement exposés les habitants de ces états. Ainsi, la SAR conclut que le Demandeur, sur prépondérance des probabilités, pourra trouver refuge et qu’il n’est pas plus exposé à la violence généralisée que le reste de la population. Le Demandeur n’a pas démontré qu’il y avait là des contestations pouvant rendre la décision déraisonnable.

[13] Étonnamment, le Demandeur consacre trois paragraphes à la fin de son mémoire à la crédibilité du Demandeur. Que le Demandeur ait une crainte subjective quelconque est une chose. Mais le test applicable requiert plutôt que le Demandeur « risque sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge » (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]). C’est au Demandeur de faire cette preuve, et sa crainte subjective ne saurait être déterminante.

[14] Le deuxième volet du test à appliquer est le caractère raisonnable d’y chercher refuge. La Cour d’appel dans Thirunavukkarasu a décrit le genre de circonstances pouvant être déraisonnables au point où le refuge intérieur ne serait plus approprié. La barre est haute :

12 […]

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

13 Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c'est raisonnable, il ne s'agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d'un tel déménagement. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu'un nouveau pays. Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci: serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

14 La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

15 En conclusion, il ne s'agit pas de savoir si l'autre partie du pays plait ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s'attendre à ce qu'il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d'aller chercher refuge dans un autre pays à l'autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j'ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s'il n'est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

[Je souligne.]

[15] Quoi qu’il en soit, le Demandeur n’a offert aucun tel argument ou preuve au sujet du deuxième volet. De toute évidence, il n’a pas cherché à s’en prévaloir.

IV. Conclusion

[16] Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le Demandeur n’a satisfait ni à l’un ni à l’autre des volets du test à respecter, soit démontrer qu’il risque sérieusement d’être persécuté là où il y a possibilité de refuge, et que ce refuge serait déraisonnable.

[17] Il n’y a aucune question à être certifiée en vertu de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1036-21

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à être certifiée en vertu de l’article 74 de la Loi

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1036-21

INTITULÉ :

VICTOR JAVIER SOLIS RAMIREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 10 janvier 2022

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2022

COMPARUTIONS :

Michel Perreault

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Chantal Chatmajian

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Ontario)

Pour la partie dÉfenderesse

 

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