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Date : 20031021

Dossier : T-1348-01

Référence : 2003 CF 1226

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 21 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                          DIMPLEX NORTH AMERICA LTD.

                                                                       demanderesse

                                       et

                                 CFM MAJESTIC INC.

                                                                       défenderesse

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN

[1]    Dimplex North America Ltd. (la demanderesse) interjette appel de l'ordonnance datée du 13 juin 2003 par laquelle le protonotaire a conclu que CFM Majestic Inc. (la défenderesse) avait, à juste titre, refusé de fournir une réponse à la question 2195 posée pendant l'interrogatoire préalable de ladéfenderesse.

[2]         L'annexe « E » jointe à l'ordonnance du protonotaire donne les renseignements mentionnés ci-dessous au sujet de la question 2195 ainsi que le motif pour lequel le protonotaire a confirmé le refus de répondre de ladéfenderesse :


[traduction]

Question no

Question non visée par l'ordonnance portant obligation de répondre

Motifs de la Cour

2195

En ce qui concerne les produits liés aux foyers électriques que CFM a vendus depuis leur introduction sur le marché pendant la période 1998 - 1999 que les défenderesses préciseront, fournir, pour chaque produit, le nombre de ventes mensuelles réalisées depuis la date de cette introduction jusqu'à aujourd'hui.

Le succès commercial des produits de la défenderesse qui emporteraient contrefaçon n'est pas pertinent pour évaluer la validité du brevet de la demanderesse dans le cadre d'une allégation d'évidence formulée par la défenderesse.

[3]         Lademanderesse soutient que le protonotaire a commis une erreur de principe lorsqu'il a confirmé le refus de ladéfenderesse parce que la question attaquée découle de la défense de cette dernière et plus particulièrement de son allégation relative à l' « évidence » . Lademanderesse invoque la décision James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157, à la page 163, laquelle a été appliquée dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc. (2002), 19 C.P.R. (4th) 499 (C.F. 1re inst.), pour affirmer que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsque la question de l'évidence est soulevée dans les actes de procédure du défendeur, elle fait alors partie des points susceptibles d'être examinés pendant l'interrogatoire préalable.

[4]         Lademanderesse avance aussi que le protonotaire, en omettant d'ordonner à ladéfenderesse de répondre aux questions sur les ventes commerciales de son produit qui emporterait contrefaçon, a commis une erreur de principe à l'égard de laquelle il faudra appliquer la norme de contrôle de novo en appel : voir l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

[5]         Ladéfenderesse prétend que le protonotaire n'était pas tenu de suivre la décision James River Corp., précitée, laquelle a été tranchée sous le régime des anciennes règles de pratique de la Cour fédérale, et que, quoi qu'il en soit, l'affaire a été décidée de façon erronée. Elle affirme en outre que sa défense ne fait pas état du succès commercial et que cette question, en relation avec l'évidence, est soulevée uniquement dans les cas limites. Enfin, selon ladéfenderesse, une ordonnance de disjonction a été rendue en l'espèce, ce qui a eu pour effet de séparer la question des dommages-intérêts de la question principale touchant la responsabilité. Ladéfenderesse laisse entendre que, dans les circonstances, la question de ses ventes commerciales ne sera pas en litige tant que la question de la responsabilité n'aura pas été réglée.

[6]         Il s'agit d'une action pour usurpation de marque dans le cadre de laquelle lademanderesse soutient que ladéfenderesse a contrefait le brevet canadien no 2,175,442, qui porte de façon générale sur la technologie des foyers électriques. Ladéfenderesse avance le moyen suivant au paragraphe 11(b) de sa défense :

[traduction] « Les arguments formulés par la demanderesse relativement au brevet Hess no 442 sont et ont toujours été invalides et nulles pour les raisons suivantes :

[...]

b)L'invention alléguée était évidente à la date de priorité du brevet en litige compte tenu des antériorités énumérées à l'annexe « A » ;

[7]         Le fondement législatif des allégations d'évidence se trouve dans la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et ses modifications. Au Canada, le succès commercial a été reconnu comme élément permettant de mesurer l'évidence : voir les arrêts General Engineering Co. of Ontario c. Dominion Cotton Mills Co. (1899), 6 Ex. C.R. 304, The King c. Uhlemann Optical Co. (1951), 15 C.P.R. 99 (C.S.C.), et Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd., [1997] A.C.F. no 239 (C.A.F.). Plus récemment, dans la décision Merck & Co. c. Apotex, précitée, la Cour a déclaré ce qui suit :

La question 38 sous cette rubrique vise à connaître les chiffres de ventes d'Apotex pour son lisinopril. Puisque Apotex a plaidé au paragraphe 19(m) de sa défense que l'invention du brevet en litige était évidente (obvious), il ressort qu'en ce faisant Apotex soulève le succès commercial. Dans l'arrêt James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157, at 163-4 (F.C.T.D.) [sic], on fait état de ce qui suit :

Il ne fait aucun doute que le succès commercial peut faire l'objet de questions lors d'un interrogatoire préalable; [...] dans la décision Unilever PLC et al. c. Proctor & Gamble, Inc. et al., [...] le tribunal a conclu que, même si le succès commercial n'avait pas été expressément allégué, les questions à ce sujet étaient liées à un point en litige et devaient faire l'objet d'une réponse. La question en litige est l'"évidence". Dans l'affaire Unilever, les parties défenderesses avaient invoqué la question de l'évidence dans leur défense, tout comme l'ont fait les défenderesses en l'espèce. Comme le fait remarquer l'avocat, les actes de procédure visent principalement à définir clairement les questions opposant les parties au litige et à donner un avis suffisant de la preuve qu'il faudra réfuter de sorte que la partie adverse puisse présenter les éléments de preuve pertinents. Lorsqu'une partie défenderesse invoque l'évidence, elle sait que les questions portant sur le succès commercial sont pertinentes. Je ne crois pas qu'il était nécessaire pour la demanderesse de soulever expressément ce point en réplique. [Références omises.]

[8]         L'argument de lademanderesse, selon lequel ladéfenderesse a mis en cause ses ventes commerciales en invoquant l'évidence, est convaincant. L'argument le plus probant avancé en réponse par ladéfenderesse touche au fait que les parties ont consenti à ce que la Cour prononce une ordonnance de disjonction afin de séparer la question de la responsabilité de celle des dommages-intérêts. En d'autres termes, ladéfenderesse donne à entendre que ses ventes commerciales sont pertinentes en l'espèce uniquement en ce qui a trait à la question des dommages-intérêts. Or, cette question n'est soulevée que si ses moyens de défense fondés sur la non-usurpation et l'invalidité sont rejetés par la Cour.

[9]         Ladéfenderesse a mis en cause la validité du brevet; cela englobe une contestation fondée sur l'évidence. D'après la jurisprudence, les ventes commerciales des deux parties sont pertinentes pour trancher la question de l'évidence et j'arrive à la conclusion que lademanderesse a le droit de poser des questions au sujet des ventes commerciales de ladéfenderesse.

[10]       L'appel est accueilli et l'ordonnance du protonotaire est infirmée en ce qui concerne la question 2195. Ladéfenderesse doit répondre à la question 2195 et lademanderesse est autorisée à poursuivre son interrogatoire préalable sur la question des ventes commerciales de ladéfenderesse, sous réserve des autres ordonnances que la Cour pourrait rendre. Lademanderesse a droit aux dépens afférents à la présente requête.

                                                                     ORDONNANCE

            L'appel est accueilli et l'ordonnance du protonotaire est infirmée en ce qui concerne la question 2195. Ladéfenderesse doit répondre à la question 2195 et lademanderesse est autorisée à poursuivre son interrogatoire préalable sur la question des ventes commerciales de ladéfenderesse, sous réserve des autres ordonnances que la Cour pourrait rendre. Lademanderesse a droit aux dépens afférents à la présente requête.

                                                                                                                 « Elizabeth Heneghan »          

                                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.



                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :     T-1348-01

INTITULÉ :DIMPLEX NORTH AMERICA LTD.

                                                                c.

                                                                CFM MAJESTIC INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE LUNDI 11 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :LE 21 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS:

Peter ChoePOUR LA DEMANDERESSE

Trent HornePOUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Sim, Hughes, Ashton & MacKay s.r.l.POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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