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Date : 20220201


Dossier : IMM-1904-21

Référence : 2022 CF 111

Ottawa (Ontario), le 1er février 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

LOUVIBOULOULOU, FELICITE

MOUTEWO, MONDESIR ARISTIDE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Félicité Louvibouloulou, et son fils âgé de 8 ans [demandeurs] sont citoyens de la République du Congo; Mme Louvibouloulou allègue craindre pour sa vie et celle de son enfant en raison de son profil de femme ainsi que de son appartenance à un groupe ethnique, étant originaire du sud du pays. Les demandeurs soumettent une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], en date du 22 février 2021, confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], en date du 6 novembre 2019, rejetant leurs demandes d’asile. Lorsqu’elle est arrivée au Canada, Mme Louvibouloulou était enceinte de son quatrième enfant qui est né au Canada par la suite. Le conjoint de Mme Louvibouloulou, M. Vital Moutewo, soit le père de ses deux derniers enfants, ainsi que les deux autres enfants de Mme Louvibouloulou nés d’une relation précédente, se trouvent toujours en République du Congo.

[2] La question déterminante devant la SPR et la SAR était celle de la crédibilité de Mme Louvibouloulou. Ayant été victime d’une agression sexuelle, Mme Louvibouloulou allègue être victime de rejet de la part de la société, y compris de sa belle-famille. La SAR a rejeté les nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs pour manque de pertinence ou de crédibilité. Elle a rejeté l’appel de la décision de la SPR concluant que Mme Louvibouloulou n’avait pas rendu un témoignage crédible concernant l’allégation d’agression sexuelle qui se trouve au cœur de sa demande d’asile.

[3] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre à titre de nouvelle preuve des documents qui visaient à offrir des réponses à la plupart des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité de Mme Louvibouloulou et ils considèrent que la SAR a violé les principes de justice naturelle en refusant de tenir une audience. Les demandeurs soutiennent également que la SAR s’est basée sur des incohérences qu’ils considèrent comme n’étant pas fondées et que la SAR a commis une erreur en concluant que Mme Louvibouloulou avait un comportement incompatible avec celui attendu d’une personne qui craint pour sa vie.

[4] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [ministre] soutient que les nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs ne remplissaient pas les critères établis dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], et qu’ayant rejeté les nouveaux éléments de preuve, la SAR n’était pas tenue de tenir une audience. Le ministre considère que la décision de la SAR est raisonnable puisque le témoignage de Mme Louvibouloulou n’était pas crédible et contredisait la preuve documentaire.

[5] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Je suis d’avis que la SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale et que sa décision est raisonnable. Étant donné que je considère que la décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve n’est pas déraisonnable, elle n’était pas tenue de tenir une audience. Je considère que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité de Mme Louvibouloulou n’est pas déraisonnable, car elle repose sur l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux de la demande d’asile et la SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse du comportement de Mme Louvibouloulou.

II. Contexte

[6] Le 5 avril 2016, Mme Louvibouloulou aurait été victime d’une agression sexuelle à Brazzaville commise par trois hommes alors qu’elle se trouvait seule à la boutique de sa sœur. Elle affirme que les hommes n’auraient pas apprécié lorsqu’ils lui ont demandé son ethnie et qu’elle leur a répondu qu’elle venait du sud. Ils auraient exigé qu’elle ouvre le coffre-fort et, après qu’elle eut obtempéré, les hommes l’auraient agressée sexuellement à l’arrière du magasin. Les trois hommes auraient pris la fuite avec l’argent du coffre-fort laissant Mme Louvibouloulou inconsciente et ligotée dans la boutique. Après avoir repris connaissance deux heures plus tard, Mme Louvibouloulou se serait traînée jusqu’à l’extérieur de la boutique et des passants auraient appelé des secours qui l’ont conduite à l’hôpital. Une plainte a été déposée à la police « quelques jours après » son agression sexuelle; cependant, la plainte soumise en preuve est datée du 5 avril 2016, le même jour que l’incident. Mme Louvibouloulou a été convoquée au commissariat de police le 7 avril 2016 pour l’audition de sa plainte; la plainte à la police n’a mené à aucune arrestation.

[7] Mme Louvibouloulou affirme avoir subi de l’humiliation de la part des membres de sa belle-famille à la suite de cet événement puisque, selon leurs coutumes, elle aurait perdu « sa dignité de femme » et ils ont exigé que son conjoint se trouve une deuxième femme. Mme Louvibouloulou a tout de même vécu aux côtés de sa belle-famille pendant deux ans, durant lesquels elle a dû interrompre ses activités et être suivie par un psychologue. De plus, elle allègue avoir reçu durant ces deux années une multitude de menaces anonymes par téléphone à propos de sa plainte à la police. Avec l’aide financière de ses deux frères prêtres, Mme Louvibouloulou a fait appel aux services d’un agent qui lui a permis d’obtenir un visa de visiteur pour le Canada délivré le 10 juillet 2017; elle a fui le pays et est arrivée au Canada avec son fils neuf mois plus tard en mars 2018, soit deux ans après l’agression sexuelle dont elle aurait été victime, et a déposé une demande d’asile en mai 2018.

[8] L’audience devant la SPR a été remise à la suite de l’annonce du représentant du ministre de la Sécurité publique de son intention d’intervenir; ce dernier a soulevé des contradictions entre le contenu des formulaires liés à la demande de visa de Mme Louvibouloulou et le contenu de son formulaire Fondement de la demande d’asile. Il s’agit notamment des noms et dates de naissance de membres de sa famille qui ne concordent pas, et des informations portant sur l’identité de son conjoint de fait et la relation qu’elle entretenait avec le père de ses deux premiers enfants. Mme Louvibouloulou a soumis une déclaration solennelle fournissant des explications sur les contradictions soulevées dans l’avis d’intervention du ministre.

[9] Lors de l’audience du 8 octobre 2019, Mme Louvibouloulou a été questionnée à propos des contradictions dans les informations provenant des différents formulaires. La SPR a tenu compte des problèmes de cohérences entre les formulaires, mais n’a toutefois pas donné de poids au formulaire de demande pour modifier les conditions de séjour en raison de la confusion sur sa provenance. La SPR a conclu que Mme Louvibouloulou n’avait pas rendu un témoignage crédible et qu’elle n’avait pas réussi à démontrer une possibilité sérieuse de persécution due à son sexe ou à son origine ethnique si elle retournait en République du Congo.

[10] La SAR a conclu, à l’instar de la SPR, que Mme Louvibouloulou n’avait pas rendu un témoignage crédible concernant l’allégation d’agression sexuelle qui se trouve au cœur de sa demande d’asile, et qu’elle n’avait pas présenté suffisamment de preuve pour démontrer qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution due à son profil de femme et de son ethnicité. De plus, la SAR a rejeté les six documents présentés à titre de nouvelle preuve et, en conséquence, a rejeté la demande d’audience. N’étant soit pas pertinents soit pas crédibles, les documents ne remplissaient pas les critères jurisprudentiels des arrêts Singh et Raza. Enfin, la SAR a rejeté l’argument apporté par les demandeurs voulant que la SPR n’ait pas tenu compte des Directives numéro 4 du Président – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, et que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été traité puisque les demandeurs n’ont présenté aucune preuve et n’ont soulevé aucune crainte ni aucun risque concernant précisément le fils de Mme Louvibouloulou.

III. Questions en litige

[11] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

  1. La décision de la SAR de refuser d’admettre de nouveaux éléments de preuve et, en conséquence, de tenir une audience est-elle raisonnable?

  2. Les conclusions de la SAR sur la crédibilité de Mme Louvibouloulou sont-elles raisonnables?

IV. Norme de contrôle

[12] Les conclusions de la SAR sur la crédibilité de Mme Louvibouloulou ainsi que sa décision de refuser d’admettre de nouveaux éléments de preuve, y compris la question de savoir si la SAR aurait dû tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], doivent être examinées selon la norme de contrôle du caractère raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23 et 25 [Vavilov]; Al-Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360 au para 11; Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 100 aux para 17-18). Le rôle de la Cour est donc d’examiner la décision de la SAR et de déterminer si celle-ci est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov aux para 85-86).

V. Analyse

A. La décision de la SAR de refuser d’admettre de nouveaux éléments de preuve et de refuser de tenir une audience est raisonnable

[13] A priori, les nouveaux éléments de preuve présentés à la suite de la mise en état du dossier d’appel doivent satisfaire aux critères du paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [Règles] :

Éléments à considérer

 

Factors

29(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

 

29(4) In deciding whether to allow an application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

 

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

 

(b) any new evidence the document brings to the appeal; and

 

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

(c) whether the person who is the subject of the appeal, with reasonable effort, could have provided the document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record.

[14] Un document soumis à titre de nouvelle preuve doit satisfaire aux critères du paragraphe 110(4) de la LIPR :

Éléments de preuve admissibles

 

Evidence that may be presented

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[15] Afin d’offrir des explications aux conclusions relatives à la crédibilité de Mme Louvibouloulou qui ont été soulevées par la SPR, les demandeurs ont soumis à titre de nouvelle preuve les documents énumérés ci-dessous. En l’espèce, la SAR a considéré que les documents étaient nouveaux puisqu’ils ne pouvaient être normalement présentés avant le rejet de la demande d’asile étant donné qu’ils tentent d’offrir des réponses aux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité de Mme Louvibouloulou. Cependant, la SAR a plutôt rejeté les nouveaux documents parce qu’ils ne remplissaient pas les critères jurisprudentiels des arrêts Singh et Raza, à savoir la crédibilité, la nouveauté et la pertinence. La SAR a émis les conclusions suivantes pour chacun des documents :

  1. Déclaration solennelle datée du 8 janvier 2020 de M. Nkou Romaric

[16] La demande de visa de Mme Louvibouloulou pour le Canada indique que son conjoint était un dénommé Monage Gustegu Reil-Eudes Mouanga et non pas M. Moutewo. En réponse à la constatation de la SPR selon laquelle Mme Louvibouloulou a fait une fausse déclaration sur son état civil dans sa demande de visa, M. Romaric, l’agent ayant complété et soumis la demande de visa en ligne de Mme Louvibouloulou et de son fils, reconnaît dans sa déclaration qu’après vérification dans ses archives, « il s’avère qu’une erreur s’était glissée lors du remplissage des formulaires IMM5257 » et que M. Moutewo « est bel et bien, le conjoint de fait de madame LOUVIBOULOULOU Félicité »; il semblerait que l’erreur était de la part de M. Romaric. Cependant, lorsqu’elle a été précédemment questionnée sur ce sujet, Mme Louvibouloulou s’est exprimée en ces termes : « Ce n’est pas vrai ce document-là [le formulaire IMM5257]. C’était une façon pour moi de faciliter la sortie. » J’ai demandé à son avocat d’expliquer ce que signifiait cette déclaration, et il a indiqué que cela signifiait que Mme Louvibouloulou savait que les informations figurant sur le formulaire étaient fausses, soit que ces informations ont été inscrites sur les documents volontairement, bien qu’elles soient fausses, afin de faciliter l’obtention d’un visa. Si tel est le cas, on peut difficilement dire que la mention de M. Mouanga comme conjoint de fait de Mme Louvibouloulou sur les formulaires était une erreur. De toute façon, la SAR a conclu que la déclaration de M. Romaric n’était pas pertinente puisque Mme Louvibouloulou avait déjà affirmé lors de son témoignage que les informations dans sa demande de visa étaient fausses et que, par conséquent, cette pièce ne pouvait pas être admise. Je ne vois rien de déraisonnable avec cette décision.

  1. Certificat assermenté du commissariat de police de Brazzaville daté du 15 janvier 2020

[17] Ce document atteste que la famille de Mme Louvibouloulou s’est présentée au poste de police le 6 avril 2016 pour déposer une plainte et que la police a interrogé Mme Louvibouloulou au sujet de la plainte le lendemain. La SAR a conclu que le certificat n’est pas crédible. D’une part, le certificat contredit les précédentes pièces présentées par Mme Louvibouloulou (la plainte déposée à la police et l’avis de convocation), ainsi que sa version des événements présentée à l’audience. D’autre part, l’en-tête du certificat diffère de celui de la plainte même s’il provient de la même institution et le certificat aurait été rédigé par un colonel pour le compte d’un commissariat de police, alors qu’il est mentionné en bas de page que le document a été vu et approuvé par un officier de l’État civil.

[18] Les demandeurs considèrent que les problèmes matériels identifiés par la SAR, soit les en-têtes différents et le fait que le certificat ait été rédigé par un colonel, ne peuvent justifier le rejet de ce document à titre de nouvelle preuve. Ils font valoir qu’une période de plusieurs années sépare ces documents et qu’il est possible qu’il y ait eu des changements dans les noms des institutions se trouvant dans l’en-tête. De toute manière, la SAR ne s’est pas seulement fondée sur les problèmes de forme du certificat pour en arriver à la conclusion que le document n’était pas crédible; elle a également conclu que le contenu du certificat contredisait le procès-verbal de la plainte.

[19] Les demandeurs ajoutent qu’un document émanant d’un État est présumé valide et que la SAR ne pouvait donc pas contester la validité du certificat. Il est vrai qu’un document émanant d’un État est présumé valide (Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7241 (CF)). Cependant, c’est une présomption qui peut être réfutée notamment par des incohérences se trouvant dans le document ou par des éléments de preuve crédibles qui ne concordent pas avec le contenu du document en question (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576 aux para 85-87).

[20] Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de la part de la SAR au sujet du certificat du commissariat de police.

  1. Déclaration datée du 6 janvier 2020 de l’Abbé Aristide Milandou Diabakana et une déclaration datée du 4 janvier 2020 de l’Abbé Jean Paul Diakondoua-Sina, les deux frères de Mme Louvibouloulou, ainsi qu’une copie du titre de séjour français délivré à l’Abbé Aristide Milandou Diabakana transmise à la Commission de l’immigration et à la Section d’appel des réfugiés le 3 mars 2020

[21] Les frères de Mme Louvibouloulou déclarent avoir tenté d’aider au mieux leur sœur à sortir du pays après qu’elle ait subi une agression sexuelle; ils expliquent le délai de près de deux ans entre l’agression violente de Mme Louvibouloulou et son départ du pays par le fait qu’ils n’avaient que très peu de fonds pour acheter un billet d’avion pour elle. La SAR constate que ces déclarations solennelles ne sont pas crédibles en raison d’importants problèmes de forme, notamment dus au fait que les lettres sont rédigées à la première personne du singulier et à la première personne du pluriel de manière interchangeable, qu’elles comportent des passages identiques et qu’une de ces déclarations présente des erreurs importantes de grammaire et de ponctuation, « au point où cette lettre ressemble à un montage »; la SAR conclut que ces pièces ne sont pas crédibles, et que compte tenu de cette conclusion, les copies des pièces d’identité ne sont pas pertinentes. Mme Louvibouloulou ne m’a pas convaincu que les conclusions de la SAR sont déraisonnables.

  1. Copie de l’enveloppe de la compagnie DHL du 18 janvier 2020

[22] La copie de l’enveloppe de la compagnie DHL n’est également pas pertinente dans le contexte qu’elle contenait des pièces qui n’ont pas été admises.

[23] De plus, les demandeurs soutiennent que la SAR a mené une analyse « approximative et biaisée » des nouveaux documents et que ses conclusions sur leur pertinence et leur crédibilité ne sont pas justifiées. Je ne souscris pas à la position des demandeurs qui ne soulèvent aucune erreur susceptible de contrôle. La SAR a énoncé en détail les motifs de ses conclusions sur la crédibilité ou la pertinence des nouveaux documents et je suis d’avis que sa décision de refuser l’admission de ces nouveaux éléments de preuve n’est pas déraisonnable.

[24] Je suis d’avis également que la SAR ne devait pas tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR. Les demandeurs argumentent que la SAR a rejeté les nouveaux documents sans leur donner l’occasion de dissiper les doutes de la SAR sur leur crédibilité et leur authenticité (Uwitonze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 245). Le paragraphe 110(6) de la LIPR prévoit que la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe de nouveaux éléments de preuve documentaire qui soulèvent « une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause ». En l’espèce, aucun nouvel élément de preuve n’a été admis par la SAR et elle n’était donc pas tenue de tenir une audience (Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 54 au para 29).

B. Les conclusions de la SAR sur la crédibilité de Mme Louvibouloulou sont raisonnables

[25] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR n’est pas raisonnable puisqu’elle est basée sur des incohérences qu’ils considèrent comme n’étant pas fondées. Je ne suis pas d’accord; la SAR a adopté une approche adéquate, a examiné la preuve au dossier en détail indépendamment de la SPR et a estimé que le témoignage de Mme Louvibouloulou n’était pas crédible et contredisait la preuve documentaire. L’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux d’une demande d’asile peut appuyer une conclusion négative quant à la crédibilité d’un demandeur (Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 au para 56 [Paulo]).

[26] Les demandeurs argumentent que les nouvelles preuves répondaient aux contradictions qui ont été relevées dans les documents émanant de la police. Cependant, puisque l’admission des nouvelles preuves a été refusée par la SAR, celle-ci n’avait pas à considérer le contenu de ces nouveaux documents dans son analyse. De plus, les demandeurs soutiennent que la SAR a fait preuve de zèle intempestif en relevant une contradiction dans le récit de l’agression sexuelle, soit le fait que Mme Louvibouloulou ait reconnu ou non l’un de ses agresseurs (Adegbola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 511 au para 35 [Adegbola]). La SAR a conclu que « ce n’est pas un détail que de reconnaître ou non son agresseur ». Je suis d’avis que cette conclusion n’est pas déraisonnable. Les détails relevés dans l’affaire Adegbola concernaient la date à laquelle le conjoint qui avait agressé la demanderesse avait quitté la demeure ainsi que la question de savoir s’il avait pris avec lui ses effets personnels. La Cour avait considéré que ces éléments étaient nettement secondaires (Adegbola au para 33). Ici, l’identité de l’agresseur ne correspond pas à un élément secondaire de l’agression.

[27] Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur en concluant que Mme Louvibouloulou avait un comportement incompatible avec celui attendu d’une personne qui craint pour sa vie. Premièrement, ils affirment que les éléments sur lesquels la SAR s’est basée pour en arriver à cette conclusion – soit le fait que Mme Louvibouloulou n’a pas pris de précaution en déménageant ou en changeant de téléphone pour mettre fin aux appels téléphoniques – sont des suppositions. Deuxièmement, ils contestent le fait que la SAR ait noté la confirmation de Mme Louvibouloulou que ses agresseurs ne se sont jamais présentés chez elle, car la SAR ne peut exiger que les demandeurs éclaircissent le comportement de leurs agresseurs (Rico Quevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1264 au para 18).

[28] Au sujet du dépôt tardif de la demande d’asile, les demandeurs soulèvent que la SAR était tenue de considérer toutes les explications fournies par le demandeur d’asile au sujet des causes du retard pour déposer une demande d’asile (Malaba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 84 aux para 13-15). Le ministre ajoute qu’un retard pour revendiquer une demande d’asile peut révéler une absence de crainte de persécution (Zeah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 711 aux para 61-62; Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312 au para 18 [Chinwuba]). Je partage l’avis du ministre; je n’ai pas été convaincu que les conclusions de la SAR sur cette question soient déraisonnables.

[29] Je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse du comportement de Mme Louvibouloulou. Le comportement incompatible de Mme Louvibouloulou avec la crainte alléguée est un élément pertinent dans l’appréciation de la crédibilité (Calixte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 55 au para 34). La SAR n’a pas été satisfaite des explications fournies par les demandeurs voulant qu’ils n’aient été en sécurité nulle part ailleurs, car la République du Congo est un pays très petit et qu’ils n’avaient pas les moyens financiers pour changer de numéro de téléphone (et non d’appareil). Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement de la SAR.

[30] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR ne pouvait pas remettre en question l’authenticité du certificat médical puisqu’elle n’avait aucun échantillon pour le comparer et que son analyse de la fiabilité du document était « hors de la portée du tribunal ». De plus, ils considèrent que la SAR a commis une erreur en se fiant seulement aux fautes d’orthographe pour évaluer la fiabilité du certificat (Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623 au para 49). Je suis plutôt de l’avis du ministre voulant que la conclusion de la SAR sur la fiabilité du certificat soit raisonnable (Chinwuba au para 26). La SAR a raisonnablement conclu que les erreurs rapportées dans le certificat – la piètre qualité du sceau, l’information se trouvant dans l’en-tête et le fait qu’il est inscrit sur le document que c’est une copie certifiée conforme à l’original alors que Mme Louvibouloulou a témoigné qu’il s’agissait du seul document qu’elle avait reçu – soulèvent suffisamment de doutes sur l’authenticité du certificat médical et que ces erreurs ne constituent pas des erreurs de type microscopique ou périphérique (Paulo aux para 59-60).

VI. Conclusion

[31] Je refuserais la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1904-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1904-21

 

INTITULÉ :

LOUVIBOULOULOU, FELICITE, MOUTEWO, MONDESIR ARISTIDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er février 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Ruhanamirindi Sebantu

Pour lES demandeurS

Me Amani Delbani

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Ruhanamirindi Sebantu

Ottawa (Ontario)

 

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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