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Date : 20220203


Dossier : IMM-3920-21

Référence : 2022 CF 137

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

JANVIER BIGIRIMFUFUA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 mai 2021 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR]. Dans sa décision, la SAI a conclu que Janvier Bigirimfufua n’était pas une personne visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Bien que représenté devant la SAI, M. Bigirimfufua n’a pas répondu à la présente demande et n’a pas participé à l’instance.

[2] Je souscris à l’avis du ministre voulant que la décision de la SAI doit être annulée. Le ministre a fait valoir devant la SAI que la Section de l’immigration [la SI] de la CISR avait commis une erreur en concluant que M. Bigirimfufua n’était pas interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Dans sa décision, la SAI s’est penchée sur la question de savoir si M. Bigirimfufua était membre d’un groupe criminel. Cependant, elle n’a pas examiné la question de savoir si M. Bigirimfufua s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le fait d’être membre d’une organisation criminelle et de se livrer à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées « sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant de tenir une personne pour interdite de territoire au titre de la "criminalité organisée" » aux termes de l’alinéa 37(1)a) : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanaratnam, 2005 CAF 122 au para 30.

[3] Lorsque les deux motifs de l’alinéa 37(1)a) sont en cause, c’est une erreur de conclure qu’une personne est interdite de territoire simplement parce qu’elle n’est pas membre d’une organisation criminelle : Thanaratnam, aux para 28–30. Bien que l’affaire Thanaratnam portait sur l’omission par la Cour de traiter du deuxième volet de l’alinéa 37(1)a), je suis d’accord avec le ministre pour dire que le fait pour la SAI d’omettre de traiter du deuxième volet de cet alinéa constitue également une erreur susceptible de contrôle : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 108–110, 112, 127–128.

[4] Je suis convaincu en l’espèce que le deuxième volet de l’alinéa 37(1)a) était en cause dans l’appel devant la SAI.

[5] La SAI a déclaré dans sa décision que le ministre « a interjeté appel au motif que la commissaire de la SI a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle l’intimé n’était pas un membre » du groupe criminel en question. [Non souligné dans l’original] Si le ministre avait effectivement présenté son appel comme étant limité à la question de l’adhésion, la SAI n’aurait pas commis d’erreur en n’examinant pas le deuxième volet de l’alinéa 37(1)a).

[6] La Cour a été quelque peu limitée dans son appréciation de la déclaration de la SAI par le fait que ni le dossier certifié du tribunal (DCT) préparé par la SAI ni le dossier du ministre ne contenaient i) des observations écrites adressées à la SI ou à la SAI, ii) une transcription de l’audience devant la SAI ou iii) un enregistrement complet de l’audience devant la SAI. En particulier, en ce qui concerne le point iii), l’enregistrement de l’audience dans le DCT s’est terminé avant les conclusions finales, ce qui aurait permis à la Cour de comprendre ce qui a été présenté à la SAI et d’examiner d’autres parties de l’audience dans leur contexte. Après que ce problème ait été soulevé lors de l’audience de la présente demande, j’ai autorisé le dépôt d’un enregistrement supplémentaire.

[7] Le ministre a déposé un dossier supplémentaire qui comprenait un DCT supplémentaire fourni par la SAI. Le DCT supplémentaire comprenait des observations écrites du ministre et de M. Bigirimfufua à la SI, qui avaient été présentées à la SAI. Il comprenait également une déclaration d’un agent de gestion des cas de la SAI selon laquelle la partie des observations orales de l’audience n’a pas été enregistrée en raison d’une erreur administrative.

[8] L’avis d’appel du ministre devant la SAI est quelque peu équivoque. Bien qu’il soutienne que la SI a commis une erreur en concluant que M. Bigirimfufua n’était pas interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, il n’a pas soulevé d’allégations précises concernant le volet « se livrer à des activités » de cet alinéa.

[9] Cependant, à la lumière de l’enregistrement dans le DCT, notamment les passages relevés par le ministre, et des observations écrites à la SI qui ont été présentées à la SAI, je suis convaincu que le deuxième volet de l’alinéa 37(1)a) était une question pertinente dont la SAI était saisie. Notamment, une fois la présentation de la preuve terminée et avant d’entendre les observations finales, le commissaire de la SAI a demandé au représentant du ministre de confirmer qu’il [TRADUCTION] « traitait de la question de l’adhésion […] et de la participation à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées. » [Non souligné dans l’original.] Le représentant du ministre a confirmé que c’était exact, et a fait remarquer qu’il s’appuierait en partie sur les observations écrites présentées à la SI, qui ont été soumises à la SAI. Ces observations traitent des deux volets de l’alinéa 37(1)a), tout comme la décision de la SI.

[10] Cet échange fait écho à un échange similaire qui a eu lieu plus tôt dans l’instance. Vers le début de l’affaire, après avoir traité des questions préliminaires mais avant la présentation de la preuve, le commissaire de la SAI avait demandé au représentant du ministre de confirmer que les questions en litige comprenaient celle de savoir si M. Bigirimfufua était membre du groupe (qui a été reconnu comme étant une organisation criminelle), et s’il « s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées. » [Non souligné dans l’original.] Là encore, le représentant du ministre a confirmé que c’était exact. Bien que les observations finales des parties aient pu changer cela, en l’absence de toute preuve à cet effet, je ne peux pas conclure que les observations du ministre impliquaient un retrait ou une concession en ce qui concerne le deuxième volet de l’alinéa 37(1)a).

[11] Par conséquent, je conclus que la SAI a commis une erreur en affirmant dans sa décision que l’appel du ministre était fondé uniquement sur la conclusion que M. Bigirimfufua n’était pas membre d’un groupe criminel. Je souscris à l’argument du ministre selon lequel la SAI, dans sa décision, ne s’est manifestement pas penchée sur la question de savoir si M. Bigirimfufua s’est livré à une activité faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées, ce qui était l’une des deux questions qui lui étaient soumises. Il s’agit d’une erreur importante qui rend la décision déraisonnable : Thanaratnam, aux para 28–30; Vavilov, aux para 100, 108–110, 112, 127–128.

[12] La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. La décision de la SAI datée du 27 mai 2021 sera annulée et l’appel du ministre sera renvoyé à la SAI pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

[13] Le ministre n’a pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3920-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 27 mai 2021 est annulée, et l’appel du ministre est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3920-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c JANVIER BIGIRIMFUFUA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Aminollah Sabzevari

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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