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Date : 20220125


Dossier : IMM-6554-20

Référence : 2022 CF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MUDASSAR IQBAL WARRICH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Mudassar Iqbal Warrich, est un citoyen du Pakistan. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue en novembre 2020 [la décision contestée] par laquelle un agent de la Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé une décision rendue en avril 2019 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR et la SPR ont toutes deux rejeté la demande d’asile présentée par M. Warrich au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], au motif qu’il n’était pas crédible.

[2] M. Warrich soutient que la SAR n’a pas dûment exercé sa compétence en souscrivant aux conclusions illogiques de la SPR, qu’elle n’a pas analysé l’ensemble de la preuve dont elle disposait et qu’elle a commis une erreur en inférant de façon déraisonnable qu’il n’était pas crédible et en faisant abstraction de la présomption de véracité de son témoignage. Il demande à la Cour d’annuler la décision contestée et de rendre la décision qui aurait dû être rendue ou, subsidiairement, d’annuler la décision contestée, de renvoyer l’affaire à la SAR et d’ordonner qu’un autre commissaire rend une nouvelle décision.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire de M. Warrich. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SAR ainsi que la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucune raison d’annuler la décision contestée. Il est clair à la lecture des motifs que la SAR a dûment exercé son rôle d’organe d’appel. D’ailleurs, les incohérences entre l’exposé circonstancié de M. Warrich, son témoignage et la preuve documentaire étayaient raisonnablement les conclusions de la SAR selon lesquelles il manquait de crédibilité. De ce fait, ces incohérences constituaient pour la SAR des motifs valables de réfuter la présomption de véracité du témoignage de M. Warrich. En somme, la décision contestée possède les qualités qui rendent l’analyse de la SAR logique et cohérente au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Par conséquent, rien ne justifie une intervention de la Cour.

II. Le contexte

A. Le contexte factuel

[4] M. Warrich allègue avoir été un informateur de police dans son pays, le Pakistan. Il dit avoir fourni aux autorités pakistanaises des renseignements qui ont mené à la capture et à la poursuite en justice de plusieurs membres du Lashkar-e-Jhangvi [LJ], un groupe extrémiste religieux opérant à proximité de la frontière indo-pakistanaise, près de la région du Cachemire. Il ajoute que le LJ échappe au contrôle des autorités sur tout le territoire et que personne au Pakistan ne peut être à l’abri de ce groupe.

[5] M. Warrich allègue qu’à la suite de sa collaboration avec les autorités pakistanaises, le LJ, en guise de représailles, l’a agressé et a agressé sa famille à son domicile en mars 2016. De plus, il affirme qu’en avril 2016, trois individus l’ont enlevé sous la menace d’armes à feu, l’ont battu et l’ont humilié. Le 6 mai 2016, il a réussi à s’échapper et à quitter la région avec un complice.

[6] Au début de juin 2016, M. Warrich s’est enfui aux États-Unis et y a présenté une demande d’asile. Quelques mois plus tard, avant que sa demande d’asile aux États-Unis ne soit tranchée, il a traversé la frontière canadienne et a demandé l’asile au Canada.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Warrich au motif qu’elle avait de sérieux doutes concernant la crédibilité de M. Warrich. Elle a relevé dans la preuve et le témoignage de M. Warrich plusieurs omissions et incohérences importantes qui ont affaibli la crédibilité de ses allégations de persécution par le LJ.

B. La décision contestée

[8] Dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la SAR a jugé que les conclusions de la SPR étaient bien fondées et que M. Warrich n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[9] La SAR a conclu que la crédibilité était la question déterminante pour l’issue de l’appel interjeté par M. Warrich. Dans la décision contestée, elle a fait état de nombreuses incohérences qui concernaient des éléments importants du récit de M. Warrich et qui étaient suffisantes pour tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Les principaux doutes de la SAR tenaient essentiellement aux éléments qui suivent.

[10] D’abord, le premier rapport d’information provenant de la police pakistanaise, présenté en preuve par M. Warrich pour établir l’agression commise par le LJ en mars 2016, n’a pas été jugé fiable par la SAR, car il était incompatible avec l’exposé circonstancié personnel de M. Warrich et son témoignage devant la SPR. D’ailleurs, M. Warrich n’a pas su expliquer adéquatement cette incompatibilité.

[11] La SAR a également conclu que le témoignage de M. Warrich au sujet de l’agression physique de mars 2016 n’était pas crédible, car il était incompatible avec son propre exposé circonstancié personnel. Elle a relevé des incohérences à propos de la question de savoir si M. Warrich avait été lui-même battu pendant l’agression et à propos des personnes menacées par les agresseurs et accusées de se livrer à de l’espionnage pour le compte des autorités. Elle est parvenue à une conclusion semblable à celle de la SPR, à savoir que les explications de M. Warrich étaient inadéquates et insuffisantes pour dissiper ses doutes au sujet de sa crédibilité.

[12] La SAR a ensuite conclu que le témoignage de M. Warrich à propos de la façon dont il avait échappé à ses ravisseurs en mai 2016 n’était pas crédible, car elle a relevé des incohérences à propos des événements entourant cette évasion. Plus précisément, M. Warrich a tenu des propos contraires dans ses témoignages en ce qui a trait à l’endroit où lui et son complice s’étaient rendus après l’évasion. M. Warrich n’a pas mentionné un arrêt à Pindi Bhattian et la présence de son complice au village de Syaddamwali, ce qui, pour la SPR et SAR, constituait des incohérences.

[13] Enfin, la SAR a accordé peu ou pas de poids aux documents que M. Warrich avait présentés pour démontrer que la première agression de LJ avait bien eu lieu, car ils n’ajoutaient aucune valeur probante à ses allégations selon lesquelles les persécutions subies étaient à l’origine de sa demande d’asile. Elle a conclu que les documents étaient insuffisants pour dissiper les doutes au sujet de la crédibilité de M. Warrich.

C. La norme de contrôle

[14] Il n’est pas contesté que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité et son traitement de la preuve dont elle disposait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], la Cour d’appel fédérale a précisé que, dans l’examen d’une décision de la SAR, la Cour applique la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la SAR concernant les questions de fait, y compris en matière de crédibilité, et les questions mixtes de fait et de droit (Huruglica aux para 30-35). En effet, les parties conviennent que la décision de la SAR est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[15] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a récemment rappelé que la norme appropriée est celle de la décision raisonnable. Les juges majoritaires de la Cour suprême y ont exposé un cadre d’analyse révisé qui permet de déterminer la norme de contrôle applicable au fond d’une décision administrative, et ils ont affirmé que la norme de la décision raisonnable est celle qui est présumée s’appliquer, sauf lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit exige d’y déroger (Vavilov aux para 10, 17). Je suis convaincu que ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne se présente en l’espèce.

[16] Quant à la teneur de la norme de la décision raisonnable, le cadre établi dans l’arrêt Vavilov ne représente pas un écart marqué par rapport à l’approche antérieure de la Cour suprême, qui est exposée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et la jurisprudence issue de celui-ci, qui se fondaient sur « les caractéristiques d’une décision raisonnable », soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). La cour de révision doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » afin de décider si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 83, 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] aux para 2, 31).

III. Analyse

[17] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Warrich soulève trois arguments principaux. Premièrement, il soutient que la SAR, en souscrivant aux conclusions illogiques de la SPR, n’a pas exercé sa compétence. Deuxièmement, il se plaint que la SAR n’a pas analysé l’ensemble de la preuve et qu’elle en a injustement rejeté des éléments. Troisièmement, il soutient que la SAR a commis une erreur en inférant de façon déraisonnable qu’il n’était pas crédible et en faisant abstraction de la présomption de véracité de son témoignage. Ces arguments seront abordés successivement.

A. La compétence a été dûment exercée

[18] M. Warrich soutient que la SAR, en s’appuyant sur les conclusions de la SPR et en confirmant ses conclusions erronées en matière de crédibilité, n’a pas exercé ses pouvoirs d’organe d’appel. À cet égard, il s’oppose particulièrement à la conclusion que la SAR a tirée après avoir examiné le premier rapport d’information. Il allègue que la SAR a conclu que le premier rapport d’information n’était pas fiable parce qu’il était incompatible avec son témoignage, et ensuite que son témoignage n’était pas crédible parce qu’il était incompatible avec le premier rapport d’information. Selon lui, il s’agit d’un exemple patent de raisonnement circulaire qui témoigne du manque de logique interne de la décision contestée (Vavilov, au para 104). Il ajoute que la SAR a simplement souscrit aux conclusions de la SPR et qu’elle n’a pas dûment exercé sa compétence.

[19] Je ne suis pas de cet avis.

[20] Il est bien établi que la SAR n’est pas tenue de faire preuve de déférence envers la SPR, puisque sa norme de contrôle en appel est celle de la décision correcte. L’article 111 de la LIPR établit une procédure d’appel hybride selon laquelle la SAR doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR faisant l’objet de l’appel et trancher en toute indépendance la question de savoir si le demandeur d’asile a la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger (Huruglica aux para 58–60; Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182, au para 39).

[21] Après avoir examiné la décision contestée, je ne suis pas convaincu que la SAR n’a pas effectué une analyse indépendante de tous les éléments de preuve. Au contraire, je n’ai aucune raison de douter que la SAR a suivi les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica et qu’elle a effectué sa propre évaluation indépendante, exhaustive et approfondie de la preuve en vue de juger si M. Warrich était crédible (Huruglica au para 54). Le fait que la SAR soit parvenue aux mêmes conclusions que la SPR, à savoir que M. Warrich manquait de crédibilité, ne signifie pas que la SAR n’a pas rempli son rôle à titre de tribunal d’appel.

[22] La SAR a expressément affirmé dans la décision contestée qu’elle avait examiné les conclusions de la SPR selon la norme de la décision « correcte », et, en fait, elle a effectué sa propre évaluation de la crédibilité du témoignage de M. Warrich. En outre, dans ses motifs, la SAR a mentionné son « examen indépendant » de l’événement lié au premier rapport d’information et son « analyse indépendante » du témoignage de M. Warrich, et elle a affirmé plusieurs fois qu’elle tirait ses propres conclusions de fait. Les incohérences relevées par la SAR entre le premier rapport d’information et le témoignage de M. Warrich ont semé de nombreux doutes qui, considérés globalement, l’ont amenée à conclure que M. Warrich n’était pas crédible. Ce faisant, elle comprenait certainement son rôle et a suivi à la lettre les indications données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica. Rien dans la décision contestée ne témoigne d’une déférence complaisante envers la SPR. On peut plutôt y voir que la SAR a rigoureusement examiné la preuve. Qui plus est, la SAR a même corrigé quelques éléments de la décision de la SPR et admis que cette dernière avait commis des erreurs mineures dans son analyse, ce que la SAR était libre de faire (Huruglica au para 79).

[23] L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse de la décision administrative. Toutefois, dans son analyse du caractère raisonnable de la décision, la cour de révision doit examiner les motifs exposés avec « une attention respectueuse » et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). Elle doit également adopter une approche empreinte de déférence et intervenir uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13).

[24] Depuis l’arrêt Vavilov, les motifs des décideurs administratifs ont plus d’importance et sont le point de départ de l’analyse lors d’un contrôle judiciaire. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », démontrent que « la décision a été rendue de manière équitable et licite », et font office de bouclier contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision. Il faut les interpréter de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov au para 97, citant Société canadienne des postes au para 31).

[25] Dans le cas de M. Warrich, la SAR a exposé dans la décision contestée des motifs qui justifient amplement ses conclusions, et ce, de manière transparente et intelligible. Rien ne permet de douter qu’elle a dûment exercé sa compétence.

B. La preuve a été analysée

[26] En guise de deuxième argument contre la décision contestée, M. Warrich soutient que la SAR n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve et qu’elle a notamment fait abstraction de la preuve documentaire et du cartable national de documentation sur le Pakistan, qui éclairaient la question de la corruption policière.

[27] Les observations de M. Warrich à cet égard ne me convainquent pas.

[28] Comme l’a admis l’avocate de M. Warrich à l’audience devant la Cour, il est bien reconnu qu’un décideur administratif est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il était saisi jusqu’à preuve du contraire (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). En outre, si un élément de preuve en particulier n’est pas mentionné, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il a été négligé (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16); les décideurs ne sont pas tenus de citer tous les éléments qui étayent leurs conclusions.

[29] Seul le silence d’un décideur administratif à l’égard d’un élément de preuve qui contredit directement sa conclusion de fait pourrait amener la Cour à intervenir et à inférer qu’il a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve contradictoire (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 aux para 9–10; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), 157 FTR 35 au para 17). Le fait de ne pas avoir examiné un élément de preuve en particulier doit être considéré en contexte, et il pourrait parfois être suffisant pour annuler une décision, mais seulement si l’élément en question est essentiel, s’il contredit la conclusion du décideur, et si la cour de révision juge que cette omission indique que le décideur a écarté les documents dont il disposait. Tel n’est pas le cas en l’espèce, et je ne suis pas d’avis que les éléments de preuve documentaire sur la corruption de la police pakistanaise invoqués par M. Warrich correspondent aux circonstances exceptionnelles indiquées dans la jurisprudence. Bien que quelques éléments de preuve généraux traitaient de la corruption au Pakistan, M. Warrich n’a pas fourni d’élément de preuve fiable démontrant qu’il y a eu de la corruption policière dans son cas particulier et il n’a pas établi de lien entre la corruption policière et sa propre situation.

C. La présomption de véracité des témoignages a été respectée

[30] Enfin, M. Warrich soutient que la SAR a fait preuve d’un excès de zèle en relevant des incohérences et des contradictions dans son témoignage, et qu’elle n’a pas respecté la présomption de véracité du témoignage établie dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado].

[31] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que M. Warrich fait de l’arrêt Maldonado ni avec la portée qu’il veut donner aux conclusions qui y sont exposées.

[32] Dans les décisions Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 [Lunda] et Fatoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 456 [Fatoye], j’ai récemment analysé la portée et les limites de la présomption de véracité en matière de demande d’asile établie dans l’arrêt Maldonado (Lunda aux para 29–31; Fatoye,aux para 35–37). Je prends la liberté de reproduire les paragraphes suivants de la décision Lunda

[29] […] L’arrêt Maldonado n’auréole pas les témoignages des demandeurs d’asile d’une présomption irréfragable de véracité ni ne les place-t-il à l’abri de tout soupçon. Bien au contraire, la décision Maldonado établit simplement le principe que, « [q]uand un [demandeur] jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » (soulignement ajouté) (Maldonado au para 5). Cette réserve est importante, car elle signifie que la présomption s’éteint lorsqu’émergent des raisons pour douter de la véracité des allégations formulées dans une demande d’asile. Ainsi, la présomption est réfutable lorsque la preuve au dossier ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666 au para 11, citant Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF) (QL)), ou lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication fournie par le demandeur eu égard à des incohérences révélées par la preuve (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19).

[30] La raison sous-jacente à la présomption de véracité édictée dans Maldonado est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que des demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent toujours de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs demandes. Ces circonstances peuvent notamment inclure le passage par des camps de réfugiés, des situations de pays déchirés par la guerre, des cas de discrimination ou des événements dans lesquels les demandeurs d’asile ne disposent que d’un très court délai pour échapper à leurs agents de persécution et ne peuvent, par la suite, accéder à des documents ou à d’autres éléments de preuve depuis le Canada (Fatoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 456 aux para 35-38).

[31] Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile a la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande avant ou après son arrivée au Canada, la force de la présomption de véracité peut dépendre directement de la mesure dans laquelle une preuve corroborative est fournie. Il en résulte que, s’il y a une raison quelconque de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, des conclusions défavorables peuvent être tirées à l’égard de la crédibilité si le demandeur d’asile s’avère incapable de fournir une explication pour l’absence de preuves corroboratives raisonnablement attendues (Association canadienne des avocats et avocates endroit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 au para 184; Murugesu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 819 au para 30; Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 au para 7). Dans le même esprit, lorsque des éléments de preuve corroboratifs devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable pour leur absence, le décideur administratif peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’efforts de la part du demandeur pour obtenir de tels éléments de preuve (Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 aux para 33, 35).

[Souligné dans l’original.]

[33] Comme en témoigne cet extrait, la présomption établie dans l’arrêt Maldonado implique qu’il est généralement injustifié d’exiger une preuve corroborante objective à l’appui d’affirmations qui reposent sur la connaissance personnelle d’un demandeur (Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 au para 19). Toutefois, cette présomption est réfutable lorsque la preuve au dossier ne concorde pas avec le témoignage sous serment du demandeur d’asile (Lunda au para 29), qu’il y a des raisons de conclure que le témoignage du demandeur manque de crédibilité (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2 [He] au para 22), ou que les explications du demandeur d’asile à propos des incohérences dans la preuve ne convainquent pas le décideur (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19). La présomption établie dans l’arrêt Maldonado n’est donc pas une panacée au témoignage défaillant d’un demandeur.

[34] En l’espèce, M. Warrich affirme que la SAR s’est appuyée sur des détails insignifiants et secondaires pour rejeter son témoignage et qu’elle a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité en se fondant uniquement sur l’absence de preuve corroborante. Je juge ces arguments dénués de fondement.

[35] Je conviens qu’à elle seule, une incohérence ne justifie pas systématiquement une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Toutefois, une accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant les éléments cruciaux d’une demande d’asile peut appuyer une telle conclusion (Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 aux para 55–56, renvoyant à Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 21). En l’espèce, les incohérences dans le témoignage de M. Warrich étaient nombreuses et loin d’être insignifiantes. Elles se rapportaient plutôt à des éléments cruciaux des événements qui auraient mené à son départ du Pakistan et qui, en fin de compte, ont été invoqués comme fondement de sa demande d’asile, à savoir s’il était présent et s’il avait été battu lors de l’agression par le LJ en mars 2016, qui étaient les personnes prises pour cibles et menacées par le LJ, et où il s’était rendu après avoir échappé à ses ravisseurs en avril 2016. Je ne suis pas d’accord avec M. Warrich pour dire qu’il s’agit d’éléments accessoires ou secondaires par rapport au fondement de sa demande d’asile, ou que leur inexactitude peut être simplement considérée comme sans importance. À mon avis, ils sont clairement au cœur de l’allégation de M. Warrich selon laquelle il a été persécuté par le LJ. Plus précisément, je ne suis pas convaincu que le témoignage de M. Warrich sur son évasion de mai 2016 puisse être dissocié de son témoignage sur l’enlèvement qui l’a précédée et qui est l’un des deux principaux événements allégués qui seraient à l’origine de sa crainte d’être persécuté.

[36] En outre, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en se fondant uniquement sur l’absence de preuve corroborante. La SAR n’a pas conclu que M. Warrich n’était pas crédible simplement parce qu’il n’était pas en mesure de fournir une preuve documentaire corroborante à l’appui de ses allégations. Non seulement M. Warrich n’a pas été en mesure de produire une preuve documentaire corroborante à l’appui de ses allégations, mais des éléments de preuve au dossier contredisaient ses propres allégations et son propre témoignage, et des incohérences entre l’exposé circonstancié contenu dans sa demande d’asile et son propre témoignage devant la SPR ont été relevées.

[37] Il n’est pas contraire à la présomption établie dans l’arrêt Maldonado d’exiger une preuve corroborante objective dans une situation où il y a des raisons de douter de la crédibilité d’un demandeur (He au para 24; Guzun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1324 aux para 19–21; Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026 aux para 21–22, citant Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12 au para 10). Telle est la situation en l’espèce. De plus, je juge convaincante l’analyse de la SAR à l’appui de sa conclusion selon laquelle les explications de M. Warrich étaient inadéquates et insuffisantes pour dissiper les doutes au sujet de sa crédibilité.

[38] Il est bien établi en droit que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile faite par la SAR et la SPR (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) au para 4). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue envers les conclusions en matière de crédibilité, étant donné le rôle de juge des faits attribué aux tribunaux administratifs (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59,t 89; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9). Ces questions de crédibilité sont décrites comme constituant l’essentiel de la compétence, de l’expertise et des connaissances particulières que la LIPR attribue à la SAR et à la SPR (Tsigehana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 426 au para 34; Pepaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938 au para 13; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 7–8).

[39] En définitive, M. Warrich a avancé des arguments qui traduisent simplement son désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par la SAR et il invite en fait la Cour à privilégier son opinion et son appréciation de la preuve au détriment de l’analyse de la SAR. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

IV. Conclusion

[40] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Warrich sera rejetée. Je ne vois rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SAR ni dans ses conclusions. Je conclus plutôt que son analyse de la question du manque de crédibilité de M. Warrich possède toutes les caractéristiques requises, c’est-à-dire qu’elle est transparente, raisonnable et intelligible, et que la décision contestée n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. À tous égards, on peut suivre le raisonnement de la SAR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique.

[41] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT au dossier IMM-6554-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens;

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6554-20

 

INTITULÉ :

MUDASSAR IQBAL WARRICH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Rachel Bourbeau

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semperlex Avocats s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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