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Date : 20030613

Dossier : T-875-03

Référence : 2003 CFPI 748

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS                                   

ENTRE :

                                       ANDREW PARRISH et SYNDICAT DES AGENTS

                          CORRECTIONNELS DU CANADA - UNION OF CANADIAN

                                                   CORRECTIONAL OFFICERS - CSN

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                                                CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) et

                                            SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                                       défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une requête présentée pour le compte des défendeurs en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de l'avis de demande introductif d'instance que les demandeurs ont déposé le 27 mai 2003, en application des articles 4 et 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) [les Règles]; et d'une requête présentée pour le compte des demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance d'injonction interlocutoire, en application de l'article 373 des Règles, qui enjoint au Service correctionnel du Canada [le SCC] / le commissaire du SCC de ne pas muter les employés du centre régional de santé [le CRS] de la région du Pacifique au nouvel établissement du SCC, l'établissement du Pacifique / le centre régional de traitement [le CRT], situé au 33344, King Road, Abbotsford (Colombie-Britannique), et ce, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire.

LES FAITS

[2]                 Le 15 juin 2002, Tom Brooman a déposé une plainte en application du paragraphe 127.1(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 [le Code], plainte portant sur des risques pour la santé et la sécurité du personnel à l'établissement du Pacifique.

[3]                 Le 19 août 2002, l'agent de correction Andrew Parrish, le représentant de l'employé, ainsi que Dan O'Hara, le représentant de l'employeur le SCC, ont été chargés de faire enquête sur la plainte conformément au paragraphe 127.1(3) du Code, enquête qui a commencé le 22 août 2002 et s'est terminée le 18 septembre 2002.

[4]                 L'enquête a donné lieu à un rapport dans lequel MM. Parrish et O'Hara concluent que, malgré l'existence de nombreuses mesures de sécurité sur le nouveau site (le CRT), il y a encore plusieurs problèmes susceptibles d'avoir des répercussions sur la sécurité du personnel.

[5]                 Dans une lettre datée du 9 janvier 2003, Terry Sawatsky, directeur exécutif au SCC, a informé M. Brooman qu'il n'était pas disposé à accepter les conclusions du rapport.

[6]                 À la suite de la lettre du 9 janvier 2003, Tom Brooman a renvoyé la plainte à l'agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 127.1(8) du Code.

[7]                 L'agent de santé et de sécurité a donc effectué une enquête en application du paragraphe 127.1(8) du Code. Cependant, à la date du dépôt de la présente demande, l'agent de santé et de sécurité n'avait pas terminé son enquête.

[8]                 Le 20 mai 2003, le SCC a envoyé, par courriel, un avis aux employés pour les informer que les détenus et les patients (ce qui comprendrait par voie de conséquence les employés) du CRS devaient être transférés au CRT le 26 mai 2003, lorsque le commissaire du SCC aurait donné son approbation. Le courriel indiquait :

[traduction] L'équipe nationale de vérification a terminé sa visite et doit faire rapport au commissaire plus tard cette semaine. L'approbation du commissaire est requise avant que les détenus et les patients puissent être transférés au nouveau site. Nous prévoyons maintenant commencer ces transferts le 26 mai.


[9]                 Le 21 mai 2003, le conseiller technique du Syndicat des agents correctionnels du Canada - Union of Canadian Correctional Officers - CSN [le SACC-UCCO - CSN] a écrit à John Costello, directeur du CRS (SCC) que le SCC n'avait pas réglé les problèmes en matière de sécurité dont avait fait état le rapport et il a demandé au SCC d'interrompre immédiatement le processus de réaffectation des agents de correction au nouveau CRS.

[10]            Le 23 mai 2003, le commissaire du SCC a décidé de suspendre la réaffectation des employés au CRT en raison de problèmes liés à la santé et à la sécurité des détenus.

[11]            Le 27 mai 2003, les demandeurs ont déposé la demande de contrôle judiciaire et, le 30 mai 2003, ils ont déposé une requête en injonction interlocutoire qui enjoindrait au SCC de ne pas muter les employés du CRS de la région du Pacifique à son nouvel établissement, le CRT / l'établissement du Pacifique.

[12]            Le 4 juin 2003, les défendeurs ont déposé une requête en radiation de l'avis de demande introductif d'instance que les demandeurs ont déposé le 27 mai 2003.

[13]            Après discussion avec les parties, il a été convenu que la Cour entendrait tout d'abord la requête en radiation et qu'elle se pencherait ensuite sur la requête en injonction interlocutoire. La Cour a décidé d'entendre les observations des parties sur chacune des deux requêtes successivement.


LES QUESTIONS LITIGIEUSES

L'avis de demande du 27 mai 2003 devrait-il être radié au motif que la Cour n'a pas compétence pour entendre la présente affaire ou, subsidiairement, au motif que les demandeurs disposent d'un autre recours approprié en application de la partie II du Code?

L'ANALYSE

[14]            Comme les défendeurs l'ont clairement établi, la partie II du Code établit une procédure détaillée pour l'examen des plaintes particulières des demandeurs, laquelle procédure se conclut par une décision de l'agent d'appel. Les deux parties conviennent que cette procédure n'est pas terminée.

[15]            Les demandeurs affirment que la Section de première instance de la Cour fédérale peut prendre des mesures contre un office fédéral conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, et que le SCC et le commissaire sont des offices fédéraux (voir Shaw c. Canada, (1997) 134 F.T.R. 128, [1997] A.C.F. no 972).

[16]            De leur côté, les défendeurs font valoir que la procédure aboutirait à une décision de l'agent d'appel, laquelle est soustraite au contrôle judiciaire par la clause privative contenue à l'article 146.3 du Code, ce qui dépossède donc la Cour de sa compétence. Les articles 146.3 et 146.4 sont rédigés comme suit :



146.3 Les décisions de l'agent d'appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.                                                                                     

146.3 An appeals officer's decision is final and shall not be questioned or reviewed in any court.



146.4 Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de l'agent d'appel exercée dans le cadre de la présente partie.

146.4 No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an appeals officer in any proceeding under this Part.


[17]            Les défendeurs soutiennent avec vigueur que lorsqu'il a adopté l'article 146.3, le législateur voulait de toute évidence que la procédure énoncée dans la partie II du Code soit la seule qui s'offre aux demandeurs dans ce domaine des relations de travail, ce qui empêche donc la Cour d'aider les demandeurs.

[18]            En fait, les articles 22 et 23 de la partie I du Code prévoient expressément que les décisions relevant de la partie I sont susceptibles de contestation ou de contrôle devant la Cour.

[19]            Il s'agit là d'une indication claire qu'en l'absence d'une mention semblable dans la partie II, la Cour n'est expressément pas autorisée à intervenir. En fait, le Code prévoit une procédure de recours appropriée que les demandeurs auraient dû, selon les défendeurs, épuiser. Les défendeurs ajoutent que, conformément à l'article 146.3 du Code, les décisions définitives des agents d'appel ne sont pas susceptibles de contrôle devant la Cour fédérale du Canada.

[20]            Pour leur part, les demandeurs soutiennent que la décision du juge Dawson dans Canadian Freightways Ltd. c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 552, datée du 2 avril 2003, semble limiter la portée de l'article 146.3 du Code. Elle a affirmé :

[18] L'article 146.3 du Code prévoit que les décisions de l'agent d'appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires. Pareilles décisions peuvent donc uniquement être examinées si l'agent d'appel a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable. Voir : CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, à la page 1003.

[21]            Comme il n'y a pas d'agent d'appel dans l'affaire dont la Cour est saisie, je n'ai pas besoin de me prononcer sur la question de savoir si la décision définitive d'un agent d'appel est susceptible de contrôle.

[22]            En fait, à ce jour, la question de la santé et de la sécurité du personnel fait toujours l'objet d'une enquête par un agent de santé et de sécurité. C'est seulement lorsque l'agent de santé et de sécurité conclut à l'absence de danger, et s'il tire une telle conclusion, qu'on peut interjeter appel devant l'agent d'appel.

[23]            En l'espèce, la question de savoir si la Cour aurait compétence pour contrôler la décision d'un agent d'appel est non pertinente et prématurée.


[24]            Les défendeurs ont fait allusion à la décision Vaughan c. Canada, [2003] A.C.F. no 241, dans laquelle le juge Evans, dans ses motifs concourants, a cité les propos du juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Fraternité des préposés à l'entretien des voies - Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495 :

[149] Madame le juge McLachlin (tel était alors son titre) a défini l'étendue de ce rôle résiduel dans l'arrêt Fraternité des préposés à l'entretien des voies - Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [...], lorsqu'elle a dit ce qui suit (au paragraphe 8) :

Si détaillé que puisse être un régime établi par la loi pour le règlement des conflits, il reste toujours une possibilité que des événements entraînent un problème que le régime n'avait pas prévu. Il est alors important qu'il y ait un tribunal capable de résoudre ce problème, si l'on veut trouver une solution judiciaire plutôt qu'extrajudiciaire. C'est précisément pour cette raison que la common law a élaboré la notion de cours investies d'une compétence inhérente. Si l'on veut éviter que la primauté du droit ne soit réduite à un ensemble incohérent, appliqué au gré de la fantaisie, il faut qu'il y ait une entité à laquelle les parties à un conflit puissent s'en remettre lorsque les lois et les régimes établis par celles-ci ne prévoient aucun recours.

[25]            Les défendeurs ont également prétendu que non seulement les demandeurs n'avaient pas épuisé la procédure prévue par la partie II du Code, mais qu'ils ne s'étaient pas non plus prévalus d'un autre recours approprié. L'article 128 prévoit :


128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas_:

a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

128. (1) Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that

(a) the use or operation of the machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee;

(b) a condition exists in the place that constitutes a danger to the employee; or

(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.


[26]            Comment peut-on prétendre que la Cour devrait intervenir au milieu d'une procédure établie par le Code pour examiner ce type de question, lorsqu'il existe également un autre recours approprié dont pourrait se prévaloir l'employé qui estime que la décision de l'employeur est susceptible de porter atteinte à sa santé ou à sa sécurité?

[27]            Compte tenu de ce qui précède, je n'ai aucune hésitation à conclure que l'intervention de la Cour en l'espèce n'est pas justifiée.

[28]            J'ai examiné les observations des parties et entendu leurs arguments en ce qui a trait à la requête en injonction interlocutoire. Compte tenu de ma conclusion relativement à la requête en radiation, et de ma conclusion suivant laquelle il n'y a aucune question sérieuse à juger, je n'ai pas besoin de me pencher sur les deux autres éléments du critère établi par la Cour suprême du Canada dans RJR-MacDonald c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, pour l'octroi d'une injonction interlocutoire.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :                                            


          1.        La présente requête en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de l'avis de demande introductif d'instance que les demandeurs ont déposé le 27 mai 2003 est accueillie, parce qu'à cette étape-ci, la Cour n'a pas compétence pour instruire la présente affaire.

          2.        La requête en injonction interlocutoire est rejetée.

          3.        La demande de contrôle judiciaire portant sur la décision du commissaire du SCC de muter les employés du CRS de la région du Pacifique au nouvel établissement du SCC, l'établissement du Pacifique, avant que l'agent de santé et de sécurité nommé en vertu du Code n'ait terminé son enquête, est radiée.

          4.        Les dépens sont adjugés aux défendeurs.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-875-03

INTITULÉ :                                                       ANDREW PARRISH ET AL.

c.

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                             LE 9 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                    LE 13 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

G. James Baugh & Sarbjit S. Deepak                 POUR LES DEMANDEURS

Curtis Workun & Ward Bansley                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McGrady, Baugh & Whyte                                  POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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