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Date : 20220203


Dossier : IMM‑1492‑21

Référence : 2022 CF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

HENRY OGHENEKEV EFERE et

EDMUND ONANEFE EFERE (MINEUR REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HENRY OGHENEKEV EFERE)

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue le 22 décembre 2020 et communiquée aux demandeurs le ou vers le 4 janvier 2021, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile des demandeurs et conclu qu’ils n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger [la décision].

[2] La SPR a jugé que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans plusieurs villes du Nigéria.

II. Contexte

[3] Le demandeur principal, Henry Oghenekev Efere, et son fils, Edmund Onanefe Efere [le codemandeur] [collectivement, les demandeurs] sont des citoyens du Nigéria. Les demandeurs sont entrés en Ontario, au Canada, depuis les États‑Unis, par le poste frontalier de Buffalo/Fort Erie, le 28 novembre 2019, et ont présenté une demande d’asile à leur arrivée.

[4] L’épouse et la fille du demandeur principal (toutes deux citoyennes du Nigéria) sont entrées au Québec, au Canada, depuis les États‑Unis, par le poste frontalier de Lacolle, le 18 juillet 2019, et ont présenté une demande d’asile le jour même.

[5] Les deux demandes d’asile – celle des demandeurs et celle de leur famille – ont été instruites conjointement par la SPR le 9 septembre 2020. Elles ont toutes deux été rejetées et un appel des deux décisions a été interjeté conjointement devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] le ou vers le 13 janvier 2021. La SAR a rejeté l’appel de la décision concernant les demandeurs le 12 février 2021, pour défaut de compétence au titre de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La décision de la SAR concernant l’épouse et la fille du demandeur principal était toujours en instance au moment où la présente demande de contrôle judiciaire a été instruite.

[6] Les demandeurs et leur famille auraient fui le Nigéria parce qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés par :

  1. les membres traditionalistes de la famille du demandeur principal (c.‑à‑d. le chef et l’oncle) qui cherchaient à soumettre la fille du demandeur principal à une mutilation génitale féminine [MGF];

  2. la police nigériane, relativement à un litige foncier dans le cadre duquel le sous‑commissaire de police [le sous‑commissaire] et des [Traduction] « accapareurs de terres » locaux ont cherché à s’approprier la terre du demandeur principal, qui lui avait été attribuée en contrepartie de services juridiques rendus.

Pour s’approprier la terre du demandeur principal, les accapareurs de terres ont fait en sorte que des accusations criminelles soient portées à tort contre lui. Ces accusations criminelles ont finalement été rejetées, mais le sous‑commissaire a réussi à s’emparer de la terre du demandeur principal. Le sous‑commissaire continue de pourchasser le demandeur principal.

Le demandeur principal a déposé plusieurs requêtes dans lesquelles il proteste contre le vol de sa terre et sollicite l’aide d’instances supérieures.

[7] La SPR a jugé que les demandeurs étaient crédibles. Elle a cependant rejeté leur demande d’asile au motif qu’ils disposaient d’une PRI viable.

[8] Les demandeurs sollicitent ce qui suit :

  1. une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision;

  2. une ordonnance accordant aux demandeurs une nouvelle audience devant un tribunal de la SPR différemment constitué;

  3. toute autre réparation que l’avocat peut demander et que la Cour peut accorder.

III. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9] Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, la SPR a jugé que les demandeurs étaient crédibles. La SPR a conclu qu’il existait un lien entre la crainte d’une MGF alléguée par les demandeurs et les motifs prévus dans la Convention tels qu’ils sont énoncés à l’article 96 de la Loi, compte tenu de l’appartenance des demandeurs à leur groupe social, du fait que les femmes sont soumises ou craignent d’être soumises à une MGF au Nigéria, et des usages de leur famille.

[10] La SPR a cependant conclu qu’il n’existait aucun lien entre la crainte des demandeurs d’être persécutés par le sous‑commissaire et les motifs prévus dans la Convention, car cette crainte ne semble pas être liée à la race, à l’origine ethnique, à la nationalité, aux opinions politiques ou à l’appartenance à un groupe social. Par conséquent, la SPR a jugé qu’il était plus approprié d’apprécier ces allégations au regard des dispositions du paragraphe 97(1) de la Loi (c.‑à‑d. personne à protéger).

[11] Comme je l’ai déjà mentionné, la demande d’asile des demandeurs a été rejetée parce que la SPR a jugé que ces derniers disposaient d’une PRI viable. La SPR a conclu que Port Harcourt, Abuja et Ibadan – toutes des villes du Nigéria – constituaient des PRI viables après prise en compte de ce qui suit :

  • Les nombreuses variables qui peuvent faire obstacle à l’établissement du bien‑fondé d’une demande d’asile, telles que la nature même du fondement de la demande d’asile, les facteurs culturels, sociaux, linguistiques, médicaux, psychologiques, économiques et liés à l’éducation, ainsi que les formalités des processus de demande d’asile et d’audience.

  • Les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR]

Plus précisément, dans le contexte de la PRI, la SPR a tenu compte de préoccupations liées à la capacité des demandeurs de se rendre en toute sécurité à Port Harcourt, l’une des villes désignées comme PRI, ainsi que des « facteurs religieux, économiques et culturels » afin d’établir « si ceux‑ci influeront sur les [demandeurs d’asile] dans la PRI et de quelle façon ».

  • La décision de la SAR dans le dossier TB7‑19851, qui a été désignée par le président de la CISR comme motifs d’intérêt de la SAR. Ces motifs d’intérêt de la SAR portent sur les lieux désignés comme PRI dans diverses régions du Nigéria, y compris Port Harcourt, pour les demandeurs d’asile fuyant des acteurs non étatiques.

La SPR a jugé que l’analyse présentée dans les motifs d’intérêt de la SAR concernant la viabilité d’une PRI à Port Harcourt était pertinente et probante relativement à la situation des demandeurs d’asile, qui fuient les membres traditionalistes de leur famille, dans la présente affaire.

[12] La SPR s’est concentrée sur Port Harcourt parce que, selon les renseignements contenus dans la demande d’asile des demandeurs, les agents de persécution de ces derniers ne résidaient pas dans cette ville, et parce que rien n’indiquait que les demandeurs avaient des attaches familiales, économiques ou politiques à Port Harcourt.

[13] Le SPR a évalué l’existence d’une PRI selon le critère juridique à deux volets bien établi. Après avoir appliqué ce critère, la SPR est parvenue aux conclusions suivantes :

  1. Les demandeurs d’asile peuvent s’établir en toute sécurité à Port Harcourt. Les demandeurs d’asile n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou qu’ils seraient personnellement exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Port Harcourt.

  1. L’épouse du demandeur principal a déclaré qu’elle ne savait rien des moyens ou des ressources dont la famille du demandeur principal pouvait disposer pour les retrouver à Port Harcourt.

  2. Le demandeur principal n’a pas pu démontrer que le sous‑commissaire avait une quelconque influence à l’extérieur de son territoire.

  3. Le demandeur principal n’a, de même, pas pu démontrer que le sous‑commissaire disposait des ressources nécessaires pour le retrouver à l’extérieur de son territoire, même si ce dernier pouvait avoir une certaine motivation à le rechercher compte tenu de l’action au civil que le demandeur principal a intenté contre lui.

  1. Il est raisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Port Harcourt. Les demandeurs d’asile n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui leur sont propres, de chercher refuge à Port Harcourt, ville désignée comme PRI.

  1. Le demandeur principal est titulaire d’un baccalauréat en droit; il a travaillé comme avocat et a exercé diverses autres fonctions. La SPR a conclu que, compte tenu de son niveau d’instruction et de ses antécédents professionnels, le demandeur principal avait la capacité de trouver un emploi à Port Harcourt et de s’adapter à une nouvelle vie là‑bas.

  2. Les demandeurs parlent l’anglais couramment, une langue qui est parlée à Port Harcourt.

  3. Les demandeurs sont chrétiens et peuvent pratiquer leur religion à Port Harcourt.

  4. À la lumière de la preuve dont elle disposait, la SPR a conclu que rien ne faisait obstacle à la réinstallation des demandeurs et de leur famille à Port Harcourt et que cette réinstallation pourrait avoir lieu en toute sécurité.

  5. Les demandeurs n’ont pas établi que, selon la prépondérance des probabilités, l’absence de parents ou d’amis à Port Harcourt satisfaisait aux exigences élevées en matière de preuve, dans les circonstances qui leur sont propres.

[14] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve et des observations, la SPR a conclu qu’il existait une PRI viable pour les demandeurs à Port Harcourt et que ces derniers n’avaient pas démontré qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution ou qu’ils seraient personnellement exposés, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés au Nigéria. Par conséquent, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, et a rejeté leur demande d’asile.

IV. Les questions en litige

[15] La question en litige est de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable est raisonnable.

V. Norme de contrôle applicable

[16] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

VI. Analyse

[17] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’existence d’une PRI est évaluée à l’aide d’un critère à deux volets [Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA)] :

  1. la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge;

  2. la situation dans la partie du pays proposée comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[18] Une fois que la question de la PRI a été soulevée, c’est au demandeur d’asile qu’incombe le fardeau de démontrer qu’il ne dispose pas d’une PRI. Cependant, le décideur ne peut pas, en l’absence d’éléments de preuve suffisants, s’appuyer uniquement sur le fait que le demandeur d’asile ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve pour conclure à l’existence d’une PRI. Le demandeur n’est pas tenu de vérifier personnellement la viabilité d’une PRI.

[19] Pour déterminer si la crainte d’être persécuté dans le lieu désigné comme PRI est objectivement fondée, le décideur doit tenir compte de la situation particulière du demandeur d’asile; il ne suffit pas d’examiner les éléments de preuve généraux concernant d’autres personnes vivant au même endroit. Une PRI ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit constituer une option réaliste et abordable. À cet égard, le demandeur doit vraiment avoir accès à la protection nationale et cette protection doit être réaliste.

[20] Le second volet du critère relatif à la PRI place la barre très haut et exige l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur qui se rendrait ou se réinstallerait temporairement à l’endroit désigné comme PRI. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions [Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 RCF 164 aux para 15‑17].

[21] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis trois erreurs :

  1. la SPR a commis une erreur dans son analyse relative à la PRI;

  2. la SPR n’a pas tenu compte de la preuve ou l’a mal interprétée;

  3. la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la protection offerte par l’État.

[22] Les demandeurs soutiennent que la SPR a mal interprété et mal appliqué chacun des deux volets du critère relatif à la PRI :

  1. En ce qui concerne le premier volet, les demandeurs affirment que la SPR a fait fi ou n’a pas tenu compte des moyens et des ressources dont dispose le sous‑commissaire et des relations de ce dernier avec d’autres membres des forces policières partout au Nigéria.

  2. En ce qui concerne le second volet, les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant que Port Harcourt constituait une PRI raisonnable, et ce, pour plusieurs raisons :

  1. Port Harcourt est la PRI la plus près de la région natale du demandeur principal. Les demandeurs se sont déjà réinstallés à Lagos (une autre grande ville très peuplée) à plusieurs reprises par le passé et la famille du demandeur principal, qui veut faire subir une MGF à la fille de ce dernier les y a toujours retrouvés.

  2. Le sous‑commissaire peut mobiliser les ressources de la police nigériane pour les retrouver. Leur vie serait donc en péril peu importe l’endroit où ils se réinstalleraient, ce qui ravive les inquiétudes des demandeurs quant au fait qu’ils ne pourraient pas se prévaloir de la protection de l’État en cas de besoin.

  3. Le demandeur principal est tenu de fournir son adresse à l’association du barreau nigérian, qui rend cette information accessible au public. Les demandeurs affirment qu’il est donc facile pour les agents de persécution de savoir où ils se trouvent.

  4. Le demandeur principal n’a pas d’antécédents professionnels en dehors du domaine du droit et il n’est pas financièrement possible pour lui de réaliser des études dans un autre domaine.

  5. Le fait que les demandeurs n’ont pas de parents ou d’amis à Port Harcourt est pertinent.

Le Cartable national de documentation [CND] indique qu’il est difficile pour les gens de s’établir dans un autre État du Nigéria sans soutien familial. Il en serait de même pour les demandeurs.

À la différence de la situation examinée dans les motifs d’intérêt de la SAR, les demandeurs fuient à la fois des acteurs étatiques (c.‑à‑d. le sous‑commissaire) et des acteurs non étatiques (c.‑à‑d. les membres traditionalistes de la famille du demandeur principal).

[23] Les demandeurs invoquent plusieurs éléments du témoignage de l’épouse du demandeur principal à l’appui de leur allégation selon laquelle la SPR n’a pas tenu compte de la preuve ou l’a mal interprétée. Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant que le fait que les agents de persécution pourraient les retrouver en faisant une recherche sur Internet ne signifiait pas que Port Harcourt ne serait pas un refuge sûr. En fait, les membres traditionalistes de la famille du demandeur principal ont déjà réussi à retrouver les demandeurs à Lagos à plusieurs reprises. Les demandeurs soutiennent que la SPR a également commis une erreur en ne tenant pas compte de leur témoignage selon lequel la police exerce ses activités sur l’ensemble du territoire nigérian et échangent des renseignements avec les autres États.

[24] Les demandeurs affirment en outre avoir démontré que le sous‑commissaire est motivé à les retrouver. Le demandeur principal a déclaré que le sous‑commissaire continuait de le contacter et de contacter son cabinet d’avocats, et qu’il lui avait fait des menaces de mort.

[25] Les demandeurs soutiennent également que la SPR a omis d’aborder des éléments de preuve pertinents dans sa décision (c.‑à‑d. le témoignage du demandeur principal portant que le sous‑commissaire est encore motivé à le retrouver, lequel est corroboré par l’affidavit d’Oluyemi Sokunbi, ainsi que son témoignage concernant les requêtes, toujours en instance, qu’il a déposées auprès de la police relativement au litige foncier). Cette omission démontre que la SPR n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle.

[26] Les demandeurs affirment en outre que la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la protection offerte par l’État. Il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. Pour réfuter cette présomption, un demandeur doit présenter une preuve « claire et convaincante » établissant qu’aucune protection ne serait assurée [Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au para 48]. Les demandeurs affirment avoir présenté une preuve claire et convaincante établissant qu’aucune protection ne serait assurée par l’État nigérian :

  1. Le demandeur principal a déposé huit requêtes auprès de trois organes de gouvernance pour demander la tenue d’une enquête à l’égard du sous‑commissaire, mais aucune enquête n’a encore été ouverte et personne n’a eu de comptes à rendre ni fait l’objet de sanctions disciplinaires.

  2. En outre, ces requêtes ont été envoyées à Abuja, alors que le sous‑commissaire se trouve à Lagos, ce qui confirme le lien entre les États.

  3. Les fausses accusations criminelles n’ont été retirées que lorsque le procureur général est intervenu.

[27] Qui plus est, les demandeurs soutiennent que le CND sur lequel la SPR s’est appuyée qui indique que la police nigériane est mal coordonnée et inefficace a été retiré le 30 avril 2019. Un article cité par la SPR indique que la police nigériane est sous‑financée et mal administrée et qu’elle fait face à la corruption et aux abus de pouvoir.

[28] Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient pas démontré que le sous‑commissaire disposait des moyens et des ressources nécessaires pour les retrouver à Port Harcourt.

[29] Le défendeur a fait valoir qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de preuve qui leur incombait dans le cadre du premier volet du critère relatif à la PRI. Les demandeurs n’ont pas été en mesure de fournir de détails sur la façon dont la famille du demandeur principal s’y prendrait pour les retrouver à Port Harcourt. De plus, selon les motifs d’intérêt de la SAR, il y aurait un plus grand risque que les demandeurs soient retrouvés s’ils vivaient avec un membre de leur famille dans la ville proposée comme PRI; or, les demandeurs ont déclaré n’avoir aucune famille à Port Harcourt.

[30] Le défendeur a réitéré les conclusions de la SPR selon lesquelles le sous‑commissaire ne disposait pas des ressources nécessaires pour retrouver les demandeurs à Port Harcourt et que la poursuite civile en cours était sans importance. Le défendeur soutient en outre que la SPR est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve et n’est pas tenue d’aborder chacun des arguments soulevés dans sa décision.

[31] Le défendeur soutient également que la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que la PRI proposée est déraisonnable. Les exigences en ce qui concerne la preuve dans le cadre du second volet du critère relatif à la PRI sont élevées. La SPR a conclu que, compte tenu du niveau d’instruction élevé du demandeur principal et de son épouse, la prétention des demandeurs selon laquelle ils ne seraient pas en mesure de trouver des emplois et un logement comparables n’avait pas été établie. De même, la SPR a conclu que la langue, la religion et la capacité de se déplacer en toute sécurité n’étaient pas des facteurs qui contribuaient à rendre la PRI proposée déraisonnable. Le défendeur a également soutenu qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le fait que les demandeurs n’ont ni famille ni amis à Port Harcourt n’avait aucune incidence puisque ces derniers n’avaient pas établi que leur vie ou leur sécurité seraient en péril.

[32] Enfin, le défendeur a fait valoir que les observations des demandeurs concernant la protection de l’État ne devaient pas être prises en considération puisque la SPR n’avait pas entrepris d’évaluer la protection offerte par l’État – la demande d’asile des demandeurs a été rejetée sur le seul fondement de la PRI.

[33] Comme je l’ai souligné précédemment, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans sa décision chacun des éléments de preuve dont il disposait. Un tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne puisse être établi [Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166 au para 50; Ogunkunle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 111 au para 13]. Les demandeurs n’ont pas démontré que la SPR a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve, seulement qu’elle n’a pas explicitement mentionné des passages particuliers. Or, il semble que la SPR n’ait effectivement pas tenu compte de témoignages et d’éléments de preuve pertinents.

[34] La SPR semble ne pas avoir tenu compte de la preuve selon laquelle la famille du demandeur principal avait déjà retrouvé les demandeurs à Lagos à trois reprises. Lagos est une ville considérablement plus populeuse que Port Harcourt et elle est plus éloignée de la région où réside la famille du demandeur principal que Port Harcourt. En outre, selon la preuve présentée, le demandeur principal est tenu de fournir son adresse à l’association du barreau nigérian, qui rend cette information accessible au public. Ces éléments de preuve confirment que la fille du demandeur principal serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution aux mains de la famille du demandeur principal s’ils devaient se réinstaller à Port Harcourt.

[35] Les documents que la SPR invoque pour affirmer que le sous‑commissaire, à titre de membre de la police nigériane, est aux prises avec un manque de financement et d’équipement, et que les membres de cette force de police ne patrouillent pas dans les communautés locales, ne figurent pas dans le CND. Qui plus est, ces renseignements, s’ils ont déjà fait partie du CND, appuient l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils ne pourraient bénéficier de la protection de l’État puisque le sous‑commissaire et ses associés n’ont pas eu à répondre de leurs actes et ont continué de chercher le demandeur principal. Bien que le demandeur principal ait pu, avec l’aide du procureur général, faire tomber les fausses accusations criminelles portées contre lui, le sous‑commissaire continue de bénéficier de l’impunité et il existe toujours une possibilité sérieuse de persécution de la part du sous‑commissaire.

[36] La preuve démontre que les demandeurs et leur famille seraient vraisemblablement exposés à une possibilité sérieuse de persécution et qu’ils seraient personnellement exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Port Harcourt. Comme je l’ai mentionné précédemment, les demandeurs ne sont pas tenus de vérifier personnellement la viabilité d’une PRI. La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs et leur famille n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Port Harcourt est déraisonnable.

[37] Comme je l’ai indiqué, le second volet du critère relatif à la PRI place la barre très haut et exige l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs seraient en mesure de pratiquer leur religion et de communiquer en anglais à Port Harcourt.

[38] La SPR a toutefois commis une erreur en concluant que rien dans la preuve ne donnait à penser qu’il était difficile de trouver un logement à Port Harcourt pour une personne n’y résidant pas. Le CND dont disposait la SPR contenait des éléments de preuve indiquant qu’il pouvait être difficile pour des allochtones de se réinstaller dans un nouvel état en l’absence d’attaches familiales ou de moyens financiers. Comme l’a reconnu la SPR, les demandeurs ont déclaré qu’ils ne connaissaient personne à Port Harcourt.

[39] En outre, la SPR a jugé que le demandeur principal et son épouse seraient en mesure de trouver du travail à Port Harcourt, faisant valoir que ceux‑ci « ont longtemps travaillé au Nigéria et y ont une expérience de travail variée touchant plusieurs activités professionnelles ». Il est vrai que le demandeur principal et son épouse ont tous deux un niveau d’instruction élevé, mais il n’y a aucune preuve des antécédents professionnels variés auxquels la SPR fait référence – en fait, la preuve indique que le demandeur principal et son épouse ont uniquement exercé leurs professions respectives, soit celles d’avocat et de microbiologiste. La SPR n’a pas indiqué où, dans le dossier, elle avait trouvé cette preuve d’une expérience de travail longue et variée.

[40] Compte tenu des erreurs que la SPR a commises, notamment le fait d’invoquer des éléments de preuve qui, en réalité, n’existent pas, et de la preuve établissant une possibilité sérieuse de persécution de la part de la famille du demandeur dans la ville proposée comme PRI, la conclusion de la SPR concernant l’existence d’une PRI viable est déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1492‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1492‑21

 

INTITULÉ :

HENRY OGHENEKEV EFERE et EDMUND ONANEFE EFERE (MINEUR REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HENRY OGHENEKEV EFERE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

ROGER ROWE

 

Pour le demandeur

 

NIMANTHIKA KANEIRA

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

THE LAW OFFICES OF ROGER ROWE

NORTH YORK (ONTARIO)

 

Pour le demandeur

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

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