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Date : 20220208

Dossier : IMM-2276-21

Référence : 2022 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

MUNIRU ADEBISI LIADI

EJIMOT OLUWAKEMI LIADI

MALIK ADEFISAYO LIADI

MA’MUN ADEFEMI LIADI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, citoyens du Nigéria, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 9 mars 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle Muniru Adebisi Liadi [le demandeur principal], Ejimot Oluwakemi Liadi [la demanderesse] et leurs enfants mineurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] valable à Port Harcourt.

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR s’est méprise : a) dans son analyse relative à la crainte raisonnable de partialité; b) dans son appréciation du profil des agents de persécution; c) dans sa conclusion selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI valable à Port Harcourt.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

[4] Le demandeur principal était le directeur régional des ventes d’une entreprise de marketing au Nigéria. Selon lui, la fille du chef Akinade, un membre présumé de la confrérie Ogboni, a dérobé de l’argent appartenant à la compagnie où il travaillait. Suivant l’intervention de la police, le chef Akinade a convenu de vendre une partie de ses terres et d’effectuer des versements mensuels pour rembourser l’argent volé par sa fille. Cependant, le chef a par la suite cherché à récupérer le document foncier par des menaces et des actes de violence.

[5] Les demandeurs ont ensuite fui le Nigéria pour séjourner un temps aux États-Unis avant de revendiquer l’asile au Canada en invoquant que leurs vies étaient mises en péril par le chef Akinade et ses [traduction] « voyous » [les agents de persécution].

[6] Suivant l’audience, la SPR a conclu que les demandes d’asile ne présentaient aucun lien avec les motifs prévus dans la Convention. Elles ont donc été analysées au titre de l’article 97 de la LIPR. Elle a jugé que les demandeurs n’avaient pas qualité de personne à protéger étant donné qu’ils disposaient d’une PRI valable à Port Harcourt.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] La SAR a conclu que la SPR avait rendu des motifs contradictoires en ce qui a trait à la crédibilité. Elle a corrigé cette erreur en appel et a admis les allégations sous-jacentes des demandes d’asile. La SAR a procédé à une analyse indépendante de la preuve et a conclu qu’il existait une PRI valable à Port Harcourt. Elle s’est également penchée sur l’allégation soulevée devant elle pour la première fois par les demandeurs selon laquelle l’interrogatoire mené par la SPR aurait suscité une crainte raisonnable de partialité. La SAR a jugé que la conduite de la SPR n’avait suscité rien de tel et qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’avait eu lieu.

[9] Par conséquent, elle a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR portant que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[10] La présente demande soulève les questions litigieuses suivantes :

  1. Le SAR a-t-elle commis une erreur en décidant que la conduite de la SPR ne suscitait pas de crainte raisonnable de partialité?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI valable à Port Harcourt?

[11] La norme de la décision raisonnable s’applique lorsque la Cour contrôle une analyse de la SAR portant sur des manquements allégués en matière de justice naturelle ou d’équité procédurale [voir Ibrahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 1148 aux para 11-17].

[12] La décision de la SAR concernant une analyse relative à la PRI est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Iyere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 67 au para 16].

[13] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. La Cour qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable examine de près la décision du décideur pour établir si elle possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. Tant le raisonnement suivi que le résultat de la décision doivent être raisonnables [voir Vavilov, précité, aux para 83, 99, 100].

IV. Analyse

A. Le SAR a-t-elle commis une erreur en décidant que la conduite de la SPR ne suscitait pas de crainte raisonnable de partialité?

[14] Devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir que l’interrogatoire mené par la SPR était hostile, qu’elle a employé un vocabulaire terrifiant qui faisait preuve d’insensibilité à l’égard des questions de culture et de genre. De ce fait, ils ont senti qu’elle avait statué d’avance sur le sort de leur demande d’asile. Les demandeurs ont invoqué l’échange suivant entre la SPR et le demandeur principal [le premier échange] pour appuyer cette prétention :

Commissaire : Maintenant, M. Liadi, croyez-vous que vous êtes pourchassé au Nigéria en raison de votre race?

Demandeur d’asile : Non, monsieur.

Commissaire : Êtes-vous pourchassé en raison de votre religion?

Demandeur d’asile : Non, monsieur.

Commissaire : Êtes-vous pourchassé en raison de votre nationalité?

Demandeur d’asile : Non, monsieur.

Commissaire : Êtes-vous pourchassé en raison de vos opinions politiques?

Demandeur d’asile : Non, monsieur.

Commissaire : Et êtes-vous pourchassé en raison de votre appartenance à un groupe social?

Demandeur d’asile : Non.

Commissaire : Donc, croyez-vous que vous avez qualité de réfugié, monsieur?

Demandeur d’asile : Oui, monsieur.

Commissaire : Eh bien, il s’agit des éléments qui font partie de la définition d’un réfugié. Pour avoir qualité de réfugié, vous devez être persécuté ou craindre de l’être en raison de l’un de ces motifs : la race, la religion, la nationalité ou les opinions politiques. Alors, je me demande pour quel motif vous croyez avoir qualité de réfugié, étant donné la définition.

Demandeur d’asile : En raison de la persécution, monsieur.

Commissaire : Pardon?

Demandeur d’asile : La persécution. Menace à la vie.

Commissaire : Oui, mais vous n’êtes pas persécuté en raison de votre race. Vous n’êtes pas persécuté en raison de votre nationalité, ni de votre religion, ni de vos opinions politiques. Il ne s’agit pas de toutes les formes de persécution, monsieur.

Demandeur d’asile : D’accord. Je suis persécuté en raison d’un incident qui m’est arrivé.

Commissaire : Je réalise cela, mais l’incident est-il survenu en raison de votre race ou de votre religion?

Demandeur d’asile : Non.

Commissaire : Ou de vos opinions politiques?

Demandeur d’asile : Non.

Commissaire : Ou de votre nationalité?

Demandeur d’asile : Non.

Commissaire : Il s’agit du fardeau dont vous devez vous acquitter aujourd’hui.

[15] Les demandeurs se sont également fondés sur l’échange suivant entre la SPR et la demanderesse [le second échange] :

[traduction]

Commissaire : D’accord. Très bien. Alors, de juillet à novembre ...

Demandeure d’asile : Oui.

Commissaire : Vous avez eu l’occasion de demander l’asile aux États-Unis, mais vous ne l’avez pas fait. Y a-t-il une raison pour cela?

Demandeure d’asile : Nous n’avions pas d’argent.

Commissaire : Mais est-il impossible de demander l’asile sans argent?

Demandeure d’asile : Ce n’est pas possible.

Commissaire : Comment le savez-vous?

Demandeure d’asile : C’est à cause de l’administration Trump.

Commissaire : À cause de ...?

Demandeure d’asile : Trump. [inaudible]

Commissaire : Madame, madame.

Demandeure d’asile : [inaudible]

Commissaire : Madame, madame, ce que vous dites n’a aucun sens, d’accord? M. Trump n’a jamais adopté de loi qui dit que vous devez payer pour demander l’asile.

Demandeure d’asile : Oui.

Commissaire : Non.

Demandeure d’asile : Non! Mais ...

Commissaire : Écoutez. Non, non, c’est encore moi qui parle, d’accord? Alors, ne vous mettez pas dans une situation où vous pourriez dire quelque chose d’absurde.

Demandeure d’asile : D’accord.

Commissaire : D’accord? Alors, dites-moi seulement ce que vous savez, n’essayez pas de deviner.

Demandeure d’asile : D’accord, d’accord.

Commissaire : Très bien? Il n’existe aucune loi disant que vous devez avoir de l’argent pour demander l’asile aux États-Unis. Vous devez effectivement avoir de l’argent pour embaucher un avocat, ça, je peux le comprendre. Et je comprends également que ...

Demandeure d’asile : [inaudible]

Commissaire : Non, non. Je comprends aussi que votre famille n’avait pas l’argent nécessaire pour embaucher un avocat, c’est bien ça?

Demandeure d’asile : [inaudible]

Commissaire : Ai-je raison jusqu’ici?

Demandeure d’asile : [inaudible]

Commissaire : Non, non répondez uniquement à la question. Ai-je raison jusqu’ici?

Demandeure d’asile : Oui, oui.

Commissaire : Ai-je dit quelque chose d’erroné ici?

Demandeure d’asile : Non, non, vous n’avez pas tort.

Commissaire : D’accord. Alors, maintenant, ce que je veux savoir, c’est s’il y a autre chose... votre époux m’a donné quelques raisons... y a-t-il autre chose que vous voulez ajouter au sujet des raisons pour lesquelles vous n’avez pas demandé l’asile aux États-Unis ou ne pouviez pas le faire?

Demandeure d’asile : C’est ce que j’explique, ils ont dit qu’ils ne voulaient pas rester... M. Charles a dit que, comme nous sommes Africains, ils ne donnent pas beaucoup de possibilités aux Noirs.

[16] La SAR a énuméré les principes juridiques applicables et s’est ensuite penchée sur les échanges mis de l’avant par les demandeurs. En ce qui concerne le premier échange, la SAR a jugé la méthode employée par la SPR « regrettable » et a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une façon efficace d’examiner la question du lien. Toutefois, la SAR a signalé que les demandeurs avaient eu d’autres occasions d’être entendus relativement à la question du lien, car leur conseil avait ensuite interrogé le demandeur principal à ce sujet et la SPR lui avait également demandé de traiter de cette question dans ses observations. Selon la SAR, la SPR avait simplement tenté de renseigner le demandeur principal au sujet de la définition de réfugié au sens de la Convention et du fardeau dont il devait s’acquitter. Elle a également fait remarquer que le tribunal lui a demandé au moins deux fois, de manière ouverte et sur un ton calme et neutre, pourquoi il croyait avoir qualité de réfugié. Bien que la SPR n’ait pas employé la meilleure méthode pour poser des questions au sujet du lien, la SAR a jugé qu’une personne raisonnable ne percevrait pas les déclarations du tribunal comme démontrant une étroitesse d’esprit.

[17] En ce qui a trait au second échange, la SAR a écouté tout l’enregistrement audio et a déclaré qu’elle ne croyait pas que l’échange était hostile, intimidant et injustifié ni que la SPR pouvait être qualifiée de fermée d’esprit. La SAR a jugé que bien que la SPR aurait dû mieux choisir ses motifs, elle était de toute évidence préoccupée à l’idée que la demanderesse présente un faux témoignage, fondé sur ses hypothèses non étayées. Elle ne voyait pas en quoi les déclarations de la SPR manquaient de sensibilité sur le plan culturel ni en quoi elles n’auraient pas respecté les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe. La SAR a également fait observer qu’au début de l’audience, la SPR avait avisé les demandeurs de ne pas essayer de deviner les réponses ou d’émettre des hypothèses, mais d’avouer tout simplement qu’ils ne connaissaient pas la réponse à une question le cas échéant. Or, selon la SAR, les demandeurs avaient tendance à faire des déclarations quelque peu trompeuses tout au long de l’audience pour lesquelles ils devaient apporter des éclaircissements en réponse aux questions de la SPR. Dans ce contexte, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas eu tort d’intervenir et d’aviser la demanderesse de ne pas faire de fausses déclarations fondées sur des hypothèses.

[18] La SAR a reconnu que l’audience n’avait pas été facile pour les demandeurs, mais que bien qu’ils puissent s’être sentis intimidés par moment, elle ne croyait pas qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite de la SPR avait suscité une crainte raisonnable de partialité.

[19] La SAR a clos son analyse en faisant observer que les faits pertinents au sujet de la partialité se limitaient à la conduite de la SPR au cours de l’audience. À son avis, si celle-ci avait été si hostile et intimidante qu’elle avait suscité une crainte raisonnable de partialité, les demandeurs auraient dû le soulever pendant l’audience ou, du moins, très peu de temps après. Elle ne comprenait pas pourquoi la question de l’équité procédurale n’avait été abordée qu’en appel, après le rejet de la demande d’asile.

[20] Dans la présente demande, les demandeurs allèguent que l’interrogatoire mené par la SPR était hostile, très intimidant, qu’il faisait manque de sensibilité culturelle et qu’il était entièrement injustifié. Selon eux, la SPR a tenté de tirer profit des connaissances juridiques lacunaires du demandeur principal tout en induisant du même coup les demandeurs en erreur sur les attributs d’un réfugié au sens de la Convention. De plus, les demandeurs font valoir que faire déchoir l’interrogatoire à une [traduction] « séance de oui ou de non » était inapproprié, car cette méthode ne suffisait pas à garantir leur droit à la justice naturelle.

[21] Selon les demandeurs, la conclusion de la SAR voulant que le premier échange était « regrettable », sans en apprécier davantage le sens et les répercussions pour les intéressés, est insuffisante. Les demandeurs infèrent que la SAR doit avoir voulu dire que la situation était regrettable pour eux, car ils n’auraient pas dû être la cible d’un interrogatoire aussi inapproprié. De surcroît, ils ajoutent que cet interrogatoire, combiné avec les conclusions contradictoires tirées par la SPR quant à leur crédibilité, conduirait cumulativement une personne raisonnable à conclure que le commissaire de la SPR était partial et que la SAR a omis de tenir compte des conclusions contradictoires de la SPR relatives à la crédibilité comme faisant partie d’une appréciation cumulative d’une crainte raisonnable de partialité.

[22] Je conclus que la SAR a appliqué le bon critère relatif à la crainte raisonnable de partialité, à savoir si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que le décideur ne rendra pas une décision juste [voir Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369]. Comme l’a signalé la SAR, le critère permettant de conclure à l’existence de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant puisque les décideurs sont présumés impartiaux [Première nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113 au para 105].

[23] Une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. [voir Arthur c Canada (Canada (Procureur Général)), 2001 CAF 223 au para 8; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 809 au para 11; Maxim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1029 au para 30].

[24] En examinant les premier et second échanges invoqués par les demandeurs, il est impératif de garder à l’esprit le rôle de la SPR et la nature de sa procédure. Comme l’a indiqué le juge LeBlanc aux paragraphes 27 et 28 de la décision Aloulou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1236 :

[27] [...] À ce sujet, il est important de rappeler que le travail de la SPR est de nature inquisitoire et qu’il est au cœur d’un processus non accusatoire dans la mesure où personne ne comparaît pour s’opposer à la demande d’asile. En ce sens, son rôle diffère de celui des juges des cours traditionnelles, lequel est d’examiner les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties tout en s’abstenant de dire aux parties comment présenter leur cause. En revanche, la SPR se doit de prendre une part active aux audiences devant elle pour que son travail d’enquête soit efficace. À cette fin d’ailleurs, ses commissaires sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes, ce qui leur confère le pouvoir de procéder à tous les actes qu’ils jugent utiles aux fins d’apprécier le bien-fondé des demandes d’asile dont ils sont saisis (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Nwobi, 2014 CF 520, aux para 16 et 17; Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 273, 429 FTR 143, au para 15).

[28] Même si je n’ai rien observé de tout cela en l’espèce, ce travail inquisitoire pourra donner lieu à des interrogatoires parfois approfondis et énergiques, à des expressions d’impatience ou pertes de sang-froid momentanées et même à des paroles dures ou sarcastiques, sans que cela n’entraîne pour autant une crainte raisonnable de partialité (Fenanir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 150, au para 14; Acuna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1222, 303 FTR 40 au para 15; Ramirez, précité, au para 23).

[25] Une question mal choisie et dépourvue de sensibilité ne pourra, à elle seule, conduire à une crainte raisonnable de partialité [voir Fenanir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 150 au para 14].

[26] Après avoir examiné la décision de la SAR ainsi que l’ensemble des transcriptions de la SPR, je statue qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question d’une façon réaliste et pratique, ne jugerait pas qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de la SPR.

[27] Comme le révèlent ses motifs, la SAR a adéquatement tenu compte de l’ensemble des arguments formulés par les demandeurs devant elle. Ces derniers avancent maintenant les mêmes devant la Cour. La SAR a tenu compte de la nature de l’interrogatoire, mais ne s’est pas ralliée à la caractérisation qu’en ont fait les demandeurs. Bien que les deux échanges fassent ressortir une certaine impatience ainsi que peut-être un langage dur de la part de la SPR — et étaient donc « regrettables » — ce fait seul ne suffit pas, surtout à la lumière du restant de la transcription de l’audience, qui fait état d’une conduite méthodique, courtoise et respectueuse de la SPR en interrogatoire.

[28] En outre, la conclusion de la SAR portant que l’interrogatoire mené par la SPR n’a pas entaché la capacité des demandeurs à présenter leur preuve était raisonnable. À cet égard, les demandeurs n’ont pas démontré comment la conduite de la SPR les a empêchés d’exposer leur thèse ou les arguments sous-jacents à leur demande d’asile. Comme le fait remarquer la SAR, la preuve révèle exactement le contraire. Les demandeurs ont eu plusieurs fois l’occasion d’affermir leurs témoignages et leurs observations juridiques, à la fois pendant et après l’audience.

[29] De surcroît, comme l’a adéquatement conclu la SAR, l’omission des demandeurs (qui étaient représentés par un avocat) de soulever leur allégation de crainte raisonnable de partialité durant l’audience devant la SPR ou dans leurs observations suivant l’audience vicie irrémédiablement leur argument à ce sujet [voir Aloulou, précité, au para 33].

[30] Bien que les demandeurs prétendent maintenant que la SAR ait omis de tenir compte des conclusions contradictoires de la SPR relatives à la crédibilité comme élément faisant partie d’une appréciation cumulative visant la crainte raisonnable de partialité, il ne s’agit pas d’un argument formulé par les demandeurs devant la SAR. Il ne peut être reproché à la SAR de ne pas s’être livrée à l’analyse d’un potentiel point litigieux dans la décision de la SPR lorsqu’il n’a pas été soulevé par les demandeurs.

[31] Je conclus que ceux-ci n’ont pas réussi à faire ressortir de lacunes dans l’analyse de la SAR quant à la crainte raisonnable de partialité qui rendrait sa décision déraisonnable.

B. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI valable à Port Harcourt?

[32] Le critère à deux volets relatif à la PRI a été décrit de la manière suivante par le juge McHaffie aux paragraphes 8 et 9 de la décision Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 :

[8] Pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne sera pas exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse ») ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Thirunavukkarasu aux p 595‑ 597. Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux paragraphes 10-12).

[9] Les deux « volets » du critère doivent être remplis pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable. Le seuil du deuxième volet du critère de la PRI est élevé. Il faut « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15.

[33] En ce qui concerne le premier volet du critère, les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur dans son appréciation du profil de l’agent de persécution. Ils font valoir que bien que la SAR ait retenu qu’ils étaient des témoins crédibles, elle ne leur a pas accordé la présomption de véracité en exigeant des éléments de preuve corroborants quant à l’influence du chef Akinade et la portée de son emprise. Selon les demandeurs, la SAR ne pouvait, après avoir conclu qu’ils étaient des témoins crédibles, rejeter leur déposition relative au profil de l’agent de persécution et dire que celui-ci n’aurait pas été établi selon la prépondérance des probabilités. Ils avancent que la SAR n’a pas fourni d’explication raisonnable autre que de déclarer [traduction] « qu’aucune preuve n’est produite ».

[34] Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la SAR a clairement indiqué que leur témoignage relatif au profil de l’agent de persécution, décrit comme le chef d’une bande de voyous issus du milieu politique et membre de la confrérie Ogboni, était fondé sur des hypothèses et des rumeurs. La SAR a mis en relief à deux reprises la différence entre la crédibilité des demandeurs comme témoins dignes de foi et la fiabilité de leur preuve. Elle a indiqué que bien qu’ils croient que le chef Akinade dispose de l’emprise décrite dans leur témoignage, les demandeurs n’étaient pas bien placés pour tirer cette conclusion, car ils se sont plutôt fondés sur le simple fait que le demandeur principal avait séjourné à Ibadan et sur des éléments de preuve fondés sur le ouï-dire de personnes provenant du marché.

[35] On ne peut présumer que, lorsqu’elle conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, la SAR ne l’a pas cru. Un demandeur pourrait avoir présenté des éléments de preuve pour chaque fait essentiel en vue d’établir une demande particulière, mais il pourrait ne pas s’être acquitté de la charge de persuasion parce que la preuve présentée n’établit pas les faits requis, selon la prépondérance de la preuve [voir Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067 au para 23; Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 au para 32].

[36] Il ressort clairement d’un examen des motifs de la SAR que celle-ci a jugé que les demandeurs étaient des témoins crédibles, mais qu’elle a également conclu que leur preuve relative au profil de l’agent de persécution ne faisait tout simplement pas le poids. Comme la Cour l’a réitéré, le fait que la SAR a conclu que la déposition des demandeurs était crédible ne les soustrait pas à la nécessité de fournir des éléments de preuve objectifs suffisants [voir Iyere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 67 au para 37].

[37] Dans la mesure où des éléments de preuves corroborants étaient nécessaires, les demandeurs soutiennent que leur témoignage s’accordait totalement avec la preuve objective relative aux conditions quant à la confrérie Ogboni et leur influence dans tout le Nigéria. Ils renvoient au document 13.1 du Cartable national de documentation [le CND] daté du 30 octobre 2019. Or, ce document tiré du CND est muet quant à la confrérie Ogboni. Le défendeur signale que les demandeurs pourraient avoir voulu renvoyer au document 13.13 du CND, lequel traite de la confrérie Ogboni. Cependant, un examen du document 13.13 n’étaye pas la thèse des demandeurs selon laquelle la confrérie Ogboni disposerait des moyens de les pourchasser à Port Harcourt. Au contraire, selon les professeurs et les sociologues cités dans le CND, « [la société Ogboni] compte peu de membres, est peu présente et ses activités sont limitées », la société Ogboni traditionnelle est « désormais presque inexistante » (18 mars 2019), elle n’a « aucun pouvoir ni aucune influence » et est stigmatisée en tant que « vestige païen » du passé. Il est également précisé que la société Ogboni « n’est pas répandue comparativement à d’autres mouvements religieux » et que les « systèmes de croyances traditionnels, comme la société Ogboni », cèdent la place à d’autres religions comme le christianisme et l’Islam. De plus, un représentant de la Commission nationale des droits de la personne du Nigéria a déclaré qu’il n’y a « aucune preuve » que la société Ogboni exerce une influence sur la police dans les principales villes du Nigéria et un représentant du Canada a fait remarquer que la société Ogboni « n’a pas d’influence légitime ou légale dans quelque institution fédérale que ce soit ».

[38] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont démontré que la SAR avait commis des erreurs en statuant qu’ils n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que : a) leur agent de persécution disposait des moyens de les pourchasser à Port Harcourt; b) il existe pour eux à Port Harcourt un risque d’être soumis à la torture, une menace à leur vie ou un risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

[39] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a tenu compte de trois facteurs pour apprécier le caractère raisonnable de celle-ci, à savoir l’identité autochtone, l’emploi et la religion. Ce faisant, elle a examiné les documents 13.13, 2.1, 13.1, 16.13, 16.14, 12.6, 16.9 et 12.1 du CND. La SAR a conclu que la preuve concernant les allochtones et l’emploi était mitigée et que presque rien n’appuyait l’existence d’une possible persécution religieuse. Elle a également jugé que, examinée globalement, la preuve dont elle disposait ne satisfaisait pas au seuil très élevé du « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs d’asile ». La SAR a également conclu que bien qu’il puisse s’écouler un certain temps avant que les demandeurs ne trouvent un emploi qui corresponde à leurs compétences et qu’ils pourraient avoir à accepter des emplois qu’ils jugent insatisfaisants, les difficultés auxquelles ils pourraient être confrontés à Port Harcourt ne satisfaisaient pas au seuil élevé du second volet du critère relatif à l’analyse de la PRI.

[40] Les demandeurs font valoir que la SAR a omis de tenir adéquatement compte des facteurs connexes comme ceux de l’appartenance autochtone, la barrière linguistique, les antécédents professionnels et la religion qui rendraient objectivement déraisonnable leur déménagement à Port Harcourt. De plus, les demandeurs soutiennent que bien que la SAR se soit penchée sur certains de ces facteurs, elle n’a pas traité de la question du caractère raisonnable de la PRI d’une manière cumulative. Ils affirment que certains obstacles dans chaque catégorie aboutissent cumulativement au caractère déraisonnable du lieu choisi à titre de PRI.

[41] J’ai examiné les observations des demandeurs au regard du second volet du critère relatif à la PRI et je conviens avec le défendeur que celles-ci se résument à demander à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dont disposait la SAR. Il est bien reconnu que la SAR profite des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de son champ d’expertise, ce qui comprend les décisions en matière de PRI. Dans de telles circonstances, la norme de la décision raisonnable impose à la Cour une grande déférence à l’égard des conclusions de la SAR. Une cour de révision n’a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de faits de la SAR pour y substituer les siennes [voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne ) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55]. Elle doit plutôt considérer globalement les motifs, conjointement avec le dossier, et se limiter à déterminer si les conclusions étaient raisonnables.

[42] Je conclus que la SAR a raisonnablement tenu compte de la preuve à sa disposition (y compris la preuve objective du CND), a soupesé celle-ci et a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait au seuil élevé de démontrer « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs d’asile [...] [et des] élément[s] de preuve concrets [...] permettant de conclure à l’existence de telles conditions ». Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la SAR.

V. Conclusion

[43] Je suis convaincue que la SAR a examiné la preuve et a expliqué ses conclusions à la lumière de celle-ci, ce qui fait que sa décision présente les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, tant en ce qui concerne sa conclusion relative à la crainte raisonnable de partialité et celle sur l’existence d’une PRI valable à Port Harcourt. Comme les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[44] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2276-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2276-21

INTITULÉ :

MUNIRU ADEBISI LIADI, EJIMOT OLUWAKEMI LIADI, MALIK ADEFISAYO LIADI, MA’MUN ADEFEMI LIADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2022

COMPARUTIONS :

Jacqueline Lewis

POUR LES DEMANDEURS

Matthew Siddall

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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