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Date : 20220203

Dossier : IMM-322-21

Référence : 2022 CF 129

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

ADAEZE RACHEL OGBOLU

OLADIJI BABALOLA FAGBEMI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont des conjoints et des citoyens du Nigéria. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision défavorable datée du 4 janvier 2021 par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs affirment que l’agent a dénaturé, mal interprété ou écarté des éléments de preuve pertinents dont il disposait relativement aux trois facteurs qui ont été évalués dans la décision, à savoir : l’établissement, les difficultés et le risque de mutilation génitale féminine [MGF]. Les demandeurs affirment en outre qu’ils ont été privés de leur droit à l’équité procédurale parce que l’agent est parvenu à une conclusion défavorable en matière de crédibilité au sujet des difficultés relatives aux MGF alléguées par la demanderesse principale, sans le dire expressément et sans donner aux demandeurs l’occasion de s’expliquer, et parce que l’agent n’a pas donné aux demandeurs la possibilité de fournir des éléments de preuve corroborants sur la question des MGF, compte tenu de ses doutes quant au caractère suffisant de la preuve fournie.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[4] La demanderesse principale, Mme Ogbolu, est âgée de 30 ans, et le demandeur, M. Fagbemi, de 40 ans.

[5] La demanderesse principale est entrée au Canada en août 2013 munie d’un permis d’études. En octobre 2015, elle a obtenu un permis de travail, qui a par la suite été prolongé à plusieurs reprises. Il a cependant été refusé en janvier 2019.

[6] En mai 2019, les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire afin de rester au Canada. Le 4 janvier 2020, l’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire des demandeurs justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II. La décision contestée

[7] Dans sa décision, l’agent a traité de l’établissement, des difficultés et des MGF, soupesant chacun de ces facteurs séparément, puis a procédé à une évaluation cumulative avant de rejeter la demande des demandeurs.

[8] En ce qui concerne l’établissement, l’agent a accordé un certain poids favorable à l’établissement des demandeurs au Canada. Il a tenu compte des sept années que les demandeurs ont passées au Canada, du fait que la demanderesse principale travaillait alors comme agente de comptes à temps plein à TFI Global, que le demandeur avait travaillé dans plusieurs hôtels, que les demandeurs jouaient un rôle actif dans leur communauté en fréquentant leur église locale, qu’ils avaient établi un réseau social au Canada et que des lettres d’appui d’amis, de collègues et de paroissiens avaient été fournies pour attester de leur bonne moralité et de leur éthique de travail. L’agent a également souligné que les demandeurs n’avaient pas de casier judiciaire et qu’ils payaient des impôts.

[9] En ce qui concerne les difficultés, l’agent a examiné les arguments et les éléments de preuve des demandeurs concernant les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient renvoyés du Canada en raison du manque de perspectives d’emploi, du niveau élevé d’itinérance et des lacunes du système de santé au Nigéria dans son ensemble, ainsi que du haut taux de criminalité dans la région d’origine de la demanderesse principale, le delta du Niger. Il a conclu que les antécédents scolaires et l’expérience de travail acquise par les demandeurs au Canada étaient des atouts pouvant les aider à obtenir des emplois semblables au Nigéria et que les demandeurs avaient été en mesure de subvenir à leurs besoins au Nigéria avant leur arrivée au Canada, bien qu’ils aient connu des difficultés en cours de route. L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils avaient personnellement vécu dans la pauvreté quand ils vivaient au Nigéria et qu’ils n’avaient pas présenté d’éléments de preuve suffisants démontrant qu’ils seraient incapables de subvenir à leurs besoins s’ils y retournaient.

[10] L’agent s’est également penché sur l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle aidait son frère au Nigéria en lui envoyant de l’argent. Il a toutefois conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements indiquant que le frère souffrirait beaucoup si les demandeurs étaient renvoyés du Canada. L’agent a souligné qu’il était probable que les demandeurs se trouvent un emploi à un moment donné au Nigéria et qu’ils pourraient donc aider le frère de la demanderesse principale. De plus, étant donné que celui-ci était maintenant âgé de 21 ans, il pourrait subvenir à ses besoins dans une certaine mesure dans un avenir rapproché. Dans l’ensemble, l’agent a conclu qu’il n’était pas en mesure de déterminer à quel point ce manque de soutien affecterait le frère de la demanderesse principale et n’a donc accordé qu’un certain poids à ce volet de la demande.

[11] L’agent a ensuite examiné l’argument des demandeurs concernant le réseau social qu’ils se sont créé au Canada. Il a souligné que plusieurs membres de la famille de la demanderesse principale vivaient au Nigéria et a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’ils ne seraient pas en mesure de créer un nouveau réseau social au Nigéria. L’agent a également déclaré que les difficultés liées à la séparation physique pourraient être minimisées grâce aux communications interurbaines.

[12] En ce qui concerne le mauvais état du système de santé du Nigéria, l’agent a conclu que, compte tenu du profil des demandeurs majeurs et du manque de renseignements fournis, la documentation ne permettait pas de démontrer que les régimes de soins de santé étaient coûteux au point que les demandeurs ne seraient pas en mesure de se trouver un régime de soins de santé au Nigéria, si un tel régime s’avérait nécessaire.

[13] Enfin, en ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel les taux de criminalité sont élevés dans la région natale de la demanderesse principale, le delta du Niger, l’agent a conclu que celle-ci avait passé la majeure partie de sa vie au Nigéria, qu’elle y était retournée au moins deux fois depuis son arrivée au Canada, et que rien n’indiquait qu’elle avait personnellement été confrontée à des problèmes liés à la criminalité à ces occasions. L’agent n’a accordé qu’un certain poids à ce volet de la demande.

[14] En ce qui a trait à l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle subira une MGF si elle retourne au Nigéria, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction]
La demanderesse principale fait valoir qu’elle subira une mutilation génitale féminine (MGF) si elle retourne au Nigéria. Elle affirme qu’elle est originaire d’une tribu du delta du Niger où les MGF existent toujours et y sont traditionnellement pratiquées. Selon elle, dans sa communauté, la coutume veut que la première fille soit excisée au moment du décès du père ou en préparation du mariage. Lorsque la première fille (la demanderesse) n’est pas disponible, la deuxième fille prend sa place pour l’enterrement du père. Une compensation financière peut être acceptée si aucune des deux filles n’est disponible. Je souligne que la deuxième fille (la sœur de la demanderesse) vit actuellement au Canada et détient un permis de travail valide.

Dans l’ensemble, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle subira une MGF à son retour au Nigéria. Par exemple, elle n’a soumis aucun affidavit d’amis ou de membres de la famille pour étayer ce risque. Fait important, je remarque que la deuxième fille (la sœur de la demanderesse) a présenté une lettre d’appui, mais n’y mentionne pas la MGF comme difficulté potentielle. De plus, la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve documentaire provenant de membres de sa communauté pour confirmer cette tradition.

Je souligne également que la demanderesse a mentionné que son père était décédé en février 2015. Toutefois, selon le passeport de la demanderesse, elle est retournée au Nigéria environ un an après, le 8 janvier 2016. Rien n’indique vraiment qu’elle a vécu des difficultés connexes durant ce voyage. Pour les motifs qui précèdent, j’accorde peu de poids à cette difficulté.

[15] En conclusion, l’agent a jugé que les difficultés des demandeurs, même lorsqu’elles sont examinées de façon cumulative, ne justifiaient pas une dispense puisqu’il existait des facteurs atténuants, notamment le manque d’éléments de preuve concernant les MGF, la probabilité minime que la situation générale dans le pays touche les demandeurs et la disponibilité d’un réseau de soutien Nigéria.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[16] Les demandeurs font valoir que la présente demande soulève les questions suivantes : a) Les conclusions de l’agent sont-elles raisonnables compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve? b) L’agent a-t-il mal interprété les éléments de preuve au dossier ou a-t-il omis d’en tenir compte? c) L’agent a-t-il entravé son pouvoir discrétionnaire ou a-t-il imposé un fardeau excessif aux demandeurs?

[17] Le défendeur soutient que la seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[18] Après avoir examiné les observations des parties, je suis convaincue que les questions à trancher sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent était-elle raisonnable?
  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[19] En ce qui concerne la première question, la norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable [voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44]. Au moment d’apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit se demander si la décision est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour répondre à ces exigences, la décision doit être fondée « sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Tant le raisonnement suivi que le résultat de la décision doivent être raisonnables [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 83, 85 et 99].

[20] En ce qui a trait à la deuxième question, les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant assujettis à la norme de la décision correcte ou à un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte. Elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [voir Vavilov, précité, au para 77]. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, précité, au para 54].

IV. Analyse

A. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[21] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser un étranger des exigences habituelles de cette loi et de lui accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. L’examen des considérations d’ordre humanitaire au regard du paragraphe 25(1) de la LIPR est global, c’est-à-dire que toutes les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances. La dispense est justifiée si les circonstances propres à l’affaire sont de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne [voir Kanthasamy, précité, aux para 13, 28; Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 au para 10].

[22] L’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est réputé être une mesure de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui « mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour » [voir Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 335 au para 30]. Aucun « algorithme rigide » ne détermine l’issue [voir Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 7].

[23] Les demandeurs affirment que, de façon générale, l’agent a dénaturé ou mal interprété la preuve, a écarté des éléments de preuve pertinents, a imposé un fardeau excessif et déraisonnable aux demandeurs, et a entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a rendu sa décision. J’examinerai les affirmations précises des demandeurs facteur par facteur.

(1) L’établissement

[24] Les demandeurs affirment que l’agent a indûment écarté l’établissement des demandeurs en leur imposant le fardeau impossible de démontrer qu’ils ne seraient pas en mesure de créer un nouveau réseau social. Je rejette cette affirmation. L’agent n’a pas soulevé la question de la création d’un nouveau réseau social dans le cadre de son examen du facteur de l’établissement. Il l’a plutôt soulevée dans le cadre de son examen des difficultés. Je ne vois aucun fondement permettant de croire que cet examen a joué un rôle dans la détermination du poids accordé par l’agent au facteur de l’établissement.

[25] Néanmoins, l’agent a répondu à l’observation des demandeurs selon laquelle ils subiraient des difficultés en raison de la perte de leur réseau social au Canada en soulignant que plusieurs membres de la famille des demandeurs vivent au Nigéria, dont la mère, le frère et les deux sœurs cadettes de la demanderesse principale. Compte tenu du soutien que peut offrir la famille de la demanderesse, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les demandeurs ne pourraient pas créer un nouveau réseau social. Au regard des motifs de l’agent, je ne considère pas que celui-ci a imposé un fardeau insurmontable, comme l’affirment les demandeurs. Au contraire, la preuve dont disposait l’agent n’étayait pas suffisamment l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils perdraient leur réseau social.

[26] Les demandeurs affirment en outre que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’ils ont passé sept années de leur vie adulte à étudier et à travailler au Canada et qu’il serait peu pratique de tout recommencer au Nigéria en raison de la durée de leur absence et du changement radical de la situation sociale et économique au Nigéria.

[27] Je rejette cette affirmation. Les motifs de l’agent démontrent qu’il a accordé un certain mérite aux demandeurs pour la durée de leur séjour au Canada, leur expérience d’emploi respective, leur participation active dans la collectivité, leur réseau social bien établi et leur stature dans la collectivité, et qu’il a conclu que, dans l’ensemble, le facteur de l’établissement méritait un certain poids favorable. Dans le cadre de son évaluation globale des facteurs, l’agent a également tenu compte du fait que l’obligation de quitter le Canada entraînera inévitablement des difficultés et que cela, en soi, n’est pas suffisant en général pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ce qui est vrai.

[28] Les demandeurs affirment aussi que l’agent a commis une erreur en minimisant de manière déraisonnable la valeur des relations physiques et affectives qu’ils entretiennent avec leur réseau social au Canada lorsqu’il a mentionné que les demandeurs pouvaient maintenir ces relations par voie électronique. Je ne vois aucune erreur dans l’examen par l’agent de cet élément de l’établissement des demandeurs et, de toute façon, il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la valeur de ces relations dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[29] Bien que les demandeurs affirment également que l’agent n’a pas tenu compte du piètre état des infrastructures du Nigéria (ce qui entraverait les communications interurbaines), ils ne renvoient à aucun élément de preuve documentaire précis soumis à l’agent démontrant ce qui pourrait rendre de telles communications problématiques.

[30] Dans l’ensemble, je conclus que les demandeurs n’ont pas réussi à prouver que les motifs de l’agent souffraient de lacunes ni que son appréciation des éléments de preuve concernant le facteur d’établissement était déraisonnable.

(2) Les difficultés

[31] Les demandeurs affirment que, compte tenu des éléments de preuve présentés à l’agent qui faisaient état d’un taux de chômage très élevé et de graves problèmes de sécurité (comme les enlèvements, la brutalité policière et les meurtres de membres de groupes minoritaires) qui les affligeraient au Nigéria, il était déraisonnable pour l’agent de conclure, dans son examen de leurs perspectives d’emploi au Nigéria, qu’ils pouvaient facilement mettre à profit au Nigéria leurs compétences qu’ils ont acquises au Canada. Les demandeurs n’ont invoqué aucune autre erreur en ce qui a trait à l’analyse des difficultés effectuée par l’agent.

[32] Je ne vois aucune erreur dans l’examen par l’agent des perspectives d’emploi respectives des demandeurs au Nigéria. L’agent a tenu compte de la scolarité et de l’expérience professionnelle des demandeurs, ainsi que des documents sur la situation dans le pays qu’ils ont fournis. L’analyse de l’agent est cohérente et transparente en ce qui concerne les nombreuses variables de la présente affaire, et les demandeurs n’ont souligné aucun élément factuel précis que l’agent aurait omis ou mal interprété. L’agent a examiné les arguments des demandeurs et, ultimement, a conclu, au regard de la preuve dont il disposait, que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’ils ne seraient pas en mesure de subvenir à leurs besoins s’ils retournaient au Nigéria. Les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve concernant la situation économique au Nigéria et les défis auxquels ils seront confrontés dans la recherche d’un emploi, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

(3) La mutilation génitale féminine

[33] Les demandeurs affirment que l’agent a commis un certain nombre d’erreurs dans son examen de ce facteur. Plus précisément, ils affirment ce qui suit :

  1. [traduction]
    En déclarant que « la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle subira une MGF », l’agent n’a pas compris que la déclaration de la demanderesse principale constituait un élément de preuve. Il s’agit d’une erreur de droit qui commande un contrôle selon la norme de la décision correcte.

  2. L’appréciation de la preuve par l’agent est déraisonnable du fait qu’il a conclu que les demandeurs devaient fournir d’autres éléments de preuve en plus de ceux qui avaient déjà été fournis. Comme la crédibilité des demandeurs n’a pas été ouvertement remise en question, aucun élément de preuve corroborant n’était requis.

  3. La préoccupation de l’agent quant à l’absence d’éléments de preuve corroborants de la part d’amis et de parents « n’est qu’une excuse commode », car les agents considèrent habituellement que ce type d’élément de preuve est intéressé et y accordent donc peu de poids, voire aucun.

  4. L’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve objectifs présentés par les demandeurs concernant le risque de MGF.

  5. L’agent n’a pas tenu compte de l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle a seulement pu retourner au Nigéria un an après le décès de son père et en secret, ce qui va à l’encontre de la conclusion de l’agent selon laquelle « rien n’indique vraiment qu’elle a vécu des difficultés connexes durant ce voyage ».

[34] Je rejette les affirmations des demandeurs selon lesquelles l’agent n’a pas compris que la déclaration de la demanderesse principale constituait un élément de preuve et l’a écarté. J’estime qu’il est raisonnable de déduire que lorsque l’agent a déclaré que [traduction] « dans l’ensemble, la demanderesse principale n’a présenté aucun élément de preuve », il voulait dire aucun élément de preuve autre que l’affirmation de la demanderesse principale, qu’il venait tout juste de résumer. Il ressort clairement des motifs que l’agent a tenu compte de l’affirmation de la demanderesse principale.

[35] De plus, on ne peut présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur. Même si un demandeur a présenté des éléments de preuve pour chaque fait essentiel, il pourrait ne pas s’être acquitté de son fardeau juridique parce que la preuve présentée n’établit pas les faits requis, selon la prépondérance des probabilités [voir Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067 au para 23; Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59 au para 32]. En l’espèce, je conclus que l’agent n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse principale (voilée ou non). L’agent n’était tout simplement pas convaincu que les demandeurs avaient présenté suffisamment d’éléments de preuve sur cette question. Les conclusions tirées par un agent relativement au caractère suffisant de la preuve appellent une grande retenue, pourvu qu’elles soient motivées et qu’elles ne constituent pas un moyen déguisé de statuer sur la crédibilité du demandeur [voir Magonza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 14 au para 35]. En l’espèce, l’agent a bien expliqué le caractère inadéquat de la preuve des demandeurs en précisant les types d’éléments de preuve qui n’avaient pas été fournis.

[36] Les demandeurs affirment que l’agent disposait d’un élément de preuve objectif démontrant que la demanderesse principale risquait d’être victime d’une MGF à son retour au Nigéria (c’est-à-dire un article de la Fondation Thomson Reuters intitulé « Nigeria: The Law and FGM »). Cependant, l’examen de cet article révèle qu’il ne traite pas précisément de la pratique tribale des MGF que craint la demanderesse principale et qui est décrite dans son formulaire de demande. L’article présente plutôt les taux de MGF par région, mais met l’accent sur le cadre juridique national régissant les MGF.

[37] Je conviens avec les demandeurs que, dans ses motifs, l’agent n’a pas tenu compte de l’affirmation de la demanderesse principale selon lequel elle n’a pu retourner au Nigéria qu’en cachette et que, par conséquent, le raisonnement de l’agent concernant l’importance de son voyage au Nigéria en 2016 est erroné. Cependant, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, compte tenu du fait que l’agent a conclu que la preuve était insuffisante à l’égard de ce facteur, cette lacune n’est pas suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable [voir Vavilov, précité, au para 100].

[38] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont démontré que la décision de l’agent était déraisonnable.

B. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[39] Les demandeurs affirment que l’agent a porté atteinte à leurs droits à l’équité procédurale pour les motifs suivants : a) l’agent n’a pas donné aux demandeurs la possibilité de fournir des éléments de preuve corroborants sur la question des MGF, compte tenu des doutes qu’il avait quant au caractère suffisant de la preuve fournie; b) il a insinué que l’affirmation de la demanderesse principale concernant le risque de MGF n’était pas crédible sans lui donner l’occasion de s’expliquer ou d’y apporter des précisions.

[40] Je conclus que l’agent n’était pas tenu d’informer les demandeurs de ses doutes quant au caractère suffisant de la preuve fournie sur la question des MGF. Il incombait aux demandeurs d’inclure les renseignements et les éléments de preuve pertinents à l’appui de leurs observations. Les demandeurs qui ne présentent pas de preuve ou qui omettent de produire des renseignements pertinents à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le font à leurs risques et périls [voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 aux para 35, 45 et 61; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5].

[41] De plus, le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard [voir Owusu, précitée, au para 8]. Des exceptions à cette règle ont été accordées dans certains cas où la décision de l’agent est clairement fondée sur une conclusion en matière de crédibilité [voir Duka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1071; Shpati c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1046]. Toutefois, en l’espèce, je ne suis pas convaincue que l’agent a tiré une quelconque conclusion en matière de crédibilité. Comme je l’ai mentionné précédemment, la décision de l’agent reposait plutôt sur le caractère suffisant de la preuve présentée par les demandeurs.

[42] Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne demandant pas de renseignements supplémentaires aux demandeurs ou en ne convoquant pas d’entrevue.

V. Conclusion

[43] Comme j’ai conclu que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-322-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-322-21

INTITULÉ :

ADAEZE RACHEL OGBOLU ET OLADIJI BABALOLA FAGBEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo

POUR LES DEMANDEURS

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ville (province)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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